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dimanche 8 août 2021

John Coltrane 2

 


Nous sommes dans les coulisses d’un club de Los Angeles, quelques minutes après la prestation de l’orchestre de Dizzie Gillepsie. Après son écart de conduite, Dizzy a finalement repris Coltrane. Le trompettiste est loin de se douter que, si son saxophoniste a réduit sa consommation d’alcool, ce n’est que pour la remplacer par l’héroïne. Cette cochonnerie circule bien dans le milieu du jazz, elle aide les musiciens à supporter le rythme des tournées. John s’était pourtant promis de ne plus toucher à la poudre blanche. C’était quelques jours plus tôt dans sa chambre d’hôtel. Epuisé par son travail acharné, il avait légèrement augmenté sa dose journalière, pensant qu’il méritait bien une petite friandise. A peine sniffée, la poudre sembla exploser dans son crâne. Il s’effondra alors brutalement, pour ne se réveiller que le lendemain. Sa gueule de bois fut alors si sévère qu’il se sentit comme Lazare revenu d’entre les morts.

Il repensa à cette anecdote quand un de ses collègues lui tendit une belle ligne de poudre de perlimpinpin, mais il était encore trop accroc pour refuser. Alors qu’il venait à peine de s’envoyer sa part, Dizzie débarqua dans la loge comme une tornade et prit ses musiciens en flagrant délit. Il se mit alors à hurler qu’il virait cette « bande de Jean Foutre ». La dope était alors une abomination redoutée par tout chef d’orchestre. Le drogué, en plus de devenir insolent, menteur et incapable de jouer, ne pouvait s’empêcher de diffuser son addiction comme une lèpre. Un musicien est atteint, et c’est tout l’orchestre qui bascule au pays des merveilles !

Encore assez lucide pour comprendre qu’ils perdaient leur job, les musiciens se mirent à supplier leur juge. On assista alors à ces scènes un peu pathétiquse que tous les chefs ont du vivre au moins une fois. Les courbettes s’enchainaient et l’on insista sur ses enfants à nourrir. Mais le jazz est plus important que le destin de quelques hommes, et seul Coltrane parviendra à convaincre Dizz de lui laisser une seconde chance. Le trompettiste ne conservait pas son saxophoniste pour préserver le destin d’un jeune musicien, mais parce qu’il connaissait son potentiel.

Coltrane suit donc le nouvel orchestre de Dizz à New York, capitale du jeune mouvement bebop. Après son set au Birdland, Art Blakey s’installe derrière la batterie, Bud Powell prend possession du piano, pendant que Sonny Rollins commence à déployer son souffle de colosse du saxophone. Ce n’est rien de moins que la crème du jazz moderne qui s’est réunie sur cette scène. Devant un tel festival de swing, Coltrane ne peut s’empêcher de rejoindre la cérémonie. Imperturbable, Art Blakey continue de déployer sa virilité pleine de finesse, Bud Powell rend hommage à Charlie Parker, mais Sonny Rollins ne se montre pas aussi bienveillant. Quand il voit arriver ce jeune prétentieux, le saxophoniste multiplie les accords alambiqués, invente les enchainements les plus traitres.

Celui qui n’est encore qu’un jeune apprenti plein de promesse est vite écrasé par la virtuosité d’un Rollins au sommet de sa gloire, il s’efface alors derrière cette armée d’élite. Dans le public, un homme le toise d’un air méprisant. Il s’agit de Miles Davis, la nouvelle gloire du mouvement bebop. Sonny Rollins est son saxophoniste, le seul selon lui qui puisse réaliser ses grandioses visions. Perturbé par cette soirée, Coltrane arrive en retard et ivre au concert de son orchestre, ce qui lui vaut une expulsion définitive.

Trane passe les semaines suivantes dans de petites formations de Philadelphie. Il s’est acheté une maison proche de ses lieux de concerts, ce qui lui laisse plus de temps pour rattraper son retard. Après chaque gig, il s’entraine avec un acharnement décuplé par l’humiliation qu’il vient de subir. Pendant que John Coltrane rattrape son retard, Miles Davis décide de marquer une pause dans sa carrière. Il retourne alors chez son père, s’enferme dans sa chambre, et n’en ressort qu’après s’être débarrassé de son addiction à l’héroïne. Cet exil durera quelques jours, période pendant laquelle Sonny Rollins va lui aussi tomber dans la dope.

Ne se doutant de rien, les journaux annoncent déjà le retour du « plus grand orchestre de jazz depuis la disparition de Charlie Parker ». Bird a en effet rendu son dernier souffle chez la baronne De Koenigswater, l’alcool et la drogue ayant donné à ce jeune trentenaire une allure de vieillard malade. Le monde du jazz est convaincu que Miles est le seul à pouvoir faire oublier le souffle du regretté oiseau - c’est pourtant le moment que Sonny Rollins choisit pour l’abandonner.

Ne trouvant personne pour le remplacer, Miles se résigne à rappeler ce jeunot qu’il croisât au Birdland. John Coltrane est un choix par défaut, un blanc bec ne devant sa place qu’au fait que personne n’était là pour prendre sa place. Loin d’être connu pour sa bienveillance, Miles ne se gêna pas pour rabaisser ce qui n’est encore qu’un jeune musicien timide.  

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