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lundi 6 septembre 2021

Tool : Lateralus (Spirale et troisième œil)

C'est très difficile de décrire la musique composée par Tool, mais une chose est certaine, une fois qu'on a touché à leurs œuvres, il n'y pas de retour possible. "Lateralus" est le troisième album studio du groupe : après un "Undertow" agressif, un "Ænima" angoissant, prenant et envoûtant, Tool revient pour nous livrer là un album plus sophistiqué sur le plan technique, plus psychédélique et peut-être plus aérien. Techniquement, et sur le plan de la complexité de composition, "Lateralus" est sans doute un de leurs albums les plus aboutis (avec "10,000 Day"s et "Fear Inoculum"). L'album en lui-même est très bien construit, l'ordre des pistes s'enchaîne à merveille, d'un début plutôt agressif vers une fin plus psychédélique et aérienne (j'y reviendrai).

L'album commence donc sur le titre "The Grudge", un morceau très efficace, et sur le plan vocal un des morceaux les plus aboutis de Maynard (on retiendra son cri de 25 secondes à la fin du morceau), un ensemble très rythmique avec un mélange basse/batterie extrêmement bien construit (la présence de la basse sert presque de fil directeur à la progression du morceau, elle met en avant les quelques transitions qui marquent les ruptures entre les différentes séquences du morceau : cf. la progression de l'intro, le retour au mouvement d'intro en milieu-fin de morceau,...), et un jeu de guitare d'Adam Jones toujours dans l'expérimentation des sonorités parfaites de sa Gibson Les Paul : bref, un excellent début d'album.

Vient le premier interlude, ou morceau de transition : "Eon Blue Apocalypse". Et on en avait besoin, car après un morceau plutôt agressif et très lourd rythmiquement (au sens mélioratif du terme), une rupture calme ne fait pas de mal.

La troisième piste de l'album est "The Patient", peut-être le morceau qui m'attire le moins sur l'album, non pas qu'il soit mauvais - il est très bon - mais je trouve qu'il sort du lot parfait que compose le reste de l'album (il aurait pour moi plus sa place sur Ænima pour son côté oppressant et légèrement dérangeant). Le morceau est, selon moi, très axé sur l'harmonie chant/guitare, Maynard/Jones (cf. la fin du morceau surtout), sinon on retrouve à son habitude chez Tool une base rythmique très solide, où chaque note de la ligne de basse de Justin Chancellor est posée au millimètre pour s'harmoniser avec la batterie de Danny Carey : bref, un morceau très réussi mais qui je pense n'a pas sa place (à cet instant du moins) dans l'album.

Vient le second interlude, "Mantra", morceau que l'on peut lire à l'endroit comme à l'envers (une musique palyndromique...), qui se voudrait dans une deuxième lecture de l'album comme le lien entre les deux parties constituantes : le corps et l'esprit (je ne développerai pas cet axe de seconde lecture de l'album).

Cinquième morceau : "Schism". Là, c'est du lourd, du très lourd. Je n'vais pas pouvoir décrire le morceau, sensation indescriptible, je frissonne à chaque écoute, l'une des meilleures lignes de basse de Chancellor, et une outro à couper le souffle. Niveau complexité de composition, on atteint des sommets : 47 changements de Time Signature* tout au long du morceau, mais là où est le génie du groupe, c'est que contrairement aux autres groupes de progressif qui créent des morceaux techniquement incroyables et, en terme de composition, sidérants mais qui n'ont pas grand intérêt au delà d'exposer la qualité technique des musiciens, "Schism" va chercher dans la complexité sans la faire remarquer à l'auditeur (je vais pas non plus dire qu'on à l'impression d'écouter du 4/4 pendant 7min, mais on ne ressent pas les changements de signatures rythmiques aussi aisément que la plupart des morceaux de Metal Progressif, ce que je trouve presque propre à Tool).

Morceaux suivants, "Parabol"/"Parabola", qui marquent réellement un tout, un long morceau de 9min découpé en deux : la partie calme, la partie réellement Metal. Un morceau ultra mélodique, très rythmique, et au risque de me répéter, le chant de Maynard est encore sublime. Ce morceau est une merveille, l'intro de 3min permet de profiter de l'album tout en se reposant de la claque monumentale que nous a livré "Schism", et la deuxième partie du morceau marque une rupture techniquement très réussie, et qui sera le point de départ d'un enchaînement de morceaux plus violents, une tournure que choisit de prendre l'album qui se trouve très justifiée.

Huitième morceau : "Ticks and Leeches". La démonstration technique de Danny Carey par excellence sur "Lateralus" (on s'imagine aisément un homme à 400 bras jouer l'intro). Un bon morceau peut-être un peu long sur la fin, la partie très riffée-mélodique entre guitare et basse joue sur la longueur pour marquer la transition et la progression du riff sans qu'on la ressente ; je pense que c'est le défaut majeur sur ce morceau (bien que cela dépende de l'appréciation de chacun pour la longueur progressive, personnellement, celà ne me pose aucun problème).

Neuvième étape d'un album sans erreurs (ou très peu) : "Lateralus", chef-d'œuvre monumental de composition. Le morceau est vocalement construit sur la suite de Fibonacci** (le refrain aussi en soi, riff en 9/8, 8/8, 7/8, 987 étant un nombre de la suite). Des jolis riffs de guitare, une basse plutôt mélodique en opposition au morceau précédent plutôt axé rythmique pour la basse (surtout dans la première partie), un jeu de batterie hors du commun (Danny Carey n'est définitivement pas humain), et un solo de guitare (ce qui est assez rare dans les morceaux de Tool) très réussi, mélodiquement parfait avec des effets Wha très bien choisis. Bref, ce morceau est un chef-d'œuvre du groupe, mais l'album n'est pas fini, et vient la partie que je préfère.

The Masterpiece of Lateralus, The Holy Trinity : (Disposition/Reflection/Triad). Un enchaînement de trois morceaux qui forment un tout, avec un début aérien, très mélodique, puis une longue partie angoissante mais si belle, et une dernière partie purement instrumentale violente et brutale. Le chant de Maynard est peu présent sur ces trois morceaux, mais instrumentalement, je n'ai presque jamais entendu quelque chose d'aussi bien travaillé (à l'égal de "Shine On You Crazy Diamond" (Pink Floyd), ou toute la partie mélodique de Schuldiner sur "Symbolic" (Death)), la Wal Bass de Chancellor est ultra présente pour nous dévoiler toute la qualité de son jeu, du mélodique au rythmique, de l'expérimentation ambiante au groove, la Les Paul d'Adam Jones toujours parfaite, en recul par rapport aux autres morceaux car elle sert d'accompagnement pour une fusion guitare/basse, et le jeu de Danny Carey encore une fois hors normes (il n'est clairement pas humain). Cette composition est envoûtante du début à la fin, on rentre réellement dans la spirale émotionnelle et toute la profondeur que nous offre cet album, un orgasme auditif, indescriptible : il faut l'écouter pour le croire. Malheureusement toutes les bonnes choses ont une fin, et cet album n'est pas éternel. On retrouve après 79min de pur voyage expérimental la dure réalité des choses, nous ne sommes que mortels, et l'univers dévoilé par Tool n'est pas le nôtre.

P'tite conclusion : c'est sans doute l'album avec lequel il faut commencer pour comprendre Tool, comprendre que ce n'est pas quelque chose d'ordinaire, que ce n'est pas descriptible, que Tool est une expérience. Ceci est un avis purement subjectif, c'est le ressenti que j'ai à chaque écoute de cet album, mais qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas, Lateralus ne nous laisse pas indifférent.

* La signature temporelle est une convention de notation utilisée dans la musicale occidentale pour spécifier le nombre de battements contenus dans chaque mesure et la valeur de note équivalente à un battement.


** En mathématiques, la suite de Fibonacci est une suite d'entiers dans laquelle chaque terme est la somme des deux termes qui le précèdent.

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