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lundi 4 octobre 2021

John Coltrane : Live in Seattle

 


Pharoah Sanders naquit en 1940 dans l’Arkensas. Dans cet état situé en plein cœur du sud profond, la ségrégation est appliquée avec une rigueur écœurante. Alors Sanders se réfugie vite dans la musique, apprend à jouer de la flûte, de la batterie et du tuba. Le saxophone devient finalement son instrument de prédilection en 1959, époque où il ne supporte plus le racisme ambiant et la niaiserie du jazz local. Il voyage donc à San Francisco, où il joue parfois avec quelques groupes de rock. Cette musique avait alors envahi la ville, ce qui ne voulait pas forcément dire que tous ses musiciens roulaient sur l’or. Sanders dut donc accepter quelques petits boulots pour compenser la maigreur de ses cachets. De passage à New York, il croisa le fer avec quelques pointures du jazz local, ce qui n’améliora pourtant pas sa situation financière.

Tout s’accéléra en 1964, année où son jeu éclaté lui valut de jouer avec Don Cherry et Sun Ra. Même si le business du jazz ne fut jamais aussi juteux que celui du rock, ces prestations lui permirent d’attirer l’attention de nouveaux labels cherchant « le nouvel Ornette Coleman ». Sanders enregistra donc un premier album où brillait déjà son gout pour les harmonies alambiquées. La première rencontre de Sanders et Coltrane eut lieu en 1959, lorsque Trane tournait encore avec Miles Davis. Les deux hommes sympathisèrent en essayant des becs de saxophone dans un magasin californien. Comme il l’affirma souvent, Coltrane accordait plus d’importance à la personnalité d’un musicien qu’à ses connaissances techniques. Pour lui, le son d’un musicien était plus façonné par son caractère que par sa technique. Cette vision peut paraitre paradoxale venant d’un homme qui a tant travaillé son jeu, elle explique pourtant le lien qui se créa vite entre Trane et Sanders.

Les deux hommes se perdirent de vue pendant quelques années, jusqu’à ce que Coltrane invite son vieil ami à participer aux séances d’"Ascension". Suite à ces séances, les deux ténors se contactèrent régulièrement par téléphone, avant de se retrouver à San Francisco en 1965. Coltrane cherchant alors une nouvelle voie à explorer, il fut persuadé que son jeune ami pouvait l’aider dans sa quête. A cette époque, Coltrane invitait régulièrement un saxophoniste à jouer avec lui. En plus de l’aider à supporter le rythme infernal des tournées, ces interventions l’incitaient à s’adapter sans cesse. Persuadé que la présence de Sanders peut également donner un second souffle à sa carrière, il propose également de financer l’enregistrement de la performance.

"Live in Seattle" fut donc enregistré le 30 septembre 1965, date qui est à marquer d’une pierre blanche. Pour étoffer la formation, Coltrane s’offrit les services du clarinettiste Donald Garett. Le nouvel orchestre comporte toujours le trio Garrison,  Tyner, Jones, qui subit cette soirée comme un chemin de croix. Ayant enfin trouvé le partenaire capable de le conforter dans sa nouvelle voie, Trane multiplie les dérapages et motifs stridents. Malgré sa jeunesse, c’est bien Sanders qui initie les premiers cris, rugissements et dissonances inattendues, auxquels Coltrane répond avec une intensité folle. Pour ne pas être débordé par l’audace de son invité, il s’embarque dans une avant-garde plus radicale, enchaine les sons avec l’originalité débridée d’un peintre abstrait. Face à une telle orgie, celui qui fut jusque-là le dynamiteur chargé de propulser le swing coltranien dans le cosmos se voit obligé de remettre de l’ordre dans la folie des saxophonistes. Les vieux shémas rythmiques de Jones n’ont malheureusement aucune prise sur ce dialogue anarchique, laissant le batteur s’agiter comme un naufragé tentant de garder la tête hors de l’eau.

Tyner quant à lui devient totalement insignifiant, les titres joués ce soir-là ne nécessitant pas de pianiste, et il ne parvient pas à imposer sa place. Dans ce "Live in Seatle", Sanders dessine les formes et Coltrane apporte les couleurs. Les motifs ultras modernes du premier s’enveloppent dans l’intensité spirituelle du second. Sanders permet également à son chef d’orchestre de jouer le rôle du modérateur tout en s’épanouissant dans son univers le plus radicalement avant gardiste.

Entre deux échanges exaltés, Coltrane parvient ainsi à ménager quelques oasis mélodiques. Lorsque la prestation s’achève, Trane est si ravi du résultat qu’il embarque l’orchestre en studio.          

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