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mercredi 6 octobre 2021

John Coltrane : Sun Ship


Cette fois ci nous y sommes !

Enregistré pendant l’été 1965, "Sun ship" ne sortira qu’en 1971. Il s’agit pourtant d’un album qui confirme un tournant qui couvait depuis plusieurs semaines : la fin du quartet historique. Conscient des limites de sa formation, Coltrane consent une dernière fois à s’abaisser à son niveau. Il construit ainsi une série de mélodies plus lisibles, sans réellement ressasser les vieilles marottes de ses musiciens. L’album s’ouvre sur le morceau titre, que le saxophoniste introduit sur un oppressant motif de quatre notes.

Jones accentue ensuite l’agressivité de ce swing minimaliste à grands coups de percussions bestiales. Restant dans ce registre hystérique, Tyner plaque quelques notes fiévreuses. Comme possédé par la rapidité et la souplesse de son pianiste, Trane s’embarque dans un de ces chorus explosifs qui choqua le monde sur "Ascension". La frappe de Jones l’incite ensuite à intensifier son jeu, avant que le duo ne s’embarque dans un final sec comme un coup de trique. "Dearly belove" rejoint les chemins méditatifs tracés par "a love suprem".

Nous sommes pourtant loin de l’apaisement mystique du chef d’œuvre coltranien. Cet apaisement fait plutôt place à un lyrisme plus intense, une méditation solennelle portée par la frappe pleine d’écho de Jones. "Amen" reprend quant à lui la violence minimaliste de" sun ship", les chorus stridents de Trane réaffirmant que la violence d’"Ascension" n’était pas une erreur de parcours. "Attaining" remodèle ensuite le swing du blues, son spleen mystique rappelant la beauté de "Psalm", tout en se passant de ligne mélodique claire. Les quatre solos du saxophoniste forment ainsi les piliers sur lesquels repose ce nouveau poème musical.

Rassuré par ce registre plus harmonieux, Tyner dessine un arrière-plan d’une rare beauté. Les roulements de tambours de Jones initient un somptueux cérémonial, avant que Tyner ne fasse scintiller ses notes comme autant de chandelles réconfortantes. Lors de ses majestueux chorus, Coltrane semble remercier dieu dans un langage poignant. "Attaining" voit Coltrane mettre une dernière fois à jour le mysticisme apaisé qu’il initia sur "Crescent". Conscient qu’il vit là ses derniers instants de grâce, le quartette retrouve la cohésion irrésistible de ses débuts. La batterie envoie son dernier roulement, le saxophone suit son rythme avec tendresse, les derniers échos de leur procession finissent par baisser le rideau sur une époque qui ne reviendra plus. Relativement discret jusque-là, Garrison gratifie "Ascent" d’un solo hypnotique.

Sur certains passages, la rapidité de ses accords fait presque penser au mojo des grands bluesmen de Chicago. Vient ensuite la batterie enjouée de Jones, qui donne l’impression que cette rythmique s’essaie à l’énergie juvénile du rock'n roll. Le chorus de Trane déboule dans ce décor trop tranquille tel un troupeau de buffles en pleine charge. Le saxophoniste renoue aussi avec le jeu rugueux d’"Ascension", encorne la rythmique trop apaisée du duo Garrison/Jones.

Choqué par un retour si soudain d’une agressivité qu’il peine à suivre, le batteur se met à massacrer ses toms comme un fou furieux. "Ascent" symbolise ainsi la fin d’un quartet dépassé par les nouvelles lubies de son leader.

Sans être transcendant, "Sun ship" a au moins le mérite de prolonger un peu la légende d’un orchestre historique. Si tous ses musiciens ne quittèrent pas le giron coltranien, ils seront ensuite systématiquement intégrés à des formations plus larges. Trane a encore besoin de la virtuosité de certains d’entre eux, mais il refuse d’être bridé par leurs limites.           

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