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mardi 10 décembre 2019

Woodstock on Water: Episode 4


Rien ne se passa comme prévu et, victime du mal de mer , Kurt Vile fut bien incapable de monter sur scène à l’heure prévue. Le temps passait, et le public demandait son dû en scandant « we want more ».Dans ce décor, son cri était aussi impressionnant que celui d’une armée de spartiates prête à l’assaut.

Eric n’eut pas le loisir de réfléchir très longtemps, et les frères O Keeffe foncèrent rapidement vers la scène. Notre organisateur ne s’en effraya pas plus que ça, les amplis de Vile était assez puissant pour supporter les charges des Australiens , et ce soir ils allaient être poussés au maximum. A l’arrivée de ce groupe, autant adoré par un public heavy métal de plus en plus important , que part les restes du public classique rock , les cris décuplèrent . Ces barbares voulaient du saignant, et ils allaient être servis.

Disciple de la formule primitive d’ACDC, Airbourne entame son set par raise the flag , leurs roadies se précipitant, pour obéir à cet ordre en hissant un drapeau où le groupe apparaît en compagnie du groupe d’Angus Young. Si il voulait rendre sa jeunesse au rock, Eric ne pouvait imaginer meilleur emblème que cette bande de fous furieux, dont les riffs à la gloire des plus bas instincts étaient au rock ce que la littérature fut longtemps pour le cinéma , une source d’inspiration inépuisable.

Les riffs de O Keeffe ne cherchent nullement à vous émerveiller, leur beauté n’est pas celle des « intellos pop » , et le groupe se fout bien des expérimentations qui faillirent souvent mener le rock à sa perte. Ses boogies en trois accords viennent directement chatouiller le cerveau reptilien de ses milliers de spectateurs, et quand des milliers de personnes semblent revenir à l’âge de pierre, cela crée un effet formidable.  Secouant la tête comme des damnés, hurlant les refrains comme des incitations au combat , la foule est une armée formidable redonnant un sens au mot rock n roll.

Elle transmet aussi son énergie à un lutin guitariste déjà surchauffé, et le voilà qui laisse son groupe jammer sur trois accords pendant qu’il décide d’escalader le mat ! Dieu Bénisse l’homme qui a inventé la guitare sans fil ! Une fois en haut, il se dresse à côté de son drapeau , glorieux corsaire du rock prêt à une nouvelle salve mortelle. Et cette salve n’est autre qu’une reprise de « let there be rock » envoyé sur un rythme hallucinant. Assis au milieu de son solo, voilà notre soliste qui se laisse baller en arrière , et termine son solo la tête en bas , dans la position d’un acrobate de cirque.

Redescendu pendant les dernières notes de la jam du groupe , O Keefe termine la performance sur un dernier riff explosif. Loin d’être rassasié par une telle prestation , le public est désormais chauffé à blanc . Pour succéder à une telle explosion, impossible d’envoyer ce cher Kurt Vile , cette fosse aux lions le dévorerait en moins de deux . Mais personne ne voulait prendre la suite ! Les australiens ont transformé le public en ogre affamé, et personne ne veux servir d’offrande.

Personne, sauf Buckcherry , groupe devant son nom au grand Chuck , et bien décidé à montrer qu’il est le véritable maître du hard boogie blues. Pourtant, il entre bien avec une reprise, Josh Todd hurlant le fameux « kick out the jams motherfucker », pour dompter la bête sauvage qui hurle fasse à lui. Le chanteur a cette sorte de charisme théâtral qu’on ne trouvait plus depuis la disparition de Bon Scott. Il ne chante pas ses textes , il les incarne.

Un peu plus complexe que les bombes d’airbourne , sa musique à mi-chemin entre la spontanéité du père Angus et le brio mélodique de Slash est idéale pour faire redescendre le public, sans faire retomber la tension. Les américains n’ont jamais été très doués pour les ballades , elles plombaient le plus souvent leurs albums , aussi eurent t’ils la bonne idée de ne garder que leurs morceaux les plus saignants.

Une prestation de Buckcherry , c’est simplement cinq mecs tenant une salle de la même façon qu’ils imposeraient le respect aux tauliers du bar le plus glauque du bronx. Le feeling impressionnant de Keith Nelson est d’ailleurs un des rares dignes héritiers de Hendrix , une puissance qui sait se faire heavy sans tomber dans les clichés niais du hard rock/ heavy metal. Et, là encore , la foule aura son lot d’hymnes à répéter en chœur en secouant la tête . « porno star » , « glutonny » ou « time bomb » ne sont rien de moins que les lointains descendants de cette matière vitale, contenue dans « Johnny Be Good ».

Les derniers riffs s’éteignent dans le crépuscule et , en voyant le public vidé de son énergie primaire , Eric pense qu’il est enfin temps de lui envoyer un Kurt Vile remis de son mal. Comme seul soutien, un projecteur est placé sur le coté, de manière à ce que sa lumière tamisée éclaire le nouveau loner, comme Neil Young à la fin d’un concert de CSNY.

Voir cette foule, sortant à peine de sa transe féroce, revenir à un état d’attente passionée relevant presque de la communion, cela redonne fois en la curiosité humaine. Installé sur son haut tabouret, dans une position rappelant Dylan à Newport, Kurt Vile n’allait pas usurper sa réputation underground.

Certes, sa prose est plus personnelle que celle de ses héros, et sa poésie ne cherche pas à être universelle, c’est au contraire son côté désuet qui séduit. Chef d’œuvre de folk moderne, wakin on a pretty day est porteur de cette ambiance rêveuse qui fit la beauté des grands disques de Neil Young, et les violators sont en quelque sorte son crazy horse. 

Contrairement au groupe de Neil Young , les violators ne s’embarquent jamais dans de grandes chevauchées hargneuses , leurs mélodies sont de petits êtres fragiles qu’ils évitent de brusquer. Et pourtant, les riffs sont bien présents , mais ils semblent ne jamais s’emporter. KV crime illustre bien ce procédé, c’est un boogie nuageux, Keith Richard perdu dans les rêveries brumeuses de pink floyd.

Sachant aussi se moquer gentiment de lui-même , il annonce pretty pimping en lâchant « Je me suis peut être inspiré d’un petit groupe de Jacksonville pour le riff », et le voilà qui nous envoie le riff de sweet home alabama, avant de revenir à la retenue de son titre.

Ce soir, les spectateurs son transportés sur un canoë , échoués en pleine mer, avec Kurt et ses violators pour rythmer le balancement des vagues. Ce concert, mélodique et beau, comme a pu l’être Dylan ou Neil Young, en acoustique ne fait que confirmer ce qu’Eric savait déjà : Kurt Vile est une nouvelle étape dans la somptueuse odyssée du folk rock.

La lumière s’éteint après les accords byrdsien issus du disque que Vile a enregistré en duo avec Courtney Barnett, et il est déjà temps de réfléchir au planning du lendemain.


       

dimanche 8 décembre 2019

Rock storie : Woodstock on water épisode 3


La nuit était tombée, sur une mer qui a désormais l’air d’un décor spatial, la lune lançant ses reflets blafards sur l’eau douce. Le spectacle qui suit demande l’intervention d’un hélicoptère placé en vol stationnaire, et assez loin des porte-avions pour que sa présence soit indétectable. Accroché sur sa carcasse métallique, un vidéoprojecteur lance ses images planantes sur les panneaux blancs disposés derrière Steven Wilson.

L’homme avait accepté l’invitation à condition que les organisateurs puissent transporter son grand théâtre cosmique sur cette scène maritime. Voilà donc cette foule sortie de sa sauvagerie, et regardant la cinématique d’ouverture avec fascination, avant que les musiciens n’entrent dans le plus grand calme.

Le changement de décors semblait réussir, et ceux qui étaient propulsés dans une orgie sauvage quelques secondes plus tôt sont désormais semblables à un enfant découvrant le monde. Pour le plus grand plaisir d’Eric, Wilson a décidé de commencer par Pariah , fascinante ballade space pop où la voix de Nina Tayeb brille comme une étoile dans le cosmos.

L’ovation succède rapidement à la fascination, la foule prend ces mélodies comme des caresses maternelles , et semble exprimer aux musiciens un amour transis. Même quand le binoclard ressort les histoires glauques de « in absentia », les passages les plus heavy de « the creator got a mastertapes » se drapent d’une poésie spatiale, que seul le floyd a approché sur « dark side of the moon ».  

C’est d’ailleurs ce qui est fascinant chez ce musicien, son registre semble sans limite et, même si la solitude et les tréfonds de l’âme humaine ont nourri ses plus grandes œuvres , sa palette musicale parait infinie. Résolument moderne, les titres comme « home invasion » , et les meilleurs morceau de hand cannot earase pourraient servir de nouvelle bande son aux passages les plus fascinants de 2001 l’odyssée de l’espace.

Et puis, sans prévenir, l’homme se rapproche de nouveau de la terre, pliant la pop à son art hypnotique sur « heaven less » et « poeple who eat darkness ». Ce n’est qu’une étape , et le retour sur terre se fait des plus poignants sur « the raven that refused to sing » , et sa mélodie jazz baroque qu’on aurait bien vu en bande son d’une adaptation cinématographique de l’idiot.

Et puis derrière lui, les histoires se succèdent , poétique sur the raven , glauque et fascinante sur the creator got a mastertape, ou chargées du désespoir de l’homme moderne sur poeple who eat darkness. C’est une incantation venue d’un espace que tous semblent connaitre,  ces mélodies aériennes ne restituant rien de moins que la nature humaine.

Wilson est un rationnel, ce sont les autres qui sont devenus fous et sans consistance, et toute sa carrière consistera à ramener son public à la raison. La description peut paraître un peu biblique, comme si l’homme était le nouveau guide spirituel de notre époque, mais c’est exactement l’effet que sa musique fit à Eric ce soir-là. Dans le public , une poignée de jeunes en tee shirt NTM regardent sa performance les larmes aux yeux , les voilà convertis.

La première journée se fermera sur l’écho des dernières notes de « the raven that refused to sing » . Il fallait laisser un blanc afin que le public redescende sur terre.


On ne change pas une formule gagnante et, à la lumière du crépuscule, c’est la légèreté sudiste de blackberry smoke qui ouvre une nouvelle journée de festivités. Avec leur look digne d’un film de Sergio Leone , accentué par le fait que les Georgiens n’ont pas pris le temps de se raser, blackberry smoke est un peu le Creedence clearwater revival du festival. Ces musiciens sont les nouvelles racines qui permettent au rock d’aller plus loin, sans oublier la chaleur de sa terre d’origine, la troupe déversant les bienfaits simples du trio rock/ blues/ country.

Transformé en parterre de sauterelles, le public s’est remis de l’expérience spirituelle de la veille , et sautille au rythme de ces riffs enjoués. Trois guitares se croisant pour célébrer la grandeur du rock le plus traditionnel , le rock n roll de led zeppelin succédant à la grange de ZZ top , avant que BB smoke ne retombe sur ses pattes via le riff irrésistible de six way to Sunday.

Une mélodie, un riff, un rythme, voilà tout ce que propose blackerry smoke sur payback a bitch , shakin hands with the holie gost , ou find a light, mais la formule est immortelle quand elle est jouée avec un tel enthousiasme.  

Puis Charlie Starr finit seul, perché sur une haute chaise en bois, tel Neil Young à la fin d’un concert de Crosby Still and Nash. Les versions acoustiques de « prettie little lies » , « ain’t got the blue » , et « the mountain is hard for me to climb » préparent ainsi le terrain pour l’artiste suivant.  


FUGAZI : Repeater (1990)

Formation

Ian Mac Kaye : chant, guitare

Guy Picciotto : chant, guitare

Joe Lally ; bass

Brendan Canty : batterie




Avant de parler de Fugazi il faut nécessairement parler de Minor Threat et de son « leader » Ian Mac Kaye, personnage central, charismatique et influent dans le monde du punk hardcore américain. Incontournable pourrait-on même dire. Par son engagement et son activité. Avec Jello Biafra (ex chanteur de Dead Kennedys) il en est l’une des personnalités les plus marquantes, Biafra sur la côté ouest, Mac Kaye sur la côte est. Mais le personnage est discret. Discret et intègre, pas le genre à se mettre en avant et à tirer la couverture à lui.


Fugazi est le groupe, le bébé pourrait-on dire, de Ian Mac Kaye, même si le groupe est un modèle de démocratie. Et d’ailleurs celui-ci en 15 années d’existence a gardé la même formation si l’on excepte le premier batteur qui ne resta que quelques mois.


Après Minor Threat – groupe punk hardcore culte mais éphémère qui a sévi entre 1980 et 1983 avec à son actif 1 album courte durée « Out of step » , plusieurs EP, le tout tenant sur un seul CD « Complete Discography » 26 titres pour 47 minutes avec des titres majoritairement courts et rapides dans l’esprit du hardcore de l’époque - il fonde Fugazi en 1986 (après avoir participé à quelques groupes éphémères) et il est également responsable du label indépendant Dischord qui a sorti plein de bons groupes indépendants/alternatifs, souvent engagés.Il fut également l’un des initiateurs du courant « straight edge » dans le mouvement punk (pour résumer sommairement car il y a beaucoup de variantes possibles : pas de tabac, pas de drogue, pas d'alcool, nourriture végétarienne, pas de sexe et une pensée positive...), mouvement en opposition aux punks « destroy » et nihilistes (d'ailleurs Minor Threat a un look radicalement différent des punks « classiques »).
Ici la philosophie et l'esprit sont aussi importants que la musique, Minor Threat propose une alternative au punk traditionnel et c'est pour cette raison que le groupe est aussi important. Ian Mac Kaye a pris un peu ses distances avec le mouvement straight-edge et son côté parfois sectaire et a notamment dit que certains de ses textes avaient été mal compris.

En tout cas le groupe fut l’un des fers de lance du punk-hardcore américain de la première partie des 80’s au même titre que Dead Kennedys, Bad Brains, Black Flag et M.D.C.

Pour en revenir à Fugazi « Repeater » est leur premier album sorti en 1990. Et l'un des meilleurs avec « In on the kill taker » (le groupe est actuellement en « pause » depuis 2002 sans que l’on sache si l’on doit s’attendre à un retour ou pas).
Avec Fugazi la musique se fait plus posée, l’énergie présente est maîtrisée, la violence est en partie dissoute dans la tension qui est palpable, le côté « émotions » est plus présent (d’où le terme d’émo-core, mélange d’agressivité et d’émotions).

L’énergie est là bien sûr mais par rapport à Minor Threat je dirais qu'elle est comme passé à travers un filtre.

Fugazi propose du rock que je qualifierais volontiers de cérébral, d' « intelligent » (et pas seulement pour les textes), croisement de post hardcore, d’émocore, de noise et de rock « classique » avec deux chanteurs qui se partagent les vocaux (et aussi les guitares) Ian Mac Kaye et Guy Picciotto.

Ce que j'aime aussi avec ce genre de groupes post hardcore mélodique (par exemple Quicksand) c'est que les guitares n'écrasent pas la rythmique et lui laissent volontiers une place importante, notamment à la basse très à son aise et qui peut s'exprimer librement sans être un simple faire valoir.

« Turnover » et « Repeater » qui ouvrent l'album donnent le ton, c'est typique du son Fugazi mais bizarrement ce ne sont pas les meilleurs titres du disques.

Ceux-ci sont plutôt à rechercher du côté de « Brendan #1 », « Merchandise » , Sieve-fisted find » et « Greed » tous aussi excellents les uns que les autres.

« Blue print » et « Two beats off » présentent un côté plus mélodique mais toujours très bon.

On finit par le très beau « Shut the door » entre calme et noise maîtrisé.

Mais attention encore une fois ne vous attendez pas à un vrai disque de punk, Fugazi s’est éloigné de ce style et n’a plus qu’un lien assez lointain avec la furia et la rapidité agressive de Minor Threat.

Seuls « Brendan #1 » et « Styrofoam » sonnent encore véritablement punk rock.

Mais Fugazi c'est aussi et surtout un groupe symbole d’intégrité, fidèle à des principes mais sans sectarisme (comme peuvent l’être parfois certains groupes de la scène punk hardcore américaine ou anglaise).Le groupe continue a sortir ses albums sur Dischord Records malgré les propositions de majors, fait régulièrement des concerts de soutien pour différentes causes (anti racisme, anti sexisme…), propose des prix de CD ou vinyls modérés, de même que les places de concert abordables.

Fugazi est l’un des rares groupes dont l’intégrité reste irréprochable malgré les nombreuses sollicitations dont il fait l'objet dans les années 90 là où beaucoup de groupes furent récupérés par le « business » et son univers impitoyable. D’ailleurs dans ses textes la critique de la société de consommation est un thème récurrent.
Comme Helmet, Sonic Youth, Jesus Lizard et d'autres il a musicalement parlant marqué et influencé les années 90 qu'on cantonne trop souvent pour le rock au mouvement grunge qui a certes apporté quelque chose au rock mais qui n'était pas le seul mouvement intéressant.
Car la vague post hardcore a également accouché de quelques pépites dont « Repeater ».

mercredi 4 décembre 2019

Rock Storie: Woodstock on Water épisode 2


Se retrouver à la tête d’une flotte d’une dizaine de porte-avions, chargés de transmettre la bonne parole rock, la mission a de quoi effrayer. Surtout quant, à l’image d’Eric , on a passé sa petite vie sans faire de vague , et qu’on est d’un seul coup propulsé à la tête d’un événement potentiellement historique.

Transporté par hélicoptère , la nourriture et tout le nécessaire serait payés directement par les organisateurs. Au départ , les chaînes de grandes distributions s’étaient bousculés pour sponsoriser l’événement , mais il était hors de question de voir débarquer des hélicos lidl ou auchan.

Si le coup ratait, la plupart des organisateurs se retrouveraient à la rue, et chacun avait donc ses exigences. Convoqué à la salle de rédaction de rock et folk pour fixer la set list , Eric s’attendait à la bataille qui allait suivre, mais espérait naïvement que les noms de Radiohead et muse n’y serait pas prononcés.  

Dans le salon , les couvertures du magazines qui le fascinaient tant sont fièrement affichées , au milieu d’une décoration colorée, qui rappelle malheureusement le salon du bobo moyen. Confortablement assis dans le canapé où Iggy s’était installé, pour la photo du numéro célébrant la sortie de son album avec Josh Homme, Eric attendait d’abord qu’on lui présente la première version de l’affiche.

En arrière-plan, une grandiloquente représentation de Tom York façon art psyché. L’homme est plongé dans un solo faisant sortir des arcs-en-ciel d’une guitare déformée. La réaction d’Eric ne se fait pas attendre : C’est quoi cette merde !
                                                                                    
On entra alors dans un débat houleux, où il entendit des choses aussi aberrantes que « Muse et radiohead remplissent les cargos à eux seul , il est normal de les mettre à l’honneur. » ou « on laisse quand même leur chance aux autres, mais il ne faut pas non plus être trop utopistes. »

La rencontre ne faisait que confirmer ce qu’il pensait depuis plusieurs années, les journalistes rock ne croient pas à la survie de leur musique. Et, à la limite, il préfèrent largement la laisser comme elle est, fossilisée dans un passé révolu.

Pour eux , Muse était les nouveaux beatles , radiohead le nouveau pink floyd , et ces caricatures les rassuraient. Le seul argument valable de leur part était que le public n’était plus le même , la curiosité avait disparu , asphyxiant aussi le courage des journalistes musicaux.

« Mais justement ! Si vous n’aviez pas eu le courage de miser sur Iggy , il n’aurait jamais percé , vous avez une responsabilité dans le maintien de la curiosité populaire. »

La réponse décontenança d’abord Manœuvre et sa clique, et Eric compris vite que, si il ne raisonnait pas en terme de rendement, il ne parviendrait pas à les convaincre. Il claqua donc sur la table le dernier numéros de « classic rock » , sorte de version anglophone de best.

« Vous voulez voir grand ? Voilà ce que l’amérique et l’Angleterre veulent voir. » La couverture était l’exact opposé du premier essai d’affiche que rock et folk a concocté, et Muse et Radiohead n’y étaient même pas cités. Le constat était une véritable claque, le plus grand magazine rock de France venait de se faire gifler par le pays natal de la musique qu’il célébrait.

Désormais en position de force, Eric posa sa version de l’affiche sur la table, une simple peinture des musiciens au milieu de cette scène gigantesque formée par dix portes avions, et entourés des noms des participants. Bien sur radiohead et muse n'étaient pas mentionnés et, après avoir vu l’heure, Eric donna son coup de grâce lorsque les premières protestations se firent entendre.

Allumez la télé messieurs, et voyez comment on fait monter la sauce.
Notre ami s’était en effet permis de diffuser cette affiche sans attendre l’avis de ses collaborateurs et , si elle suivait à peu près le sommaire du numéro spécial de rock et folk , les deux absents firent grand bruit en France.

« Le festival qui refuse radiohead et muse » , les chaînes d’infos passaient ce bandeau en boucle , oubliant presque les grèves à la sncf , le chômage de masse , et les petits bourgeois cassant les abribus pour se donner un air de révolutionnaires anarchistes.

Le risque était que, blessé dans sa fierté, rock et folk lâche l’affaire , mais il fut au contraire galvanisé par ce dernier coup d’éclats. Un mois plus tard, tout ce que le rock compte aujourd’hui d’excitants embarque sur un bateau, en direction des eaux Anglaises, où Radio Caroline diffusait jadis les plus grands classiques du rock.

Quand les ferries transportant le public approche de la scène faite de dix porte-avions, les musiciens et organisateurs ont l’impression d’être une terre abordée par la monumentale flotte viking. Ce n’est pas un succès, c’est un triomphe, au point que la monumentale scène surélevée est bientôt semblable à une miette de pain cerné par une horde de fourmis. Vu des hélicos qui transporte Jack White , qui fut choisi pour ouvrir l’événement en réformant les white stripes, la scène est particulièrement impressionnante.

Qu’importe , l’homme en a vu d’autres , et débarque comme prévu en parachute , alors que sa batteuse a été placé derrière sa batterie pour ménager l’angoisse que pourrait lui provoquer cette foule. Jack, lui, est comme un poisson dans l’eau, son look de citizen kane lui offrant un charisme patriarcal, à mi-chemin entre Humphrey Bogart et l’incarnation de Willie Wonka par Johnny Depp.

Le chaos stoogien du duo semble décuplé par l’immensité de la scène. Nourri par le bonheur sauvage d’une foule déchaînée, le set s’avère absolument parfait. Icky thump , you don’t know what love is , seven nation army , ce sont les évangiles du riff que Jack White envoie ici, laissant toutes ses ballades de coté, pour éviter de faire retomber la pression.

Vous n’imaginez pas la sensation que provoque ses milliers de personnes chantant les fameux riffs de seven nation army, c’est littéralement le cri de guerre d’une musique de nouveau prête à conquérir le monde. Quand le musicien sort de scène , et croise le regard d’Eric , sa seule phrase sera « Je viens de comprendre ce qu’a pu ressentir Hendrix à Woodstock ».

Loin d’être impressionné, les rivals sons prirent la relève avec une puissance décuplée. Avec son look de dandy d’un autre siècle, Scott Holiday est sans doute le plus grand guitariste de hard rock de notre temps. Les rivals sons ne sont pas seulement la réincarnation de cette vieille bête fascinante, que les amateurs nomment sobrement hard blues, ils sont les nouveaux mages chargés de réveiller l’humanité à coup de solos déchirants.

En cette année où le rock semblait perdu, « open my eyes » sonne comme une résurrection, sortant tous les amateurs de musique d’un cauchemar qui n’a que trop duré. Véritablement possédé par un démon hurleur, Jay Buchanan donne de nouvelles lettres de noblesse au chant hard rock.

Enfin non , ce n’est pas un chant , c’est un cri de l’âme , qui semble charrier tout ce que l’humanité compte de passions, dans une orgie sonore qui se fait presque spirituel sur back in the wood et hollow bones. Et puis n’oublions pas la batterie, cœur du hard blues, battant avec une puissance monumentale, comme pour transmettre sa furie rythmique aux autres musiciens.

Eric avait volontairement tiré deux de ses meilleurs cartes dès le premier tour de piste, il fallait littéralement assommer cette foule immense, lui donner du saignant, pour qu’elle arrive exsangue et reconnaissante vers des mélodies plus raffinées.

Le public avait eu droit au tonnerre, il faut désormais lui offrir un crépuscule lumineux.           

               
                                   

dimanche 1 décembre 2019

Rock storie : Woodstock on Water


Cette histoire est totalement fictive, seules les groupes et titres qui y apparaissent sont vrais. C’est une autre façon d’appeler le lecteur à être toujours plus curieux, une nouvelle façon de donner envie d’écouter ce précieux matériel. Car, tant que le rock produira les artistes que vous découvrirez dans les prochaines lignes, il ne sera pas totalement mort.

Le monde est gris, la vie passe comme une longue peine, et les exutoires disparaissent à une vitesse affolante. Pour tout le monde, le rock est un truc dépassé , mort , dont on ne célèbre que les vieilles reliques, qui justement s’effondrent les unes après les autres. Bowie , Lemmy , Pink Floyd , Lou Reed , Rick Parfitt , presque chaque année de ce satané millénaire emporte un bon bout de cette époque bénie, où le rock était tout.

En France, la situation n’était pas plus passionnante dans les seventies, à moins de penser que téléphone est un groupe de rock. Mais on avait toute cette littérature, les articles de ce vieux routard d’Alain Dister , reçu à l’époque par Bernard Pivot, et bien sûr rock et folk et best. La France ne savait pas produire de rock, mais elle était celle qui en parlait le mieux, la beauté de sa langue survivant aussi à travers ces journalistes exceptionnels.

A ce niveau là aussi, on a un peu baissé, à moins que ce ne soit la passion qui ait diminué. Bref, en traînant au milieu des rue Lilloises , Eric mûrit un plan faramineux , créer LE concert de rock du siècle. Il ne s’agirait pas d’un nouveau Hellfest , qui est déjà devenu le disneyland du métalleux , mais bien d’un festival de passionnés.

Il avait d’ailleurs tiré une leçon essentielle en suivant l’évolution du Hellfest : un évenement doit être unique pour ne pas être corrompu. L’esprit humain étant ce qu’il est, le pognon prend souvent le dessus sur la passion des organisateurs et, si une bande de pharisiens vient à dénicher le bon filon, vous pouvez être sûr qu’ils transformeront votre invention en énorme cirque consumériste.

Plus vicieux aujourd’hui, les promoteurs manipulent votre orgueil, vous faisant sentir que vous êtes différent, alors qu’ils vous plument comme les aliénés pour qui le bonheur se trouve dans la prison merveilleuse de Mickey.

Mais comment peut-on organiser, dans un pays où tout est limité et réglementé, un festival sauvage capable de faire la nique aux réactionnaires comme aux partisans de cette modernité pernicieuse ? C’est un courrier un peu fou à rock et folk , et à Manœuvre , qui a tout déclenché. En voici la folle prose :

« Rock et folk ,

Oui ne t’attend pas à ce que je te donne du « cher » , « vénérable », ou « précieux » , car je suis d’abord ici pour te conspuer. Armé de ton égo atrophié, tu nous pompes l’air avec de vieux schnocks, que la plupart d’entre nous n’ont pas connu avant qu’ils deviennent mortellement chiants.

Il est vrai que dernièrement tu as fait un effort , en mettant Josh Homme en couverture , soit un mec qui n’a plus rien inventé depuis les deux premiers albums de Kyuss. Serais tu en train de lâcher l’affaire en nous faisant comprendre , comme le disait Manœuvre dans une interview, que « le rock est mort » ?

Où est l’époque où ce même Manœuvre, qui recevra une copie de la lettre corrosive que tu tiens dans tes mains molles, nous faisait tout un édito sur la folie de Detroit. Dans les années 90, on pouvait au moins te reprocher tes erreurs, d’avoir raté certaines choses , désormais tu rates tout.

Te faut-il un événement pour te mettre tout cela sous le nez ? Cherches-tu un autre Woodstock qui rendrait ton travail de découvreur plus facile ? Très bien, alors faisons-le ensemble. Tu trouveras ci-joint une liste de rockers encore en pleine forme, de guides écrivant la légende de demain, aide moi à les contacter.

Tu vas sans doute me trouver fou , mais pour l’endroit il suffirait de prendre un  bateau et de le placer à l’endroit exact où Radio Caroline émettait. Prévois de la place dans le Cargo, je pense que la musique que tu crois morte risque de te donner une surprise monumentale.

La seconde lettre, Eric l’avait déjà adressée au gouvernement, prouvant ainsi ce haut niveau d’inconscience qui fait les grandes œuvres.

Monsieur le président ,

Vous aurez remarquez que j’y ai mis les formes , il est vrai que le service que je vous demande est un peu spécial . Vous avez en effet, dans un garage maritime qui doit coûter « un pognon de dingue » au bon contribuable, un gros bateau fatigué qui semble à la retraite.

J’aimerais donner une seconde vie à celui que les guignols appelait ironiquement « le ribery » (parce qu’il est toujours à l’infirmerie), et qui dispose d’un espace fort intéressant pour mon projet. J’aimerais en effet y organiser un concert de rock du niveau de woodstock , un évenement monumental qui redonnera des rêves à une jeunesse endormie.

Vous cherchez une nouvelle popularité ? Je vous l’offre ici sur un plateau , ce sera mon cadeau de Noël.

PS : Si il vous reste aussi un ou deux hélicoptères , ce serait énorme de voir les artistes débarquer en parachute !

PPS : Pour augmenter l’espace, vous pouvez demander à votre copain trump qu'il nous en envoie quelques un … Il semble en avoir trop.


Au début Eric n’y croyait pas, d’autant que la réponse mit des mois à lui parvenir, et qu’il était retourné à l’ennui de son quotidien anonyme. La réponse de rock et folk et Manœuvre arriva en couverture de rock et folk. En couverture de ce hors-série, on pouvait voir tous les artistes étant dans sa liste avec, en titre : Ressuscitons le rock !

Rock et folk avait écrit 120 pages incroyables , racontant la genèse de ces artistes modernes , et annonçant un concert dont personne ne connaissait le lieu ! Après la couverture, le président et ses sinistres (y’a une astuce) , ont envoyé un courrier à notre doux cinglé.

Les politiques sont en général des feignants, il faut que la solution soit sous leur nez pour qu’ils se bougent, et la toute la presse et une bonne partie des médias avaient suivi rock et folk dans le récit de ce projet fou.

Plus porté sur les rappeurs analphabètes, qui sont plus proches de son niveau intellectuel, Hanouna avait programmé une émission de lynchage médiatique comme il les aime. Barthes n’étant qu’une version plus bourgeoise de ce pétomane sinistre, il ne cessa de moquer ce vestige du « vol de la culture noire par des petits blancs prétentieux ».

Il est amusant de remarquer que la bien pensance qu’il représente ne juge plus la culture que via la couleur de peau , la religion , ou le sexe de ses géniteurs. Mais nous dérivons sur un terrain politique et notre histoire parle d’une chose bien moins futile : la musique.  

Or , en plus de la lettre du gouvernement lui annonçant la mise en place du Charles De Gaulle , Trump lui-même avait accepté d’envoyer dix portes avions supplémentaires. Voilà donc notre héros à la tête d’une flotte impressionnante prête à coloniser les ondes au nom du rock .  

L’histoire avec un grand H peut enfin commencer.        
      





samedi 30 novembre 2019

STEREOLAB : Cobra and Phases Group Play Voltage in the Milky Night (1999)

Formation :

Laetitia Sadier
Tim Gane
Mary Hansen
Simon Johns
Morgane Lhote
Andy Ramsay


Stéreolab est un groupe franco-britannique fondé au début des années 90 par Laetitia Sadier (et oui une française) et Tim Gane, anglais.
Groupe inclassable, unique, attachant, imprévisible, déroutant et atypique par excellence, quasiment insaisissable et définitivement hors des modes et hors du temps ; c'est pour cela que j'aime Stereolab même si tous leurs albums ne sont pas toujours au niveau où leur potentiel devrait les porter.

Stereolab a été catalogué au fil des albums : pop, pop 60's, pop psychédélique, progressif, easy listening, post rock, expérimental, musique avant-gardiste, électro, art rock, krautrock, variété, pop alternative, space rock, musique planante, musique électronique etc etc avec quelques influences de musique latino et même jazzy sur quelques titres. Sur Sens critique un internaute a proposé le terme de krautpop et effectivement je trouve que cela colle très bien.


Le groupe a l'art d'utiliser des instruments tels le xylophone ou le vibraphone à la sauce 60's rendant le tout à la fois vintage et moderne.
Dans un album, et c'est vrai ici, les influences et atmosphères sont multiples et c'est ça qui fait le charme du groupe car Stereolab a l'art du contre-pied bien que la base musicale de chaque album soit plus ou moins la même.
Stereolab a notamment l'art de procéder par « boucles » répétitives d'où d'une affiliation évidente avec le krautrock.
Autant j'avais été déçu par « Dots and loops » autant sur « Cobra and phases group play voltage in the milky night » leur sixième album l'alchimie prend mieux.
Pour moi on a affaire ici au meilleur album du groupe (devant « Emperor Tomato Ketchup » et « Mars audiac quintet » ; « Transient Random-Noise Bursts With Announcements » ayant également quelques qualités) ; c'est plus diversifié, les compositions sont plus recherchées et de meilleure qualité.


Il faut dire aussi que le groupe est un véritable stakhanoviste de l'enregistrement : une discographie longue comme le bras, plus de 10 albums en 15 ans de carrière sans compter les EP's, les remix et les compilations.
En général Stereolab n'est pas facile à appréhender car leur musique est à la fois simple et complexe mais « Cobra » est malgré tout plus accessible (même s'il reste déroutant à bien égard). Tout en restant iconoclaste, diversifié et surprenant !!
Comme à chaque album l'ambiance est vraiment unique et surprenante mais malheureusement comme souvent les morceaux sont de valeurs inégales, le groupe veut trop en faire, c'est un peu trop long et il y a du déchet (alors qu'en prenant les 10 meilleurs titres on aurait un album FA-BU-LEUX!! ). Dommage mais comme je l'ai dit plus haut Stereolab a beaucoup enregistré, peut-être trop, donc avec de la qualité forcément variable...


Cela débute par « Fuses » morceau jazzy avec cuivres et xylophone/vibraphone puis « People do it all the time » musique estampillée science fiction planante avec toujours des mélodies et des choeurs remarquables (le groupe, toujours emmené par l'emblématique et discrète Laetitia Sadier, est maître dans l'art de superposer et de mélanger les voix).
« The free design » un des meilleurs titres de « Cobra » , rythme salsa latino, sublime.
« Blips drips and strips » et « Infinity girl » encore un xylophone/vibraphone remarquablement utilisé et toujours ces voix et ces mélodies qui font mouches, des mélodies tout en finesse, tout en douceur mais appuyées par une musique impeccable.
« Italian shoes continuum » ambiance SF space pop on se croirait dans une série de SF des 60's.
« Oh hop detonation » l'autre morceau phare, rythmique entraînante et envoûtante (le genre de titre plus accessible enregistré par Stereolab). Celui dont la mélodie vous reste dans la tête un certain temps.


La deuxième partie est moins bonne.
« Puncture in the radax permutation » est plutôt réussi avec son final plein de violons.
« Blue milk » titre expérimental et hypnotique, plus que correct , j'aime bien.
Par contre « Velvet water » tout comme « The spiracles » sont à oublier, plus sirupeux, trop mièvre, trop mou !! C'est le côté» négatif de Stereolab ces petites « chansonnettes » sans grand intérêt.
Donc pour récapituler les meilleurs titres sont « The free design » et « Oh hop detonation » puis juste derrière « Blips drips and strips, « Infinity girl » et encore « People do it all the time ».
Au final beaucoup d'ambiances assez uniques et spéciales, une musique assez improbable, beaucoup de trouvailles vocales (en pop rock se sont souvent les groupes féminins ou à chanteuse qui innovent le plus dans ce domaine et Stereolab en est encore un exemple), une pop hors du temps, hors des modes, hors des normes, un album plus complet que « EmperorTomato Ketchup » (le disque le plus accessible du groupe et que beaucoup considèrent comme leur meilleur), « Mars Audiac Quintet» ou « Dots or loops ».
Même si Stereolab n'est pas facile d'accès et qu'il faut souvent écouter plusieurs fois avant d'apprécier j'adore ce groupe car il joue une musique pop d'apparence simple et entraînante mais qui se révèle d'une grande subtilité (malgré des défauts), musique qui prend sa pleine valeur sur scène où les improvisations et digressions musicales font merveille (à voir absolument live).


En tout cas il faut absolument avoir écouter Stereolab au moins une fois dans sa vie et ce « Cobra » est un bon compromis entre le côté expérimental du groupe et son côté plus accessible. L'album plus abouti et le plus complet aussi.
Je mets sans hésiter une bonne note pour les temps forts et pour l'originalité de l'ensemble (et malgré les quelques temps faibles)
Et n'oublions pas que Stereolab est assurément l'un des groupes les plus excitants de ces 30 dernières années (et qui vient de se reformer en 2019 pour des concerts après près de 15 ans d'absence).



The White Stripes : Under Great Northern Lights


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D’abord tourné vers une carrière de prêtre, Jack White a découvert la musique comme Jeanne D'arc découvrit sa foi. Amoureux du blues originel, il apprenait une leçon essentielle : less is more. Les débuts sont difficiles et, bien que la scène de Détroit entre de nouveau en ébullition, rares sont les musiciens du coin qui puissent vivre de leur art.

Alors Jack se débrouille, et arrondit ses fins de mois en restaurant des vieux meubles, un métier qui lui apprend le goût du bel ouvrage. D’une certaine façon, c’est un homme pétri de valeur qui semble disparaitre, et son amour de l’authenticité, de la patience menant à la perfection, et d’une certaine simplicité, ne pouvait qu’en faire la coqueluche d’une nouvelle vague de rockers.

Car, si ils eurent une carrière extrêmement courte , the go fut un condensé de ce souffre musical qui renaissait dans la motor city. Ecoutez watcha doin , le premier et seul réel album de la formation , et vous comprendrez que Jack White a annoncé le renouveau du rock bien avant les strokes.

The go devait une bonne part de sa puissance de feu à la verve soliste d’un Jack tombé très jeune dans le chaudron stoogien , et qui dépoussière les formules incandescentes de ses héros sur un disque magnifiquement crade. Watcha doin était trop rugueux pour séduire le grand public, il avait la puissance sans calcul de fun house et kick out the jams , des albums qui ne pouvaient se vendre qu’au milieu du brasier seventies.

Mais Jack White menait déjà un projet parallèle, un groupe de deux musiciens qu’il comptait bien mener au sommet. Alors, quand son manager lui rappelle la clause d’exclusivité qui le lie à the go, il n’hésite pas une seconde à quitter un groupe dont il ne parvenait pas à prendre le contrôle.

Oui , Jack White voulait avoir un contrôle total sur son œuvre , et la docile Meg White ne risquait pas de lui opposer la même résistance que le quartet de Detroit. La suite on la connait, un premier album dès plus rugueux transforme les White Stripes en coqueluche d’un nouvel underground , avant que le groupe n’accède aux sommets suite à la sortie de « White blood cell » et « elephant ». 

Mais Meg White supporte mal les concerts devant des foules impressionnantes, et l’énorme popularité des White Stripes. Victime de crises d’angoisse , elle pousse le groupe à se séparer après la sortie de « Icky Thump » , un disque foisonnant qui clôt une carrière exemplaire.

Issu de la dernière tournée du duo , « under white northern light » finit d’imposer les rayures blanches dans la longue mythologie rock . Tout groupe qui se respecte impose son statut sur scène, c’est ce qui permit aux stones de se maintenir malgré une production discographique de plus en plus calamiteuse, et c’est ce qui fit la grandeur des gangs les plus vénérés.

Dans le grand nord canadien, Jack et Meg viennent promouvoir le culte d’Elmore James , et de toute cette musique dépouillée qui vous secoue les tripes. Dès l’ouverture sur le riff primitif de let’s shake hands , le groupe réveille notre cerveau reptilien à grands coups de rythmes primitifs.

On a beaucoup moqué le jeu de Meg White , en rappelant qu’elle savait à peine manier sa batterie lorsque le groupe fut créé. Mais c’est justement cette innocence que Jack White cherchait désespérément, cette simplicité donnant encore plus d’impact à ses riffs où se croisent l’influence des stooges et de led zepp.

Il faut bien comprendre que, de Cobain à lui, tout ce que le rock compte d’excitant fut construit pour balayer les finesses artificielles des eighties. Nirvana , Metallica , Guns N rose et les White stripes menaient le même combat pour un retour à une certaine férocité directe , même si leurs influences sont bien sûr très différentes.

Pour en revenir à ce live, c’est tout simplement la plus pure expression de ce que les white stripes font depuis dix ans, c’est-à-dire décupler le chaos sonore initié par le premier disque de the go. Black math et when I hear my name sont de véritables boogie sous hormone, avec un riff lourd comme un coït de mammouth .

Déshabillé devant une foule déchaînée, le blues n’a jamais été aussi poignant que sur les lamentations suaves de « Jolene » , aussi vibrant que « I just don’t know what to do with myself » , alors que « balls of biscuit » pourrait rivaliser avec les plus grands jungle beats de John Lee Hoocker.

Les white stripes sont passés maîtres dans cette virtuosité minimaliste, que les black keys et royal blood ne feront que parodier. Alors, quand seven nation army résonne plus violemment que jamais dans la salle Canadienne , il s’impose comme le dernier soupir d’un géant déclinant.

Après cela, Jack White ne pourra que passer à autre chose. L’avant-gardiste prenant alors la place du rocker sauvage, pour une deuxième partie de carrière, qui ne tentera jamais de rivaliser avec cette force minimaliste.