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mercredi 25 décembre 2019

David BOWIE : LODGER (1979)

Formation (principaux musiciens):
David Bowie
Brian Eno
Adrian Belew
Carlos Alomar
Tony Visconti
Dennis Davis
George Murray


Sorti en 1979, et toujours produit par Tony Visconti,« Lodger » marque la fin de la trilogie dite berlinoise.
Mais « Lodger » apparaît toutefois plus comme un album de transition avant « Scary monsters » (dont il est finalement assez proche) car il est assez différent de Low et Heroes (en plus il n'a pas été enregistré à Berlin mais en Suisse).
Globalement bien sur c'est moins expérimental et avant gardiste que ses deux prédécesseurs» (il n'y pas de plages instrumentales), moins créatif, plus « classique » et accessible mais à mon avis injustement légèrement sous côté dans la discographie de Bowie.


Dans l'ensemble il est largement intéressant et réussi ; et on y trouve quelques petites perles pas forcément les plus connus dans la discographie du Thin White Duke.
David Bowie revient aux fondamentaux pop/rock (même si des éléments plus new-wave sont présentes) avec notamment des titres au format plus court.
L'album débute avec « Fantastic voyage 
», presque planant puis « African night flight » et là c'est marrant ce morceau me rappelle certaines ambiances de « Remain in light » des Talking heads...qui ne sortira qu'un an plus tard, le fil rouge entre les deux disques étant bien sur le génial Brian Eno (Bowie a toujours su remarquablement s'entourer au fil de sa carrière et Alomar et Belew aux guitares en sont encore la preuve).

Les titres, comme souvent chez David Bowie, sont d'une grande variété, diversifiés et c'est le cas sur Lodger : des tubes « Boys keep  swinmming», « Look back in anger » (un grand morceau celui-là même si cela reste très classique), quelques expérimentations : le très oriental « Yassassin » (influences qu'on retrouvera aussi sur « Repetition ») et l'excellent « African night flight » » au rythme endiablé, des morceaux de bonne facture qui accrochent : « DJ », « Fantastic voyage » qui rappelle le Bowie du début des années 70's et qui par son ambiance aurait pu figurer sur Ziggy Stardust ou Hunky Dory et « Red Sails » sorte de chevauchée bien entraînante, presque épique.

Seuls les deux derniers titres s'essoufflent un peu, de même que « Move on ».
Mais au delà des compositions ce qui me subjugue toujours en premier chez Bowie c'est la voix, toujours magique, album après album.
Depuis le début des seventies et jusqu'à Scary Monsters Bowie s'est sans cesse renouvelé quasiment album après album changeant de style (et de personnages), devançant les modes. Là bien sur la créativité est moindre, encore qu'un titre comme « African Night Flight» explore un mélange d'influences assez inédits alors, mais il n'empêche l'album tient la route et possède une fois de plus un son qui sort de sentiers battus.
Peut-être un peu moins bon que « Heroes » et que « Scary monsters » (dans des genres différents) mais un album qu'on peut réécouter avec plaisir et qui reste pour moi dans la partie haute de la discographie de Bowie.


Celui-ci a certes fait mieux dans sa longue carrière mais cet album est vraiment chouette et attachant. Pas un disque à réhabiliter non, mais à remettre tout simplement à la lumière et lui donner la visibilité qu'il mérite.



Lou Reed : Magic and Loss


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« La mort soigne notre désir d’être immortel » Proust. Voilà ce qui peut résumer l’état d’esprit de Lou Reed en 1992. Son disque précèdent , song for drella, a été salué par une presse unanime , déjà subjugué par l’excellent New York. Ode à la mémoire de Warhol, le disque montrait un Lou Reed devenu le survivant d’une aventure qui est enfin reconnue et célébrée.

Finies les histoires de deals à 25 dollars , les refrains provocateurs et les hymnes à la décadence, il était sorti de son propre purgatoire, et voulait désormais aider les autres à vivre. Cet objectif peut paraître un peu prétentieux, c’est pourtant la ligne directrice qui mena à la production de ce disque. « Le disque de rock n roll a toujours été un média jouet, je veux en faire autre chose qui peut aider les gens à vivre. »
Tant musicalement que dans sa construction, magic and loss est l’aboutissement de ce que Lou commençait à développer sur « new york » et « song for drella », disque dont la popularité masquera malheureusement cette réussite. A sa sortie, Lou Reed affirmait que l’album parlait de mort et de magie , cette magie émancipée des religions organisées , et qui forme la spiritualité de ceux qui ont été un peu secoués par la vie.

Le concept permet aux chansons de s’enchaîner comme des scènes tristes ou lumineuses , renouant avec ce concept de « film pour l’esprit » qui fit la beauté des plus grandes œuvres Reediennes.

La guitare saturée ouvre le ballet des disparitions regrettées , évoquant rageusement les esprits de ses potes , ce début de voyage se nomme sobrement « dorita ». « what’s good » poursuit donc le chemin endeuillé sur un rythme raffiné et nonchalant où Reed se plaint de « l’injustice de la vie ». Le tempo tout en retenu renoue avec New York , mais ne fait que souligner la véhémence d’un narrateur, qui ne sait comment réagir face à l’injustice de la vie.
« Power and glory » prend la suite sur une note spirituelle, c’est le blues du chanteur conscient de son cancer, mais qui croit en sa survie comme certains croient en dieu. Les complaintes gospel parsèment d’ailleurs son chant parlé , comme des apparition divines perçant les nuages sombres. On saluera au passage le riff d’une rare finesse, qui sublime cette complainte pleine d’espoir.
Puis vient « magician » , ultime manifeste de l’homme voyant l’ombre de la mort planer au-dessus de sa dernière couche. Et, forcément, cette image ne pouvait être illustrée que par le blues, cri de l’homme à terre, et qui devient une danse voodoo fascinante.    
Sword of damocles est sans doute le point d’orgue de ce disque, une complainte face à la fragilité de la vie, où les guitares synthés sonnent comme des violons, rejoignant une contrebasse majestueuse, pour emmener notre esprit au nirvana.

Sur le titre suivant, la musique semble sortir de l’église où Lou assiste à un enterrement , et parle au mort comme  pour refuser cette fin. La batterie profonde pulse comme un cœur, qui finit par s’arrêter, et les arpèges de guitare sont d’une profondeur hypnotique.
Et puis, après s’être placé dans la position du témoin, Lou imagine sa propre mort, dans un « cremation » où il sonne comme un Dylan macabre. Fidèle à la promesse portée par l’album, il se plonge dans un rêve, où il parle à la personne disparue. Il ne cite jamais de nom, préférant laisser l’auditeur placer ses propres souvenirs sur sa mélodie sobre. Sa voix semble sortir d’un trip spirituel, où seules quelques notes de guitare et de basse rehaussent le nuage réconfortant formé par les synthétiseurs.
No chance repart sur un rythme plus enjoué, plus rock et sautillant. Le constat n’est pourtant pas moins sombre et, si Lou semble sorti du deuil, ce n’est que pour constater qu’il n’a pas vu son amie partir, et n’a pas eu « la chance de lui dire au revoir ».

Le deuil s’achève donc et laisse place à la colère face à l’injustice du destin, l’animal de New York retrouvant les rives du rock rugissant sur un « the warrior king » vengeur. Voilà donc notre héros se rêvant en roi guerrier, prêt à botter les fesses des cochonneries ayant mis fin à l’existence de son ami.
Mais, je l’ai déjà dit, Lou n’est plus un rock n roll animal, sa hargne n’est plus l’expression sauvage d’un homme se croyant immortel. Elle est l’intermède entre la tristesse de la mort et la célébration de la bravoure du mourant.
Revenant dans le nuage synthétique parcourant le début du disque, la voix de Lou célèbre désormais le courage de ceux qui se sont battus pour gagner un peu de temps supplémentaire.  Puis la guitare gronde de nouveau, furieux requiem célébrant le combat mené par le héros de « gassed and stocked », dont il ne reste « que quelques photos et souvenirs ». Le titre sonne comme une célébration tribale du combat que vient d’achever le défunt, une sorte de blues sauvage sur un rythme de galère.

Après avoir connu la mort , Lou célèbre désormais une envie de vivre « plus forte que la luxure », sur une rythme orgiaque, porté par un riff doté de la puissance vitale du vrai rock n roll. Le titre se nomme « power and glory II » , et c’est la lumière au bout d’un voyage qui , en dépit des apparences , se révèle résolument optimiste et positif.

Le morceau titre conclut l’album sur ce constat, lâché comme une révélation : L’arrogance est un venin destructeur et la passion est le seul moteur de la vie. Il semble d’ailleurs se parler à lui-même quand il lâche « tu ne peux pas être Shakespeare et Joyce », constat cruel pour celui qui, plus que n’importe qui, a élevé les paroles rock vers des sommets littéraires.

Magic and loss (l’album) est un nouvel aboutissement dans la carrière de Lou Reed , son disque le plus abouti après Berlin. C’est aussi une œuvre qui nécessite qu’on s’y plonge totalement pour en ressentir toute la profondeur, la pièce musicale lumineuse d’un poète ayant atteint le sommet de son art.  
     


dimanche 22 décembre 2019

Lou Reed : New Sensations


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« Le moindre geste humain se comprend à partir de l'avenir; même le réactionnaire est tourné vers l'avenir puisqu'il se soucie de préparer un futur qui soit identique au passé. » Sartre.
Et voilà , je recommence avec mon affrontement entre vieux et nouveaux , immobilisme traditionnel et futilité moderniste. C’est que, en musique, cette séparation me parait absurde, chaque artiste se devant de se nourrir de ce qu’il l’a précédé, pour inscrire son œuvre dans le marbre de la postérité.

Et pourtant, je ne dirais jamais assez de mal des années 80, consécration d’un modernisme devenu fou, triste dépotoir ou les conseillers marketing étouffèrent tout ce que la musique avait de beau. On ne va pas reprendre le récit misérable de cette dystopie pop, elle est déjà assez irritante sur tous ces albums sonnant de la même façon.

Que peut faire Lou Reed à une époque qui crée ses propres œillères ? Comment peut-il survivre alors que la colonne vertébrale de son œuvre est le rock ? Ecoutez bien tous ses disques , du premier album à celui-ci , tous célèbrent ce rythme rugueux qui fit le vrai rock n roll. On exclura juste Berlin , grandiose requiem allant bien plus loin que le simple rock n roll , et la cacophonie metal machine music.

Pour le reste , les preuves de la pureté de ce rocker sont présentes dès les premiers riffs du velvet, et jusqu’au beat irrésistible de « I love you sweet suzanne ». Premier titre de « new sensation » , il choque par son coté commercial , porté par une boite à rythme très présente. Ne vous leurrez pas , Lou n’a pas décidé d’entrer dans la catégorie grandiloquente des clowns funestes que sont devenus Bowie et Springsteen après le succès de Let’s dance et Born In the USA , sans oublier les gesticulations risibles de celui qu’on nomme déjà « king of pop ».

A une époque célébrant l’artificiel et le tapageur, Reed balance un tube simplissime, où la boite à rythme est le cheval de Troie, chargée de faire pénétrer le rock n roll dans une pop corrompue. « I love you suzanne » plonge ses racines dans les disques de la motown , c’est le patron montrant aux jeunes l’essence d’une énergie orgiaque inépuisable.

Lou Reed , c’est Jekyll et Hyde en même temps , la subversion des premiers rock n roll servi par un poète à la prose fascinante. Si la production léchée tourne la page de ses riffs métalliques, si les textes plus apaisés semblent tuer le dandy décadent sous les coups de l’homme mur , pendant que les chœurs emmènent les refrains vers des sommets spirituels, cette sagesse est un leurre.

Lou sait qu’il est désormais le maître d’un navire que tous semblent abandonner et, au fond, new sensation est fait du même bois que ses classiques électriques.

 Rien n’est jamais tout rose dans son esprit , la violence y côtoie le romantisme, au rythme d’un chant parlé, qui ressemble à la réincarnation des grands poètes et romanciers.

L’amour, célébré sur Cosney Island Babie , lui inspire ici une désillusion violente. Cette désillusion qui l’amène à enchaîner les baignes sur le visage délicat de sa bien aimée, le tout chanté sur une mélodie que n’aurait pas renié le Petty des débuts. « I’m sorry » lâche t’il, sur une complainte bien éloignée de la froideur du narrateur de Berlin. « Turn to me » termine la série amère, en assurant qu’il sera toujours le seul vers qui cette femme pourra toujours se tourner, le tout sur un rythme stonien laissant les chœurs gospels transformer le refrain en prière désespérée.

Le morceau titre semble le mettre dans la peau de Marlon Brando dans l’équipée sauvage , ou du captain america d’easy rider. Attaché à sa moto, Lou Reed se rêve en vagabond solitaire, écoutant de la musique country en causant avec les indigènes. C’est l’éternel cri de révolte de celui qui ne se reconnaissent pas dans ces « gens négatifs », et enfourche sa moto comme on prenait autrefois la mer , pour se sentir enfin vivant. Le tout sur fond de rock n roll mélodique.

Mais sa liberté, Reed la trouve surtout dans la culture , saluant Scorcese et le thêatre sur « doin things that we want to ». Là , les chœurs se font plus nerveux , la rythmique plus enjouée , avec toujours ce feeling post stonien, pour célébrer la puissance émancipatrice de ce rock dont Lou est devenu la nouvelle réincarnation.

Puis il a de nouveau le blues , et se désespère de la vie solitaire du chanteur en tournée, lourd tribut d’une gloire qui , pour lui , fut toujours relative. Nommé « what become a legend most » , son rythme de valse pop rappelle « street hassle », la grâce poétique ayant remplacé la violente noirceur de son ancien classique. 

La fascination morbide de l’animal rock n roll n’est jamais loin, et trouve encore une expression vibrante sur « fly to the sun ». La mort ? Il la décrit comme un moyen de fuir la souffrance, affirmant qu’il ne fuirait « ni devant la bombe ni devant l’holocauste », pour « voler jusqu’au soleil ». La mélodie est encore une fois superbe, avec cette voix, qui parle comme celle qui semble vous raconter une histoire, quand vous vous plongez dans un grand roman.

Dans le roman Reedien , le rock n roll n’est jamais loin , comme ses grands espaces chers à Kerouac.  « my friends John » est d’ailleurs le second meilleur rock du disque (juste après I love you suzanne), porté par un beat implacable.

Loin du junkie qu’il fut, high on the city montre un Reed apaisé , à la recherche de plaisirs sains, le tout sur une mélodie désuète, ouvrant la voie à la légèreté entrainante de « down at the arcade ». Ce rêvant en héros de jeu vidéo, Lou achève le disque comme il a commencé, par un rock n roll donnant la fessée à tous ses contemporains.

Aujourd’hui , ceux qui n’ont pas oublié ce disque le regarde de haut , lui reprochant de resservir la même formule sous un vernis eighties. Mais c’est justement la grandeur de ce disque et, alors que le rap et l’électro commence à balancer leurs soupes fades , alors que le heavy metal enchaîne les notes à une vitesse maladive , laissant le groove mourir sous ses mitraillages abrutissant , Reed rappelle que le rock est avant tout une affaire de swing.       


     

vendredi 20 décembre 2019

The Who : Who


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« Hope I die before get old »
Il faudrait demander à Towshend ce qu’il pense de cette phrase aujourd’hui. Quel effet cela lui fait de sortir un nouvel album plusieurs années après la mort de son bassiste et batteur ? Que pense t’il, quand il se remémore ce jeune fou furieux, détruisant guitare et amplis pendant que son batteur dynamitait les amplis ? C’est la question que se pose tout homme passé la cinquantaine : Ai je trahi mes idéaux ? Ne suis-je pas devenu ce que je détestais ? Bref, nous finissons tous par nous demander si nous ne sommes pas devenus des vieux cons.

Les who n’étaient pas seulement le groupe fétiche des mods. C’était , avec les stones , l’incarnation anglaise du rythm n blues. Mais le leur était plus aventureux, expérimental, au point que baba o riley parait encore futuriste quand il est balancé au générique d’une série américaine stupide.

Mais ça sert à quoi un album des who en 2019 ? Suis-je en train de jouer le rôle de crétin nostalgique que les pigistes de rolling stones tiennent déjà, quand ils n’essaient pas de comprendre la politique. Bon, ok, je fais partie des personnes qui se régalent de leurs plumes, quand celle-ci célèbre les vieux roublards. J’ai attrapé la même schizophrénie idéologique que Manœuvre et autres grands reporters rock. Ces gens qui tuent le rock à force de le résumer aux sixties seventies, tout en se désespérant de le voir s’étioler.

On souhaite tous voir une nouvelle vague naître, prendre la relève et éclipser le reste , mais en même temps nous ne sommes pas prêt à lâcher nos héros fatigués. «  Elvis est mort , tant mieux ! Sa grosse bedaine commençait à asphyxier le rock n roll » disait Johnny Rotten, exprimant ainsi une envie saine : Celle de botter le cul de gloires dépassées.

Alors, je devrais me moquer de ce groupe, ne contenant plus que deux membres originaux, dont un à moitié sourd , et qui revendique sa vieillesse dès la pochette. Une affiche de vieux cirque, un dessin de femme semblant sortir des années 50 , Chuck Berry , et Pete Townshend s’inscrivant dans le même tableau . Ce n’est plus du kitsch, c’est du traditionalisme assumé, ou une certaine glorification de la nostalgie.

Et pourtant, ce disque est un petit miracle comme seuls les musiciens de leur génération semblent capable d’en créer. Certes, on ne parlera pas ici de classique, l’époque ne permet plus au groupe de représenter autre chose qu’une période glorieuse du passé, mais on tient tout de même leur meilleur disque depuis quadrophénia.

Il ne faut pas oublier que, déjà avant la mort de Keith Moon, les who étaient morts, éreintés par la magnifique série tommy , who’s next , quadrophenia. L’album suivant, who are you , était un amas de chansons faiblardes , où le synthé noyait la puissance sonore du groupe au lieu de la souligner.

Si who’s next est un classique, ce n’est pas seulement parce que Pete utilisait pour la première fois des claviers modernes, mais parce que ces claviers étaient un moyen de décupler le lyrisme épique de son groupe. C’est ce même lyrisme que l’on retrouve ici, all music must fade donnant l’impression que la grande époque du groupe était hier.

Cette puissance post who’s next brille magnifiquement jusque street song , puis la tension retombe un peu , la ballade I’ll be back sonnant un peu comme du procol harum mollasson. Si cette première ballade annonce clairement une baisse de régime, le groupe a encore assez de savoir-faire pour finir sa course de façon honorable.   

Les titres tels que « break the news » réussissent tout de même à rappeler la beauté de la pop sixties, la production se chargeant de dépoussiérer tout ça. Mais on est désormais plus proche de l’évocation que d’autre chose, le groupe finit par rappeler ce qu’il a été sans vraiment l’égaler. Et, si le souvenir est plaisant, l’exercice est condamné à lasser si le groupe retente l’expérience.
Alors, oui , le dernier who est un disque sympathique et réussi , une petite friandise qui a le charme de ces villes anglaises , où la tradition semble toujours côtoyer la modernité. Townshend a bien fait de résister à son espoir de « mourir avant de devenir vieux ».

                                                            

mercredi 18 décembre 2019

Lou Reed : Take No Prisonner


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Dans une sombre salle new yorkaise, un craquement d’allumette perce dans le silence , comme la lumière au milieu des ténèbres. Détendu comme jamais, plus prétentieux que dans ses heures les plus glorieuses , Lou Reed sait qu’il a atteint le sommet de sa carrière. Ce soir-là , le public lui est acquis d’avance, et les rares personnes conscientes qu’il représente désormais le rock n roll sont réunies, comme si New York attendait le héros qui l’a si bien dépeinte.  

« Excusez-nous du retard nous étions en train de nous accorder ».
Dès cette phrase, le public lui répond par une ovation chaleureuse, un spectateur lui lançant cette ordre féroce « Take no prisonner Lou Reed ».

Et il commence par lancer une pique à Patti Smith, dont le dernier album vient de sortir « It’s not radio Ethiopia , it’s radio brooklin ! », avant de partir sur un sweet jane de plus de six minutes , prétexte à quelques digressions pleines d’auto dérision.

I wanna be black part ensuite dans un free jazz fascinant rappelant ce que Lou Reed déclarait à l’époque : « si tu ne sais jouer ni le rock , ni le jazz, alors mélange les deux ! ». Malgré cette touche d’humour ce passage est impressionnant de virtuosité, une fête spectaculaire réinventant la notion d’orchestre rock. L’orchestre de Lou Reed est plus rock que celui de Zappa, moins théâtral que celui de Springsteen, c’est la chaleur du jazz copulant avec la puissance du pure rock n roll.

Derrière lui, le groupe chauffe comme l’autel d’une célébration païenne, et donne la plus puissante version de satellite of love jamais enregistrée. Portée par des chœurs fervents, et des cuivres chaleureux, cette version transcende la beauté glam de l’original et , quand la guitare succède à l’orchestre le temps d’un solo déchirant, on assiste véritablement à l’assassinat de la suffisance glam. Présent dans le public, Springsteen a du apprécier cette version grandiloquente, qui n’est pas sans rappeler le charme théâtral de ses shows.

Chef d’œuvre du Velvet , « pale blue eyes » n’égale pas la force de la version contenue dans live 1969, mais les chœurs font encore des merveilles, sur ce qui restera un des meilleurs titres écrit par le poète de New York.

Si vous voulez un chef d’œuvre, jetez-vous sur cette version extraordinaire de Berlin. Ce qui, sur disque, était une introduction au disque le plus magnifiquement déprimant que le rock ait porté, devient ici un véritable requiem rock, une symphonie sombre débouchant sur une série de points d’orgues lumineux.

Après s’être laissé aller à la sensibilité sur les trois précédents titres, Lou durcit de nouveau le ton, transformant « waiting for the man » en blues incroyablement tendu. Comme au début du concert, Lou joue avec le public, crachant sur les idoles de cette nouvelle génération (Patti en a pris pour son grade en début de concert) , et improvisant des discours farfelus au milieu d’impros qui étirent ses rythmes, comme Sergio Leone étire ses scènes.

Et puis, enfin, le break rythmique de waiting for my man laisse place à une guitare suivant les cuivres dans un blues urbain et menaçant, entrant ainsi dans un « temporary thing » qui porte merveilleusement son nom. Boogie en deux accords, monument de feeling à une époque où le rock semble le renier, ce titre est un magnifique pied de nez aux surexcités à crête qui prétendent perpétuer le message de Lou.

Contrairement à ce qu’annonce sa pochette, ce disque n’est pas punk, Lou est bien trop fin pour balancer les mêmes braillements niais. D’ailleurs, la seconde partie du live creuse un sillon classieux bien éloigné des glaviots de la bande à Rotten.

Et le voilà reparti dans ses sensibleries , partant dans une version de cosney island babie capable d’hérisser le poil du skinhead le plus endurci. Ce qui était une ballade introspective et philosophique devient une catharsis fiévreuse, un crescendo vibrant porté par la chaleur des cuivres, et la puissance de ses chœurs gospels.

Après le poète , l’animal rock n roll ne tarde pas à refaire surface , introduisant « street hassle » par un solo plein de larsen, avant de lancer ironiquement « c’est comme ça que metal machine music est né ». Lou Reed tient là le meilleur groupe de sa vie, le seul capable de balancer un titre comme street hassle en live, avec autant de justesse et de puissance.

La valse se fait encore plus solennelle, plantant cette histoire glauque dans un décor solennel et fascinant. Avec Reed, la beauté et la violence s’enchaînent, comme les scènes d’un film qui ne peut que mal finir, et la guitare perce la mélodie comme le prêche annonçant la catastrophe. C’est que la figure de Reed a toujours eu quelque chose de christique, et l’humour contenu dans certains de ses monologues a surtout pour effet d’accentuer des envolées, qui réussissent toujours à prendre l’auditeur par surprise.

On regrettera juste que Bruce ne soit pas monté sur scène pour lancer sa déclamation , mais le riff final achève cette fresque de manière grandiose. La longue jam de « walk on the wild side » lui donne ensuite l’occasion de régler ses compte avec son passé , d’exprimer son regret d’avoir mis fin au Velvet , tout en interdisant à son groupe de mettre la moindre émotion dans son plus grand classique.

Ce satelite of love, il le veut froid, distant, comme pour mettre fin à une époque où il n’était pas réellement lui-même. Est-ce parce qu’il sait qu’un tel succès peut le tuer ? Est-ce pour affirmer une liberté à laquelle il tient plus que tout ? Où faut-il y voir un autre rejet de la production que Bowie lui a réservé ?

Ce qui est un des plus grands classiques du rock, il le dépeint comme un bon morceau issu « d’un bouquin stupide sur des infirmes », avant d’envoyer cette délicate attention à ceux qui lui ont donné l’inspiration «  Allez-vous pendre les mecs ». On l’a déjà dit, avec Reed la violence et l’agressivité ne sont jamais loin, mais il est le seul à lancer son fiel avec autant de classe.

La violence de Reed est fascinante comme pouvait l’être celle de Lenny Bruce, c’est le cri de révolte du poète au milieu d’un monde de fous. Et, si le public prend ses insultes avec reconnaissance , c’est parce qu’il a conscience , comme le disait Dustin Hoffman dans le biopic consacré à Lenny Bruce , « d’avoir besoin de ce genre de fous ».

Comédie subversive, concerto rock, poésie décadente, « take no prisonner » est tout cela est bien plus encore. C’est le plus grand live de celui qui voulait être « le Dostoïevski du rock ». Et quand « leave me alone » clôt la céremonie sur une fureur proto metal asphyxiante, elle laisse l’auditeur assommé par une œuvre unique , une réinvention vibrante de ce que doit être un live rock.    

   

dimanche 15 décembre 2019

GIRLSCHOOL : DEMOLITION (1980)

    
Formation :

Kim Mc Auliffe : chant, guitare
Kelly Johnson : guitare, chant
Enid Williams : chant, basse
Denise Dufort : batterie

Fin 1970 : Patti Smith, Blondie, X Ray Spex, Siouxie and the Banshees, Pat Benatar, Nina Hagen, Runaways (puis Joan Jett et Lita Ford en solo), Suzie Q et puis c'est quasiment tout (bien sur n'oublions pas Janis Joplin)...mais rien dans le hard, rien de vraiment concret jusqu'à ce « Demolition ».
Girlschool est la continuité du groupe Painted Lady fondé en 1975 par Williams et Mc Auliffe mais qui n'a rien enregistré.

Dès la sortie de ce premier album en 1980 Girlschool atteint l'excellence. Il faut dire que les quatre anglaises ont l'appui de Lemmy (Motorhead) et ça aide.
Bien sur Lemmy et Motorhead ont grandement contribué au démarrage de la carrière de Girlschool (concerts, signature sur le même label : Bronze...) mais le groupe avait néanmoins déjà commencé à tourner et sorti un premier 45 tours « Take it all away ». L'aide de Motorhead a bien sur été un sacré coup de pouce car une tournée en première partie de ce dernier qui vient de sortir Overkill est une vraie aubaine...à condition d'assurer, ce que fera Girlschool.

D'ailleurs à propos de Lemmy, qui aida aussi Wendy O Williams et Lita Ford, il affirmera sur la guitariste Kelly Johnson dans son autobiographie consacrée à Motorhead « la fièvre de la ligne blanche » rédigée avec Janiss Garza  (éditions Camion Blanc), page124: En plus j'aimais bien cette idée de groupe constitué de filles – j'avais envie de montrer à tous ces connards de guitaristes prétentieux que Kelly Johnson était une aussi bonne guitariste que n'importe quel autre gratteux que je connaissais. Quand elle était en grande forme elle jouait aussi bien que Jeff Beck » ; exagéré certes mais révélateur.

Il faut dire aussi que les filles ont le look pour, très rock, cuir, blousons, de vrais garçons manqués.
N'empêche que « Demolition » tient la route et que Girlschool peut être d'ors et déjà considéré comme les pionnières en matière de hard rock (Runaways étant plus un groupe de rock mais pionnières elle aussi).
Rien à envier à Saxon, Judas Priest, Scorpions et encore moins aux seconds couteaux de l'époque (Tank, Anvil, Accept, Raven, Samson, Viva...) ; aucun complexe par rapport aux groupes de « mecs » ; énergie, mélodies, compositions et les filles savent jouer !
Les voix féminines apportent un plus (contraste mélodique réussis par rapport à la musique) et les refrains sont excellents.


Comme L7 plus tard dans les années 90, Enid Williams (basse), Kim Mc Auliffe (guitare) et à un degré moindre Kelly Johnson (guitare) se partagent le chant  selon les morceaux, ce qui fait qu'à chaque titre correspond des parties vocales différentes.
La plupart de leurs classiques sont là (les autres seront sur leur second album « Hit and run » sorti un an plus tard ) : « Not for sale » (ma préférée), « Breakdown »,  « Demolition boys », « Midnight ride » et bien sur le classique parmi les classiques « Emergency » avec son refrain « 999 emergency » qui reste graver dans votre tête ; ça envoie du lourd !
Un seul titre faible : « Baby doll » (version live).


A noter « Race with the devil » reprise du groupe des années 60 The Gun. Plus tard Girlschool reprendra ZZ Top puis les Stones avec à chaque fois des versions assez réussies.
Un départ en trombe qui confirme d'emblée Girlschool comme l'un des principaux groupes hard du début des années 80.
Chapeau les filles d'autant que « Hit and run » qui suivra sera du même niveau c'est à dire excellent (« Screaming blue murder » est également correct, c'est à partir de « Play Dirty » et son virage FM très décevant, que les choses vont se gâter).

vendredi 13 décembre 2019

Woodstock on water : episode 5 et fin


Le lendemain était une journée charnière, celle dédiée à l’inventivité plutôt qu’au pur rock n roll. Eric voyait ces jours comme une sorte d’apothéose montrant que l’esprit des sixties n’était pas mort. On a donc soigné la mise en place des Lemon Twigs , la sonorisation devait être parfaite , la scène surélevée, montée rapidement, donnait l’impression que le duo en plateforme boots planait au-dessus de la mêlée.

Le programme de ce soir était alléchant, le groupe prévoyant de jouer « go to school » en intégralité, laissant Eric se demander comment dépasser sur scène ce qui relevait du monument sonore sur disque. Les premiers coups de la cloche ouvrant le grand opéra glam le rassurèrent, la sono était impressionnante de précision, et les lemon twigs étaient loin du récital stérile.

Ce qui sonnait comme une version glam de la pop de big star sur le disque, devenait ici un défouloir sauvage digne de Bowie et ses spiders sur la scène de Santa Monica. Le chanteur a paradoxalement une dégaine plus proche de Mick Jagger, la parenté étant atténuée par un air androgyne, qui rappelle l’époque ou l’Angleterre vibrait aux rythmes des mélodies de Ziggy.   

La puissance atteinte ce soir-là était clairement rock , leur théâtralité se faisant moins grandiloquente et plus rageuse, toute en gardant la fraîcheur des mélodies originales. Les moments de grâce ne manquèrent pas , comme la mélodie rêveuse de the lesson, qui ferait presque penser que ce groupe lâche ses refrains avec la même facilité que les beatles dans leurs meilleurs jours.

Ces mélodies ont d’ailleurs un air rustique que n’aurait pas renié Mccartney , une patine traditionnaliste qui donnait aussi plus de charme au grand disque glam de Bowie (ziggy stardust). C’est la grandeur des vrais avant gardistes de mener leur art vers de nouveaux rivages , tout en sachant faire en sorte que la couleur un peu familière de leurs œuvres rassurent les néophytes.

Ces riffs avaient la force des who , les mélodies s’apparentaient aux plus belles « chansons de grands-mères » de Mccartney , mais le mélange était étonnamment frais et moderne. Quand le groupe achève sa poignante et exaltante prestation par une reprise de get it on de T Rex , le témoin semble définitivement repris par une autre génération.

Malgré sa force sonore, le public avait eu droit à la version la plus classe de l’expérimentation rock , il fallait désormais le renvoyer dans la grotte d’où il est sorti après le concert d’airbourne.
Ayant la lourde tâche de succéder à la prestation vibrante des lemmon twigs, Ty Segall est la face cachée de l’avant-garde moderne.

On a souvent parlé de sa puissance sonore, chaos stoogien qui faisait dire que la folie du Detroit des seventies était ressuscitée, mais ce soir c’est une autre identité qui saute aux yeux d’Eric. Le visage peint en vert, comme sur la pochette intérieure de son dernier album, Segall ouvre les hostilités avec un « break a guitar » assourdissant.

Le choix du titre est un symbole en soi, un pied de nez à ce folklore fait de guitares massacrées et autres extravagances scéniques, artifices qui ont toujours marqué le rock seventies. Ce que Segall recherche à travers sa montagne de décibels , c’est une personnalité unique , une liberté artistique qui n’appartiendrait qu’a lui. De cette façon, sa démarche est plus proche de celle des deviants et pink fairies que des stooges, ses riffs sont de véritables rafales mortelles envoyées à la tradition rock.

Si on entrevoit T Rex dans la classe mélodique de « the singer » , elle n’est qu’un élément d’un mélange bouillonnant , où Segall s’autorise parfois à poser un solo déchirant. Entre ses mains, le déjà tonitruant « 21st century schizoid man » de king crimson devient « hazemaze », décharge primitive d’une puissance capable d’ébranler la grande muraille de Chine.  
Même la superbe mélodie acoustique de Sleeper est ici transformée en cri rageur, la mélodie reste mais elle semble vouloir vous grignoter le cerveau. Et c’est ce qui est impressionnant chez Segall , l’homme est radicalement libre sans être snob, son amour de la puissance sans concession se double d’un véritable talent mélodique.

Véritable Zappa primitif, Segall s’amuse avec les rythmes, invente de nouvelles cadences sensées diriger une nouvelle forme de rock. Sur les titres les plus légers, la batterie bondit comme une nuée de sauterelles , les guitares suivant sa cadence saccadée et effrénée.

Puis, comme possédé par l’héritage du grunge, le groupe ralentit le rythme, vous étouffe sous la puissance suffocante de ses riffs plombés, la voix de Segall semblant sortir d’un dôme imposant. Eric  est ravi de constater que Segall sait désormais être féroce, sans gommer la finesse qui se cache derrière la virulence de ses disques. 

Son dernier album live restituait mal cette image de virtuose primitif, qu’il avait enfin imposé ce soir. Sa prestation est prévue comme le final grandiose du show et, alors que je vous raconte la fin de cette histoire, le bateau s’approche sérieusement des côtes américaines. Arrivé sur les berges de la Louisiane, et alors que les dernières notes de « rain » s’évanouissent face à la terre où tout a commencé, Eric prend la parole pour clôturer l’événement.

« Messieurs dames.

Ce soir vous avez vécu bien plus qu’un nouveau woodstock , et c’est pour cela que je voulais terminer notre périple ici, sur la terre ou les grands bluesmen donnaient naissance à la musique que nous célébrons aujourd’hui.

Le rock n’est pas mort, il s’est juste endormi. Endormi à cause du ronronnement complaisant de journalistes passéistes, endormi à cause de la médiocrité pop des groupes mainstream et d’une curiosité massacrée par le conformisme.

Ce soir nous vous avons donné une vision de ce que peut être LE rock , quand on prend le temps de le chercher. Ne vous laissez pas aliéner, nourrissez cette matière vitale que l’on nomme curiosité, et le rock vous le rendra au centuple.

Il n’y aura pas de deuxième édition de ce festival, j’en donne ma parole aujourd’hui, afin que l’ogre capitaliste ne dévore pas tout se qui fit la grandeur de ce que vous venez de vivre. En revanche, nous allons récupérer les lieux où se tenait auparavant les deux fillmores , et allons y donner des concerts de façon indépendante.

Libre à vous de faire en sorte que San Francisco redevienne la capitale du monde. »

Ainsi cette histoire n’est pas totalement terminée, et vous pourrez parfois la voir renaître sur ce site. En attendant, c’est sur les berges du missisipi que notre conte prend fin.