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samedi 19 juin 2021

Neil Young : Harvest

 


Cela fait des heures que Neil Young perce , fixe , abat des cloisons , en érige d’autre. L’homme sent à peine sa fatigue. Il a 26 ans, l’âge où un homme est au sommet de puissance virile. Il faut dire aussi que notre canadien est dans une très bonne période. Tout a commencé quelques jours plus tôt, alors qu’un de ses rares moments  d’ennui l’incita à regarder le film « journal d’une femme mariée ». Il tomba immédiatement sous le charme de Carrie Snogress , l’actrice principale. Plus d’un homme aurait perçu un coup de foudre aussi incongru comme un simple délire dû à la fatigue , pas notre canadien. Tout homme qui ne va pas au bout de ses idées est un Jean foutre, il parvint donc rapidement à contacter l’actrice en question.

Quelques jours plus tard, Carrie vint vivre dans son ranch, ce qui ne fit qu’encourager Neil dans son travail acharné. Il pensait avoir atteint une certaine maturité, était convaincu que ce ranch allait devenir le lieu sacré où il fondera une famille. Malheureusement, si sa volonté fut de fer, son corps n’était pas fait du même acier. Une douleur atroce immobilisa son dos, qu’il ne put allonger qu’au prix de souffrances à la limite du supportable. Le diagnostic de son médecin fut sans appel, Neil devait désormais porter un corset et éviter au maximum les efforts physiques. Contraint au repos, il s’imprégna du calme de son ranch, prit le temps d’apprécier la douceur de la vie à la campagne.

C’est dans ce cadre que furent écrites les chansons composant Harvest , que le loner n’enregistra pas avec le Crazy horse. Découvrant un succès qu’ils n’ont jamais connu, les compagnons de Dany Whitten sont en pleine déchéance toxicomane. Neil Young a donc pris ses distance avec le groupe qui l’accompagnait sur plusieurs de ses grands disques peu après la sortie de after the gold rush. Quelques jours après ce divorce, il fut invité à Nashville, pour participer à l’émission de Johnny Cash. Pour l’accompagner, il choisit une bande de musiciens locaux triés sur le volet, qu’il renomma les stray gator. C’est avec ce groupe qu’il enregistre Harvest , qui sort en 1972.

Tiré de ce disque, heart of gold passe en boucle sur une bonne partie des radios américaines, au point que tous les enfants nés cette année-là doivent avoir son refrain gravé dans un coin de leur mémoire. Harvest est au country rock ce que sgt pepper est à la pop, un monument inattaquable , une certaine vision de la perfection musicale. Ce disque est tout simplement beau, démesurément beau, d’une beauté qui apaise même les esprits les plus perturbés.

Pour ouvrir ce monument bucolique, out of the week end est porté par un rythme qui vous masse tendrement les tympans, la guitare slide ayant la chaleur du soleil californien. A intervalle régulier, l’harmonica fredonne son blues rêveur, qui clôt le titre sur un souffle digne des grandes mélodies de Bob Dylan. Harvest (le titre) poursuit cette country rassurante , le groupe jouant avec la lenteur charismatique d’une bande de Mariachi endormie par une chaleur désertique. Puis vient man need a maid , long crescendo lyrique où l’orchestre symphonique de Londres transcende le lyrisme romantique de Neil Young.

De la légèreté de heart of gold à la gravité nostalgique de old man , de la douceur inquiète de the needle and the damage done à l’allégresse de a man need a maid , Harvest maintient cette douceur apaisante qui ne peut que charmer. Harvest est un paradis perdu, une bulle de bonheur dans un monde troublé, c’est aussi le sommet d’un certain renouveau country. Des ex Jefferson airplane de Hot tuna aux Grateful dead , de Bob Dylan aux Byrds , tous ont sorti le rock de ses rêves psychédéliques à grands coups de swing country.

Une fois de plus, c’est Neil Young qui ferme cette porte, cette formule ne pouvant plus dépasser une telle perfection. Harvest est LE disque qui va définir Neil Young, alors qu’il va longtemps s’acharner à ne pas le reproduire. Si une autre maison de disque lui propose un meilleur contrat, c’est en espérant que le loner poursuivra dans cette direction aussi lucrative que brillante. Mais un artiste sincère ne peut produire deux fois le même album, surtout un disque aussi personnel qu’Harvest. Cet album a été inspiré par un bonheur qui ne reviendra jamais de cette façon, c’est l’œuvre d’un homme qui veut que sa joie rayonne sur le monde. Or, ce ciel dégagé n’allait pas tarder à s’assombrir.            

Neil Young : After the goldrush

 


Cette fois , Crosby Still Nash and Young est bien mort. Officiellement, Neil Young s’est juste absenté le temps de produire son troisième album solo, mais l’homme n’est pas du genre à rentrer au bercail quand sa muse le mène ailleurs. Il s’enferme donc dans son studio avec le Crazy horse et Neil Lofgren. Ce dernier n’est pas encore le guitariste au sourire sympathique que popularisera le E Street band , mais juste un musicien de studio inconnu du grand public. Alors que l’homme était jusque-là engagé pour ses talents de guitariste , Neil Young lui demande de se charger du piano, instrument qu’il ne maitrise absolument pas.

Et c’est justement ce que cherche le loner , l’innocence du débutant , la simplicité touchante de celui qui semble découvrir son instrument. After the gold rush s’ouvre sur tell me why , un country folk sentimental qui n’est pas sans rappeler un autre grand troubadour populaire. Depuis John Whesley Hardin , Bob Dylan se détend lui aussi dans les décors bucoliques de la country renaissante. Neil est plus mélodique que son alter égo New Yorkais, son sentimentalisme offre une nouvelle douceur à une rythmique que n’aurait pas reniée Johnny Cash.  

Neil Lofgren fait ensuite des merveilles sur after the gold rush (le morceau) , parvenant à annoncer le lyrisme théâtral qui fera la grandeur de Bruce Springsteen. Dans ce bain grandiloquent, la voix de Neil Young laisse s’épanouir toute sa sensibilité. Pendant des années, les producteurs voulurent cacher ce hululement de vieux loup blessé. Neil Young , comme Bob Dylan , n’a pas une « belle voix » , dans le sens où celle-ci tranche trop franchement avec la douceur de la pop pour ne pas choquer l’oreille. Ces intonations ont leurs propres codes, leurs propres caractères, qui se dévoilent ici dans toute sa splendeur. Cette voix, c’est le cri d’un homme qui faillit perdre la vie alors qu’il n’avait pas dix ans. On a l’impression que cet écorché vif ressent tout plus intensément que le commun des mortels.

Quelque minute plus tard, quand le Crazy horse le ramène sur le sentier de la guerre, ses lamentations deviennent de redoutables condamnations. Southern man le voit ainsi renvoyer le sud-américain à son passé esclavagiste et à ses déviances racistes, il cite les croix de feu du Klan comme autant de symbole d’un passé dont les sudistes porteront toujours la honte. Derrière lui, le groupe de Danny Whiten tricote un swing d’apache perdu en plein far west , un  groove voodoo portant la colère de tous ces martyrs de l’Amérique. 

A cette charge succède till the morning come , courte comptine folk dont les chœurs rappellent les bluettes légères de Crosby Still Nash and Young. On retrouve ensuite une folk plus sophistiquée sur Oh lonesome me. L’harmonica joue un blues poignant, le piano souligne discrètement un slow dirigé par une rythmique nonchalante. Ce titre représente le blues des campagnes, c’est Blind Willie Johnson jouant son spleen mystique en compagnie des Byrds, le tout culminant sur des chœurs sur lesquels planent encore l’ombre des grandes chorales californiennes.

Avec after the gold rush , Neil Young crée une beauté hybride. Léviathan gorgé des rythmiques sèches du blues, de la simplicité poignante de la folk, du charisme bucolique de la country, cette force émouvante fait rayonner sa voix d’écorché vif. Reconnaissant dans ce lyrisme la splendeur un peu nostalgique de Déjà vu, le grand public ne tarde pas à se ruer sur ce after the goldrush.

Cet album réinvente ce que Crosby Still Nash and Young n’ont pu que célébrer une dernière fois , il offre une nouvelle vie à une musique que l’on croyait morte sous les coups des grands drames de la fin des sixties. After the goldrush devait être la bande son d’un film que Neil Young voulait réaliser. Le long métrage ne verra jamais le jour, ce qui ne fait qu’augmenter la grandeur de ces mélodies.

Avec les royalties engendrées par les ventes astronomiques de after the gold rush , Neil Young achète un ranch qu’il renomme broken arrow. C’est à partir de cette date que l’histoire fait place à la légende.          

vendredi 11 juin 2021

CSNY : Déjà Vu

 


Dans les studios d’Atlantic , Crosby et Nash ont enfin convaincu Stephen Still de reprendre contact avec Neil Young. Ce dernier n’avait pas encore pardonné au canadien d’avoir si brutalement quitté le Buffalo Springfield, mais sa nouvelle formation avait besoin d’un musicien supplémentaire. Stephen propose donc à son ex partenaire de le rejoindre dans le studio de Crosby Still and Nash. Pour limiter les tensions liées au caractère du Canadien , Still lui propose de ne rejoindre le trio qu’après son set acoustique. Sans surprise, Neil refuse ce travail de fonctionnaire,  il ne rejoindra le trio que si son nom apparait à côté de ceux des autres musiciens. Non content d’imposer sa place dans cette union d’élite, le loner exige aussi de pouvoir continuer ses activités en solo et avec le Crazy horse. Pris de cours, Crosby Still and Nash sont obligés d’accepter toutes ces conditions avant d’entrer en studio.

Alors que les premières séances d’enregistrements démarrent ,  le nombre de précommandes du premier album de Crosby Still Nash and Young bat déjà des records. L’enregistrement est pourtant interrompu pour que le groupe puisse participer au festival de Woodstock. L’événement devait être payant mais, dépassés par l’invasion d’une horde de spectateurs bien plus importante que ce qui était prévu, les organisateurs n’ont pas réussi à contrôler les entrées.                                 

L’organisation fut d’ailleurs désastreuse, le retard de plusieurs artistes obligeant le chanteur folk Ritchie Havens à improviser pendant de longues minutes. Affamée par un ravitaillement défectueux, privée de tout confort, cette foule vécut tout de même la plus grande communion musicale de l’histoire de l’humanité. Woodstock fait rêver parce que notre époque est devenue trop médiocre pour espérer revoir une chose aussi belle. Si un organisateur tentait une telle expérience aujourd’hui, il serait trainé devant tous les tribunaux pour le volume trop élevé de sa sonorisation, l’absence de sanitaires et de nourriture, si la présence d’une espèce protégée sur place ne lui vaut pas une plainte pour « écocide ». Une tentative de ressusciter ce festival fut d’ailleurs organisée dans les années 90. Profitant de la liberté laissée par les organisateurs, le public s’était laissé aller à un déchainement de violence. Le festival dont l’hymne était paix et amour était devenu un enfer de viols et de haine.

1969 fut la seule année où la musique était assez somptueuse pour faire communier une telle foule. Pourtant, comme Bob Dylan, Neil Young a vite compris qu’un tel événement est dangereux pour la carrière de ses protagonistes. De Janis Joplin à Canned Heat , d’Alvin Lee à Jimi Hendrix , tous seront avant tous les « héros de Woodstock » , et ce au détriment de leurs œuvres. Pour Crosby Still Nash and Young , le drame était plus profond. De par leur passé, ces hommes représentaient l’âge d’or du rock Californien,  ils étaient les Beatles d’Amérique. Voilà pourquoi, malgré une prestation catastrophique, le quatuor fut acclamé par une foule qui le vénérait. Woodstock a ainsi été le point d’orgue en même temps que l’arrêt de mort de CSNY. Neil Young refusait de rester le doudou de cette foule de futurs nostalgiques, il ne voulait pas devenir un symbole du passé.

De retour au studio Atlantic, Crosby Still Nash and Young bouclent les sessions de l’album Déjà vu , qui sort enfin en mars 1970. Cet album est une œuvre dépassée par son époque, le symbole d’une nation de Woodstock qui disparaît déjà. Sur la pochette, la photo de ces musiciens a le charme de celles exposées dans les musées. Elle célèbre une époque qui semble déjà disparue. En ouverture, carry on atteint la symbiose que cherchaient les grandes communautés hippies de San Francisco. On retrouve sur ce titre l’idéalisme de « the time they are changin » , marié à la douce innocence des Byrds.

Il est impossible de représenter l’idéalisme hippie sans parler du Vietnam, symbole d’un impérialisme américain devenu fou. « Almost cut my hair » lance donc sa diatribe pacifiste sur une chevauchée électrique digne du Crazy horse. On retrouve ici l’agressivité lyrique et le swing nonchalant que Neil Young sera bientôt le seul à incarner.

C’est d’ailleurs le canadien qui fait redescendre la pression avec la country folk d’helpless. L’intensité sonore devient une intensité émotionnelle, les gémissements du violon souligne la tendresse d’un refrain poignant. Comme beaucoup de grandes œuvres du Loner , helpless ménage ses effets pour réduire au maximum la distance entre l’auditeur et les musiciens. Avec cette complainte épurée, Neil annonce ses plus belles heures de troubadour country folk. Après une émotion aussi intense,  l’optimisme léger de « Woodstock » permet à l’auditeur de souffler un peu.

Sur un riff digne de Keith Richard , « Woodstock » célèbre la grandeur d’un événement historique. Déjà vu ne se contente pas de pleurer une époque perdue, il la sublime et s’affirme comme l’aboutissement de son œuvre. Une bonne partie de ce que l’on a appelé le California sound pousse ici son chant du cygne. David Crosby parviendra bien à retrouver cette beauté le temps d’un album, mais la douleur aura alors pris la place de la nostalgie rêveuse de Déjà vu. Rongés par les querelles d’égo et leurs peines personnelles, Crosby Still et Nash s’enfoncent progressivement dans la drogue. Méprisant la descente aux enfers de ces musiciens, qui semblent vouloir mourir avec les idéaux qu’ils représentaient, Neil Young est déjà prêt à mettre fin à l’aventure CSNY.

Un événement tragique va le maintenir quelques jours auprès de ce qui ressemble de plus en plus à une réunion de has been. Nous sommes en mai 1970 dans l’université de Kent, située dans l’Ohio. Les farces de l’ordre sont à cran, plusieurs manifestants radicaux sont venus bruler des constitutions sous leur nez, avant d’incendier un bâtiment situé à proximité. Les cognes ont alors sorti les triques, parvenant ainsi à disperser les troupes les plus radicales. Le lendemain de ces débordements , une troupe de manifestants pacifistes se réunit dans le jardin de la même université. Pacifiste ou radicaux , pour les policiers ça revenait au même … C’est toujours la même racaille rouge qui menace le pays des libertés et de l’oncle Sam !

Alors ils utilisèrent les mêmes moyens, chargeant les manifestants avec violence. Au début, cette méthode archaïque semblait marcher, mais un sit in parvint tout de même à s’organiser dans la cour de l’université. Se croyant au far west , le sergent Taylord sortit alors son pétard pour tirer dans le tas. Prenant cet acte pour un ordre , la section qui le suivait fit de même avec un enthousiasme remarquable de bêtise. En treize secondes soixante sept balles furent tirées sur cette foule désarmée, faisant ainsi quatre morts et neuf blessés.

Toutes les télévisions passaient ces images horribles en boucle, inspirant ainsi à Neil Young un de ses titres les plus connus. Enregistré avec Crosby Still et Nash , Ohio cible « Nixon et ses soldats de plombs » dès la première phrase , ce qui lui vaudra d’être censuré sur de nombreuses radios. Cette censure n’empêchera pas le titre de devenir un tube. CSNY se dissout ensuite, peu de temps après avoir chanté la mort des idéaux qu’il représentait.                           

Neil Young :Tuscaloosa

 


Peu de temps après la sortie de Harvest, Dany Whiten vint voir Neil Young dans son ranch. Le guitariste du Crazy horse lui annonça, avec des trémolos dans la voix, que la chanson the needle and the damage done l’avait bouleversé. « J’ai jeté toute ma came après avoir entendu ta chanson. J’en ai bavé quelques jours mais je suis clean. »

Neil doutait qu’une telle révélation fut possible, la dope est une maîtresse trop sournoise pour lâcher son homme si facilement. Mais Dany parut trop bouleversé pour que son ex patron lui refuse une nouvelle chance. Les répétitions qui suivirent furent un désastre. Le cerveau de Whitten , ravagé par l’héroïne , ne parvenait plus à retenir le moindre accord, à initier la moindre mélodie. Neil était dans un moment trop important pour se permettre de garder un guitariste aussi médiocre, la presse n’attendait que ça pour le descendre de son piédestal. Il offrit donc à son ami les 50 dollars censés payer son retour chez lui, et poursuivit ses répétitions avec les Stray gators.

Au début il appréciait moyennement ces types embauchés en urgence pour jouer au Johnny Cash show. Quand il repense à cette émission, Neil a toujours un sourire affectueux pour l’homme en noir. Quand il rencontra Cash, il n’était déjà plus le héros svelte de Folssom. Le temps l’avait doté d’une bedaine de tranquille père de famille, alors que ses premières rides lui taillaient un visage de fermier du Kentucky. Ne voyez aucun mépris dans cette description, c’est au contraire un éloge. A force de chanter l’Amérique profonde Cash finit par l’incarner. Neil imaginait bien ce grand homme continuant à chanter la country coulant dans ses veines malgré les stigmates de la vieillesse.

Triés sur le volet avant le Johnny Cash show, les Stray gator ont un feeling typique des musiciens de Nashville, ce tempo lent comme le pas d’une vache dans son pâturage. Ils pouvaient varier le rythme de ce swing campagnard, mais ils n’abandonnaient jamais cette monotonie fascinante. Lors d’un de ses concerts acoustiques, Neil avait avoué que cette nonchalance lui donnait l’impression de jouer avec les Tennessee Tree. Puis vint ce concert au memorial auditorum d’Alabama.

Ayant fait de cet état le symbole du racisme sudiste dans un des titres de harvest , Neil put s’attendre à un accueil assez viril. Mais le talent excuse tout, même si le ton moralisateur d’ « Alabama » en faisait le titre le plus faible d’Harvest. Le concert au mémorial auditorium imposa les Stray gator parmi les meilleures formations qu’ait connu le loner.

Sur les passages les plus country , le swing de ce groupe fut si charismatique que Neil faillit chanter qu’il «  avait tué un homme à Rino … Juste pour le voir mourir »*. La slide se prélassa majestueusement sur ce tempo bucolique, ses roucoulements furent le soleil dotant ces paysages d’une aura dorée. C’est le cœur de l’Amérique qui battit à travers les pulsations de Heart of gold ou don’t be denied. Même quand ces culs terreux se lancèrent sur un boogie furieux tel que time fade away , ils gardèrent ce swing flegmatique , qui se marie si bien avec le chant doucereux du loner.

Ce soir-là, au memorial auditorium , ces musiciens purent tout se permettre , même jouer Alabama dans la ville visée par son texte. Les spectateurs comprirent que, malgré la violence de ce texte, Neil Young est des leurs. Sa musique eut la beauté de ces terres où trimèrent des générations de paysans, elle exprima les plaisirs simples de ceux qui nourrirent le pays pendant des décennies.

Si Neil Young souriait en pensant à Johnny Cash, c’est qu’il reconnaissait en lui un père spirituel.     

 

*paroles de Folsom prison blues de Johnny Cash

mardi 8 juin 2021

KILL THE THRILL : Dig (1993)


Kill the thrill est un groupe français (plus précisément de Marseille) évoluant dans un registre entre rock industriel et noise et qui est apparu au début des années 90 avec quelques bons albums à la clé notamment « Dig », leur premier (sorti en parallèle avec un maxi quatre titres "Pit" également intéressant).
Le groupe, qui officie sous forme de trio, rappelle un peu les anglais de Godflesh ou les deux premiers albums des français de Treponem Pal avec ce côté sombre omniprésent, sombre mais jamais austère musicalement parlant ; c'est pesant, puissant, oppressant et implacable à la fois. La mélodie est volontairement absorbée par la saturation des guitares. On est assez loin de Ministry par exemple.
L'atmosphère du disque est noire , très noire même sur certains titres. Une ambiance d'usine désaffectée, laissée à l'abandon. Les guitares sont la lame tranchante d'une aciérie alors que la rythmique serait l'enclume d'une sidérurgie, le tout nous certifiant, si besoin était, que nous sommes en plein dans l'univers "rock noise industriel" qui semble sur ces huit titres n'avoir jamais aussi bien porté son nom.
Pas de batterie mais une machine/boîte à rythme qui donne le tempo, assez lent dans l'ensemble. Un son globalement (dis)tordu à souhait, sorte de vacarme auditif assez jouissif pour qui évidemment apprécie ce style musical !
Dommage que la bassiste Marilyn ne chante pas plus ; sur « Dig » elle n'officie au chant que sur l'excellent "Out Loud" (on peut l'entendre également en partie sur "I hate your world" qui je crois figure en bonus sur la réédition CD), titre qui alterne magistralement accalmies et ouragans bruitistes.


La voix, tenue principalement par Nicolas, le guitariste, est parfois un peu limite quand elle se fait plus calme, notamment sur les quelques passages qui lorgnent un peu vers le post-punk, mais elle est à la hauteur pour les parties plus hurlées.
Autre petit reproche qu'on pourrait volontiers faire : un léger manque de variété musicale (tous les morceaux sont un peu fondus dans le même moule) mais ce manque de variété peut aussi être une force puisqu'elle donne un aspect compact et une certaine homogénéité au disque.
D'ailleurs l'ambiance d'ensemble de l'album demeure assez remarquable avec ses atmosphères puissantes, ce côté oppressant et ces sonorités particulières qui placent Kill the thrill parmi les formations majeures de ce genre "noise industriel" dont l'école française n'a pas à rougir avec des groupes comme Deity Guns, Ulan Bator...(mais Kill The Thrill se place délibérément dans un registre plus "rock", moins expérimental).
Hormis "Out loud", "Blood money" et "My history" sont les deux autres morceaux phares de l'album mais on peut également citer "I will die" et "Sixth column" .
Notons que Kill the thrill sortira encore quelques bons albums, notamment "203 barriers" et qu'il n'est pas officiellement dissous même s'il n'a plus rien enregistré depuis de longues années.
Un des groupes français les plus intéressants des années 1990/2000, que j'ai eu la chance de voir plusieurs fois en concert avec Coroner, Young Gods ou Treponem Pal... Et encore un groupe injustement tombé dans l'oubli, de cette période du rock français, qui s'avère finalement plus riche qu'elle n'y paraît.

samedi 5 juin 2021

Neil Young 2


1968 est une bonne année pour Neil Young.

Débarrassé de la tension liée à la notoriété du Buffalo Springfield, il met son avenir entre les mains d’Eliott Robert. Celui-ci n’a pas de difficultés à lui faire signer son premier contrat en solo. Avec l’avance, le loner peut enfin s’offrir une maison digne de ce nom. Mais le confort matériel et l’indépendance ne comblent pas les hésitations d’un artiste un peu perdu quand il entre en studio. Pour se rassurer, il récupère Jack Nitzshe , qui a déjà travaillé avec le Buffalo Springfield.

Se souvenant de son travail auprès des Stones, le producteur conçoit un écrin foisonnant, fait le lien entre les accents country rock de son poulain et l’extravagance pop anglaise. Certains mondes ne devraient malheureusement jamais s’unir, on ne peut restituer l’authenticité rock dans un emballage aussi épais. The loner montre bien cette limite. Ce classique deviendra vite un des principaux chevaux de bataille scénique du grand Neil, il n’est pourtant ici qu’un titre schizophrène bloqué entre deux inspirations . D’un côté, Neil Young tricote un riff épais annonçant les futures charges de sa fidèle « old black » (nom qu’il donna à sa guitare la plus célébre), pendant que son producteur atténue cette violence sur un refrain dont les violons amplifient le pathos.  

Jack Nietzche est resté bloqué dans les sixties, il veut faire de Neil Young le descendant des Byrds et des Beach boys. Il n’a pas compris que cette époque était déjà en train de s’éteindre, que Crosby s’apprêtait à larguer ses oiseaux en rase campagne, alors que les Beach boys commençaient une longue disgrâce. Ce qui couvait dans la grande Amérique, c’est un rock plus direct et violent. L’avènement des Stooges et du MC5 se préparait et Neil Young semblait prêt à offrir cette énergie au folk rock. Le riff de the loner montrait d’abord ça, un changement d’époque qui ne demandait qu’à se confirmer. Avec ses effets de manche pop psychédélique, Jack Nietzche ne fait que reporter ce qui finira par se confirmer quand Neil rencontrera le Crazy horse.

Pris individuellement, la plupart des titres composant ce disque sont de parfaites réussites, mais la multiplicité de leurs influences nuit à l’album. La folk insouciante de the last trip to tulsa côtoie la country insouciante de the last trip to Wyoming , avant que I’ve been waiting for you ne nous transporte soudainement sur les chemins colorés de la pop anglaise. Vient ensuite un If i could have her tonight, qui sonne comme un inédit issu des sessions de turn turn turn des Byrds.                                     

Conscient que ce premier essai sonne plus comme un hommage à une décennie qui se meurt qu'à un véritable album solo , Neil Young ne cessera d’ailleurs de critiquer cet album. Du côté de la maison de disque, on se réjouit d’entendre ces mélodies vaguement psychédéliques , cette mélancolie boursoufflée qui rappelle un passé que son auteur voulait faire oublier.                                                                        

L’album sort donc avec un sticker annonçant fièrement « Buffalo’s springfield Neil Young ». Le disque ne fera pas date mais cette simple pub suffira à le vendre à une foule déjà nostalgique.

Pour faire oublier un album où sa voix est presque inaudible, Neil Young part dans une grande tournée acoustique. Au court de ce périple, il retrouve un groupe avec lequel il avait déjà sympathisé à l’époque du Buffalo Springfield.

Menés par Dany Whitten , les Rocket furent nommés « la honte de la Californie » par une presse ne supportant pas la simplicité de leur rock binaire. Heureux de retrouver des musiciens qu’il a toujours estimé, Neil ressort sa bonne vieille old black, et croise le fer avec cette bande de renégats maudits. Une symbiose se met rapidement en place, notre canadien ne s’est jamais senti aussi bien dans un groupe. Il récupère donc cette formation, qu’il renomme Crazy horse en hommage à un chef indien, et entre vite en studio pour enregistrer le véritable point de départ de sa carrière solo.

Everebody know this is nowhere est mis en boite en quelques jours en mai 1969. Comme je l’ai déjà dit précédemment, c’est avec ce disque que le loner entre de plein pied dans les sixties. A l’époque du hard rock et du proto punk, il enfourche son cheval fou, qui l’emmène dans de grandes chevauchées country rock. Ces musiciens sont de véritables mineurs de fond d’un rock binaire et lourd, ils répètent les mêmes gestes jusqu’à trouver une nouvelle énergie. Ouvrant le bal sur un ouragan de guitares hurlantes, cinamon girl culmine sur un solo d’une seule note. Là où la plupart de ses contemporains ne doivent leur charisme qu’à leur capacité à ensevelir leur public sous des trombes de gémissements hurlant, Neil agrippe le seul accord de son solo pour en faire le cœur  nucléaire d’un mojo irrésistible. 

Cette simplicité, qui valut au Crazy horse les pires injures, ouvre des grands espaces dans lequel le grand Neil s’épanouit enfin. Dans un triptyque sacré, composé de cowgirl in the sand, down by the river et cinamon girl , le canadien crée une formule qu’il ne cessera de réinventer par la suite. Ce mélange de lyrisme nostalgique et d’urgence rageuse sera ce qui va définir le son de ce cavalier fou et de sa gracieuse monture pour les années à venir.

Cinnamon girl est un riff galopant comme un troupeau de bisons chassés par le terrible Buffalo Bill , la course se terminant dans les contrées reposantes de everybody know this is nowhere. On découvre alors le folk singer qui fera rêver le monde lors de la sortie de Harvest.

Le charme de everybody know this is nowhere , comme de beaucoup d’albums enregistré avec le Crazy horse , se situe dans cette harmonie entre la nostalgie naturelle du loner et la fougue de son cheval fou. Cet album est aussi le plus dépouillé que son auteur ait produit jusque-là. Avec ses chœurs mélodieux rehaussés par quelques arpèges, round and round déploie déjà un lyrisme digne de ce que sera Crosby Still Nash and Young. Chaque note a la puissance d’un chorus, le country folk se mêle au rock dans une atmosphère douce ou violente.

A une époque où tout le monde cherche à sonner plus fort, à écrire la mélodie la plus riche, Neil revient au précepte de Johnny Cash : « Si la maquette est bonne, on met la maquette sur l’album. » Cette simplicité abolit toutes les barrières entre l’auditeur et les musiciens. On parcourt ainsi les routes en compagnie de cinamon girls magnifiques, on se repose autour d’un feu de camp où Neil chante de poignantes chansons folk, on ressent le désespoir de cet homme qui assassina sa femme au bord de la rivière. Everybody know this is nowhere a la beauté tragique des grands westerns, la grandeur des œuvres plongeant leurs racines dans le sol inépuisable de la musique traditionnelle américaine.

Neil Young est un musicien amoureux des grands espaces, un paysan semblant chanter l’histoire de cette terre où il n’est pas né mais qui le fit grandir. Si on ne devait choisir qu’un disque pour définir le rock américain, cet album serait sans doute le choix le plus judicieux.        

 

 

Neil Young 1

 


  « Tu veux que je prenne le volant ? »

Neil Young roulait depuis plusieurs heures, il était temps qu’un de ces musiciens se décide enfin à mettre fin à son supplice. Le bienfaiteur n’avait pas son permis, mais ce n’était pas nécessaire pour conduire une telle poubelle. Neil Young avait acheté le corbillard dans lequel sont entassés musiciens et matériel avec les 5000 dollars que lui offrit sa mère. A ce prix, il ne fallait pas s’attendre à du grand luxe, ce corbillard étant d’ailleurs le seul véhicule de cette taille qu’il put s’offrir. Le vendeur était un vieux croque mort, qui se débarrassait de cette antiquité de peur de se retrouver un jour bloqué en pleine campagne avec un de ses macchabées.

Désormais assis sur le siège passager, Neil ne pouvait s’empêcher d’écouter le ronronnement du moteur avec angoisse. Si on ne le poussait pas trop, le moteur de ce vieux monsieur ronronnait comme un gros chat. Mais combien de fois, pour un petit kilomètre heure au-dessus de 80, cette vieille carne s’était mise à siffler comme une cocotte-minute sous pression. Un jour, de la fumée s’était même échappée de son capot. Depuis, Neil refuse de pousser cette antiquité au-dessus de ses limites. Il ne sait pas comment ce truc a pu tenir pendant si longtemps, toujours est-il qu’il a mené Neil Young et ses Squire sur plusieurs scènes miteuses. Lors de ce périple, le moindre toussotement trop prononcé du corbillard, la moindre baisse de régime lors d’un concert, tous ces détails étaient susceptibles de déclencher chez Neil des crises d’épilepsie plus ou moins fortes.

Il avait ce problème depuis que, alors qu’il avait à peine atteint l’âge de raison , la poliomyélite faillit le tuer. Cette cochonnerie était très répandue dans la ville où il a grandi, au point de faire faire des cauchemars à tous les jeunes parents. Neil eut la chance d’en réchapper, mais la garce lui laissa ces crises d'épilepsie en souvenir. Ce fut un parcours particulièrement misérable que celui qu’il parcourut jusqu’à aujourd’hui, les cachets étant juste assez élevés pour acheter de quoi survivre. Dans cette route infernale, il fit la connaissance de Stephen Still , guitariste émérite avec qui le courant passa immédiatement. Les deux hommes ayant leur groupe, Still eut juste le temps de donner son adresse à son nouvel ami. Ils avaient alors promis de se retrouver plus tard, mais une année de galère les maintint séparés.

Aujourd’hui, Neil est convaincu que ce type est la pièce manquante au puzzle qui doit le mener vers la gloire. Malheureusement, il n’était pas chez lui, ce qui décida Neil à reprendre la route en direction de San Francisco. La ville est le nouveau paradis d’une jeunesse utopiste, une telle effervescence ne pouvant qu’attirer l’homme qu’il cherchait et lui apporter le succès après lequel il courrait. Le flower power n’avait pas encore accouché d’une scène psychédelique locale, mais on sentait déjà que quelque chose se préparait.

Dans les rues , des dizaines de clochards célestes tentaient de devenir le nouveau Bob Dylan. Le corbillard avait atteint San Francisco depuis quelques minutes, alors que  Neil n’en pouvait déjà plus de ces « the time they are changin », miaulés avec plus ou moins de conviction par des hippies crasseux. Dylan avait saisi l’époque avec une incroyable lucidité, son titre était psalmodié par des nuées de troubadours unis comme une seule âme, l’âme des sixties. La circulation s’étant ralentie , Neil eut alors tout le temps de maudire le plus grand poète que le folk ait connu. 

Sous l’effet de l’épuisement, il s’était enfin assoupi, quand quelqu’un se mit à tambouriner à la porte du véhicule. C’était Stephen Still et sa bonne bouille de yankee. Heureux de retrouver son vieil ami , Stephen accepta de rejoindre les Squire, mais il fallait marquer ce nouveau départ en changeant de nom. Sur le véhicule posté devant le corbillard, une plaque arborait fièrement le titre « Buffalo Springfield ». Les musiciens ne savaient pas si il s’agissait d’un restaurant, mais ça faisait un très bon nom de groupe.

Après cette rencontre, le groupe se fait héberger chez Barry Friedman , qui propose de devenir leur manager. Dans la foulée, les musiciens organisent des auditions pour trouver un nouveau batteur. L’heureux élu sera Dewey Martin, dont le principal fait d’armes est d’avoir joué pour Roy Orbinson. Nous sommes alors au milieu des sixties, et un autre groupe atteint le sommet de sa carrière.

Les Byrds marquèrent la légende lorsqu’ils enregistrèrent leur version de Mr Tambourine man. Dylan travaillait alors dans la pièce voisine, les échos de cette reprise lui parvenant à travers le mur. Sous l’influence des grands groupes anglais , le Zim pensait déjà à quitter les berges du folk pour une pop plus électrique. Cette reprise sera pour lui une révélation, qui le pousse à enregistrer lui aussi une version électrique de son classique des sixties. De leur côté, ralentis par un label qui croit peu en eux, les Byrds ne sortiront leur premier album que plusieurs mois après bring it all back home , le disque de Dylan qu’ils ont en partie inspiré.

Si la presse salue alors le Zim comme l’inventeur de ce nouveau courant que l’on nomme folk rock, ce sont bien les Byrds qui vont en définir la sonorité. Presque flatté de s’être fait doublé par le grand Bob, le groupe de David Crosby obtient un succès fulgurant dès que son premier essai sort enfin. C’est pendant cette période de gloire que les oiseaux rencontrent le Buffalo Springfield. Impressionné par ce qu’il voit, le bassiste Chris Hilman décide d’user de toute son influence pour obtenir que le groupe puisse jouer au Whisky à go go.

Ouvert il y a deux ans, ce club est le lieu où il faut briller pour marquer l’histoire. Les Doors et Frank Zappa y ont notamment livré des prestations mémorables. Là, entre les strip-teaseuses et les piliers de comptoir, le Buffalo Springfield livre une prestation qui lui attire les faveurs de la presse locale. Qualifié de « meilleur groupe depuis les Beatles », les musiciens gagnent enfin des cachets assez élevés pour s’offrir un logement digne de ce nom. Dans cette maison défilent l’habituel balai des parasites accrochés aux stars montantes, ce qui pousse Neil Young a vite fuir ce cirque. Il se réfugie alors dans une cabane en bois située près de Laurel Canyon.

Quand il rejoint le groupe sur scène, la pression qu’il subit provoque des crises d’épilepsie de plus en plus fréquentes. Il faut dire que la tension autour du groupe n’a jamais été aussi forte, les musiciens ayant signé leur premier contrat, alors qu’une rivalité nait entre Stephen Still et Neil Young. Dès les premiers jours, les producteurs conseillent au canadien de se tenir loin du micro, ce qui ne l’empêche pas d’écrire 5 des douze chansons qui composent le premier album. Alors que ce premier essai offre à ses auteurs une renommée mondiale, la tension entre Neil Young et Stephen Still est sur le point de tout détruire.

Stephen n’hésite pas à dire que les crises de Neil mettent en danger l’avenir du groupe. Sorti en 1967  Buffallo Springfield again sera en quelque sorte l’album blanc du Buffalo Springfield. Plus un conglomérat de compositions individuelles qu’un véritable travail de groupe, l’album se distingue surtout grâce à Mr Soul, où Neil Young déploie un riff stonien de toute beauté. Toujours est-il que ce second album se vend très bien et place ses auteurs au même niveau que les Byrds. C’est pourtant à ce moment que Neil claque la porte pour entamer sa carrière solo. Pour honorer leur contrat d’enregistrement, les autres musiciens bricoleront un dernier album sans intérêt.

Le monde croit alors que ces jeunes prodiges arrivent déjà à la fin de leur âge d’or, le parcours du loner ne fait pourtant que commencer.