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samedi 17 juillet 2021

Neil Young : Hawks and Doves

 


Mais quelle mouche a bien pu piquer Bob Dylan en cette fin d’année 1979 ? Il est vrai que, depuis self portrait , les auto-sabordages et virages artistiques incompréhensibles du Zim ne cessèrent d’agacer la critique. Mais, avec ce slow train coming , le barde américain a commis l’impardonnable : installer la religion dans le rock. Il parait déjà si loin le poète libertaire, celui qui annonçait que les temps allaient changer, tout en se moquant des réactionnaires à travers le pitoyable Mr Jones. Dylan n’était pas seulement le représentant d’un certain idéalisme, il en était la figure de proue. La critique n’a jamais fait le deuil de ce poète kerouakien , de ce héros libertaire disciple de Woody Guthrie.

Si seulement il n’avait pas rencontré Johnny Cash, peut-être serait-il encore en train de guider une génération sur fond d’accords électriques ou acoustiques. Toute la partie la plus idéaliste du public maudissait l’homme en noir, qui fut déjà à l’origine du virage country du Zim. La country, cette musique qu’il voyait comme le swing des rednecks réactionnaires. Il fallut que Hendrix repris « All along the watchtower » pour que la critique finisse par avaler la pilule. Mais, non content d’avoir rapproché celui qui devint malgré lui le porte-parole des utopies sixties du petit peuple réactionnaire, Cash prêta à son ami une bible.

La lecture des aventures du petit Jésus eut un effet fulgurant sur le grand Bob, et voilà que sa prose se faisait prosélyte, que son rock s’agenouillait devant « son seigneur ». Il s’identifiait désormais au martyr de Nazareth ? Et bien la critique lui prépara un calvaire sur mesure. Le lynchage de slow train comin est un symbole parmi d'autres d’une certaine critique, qui vit dans le rock un outil de propagande plus qu’une simple musique. On moquait ces refrains dévots, ces paroles de born again illuminé, il fallait tuer cette fièvre mystique dans l’œuf avant qu’elle ne contamine d’autres musiciens. De cette manière, on oubliait de dire que Mark Knopfer sonna rarement aussi bien que sur ce disque, que cette ferveur apportait une nouvelle dimension au gospel rock initié sur street legal.

Toujours dans le sillage de son rival, Neil Young va vanter un autre totem de ce que certains voient comme l’Amérique rance, le patriotisme. La pochette en elle-même fut déjà vue comme une provocation, le loner osa sortir un album emballé dans le drapeau américain. La protestation foutait décidément le camp, l’auteur d’Ohio chantant désormais la grandeur de l’Amérique du nord et la douceur de son mode de vie. Alors on lui chercha des excuses, on voulut voir du second degré dans cette prose patriotique. Malheureusement, la musique était à l’image de ces paroles , le plus américain des canadiens déployant toute la palette du « blues de blanc ».

Le premier titre aurait pu rassurer les auditeurs les plus frileux, Little Wings pouvant entrer dans le rang de ces plus belles mélodies folk acoustiques. On retrouvait le barde chantant dans la pénombre, le hippie fredonnant des refrains doucereux. Aussi gracieuse soit elle, cette introduction n’était qu’une mise en bouche, une petite friandise avant d’entamer les choses sérieuses.  Avec « the old homestead » le loner enfile le costume de John Wayne country folk qu’il ne quittera plus tout au long de l’album. Ressuscitant l’image du vieux cow boy solitaire, il chante cette « attraction » pour l’Amérique légendaire, celle dont son personnage s’éloigna sur son « cheval fou ». Derrière ce conte, la guitare swingue comme une complainte de Blind Willie Jefferson. Un sifflement fantomatique se fait entendre derrière la mélodie, chant des grands hommes enfouis dans cette terre que le chanteur célèbre.

Après avoir entendu un tel titre, reprocher à Neil Young son patriotisme américain parait ridicule. L’histoire américaine a toujours inspiré ses textes et nourri ses mélodies et , qu’il rêve de dormir avec Pocahontas ou qu’il célèbre le courage des pionniers , c’est la même histoire qu’il met en scène. Preuve de cette constance, le bluegrass de captain Kennedy date de 1975 et est issu des mêmes sessions que Pocahontas. 

Toute une partie du public nostalgique des idéaux hippie, voulait que Neil Young reste le moraliste hargneux d’Alabama, l’idéaliste blessé par les violences policières décrites sur Ohio. Mais, si Neil Young exprima sa révolte contre les dérives américaines avec tant de force, c’est qu’il aimait profondément cette terre qui lui a tout donné, cette tradition musicale qui coule dans ses veines. Comme tout grand artiste, le loner n’est pas le porte-parole d’un camp contre l’autre, sa muse est le seul guide qu’il accepte de suivre.

Si la musique est plus importante que la politique, alors Hawk and Doves est un grand album. Si les paroles, qui ne sont pourtant pas dignes du pire redneck , gênent les oreilles les plus endoctrinées , qu’elles se contentent de ce swing de bouge texan , de cette country festive digne des pionniers, de cette folk entêtante qui restera longtemps gravée dans les mémoires. Non, Neil Young n’est pas devenu chauvin, sa muse a juste changé de décor.                                                                                                                                                          

Neil Young : Live Rust

 


Au fond d’une grande scène, une imposante pile d’amplificateurs semble annoncer un concert particulièrement bruyant. On remarque que des caméras et du matériel d’enregistrement sont positionnés un peu partout près de cette montagne. Neil Young sait qu’il vit un des plus grands moments de sa carrière, il est devenu le conteur d’une époque et souhaite immortaliser cet état de grâce. Pourtant, malgré son impressionnant dispositif, le loner arriva seul armé de son harmonica et d’une guitare acoustique. Le public connaît ce vieux gimmick , il a déjà juré plusieurs fois qu’on ne le séduirait plus avec des moyens aussi basiques. Pourtant, par la seule force de sa prose et de quelques accords gracieux , Neil fit taire cette foule hystérique.

L’ouverture acoustique eut des airs de rite païen, elle ressemble à une procession mystique, le mage Young hypnotisant ses adeptes en quelques formules fascinantes. La beauté des civilisations amérindiennes laissa place au spleen des chercheurs d’or , le passé plus ou moins proche défila à travers cette poésie passionnante. Sugar mountain ramenait tout le monde sur les rives de l’enfance, époque bénie où le monde était à découvrir. Les accords bercèrent la foule, rares sont ceux qui osèrent briser cette communion de leurs cris admiratifs.

Dylan rêvait d’être Elvis , il ne comprenait pas que toute une partie de ces descendants rêvaient désormais de devenir Dylan. Ce soir-là plus qu’aucun autre , ce nouveau Dylan fut Neil Young. Chantant comme un poète au seuil de l’abime il espaça ses accords pour permettre à ses mots de s’imprimer dans les esprits. Sur comes a time , l’harmonica a remplacé le mellotron de la version studio, les accords plus dépouillés ne firent qu’accentuer la somptueuse légèreté de la mélodie. Vint ensuite le fameux piano de After the goldrush , qui eut ici le charisme d’un orchestre et la pureté des grandes ballades folk.

On ne put rêver plus belle introduction pour le « the time they are changin » de cette nouvelle époque. J’ai déjà largement décortiqué « hey hey my my » sur la chronique de Rust never sleep , c’est pourtant dans ce stade que cet hymne prit toute son ampleur. Après avoir affirmé que « le rock n roll ne peut pas mourir », Neil s’apprête à en faire la démonstration.

Derrière lui , les musiciens du Crazy horses prirent place affublés des costumes du Ku Klux Klan. Ne voyez pas dans ces déguisements une apologie du mouvement raciste de Nathan Bedford Forest , il s’agit juste d’une façon de se moquer des mises en scène pompeuses des dinosaures de stades. Avec ce nouveau geste d’insoumission, les punks purent encore constater que Neil était des leurs. Les musiciens branchèrent donc leurs guitares à l’impressionnant mur d’amplis et après le calme vint le déluge.

When you dance I can really love ne fait pas dans la dentelle. Son riff d’introduction gronda comme une avalanche, les accords gras dévalèrent la pente d’un rythme binaire, l’écho des guitares grinça comme des arbres emportés par le déluge. Le refrain culmine sur un boogie déchiré par des accords agressifs, s’éteint au terme d’un solo cataclysmique. Neil profite de cette énergie pour débarrasser « the loner » de son attirail psychédélique.

La puissance du Crazy horse est un bain acide qui n’épargna que la moelle de ce classique, c’est-à-dire ce rythme boogie autour duquel les guitares bourdonnèrent comme une armée de frelons. Pour calmer un peu le jeu, the needle and the damage done permet à Neil d’enfiler de nouveau le costume du troubadour folk. Les arpèges chantent paisiblement, avant que lotta love ne prolonge cet intermède mélodieux sur un texte plus léger. Sur ce lotta love , c’est le hippie de Crosby Still and Nash qui s’exprima , les chœurs évoquant les harmonies vocales de ses ex partenaires.

Il fut ensuite temps de « jouer un peu de rock n roll », cette déclaration annonçant le riff tonitruant de sedan delivery. Dans une chronique sortie quelques années auparavant , un journaliste qualifia le Crazy horse de « savant mélange de folk rock et de hard rock ». C’est exactement ce que fut sedan delivery et les titres qui le suivirent. Les riffs binaires , lourds comme des zeppelins de plombs , explosèrent dans des solos lyriques. Même si la guitare semble presque chanter la mélodie de powderfinger, le riff est parcouru de notes grondant comme un ciel d’orage. De cet équilibre entre la beauté d’une mélodie rêveuse et la puissance d’un groupe trépignant comme un pur-sang maintenu au trot naît un son unique. Ce lyrisme culmine bien sûr sur Like an hurricane, titre qui est au folk rock ce que Whole lotta love est au hard blues , un horizon indépassable.*

Il faut entendre la puissance de son introduction, ce sont de véritables montagnes sonores qui s’élevèrent devant le public. Le mellotron souffla comme un doux blizzard entre ces pics , arrondit les passages les plus tranchants. Débarrassée de sa violence, la guitare atteignit une puissance émotionnelle bouleversante, ce n’est plus une six cordes c’est une lyre amplifiée. Après une telle ascension, les musiciens firent redescendre le public de son nuage à grands coups de blues gras. La violence proto grunge de hey hey my my (into the black) laissa ainsi place à la rage de tonight the night.

Quand les dernières notes saturées s’éteignirent, le public sut qu’il venait d’assister à quelque chose de grand. Ce sont des prestations de cette intensité qui donnent encore un sens au vieux culte du rock n roll. Après avoir assisté à une prestation pareille, on ne peut qu’être convaincu par cette déclaration historique : Rock n roll can never die.     

 

mercredi 7 juillet 2021

JOY DIVISION : An ideal for living (1978)



Quand on parle de Joy Division on pense évidemment d’abord à « Unknown pleasures » et « Closer » leurs deux albums phare, à la fin tragique du chanteur Ian Curtis qui s'est donné la mort à 23 ans en 1980, mais on oublie bien souvent « An Ideal for Living » sorti en 1978 et qui est le premier enregistrement du groupe, le plus punk et le plus chaotique aussi, notamment de par sa production très primaire, même si certains passages annoncent déjà clairement le post-punk qui commence à pointer le bout de son nez (l’intro de « No love lost » par exemple et surtout « Leaders of the men ») et qui sont déjà précurseurs de ce que fera par exemple Killing Joke sur son premier album. Ces quatre titres déploient une énergie très différente des futurs « classiques » du groupe, albums nettement plus sophistiqués.
Pour ma part je trouve qu’il y a un bon dosage, un bon équilibre entre ce qu'on appelle le "punk 77" et ce qui va devenir le post-punk et dont cet enregistrement pose déjà quelques jalons.
Disons le tout net au risque de créer l’incompréhension c’est assurément l’enregistrement de Joy Division que je préfère mais je ne suis pas forcément objectif dans la mesure où je ne suis pas un grand fan de post-punk et encore moins de new wave (et de tout ce qui s’en rapproche, et à plus forte raison la cold wave !!) et que la suite de la carrière de Joy Division, celle qui est quasi divinisée, m’emballe moins.
« An Ideal for Living » est donc davantage rentre-dedans, on est encore 1978, le punk évolue mais n’est pas mort, quoiqu’en disent certaines mauvaises langues.
« Warsaw » (qui était d’ailleurs le nom initial du groupe avant de changer pour Joy Division) et « Failures » sont des brûlots « brut de décoffrage » alors que « No love lost » est magnifique avec sa montée progressive en puissance et son final étourdissant d’intensité.
Encore une preuve de l’esprit punk qui habite ce maxi 45 tours ?
La provocation de la pochette qui montre un enfant des jeunesses hitlériennes jouant du tambour, tandis que le titre « Warsaw » a pour thème la vie de Rudolf Hess. Autre époque où la provocation ne faisait pas toujours dans le bon goût c’est vrai.
Accusé de nazisme le groupe démentira et répondra en jouant au festival "Rock Against Racism".
Un mot sur le chant : alors qu’on a souvent dit que la voix de Ian Curtis se rapprochait de celle de Jim Morrison je trouve qu'ici elle sonne davantage comme une sorte de Lou Reed punk (voir notamment « Failures » très proto-punk, presque stoogien).
Bref, un premier maxi 45 tours passé un peu aux oubliettes et qu’il est toujours temps de (re)découvrir.


Neil Young : Rust Never Sleeps

 


J’ai déjà planté le décor lors de la chronique de Comes a time , il n’a pas changé lorsque sort le nouvel album de Neil Young. A l’époque, Neil fut impressionné par la vivacité de la scène punk, qu’il fréquenta en jouant notamment avec les musiciens de Devo. Sur le tee shirt d’un de ces musiciens au look excentrique, il remarque une inscription prophétique « rust never sleep ». La rouille ne dort jamais, voilà un magnifique slogan pour l’un des derniers survivants de sa génération. C’est que notre canadien avait déjà 34 ans, ce qui est un âge avancé pour un rocker. Pourtant, aucun nihiliste à crête n’osa toucher au barde hippie , Johnny Rotten ayant déjà avoué son admiration pour le loner.  

Mis à l’abri par une nouvelle génération qui l’admire, le canadien écrivit le « the time they are changin » de la génération no future. L’affaire commence sur ces arpèges reconnaissables entre mille, puis viennent les mots.

« Hey Hey my my ! Rock n roll can never die ! » Les vieilles idoles peuvent flancher, cette musique durera tant qu’il existera une jeunesse pour l’écouter. La première phrase chantée par Neil Young n’est pas une lamentation, c’est le cri de guerre d’un homme qui veut continuer d’être l’avenir du rock.

« King is gone but is not forgotten . This is the story of a Johnny Rotten. » Il existe des hasards troublant. Alors que les contemporains des Sex pistols prennent le monde d’assaut, le king rend son dernier souffle dans les toilettes de sa villa. Une fin destroy pour le king et un avenir nihiliste pour le rock, voilà le programme de cette année 1977. Lorsqu’il apprit la nouvelle de la mort du king , Johnny Rotten se contenta de dire « Il était temps , sa grosse bedaine masquait le rock depuis de trop nombreuses années. » L’heure n’est pas aux hommages ou aux célébrations , il faut que le passé s’éteigne pour que l’avenir se dévoile.

« It’s better to burn out ! Rust never sleep ! » Le voilà le slogan de l’époque, il est aussi vrai pour le king que pour le rocker le plus misérable. Toute la mentalité punk est dans cette phrase, plutôt mourir que devenir un notable, quand l’énergie n’est plus là il faut avoir le courage d’arrêter. L’époque est à la violence, violence qui deviendra vite une mode musicale. Avec cette ouverture acoustique, Neil devient le punk ultime, celui que même le courant des sauvages à crêtes n’arrive pas à récupérer. Les riffs des jeunots sont mitraillés avec rage, l’arrière garde tombe sous la mitraille, et le loner raconte la bataille comme un Dylan résumant les utopies de son époque.

Des sublimes accords de trasher à la country de sail away, en passant par le conte Pocahontas , cette première face est le prolongement logique de Comes a time. Powderfinger met ensuite la fée électricité sur le devant de la scène. Ce changement de décor fait en douceur, le riff mélodieux et les chœurs rêveurs rappelant la finesse de Zuma. Pourtant, sur les scènes où furent enregistrées ces titres, le public se doutait bien que l’impressionnant mur d’amplis placés au fond de la scène n’était pas là pour faire de la figuration.

Au delà de sa mélodie , Powderfinguer permet à Neil Young d’enchainer les solos où le son gras est à la limite de la saturation. Welfare mother libère pleinement cette énergie sur un mojo binaire cher au Crazy horse. Ces solos sursaturés tissent un boogie crasseux, la puissance du riff ringardise un mouvement punk venant à peine de naitre. Les premières traces de ce qui deviendra le grunge sont à chercher du côté de ce riff orageux et de l’ouragan électrique sedan delivery. Sur ce dernier titre, le cheval fou sonne comme un troupeau de mammouths hystériques. La rythmique est un assaut de pachydermes d’une violence inouïe, un tsunami ensevelissant définitivement les restes d’un passé moribond. 

Le loner a beau se savoir respecté par cette nouvelle génération qui ne respecte rien, il met le paquet pour lui montrer qui est encore le patron. Le feu d’artifice proto grunge se clôt sur une version électrique de hey hey my my. Ce riff tonnant comme le tir d’une section de tanks, c’est la violence d’une épuration à laquelle notre canadien vient d’échapper. « Rock n roll will never die », clame t-it une dernière fois avant de refermer Rust never sleep. Plus que le rock , c’est sa propre légende que le loner vient de sauver ici.          

 

mardi 6 juillet 2021

Neil Young : Comes a time

 


Les Clash levèrent des barricades en trois accords , les Jam annoncèrent  le règne de la new wave , les Stranglers atteignirent  le sommet de leur grandeur nihiliste, alors que les Ramones enchainèrent  les concerts à un rythme infernal. Le punk tint ses promesses, ce météore balaya littéralement les virtuoses prétentieux du rock progressif, et rendit obsolète la partie la plus pompeuse du hard rock. Les dinosaures des sixties et du début des seventies s’éteignirent brutalement, noyés sous une vague nihiliste et primitive . Paradoxalement, cette révolte sera vite domptée par l’ogre capitaliste, qui comprit vite que le manque de virtuosité de ces brutes était un formidable moyen de standardiser la musique. Il lui suffit d’accentuer la présence des claviers pour gommer cette violence sauvage, tout en gardant le format court et les refrains primitifs chers aux hordes punkoïdes.

On transforma ainsi le punk, mouvement réactionnaire réclamant le retour à un rock plus sauvage et primitif, en une pop synthétique et polie nommée new wave. Le foisonnement créatif des années précédentes fut abattu, le rock redéfinit comme un vulgaire produit standardisé, la dégénérescence new wave  fut prête à le vider de sa substance. En ces temps de décadence, Neil Young prit la route en compagnie de quelques musiciens de Moby grape. Le loner se produisit dans quelques petites salles, retrouvant ainsi la joie de jouer pour le plaisir et de discuter autour d’une bière après le concert. Il put ainsi fuir le succès le temps de quelques soirées, mais les nouvelles vont malheureusement vite. Quelques jours à peine après le lancement de cette tournée secrète , des comptes rendus paraissent dans les journaux , obligeant Neil Young à interrompre son bain de jouvence.

De retour en studio , Neil rappelle les musiciens du Crazy horse , Nicolette Larson et JJ Cale , pour enregistrer Comes a time. Le folk rock de ce disque est un véritable sanctuaire paisible dans une époque troublée. Auteur du classique naturally , le guitariste JJ Cale illumine ces comptines folk de sa classe rythmique. Sur les titres les plus mélodieux, il ponctue la mélodie avec rigueur, drape la voix charmeuse de Nicolette Larson dans les gémissements de sa guitare slide ou la somptuosité de ses arpèges. Derrière lui , le Crazy horse trotte paisiblement , retient sa fougue pour éviter de briser un si beau carrosse. Les violons chantent avec une douceur rappelant Harvest , Neil fredonne ses refrains avec sérénité.

Quand ce groupe n’est plus retenu par la douceur de ce country rock apaisant , motorcycle mama lui permet de swinguer comme les bluesmen de Chicago. Sur ce titre, JJ Cale s’affirme comme le guitariste renouant avec une sobriété perdue depuis les débuts d’Eric Clapton. Deux ou trois accords et un rythme, le mojo n’a besoin de rien d’autre pour fasciner. Les guitaristes s’accrochent aux rythmes comme des morpions à leurs testicules, de cette étreinte dépend la vie du grand mojo , s’éloigner de la rythmique c’est le laisser mourir. Vous pouvez augmenter ou diminuer les espaces entre les notes, appuyer les accords ou caresser les cordes, mais pour jouer du blues votre jeu doit rester rythmique.  Keith Richards l’avait bien compris, lui qui considérait les solos comme de la « branlette ».

Reprendre les choses à leurs racines, se ressourcer aux eaux toujours fraiches de la musique traditionnelle américaine, voilà ce que fait Neil Young sur comes a time. Ce disque est comme un vieux livre de Dumas caché entre les fausses révoltes de Virginie Despente. Et c’est bien pour ça que Neil fut épargné par le nihilisme punk et les caprices de l’époque, il ne se conformait à aucun courant. Aussi léger soit-il , comes a time est sans doute une des plus grandes déclarations d’insoumission de son époque , un disque si anachronique qu’il en devient attachant. Ce mellotron faisant couler sa mélodie telle une rivière paisible, cette voix revenue de tout et se contentant de chanter sa joie de vivre, c’est un oasis de beauté et de douceur dans une époque qui s’enlaidit et s’ensauvage.                              

Il y a des moments où il parait urgent de célébrer la beauté et la sincérité artistique avant que ces notions ne soient détruites par la bêtise moderniste. Alors oui, comes a time nous refait le coup que nous fit Dylan sur Nashville Skyline , il s’exile à la campagne à une époque où tout s’agite en ville.

Et si c’était précisément de cette légèreté que l’époque avait besoin ?  

dimanche 4 juillet 2021

Neil Young : American Stars'n Bars

 


Nous sommes en 1976 au Winterland balroom, théâtre du dernier concert du Band.

Installées à plusieurs endroits stratégiques, les caméras sont prêtes à immortaliser ce moment historique. Responsable de cette captation, Scorcese réalise ici son plus grand film musical. Comme lorsqu’il n’était que caméraman à Woodstock , le cinéma a rendez-vous avec l’histoire. Au-delà de son travail avec Bob Dylan, le Band a surtout enregistré deux des plus grands disques de country rock de tous les temps. L’authenticité de music from the big pink et the band ont bouleversé une génération. Ce mélange de country,  de blues et de bluegrass devenant la musique des vieux hippies fatigués.

Il suffit de lire la liste des musiciens venus participer à cette « dernière valse » , pour se rendre compte de l’incroyable popularité du Band. Emmylou Harris , Joni Mitchell , Bob Dylan , Paul Butterfield , Dr John , Muddy Water , c’est la crème du blues, de la country et du folk qui défile sur cette scène. En coulisse, la cocaïne a plus tourné que le champagne. Malgré son rejet des drogues dites dures, si toutefois il existe des drogues « douces », le loner apparait sur scène les narines recouvertes de poudre blanche. Sa prestation n’en souffre pas, le canadien livrant ce soir-là une de ses plus belles versions d’Helpless.

Le Band dut aussi avoir une influence sur notre canadien, qui décide de centrer son prochain album sur l’histoire des Etat Unis. Cette démarche n’est pas sans rappeler le second album du groupe de Robbie Robbertson, dont les mélodies steinbeckienne fascinèrent toute une génération. Pour donner vie à cette histoire, Neil Young ne se contente plus de sa guitare sèche , il veut monter un groupe nourri aux mamelles intarissables de la country et du bluegrass. Pour donner une touche de lyrisme à ses récits, il se rapproche de Linda Ronstadt, qui lui conseille d’intégrer la jeune Nicolette Larson. A ce duo bouleversant vient s’ajouter les musiciens du fidèle Crazy horse , qui enregistrent le disque dans l’urgence. Comme pour Tonight the night , Neil Young décida de tout enregistrer en une prise , privilégiant l’émotion brute à la perfection technique.

« Ceux qui veulent entendre un album parfaitement enregistré n’ont qu’à réécouter mon premier album. » Voilà la réponse qu’il lance à tous les journalistes lui reprochant cet empressement. Et il a raison de revendiquer cette spontanéité, elle lui évite de subir les foudres de la vague punk. American stars and bar sort d’ailleurs en 1977, au début de cette époque où les contemporains des Ramones tentèrent de balayer toutes traces du passé. En regardant la liste de ces titres, on repère quelques morceaux issus des séances de Homegrown , disque enregistré en 1975, et que le loner ne publiera pas avant 2020.

Cela explique en partie le décalage entre le ton traditionnaliste d’American stars and bar, et le modernisme nihilisme de la génération no future. L’ombre du Band plane dès les premières mesures de old country waltz , son swing poussiéreux rappelant les tubes vintages que sont the night they drive old dixie down ou up on cripple creek. Sad up palomino est plus enjoué, son groove paysan culminant sur des chœurs en fête. La première face d’American stars and bar retrouve les chemins balisés par Harvest , la guitares slides renouant avec la chaleur du ranch de broken arrow.

Du fait de la variété de ses mélodies, beaucoup voient cet album comme une œuvre sans ligne directrice, un amas de titres plus ou moins réussis censés maintenir la notoriété du Dylan canadien. Une telle déclaration revient à dire que Desire , le disque que le Zim sortit quelques mois plus tôt, est lui aussi une œuvre sans cohérence. En effet, le slow one more cup of cofee y côtoie le plus virulent hurricane. Ce serait faire l’impasse sur ses mélodies tsiganes , ce blues de bohémien fascinant et dépaysant. Dylan trouva un nouveau souffle dans les traditions étrangères, Neil Young rend hommage à la tradition nationale. Une fois de plus, ces deux géants représentaient l’alpha et l’oméga de la pop moderne, les deux pôles entre lesquels le folk rock évoluait.                                                                      

Alors oui , quand le loner reprend sa tonitruante old black après de telles douceurs bucoliques , on a un peu l’impression que la Deloréane de ce doc canadien nous fait voyager d’époques en époques. La transition n’est pourtant pas totale, des violons campagnards et des chœurs dignes de Lynyrd Skynyrd faisant le lien entre une première partie vintage et la puissance moderne du Crazy horse. J’ai déjà parlé de stars of bethleem dans la chronique de Homegown , on comprend désormais pourquoi le loner refusa de la sortir en 1975. La douceur de ce folk paysan  s’imbrique parfaitement dans ce disque poussiéreux, will to love prolongeant un peu cette grâce acoustique.

Puis vient le sommet d’American stars n bar, un des plus grands rock que Neil Young ait écrit. Like an hurricane est à Neil Young ce que all along the watchtower fut à Hendrix , un sommet indépassable. Avec ce titre, la guitare rock prend une nouvelle dimension, emporte l’auditeur dans un torrent d’émotions d’une intensité rare. Le solo déchirant, allié à la tendresse bouleversante du mellotron , nous fait décoller loin de cette terre dans laquelle les autres titres puisaient leurs racines. Le riff garde cette énergie binaire chère au Crazy horse , mais les solos qui le parcourent font décoller cette énergie dans le cosmos. A la première écoute, le reste de l’album parait bien fade à côté d’un tel sommet de lyrisme.        

Voilà pourquoi American stars and bar est si décrié, le public aurait aimé entendre dix like an hurricane plutôt qu’une telle pépite imbriquée dans un ensemble plus inégal. Mais c’est justement la légèreté de ces autres titres qui permet à like an hurricane de résonner avec une telle force. Il est temps de réhabiliter un disque qui n’a finalement de raté que sa pochette hideuse. Au fil des écoutes, des titres que l’auditeur passa un peu vite se révèlent progressivement, c’est là que le charme de ce disque opère. American stars and bar ne représente pas la fin de l’âge d’or du loner , il en est au contraire le prolongement.   

samedi 3 juillet 2021

Neil Young : Live at massey Hall 1971

 


Il a trouvé la gloire auprès des géants californiens, écrit un des plus grands hymnes pacifistes de tous les temps (Ohio), avant de réinventer le folk rock sur son fidèle cheval fou. En 1971 , Neil Young a sabordé ses plus beaux vaisseaux, coupé les ponts avec ses plus grands collaborateurs pour défendre sa liberté. Crosby Still Nash and Young ne renaitra pas avant 1974,  juste le temps d’une dernière tournée, alors que le Crazy horse fut abandonné sans ménagement. Le roi Young est nu , ce qui ne fait que décupler son charisme. After the gold rush montrait déjà qu’il n’avait besoin de personne pour écrire des mélodies inoubliables.

Quelques mois après la sortie de cet album majeur, notre troubadour congédie tous ses musiciens pour parcourir les routes seul. Dans le Massey Hall de Toronto , ils sont nombreux à attendre le retour de l’enfant du pays. De retour dans son Ithaque , Neil prend place sur une scène aux airs de Colisée. Deux étages permettent aux spectateurs chanceux d’avoir la meilleure vue, les autres devant se contenter d’une fosse placée face à la scène. Cette foule impatiente salue bruyamment l’arrivée de son héros, avant que les premiers accords n’imposent un silence religieux.

Eclairé par un projecteur à la lumière tamisée , le loner ressemble à un ange tombé du ciel. Autour de lui , c’est le noir complet. Pendant un peu plus d’une heure il sera la seule lueur de vie dans ce silence assourdissant, au milieu de ces ténèbres derrière lesquelles la foule communie. Cette intimité gomme toute distance entre l’auditeur et le chanteur, on peut presque entendre ses doigts caresser les cordes. Privé des chœurs grandiloquents de Crosby Sill and Nash , helpless gagne en solennité ce qu’il perd en grandiloquence pop.

Et puis il y a cette voix qui, privée de tout habillage électrique, atteint des sommets de lyrisme. Sans les emportements rageurs du Crazy horse , cowgirl in the sand devient une folk méditative, le rocker se fait barde. Lors de ses concerts au gaslight , Bob Dylan devait déployer une intensité assez semblable à ce que nous entendons ici. Alors que le Zim a depuis longtemps abandonné sa guitare sèche pour les hurlements tapageurs d’un folk électrique, le grand Neil prend sa place de gardien de la tradition folk.

Ses bluettes acoustiques sont les descendantes de « blowin in the wind » et autres « the time they are changin », les mots raisonnent plus fortement quand la douceur d’une guitare sèche les laisse s’épanouir. Profitant de la ferveur d’un public pendu à ses lèvres, Neil Young dévoile une partie de ce qui deviendra l’album Harvest.  A l’écoute de cette première version de A men need a maid , on regrette presque qu’il ait ajouté un orchestre symphonique sur l’enregistrement définitif. Son piano sonne avec une telle pureté, l’intensité de chacune de ses notes est telle, que tout instrument supplémentaire ne pourrait que briser cette harmonie. Heart of gold permet ensuite à celui qui a aussi la country dans le sang de jouer avec la simplicité touchante d’un paysan se détendant après une dure journée de labeur.

Vient ensuite la gravité de the needle and the damage done, spleen d’un homme voyant son ex guitariste se détruire. Pour approfondir le sillon de cette folk tragique, Ohio nous ramène dans cette université où le rêve Hippie fut massacré sous les tirs des flics. Four dead in Ohio pleure notre canadien, l'écho des arpèges décuplant la tristesse de cette sentence.

Dans l’enceinte de ce massey hall , le loner grave son passé dans le marbre et annonce un avenir radieux. Il a su devenir le symbole d’une époque tout en restant le plus grand espoir des jeunes générations, c’est un sage autant qu’un prophète. Le concert qu’il donna au massey hall est sans doute un des plus grands événements de l’histoire de la musique populaire.

Ecoutez ce final sur dance dance dance. Ces mains, qui battent la mesure, telle une énorme pulsation cardiaque faisant vivre une magnifique osmose, c’est ce que la musique a de mieux à offrir.