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samedi 17 juillet 2021

Neil Young : Hawks and Doves

 


Mais quelle mouche a bien pu piquer Bob Dylan en cette fin d’année 1979 ? Il est vrai que, depuis self portrait , les auto-sabordages et virages artistiques incompréhensibles du Zim ne cessèrent d’agacer la critique. Mais, avec ce slow train coming , le barde américain a commis l’impardonnable : installer la religion dans le rock. Il parait déjà si loin le poète libertaire, celui qui annonçait que les temps allaient changer, tout en se moquant des réactionnaires à travers le pitoyable Mr Jones. Dylan n’était pas seulement le représentant d’un certain idéalisme, il en était la figure de proue. La critique n’a jamais fait le deuil de ce poète kerouakien , de ce héros libertaire disciple de Woody Guthrie.

Si seulement il n’avait pas rencontré Johnny Cash, peut-être serait-il encore en train de guider une génération sur fond d’accords électriques ou acoustiques. Toute la partie la plus idéaliste du public maudissait l’homme en noir, qui fut déjà à l’origine du virage country du Zim. La country, cette musique qu’il voyait comme le swing des rednecks réactionnaires. Il fallut que Hendrix repris « All along the watchtower » pour que la critique finisse par avaler la pilule. Mais, non content d’avoir rapproché celui qui devint malgré lui le porte-parole des utopies sixties du petit peuple réactionnaire, Cash prêta à son ami une bible.

La lecture des aventures du petit Jésus eut un effet fulgurant sur le grand Bob, et voilà que sa prose se faisait prosélyte, que son rock s’agenouillait devant « son seigneur ». Il s’identifiait désormais au martyr de Nazareth ? Et bien la critique lui prépara un calvaire sur mesure. Le lynchage de slow train comin est un symbole parmi d'autres d’une certaine critique, qui vit dans le rock un outil de propagande plus qu’une simple musique. On moquait ces refrains dévots, ces paroles de born again illuminé, il fallait tuer cette fièvre mystique dans l’œuf avant qu’elle ne contamine d’autres musiciens. De cette manière, on oubliait de dire que Mark Knopfer sonna rarement aussi bien que sur ce disque, que cette ferveur apportait une nouvelle dimension au gospel rock initié sur street legal.

Toujours dans le sillage de son rival, Neil Young va vanter un autre totem de ce que certains voient comme l’Amérique rance, le patriotisme. La pochette en elle-même fut déjà vue comme une provocation, le loner osa sortir un album emballé dans le drapeau américain. La protestation foutait décidément le camp, l’auteur d’Ohio chantant désormais la grandeur de l’Amérique du nord et la douceur de son mode de vie. Alors on lui chercha des excuses, on voulut voir du second degré dans cette prose patriotique. Malheureusement, la musique était à l’image de ces paroles , le plus américain des canadiens déployant toute la palette du « blues de blanc ».

Le premier titre aurait pu rassurer les auditeurs les plus frileux, Little Wings pouvant entrer dans le rang de ces plus belles mélodies folk acoustiques. On retrouvait le barde chantant dans la pénombre, le hippie fredonnant des refrains doucereux. Aussi gracieuse soit elle, cette introduction n’était qu’une mise en bouche, une petite friandise avant d’entamer les choses sérieuses.  Avec « the old homestead » le loner enfile le costume de John Wayne country folk qu’il ne quittera plus tout au long de l’album. Ressuscitant l’image du vieux cow boy solitaire, il chante cette « attraction » pour l’Amérique légendaire, celle dont son personnage s’éloigna sur son « cheval fou ». Derrière ce conte, la guitare swingue comme une complainte de Blind Willie Jefferson. Un sifflement fantomatique se fait entendre derrière la mélodie, chant des grands hommes enfouis dans cette terre que le chanteur célèbre.

Après avoir entendu un tel titre, reprocher à Neil Young son patriotisme américain parait ridicule. L’histoire américaine a toujours inspiré ses textes et nourri ses mélodies et , qu’il rêve de dormir avec Pocahontas ou qu’il célèbre le courage des pionniers , c’est la même histoire qu’il met en scène. Preuve de cette constance, le bluegrass de captain Kennedy date de 1975 et est issu des mêmes sessions que Pocahontas. 

Toute une partie du public nostalgique des idéaux hippie, voulait que Neil Young reste le moraliste hargneux d’Alabama, l’idéaliste blessé par les violences policières décrites sur Ohio. Mais, si Neil Young exprima sa révolte contre les dérives américaines avec tant de force, c’est qu’il aimait profondément cette terre qui lui a tout donné, cette tradition musicale qui coule dans ses veines. Comme tout grand artiste, le loner n’est pas le porte-parole d’un camp contre l’autre, sa muse est le seul guide qu’il accepte de suivre.

Si la musique est plus importante que la politique, alors Hawk and Doves est un grand album. Si les paroles, qui ne sont pourtant pas dignes du pire redneck , gênent les oreilles les plus endoctrinées , qu’elles se contentent de ce swing de bouge texan , de cette country festive digne des pionniers, de cette folk entêtante qui restera longtemps gravée dans les mémoires. Non, Neil Young n’est pas devenu chauvin, sa muse a juste changé de décor.                                                                                                                                                          

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