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dimanche 25 juillet 2021
Neil Young : Weld
En ouverture , les groupes Social distorsion et Sonic youth préparent les tympans des spectateurs à l’assaut à venir. Dans la foule, les fans les plus puristes sifflent ces bourrins sans finesse, cette soupe industrielle cacophonique. Neil répondra à ces réactionnaires en enregistrant Arc , un amas de sons stridents envoyés comme un bras d’honneur musical. Mais pour l’heure, la puissance des groupes qu’il choisit en ouverture le pousse dans ses derniers retranchements, l’oblige à jouer comme si sa carrière en dépendait. Alors il sortit la grosse artillerie, le mur d’amplis placé au fond de la scène s’avérant encore plus impressionnant que celui de l’époque Rust never sleep. Au pied du canadien est disposée une pédale d’effets permettant d’alterner secousses sismiques et moments de grâce mélodique. Souffler le chaud et le froid, alterner chevauchés guerrières et ballades rêveuses, voilà le génie du Crazy horse.
Influencé par ses disciples , le loner ouvre le concert sur un Hey hey my my particulièrement agressif. Chaos métallique flirtant avec le bruitisme d’un Sonic youth , cette déflagration donne le ton d’une prestation assourdissante. Neil est au sommet de sa puissance heavy rock , chacun de ses riffs est une détonation repoussant tout ceux qui aimeraient le pousser vers la retraite. Puis, pour rappeler qu’il reste le plus grand barde du rock après Dylan , il pose sa rageuse old black sur l’hymne Blowin in the wind. Lancée sur un riff somptueux, cette reprise dépoussière l’héritage des sixties. Derrière l’intensité de sa bonne vieille six cordes, des chœurs majestueux rappellent l’insouciance d’une époque où tout semblait possible. La beauté de cette poésie éternelle pénètre dans les esprits les plus jeunes grâce à un groupe ayant abandonné toute agressivité sans perdre en intensité.
Mais le Crazy horse ne laissa pas les spectateurs s’attendrir trop longtemps. Welfare mother a toujours été une des principaux chevaux de bataille scénique de Neil, il fut pourtant rarement aussi agressif qu’ici. Torturé à grands coups de distorsion, défiguré par la violence de riffs sursaturés, ce boogie sanglant est transcendé à grand coups de riffs proto grunge. Le loner semble enfin avoir absorbé la puissance de ses contemporains , il se nourrit de leur énergie bruitiste. Ce que le Crazy horse n’a pas réussi sur Reactor , il le réussit brillamment sur Weld. Alors que le reste de la scène folk rock exploite tranquillement son fonds de commerce, Neil Young botte les fesses de tous ces traditionalistes fainéants. Un musicien ne peut marquer l’histoire que s'il se sent au bord de l’abime, chacune de ses notes doit être jouée comme c’était la dernière.
A la sortie de ce Weld, on vante la modernité de la prestation , on annonce que son auteur est définitivement entré dans l’époque contemporaine. Lorsque les journalistes viennent demander à Neil Young où il a trouvé un tel son, le loner répond qu’il s’est inspiré du jeu de John Coltrane. Aussi surprenante soit elle, cette déclaration n’est pas un nouveau mensonge fait pour brouiller les pistes. John Coltrane se fit connaître grâce à un jeu si rapide qu’il tissait de véritables tapis de sons. Il ne jouait plus, comme Miles Davis, sur les espaces laissés entre les notes, mais cherchait au contraire à les colmater. C’est exactement ce que fit Neil Young sur Weld , la distorsion et les solos agressifs du canadien remplaçant la transe mystique de l’auteur de A love suprem.
Weld est l’œuvre d’un artiste encore curieux, d’un homme sensible aux évolutions de son époque et assez habile pour se les approprier. Alors que l’on cherche dans les derniers albums de Springsteen ou Tom Petty les traces d’un âge d’or perdu, Weld dessine une nouvelle voie pour le folk rock. Ce live montre un groupe ayant retrouvé toute sa jeunesse explorer des horizons inconnus dans de grandes chevauchées électriques. Parmi les musiciens de sa génération, un seul homme a réussi une telle renaissance, il s’agit bien sûr de Bob Dylan. Alors que Neil se déchaine dans de grandes parades heavy rock , le Zim s’apprête à réexplorer son héritage blues.
Si l’on voulait filer la métaphore jazz, on pourrait dire
que pendant que le canadien développe sa verve Coltranienne, son rival
américain se rapproche du feeling plus cool de Miles Davis. une chose est sûre , Weld fait partie de ces live historiques qui donnent au rock une nouvelle
jeunesse.
vendredi 23 juillet 2021
Neil Young : Ragged glory
C’est une nouvelle vague qui déferle sur le monde, une nouvelle génération reprenant la révolte rock là où le punk l’avait laissé. Il se trouve que cette génération a en commun son admiration pour Neil Young. C’est ainsi que, alors que le grunge s’apprête à conquérir le monde, les Pixies et Dinosaur jr enregistrent l’album the Bridge, dont tous les bénéfices seront reversés à la bridge school de Neil. Flatté par cet hommage, le loner comprend que c’est son refus de devenir un symbole de Woodstock qui lui vaut de tels honneurs. Restés bloqués dans les sixties seventies, Crosby Still et Nash sont en plein naufrage commercial. Neil n’hésite pas à se moquer de cette bande de vieillards nostalgiques , il ira jusqu’à renommer leur dernier album « geriatric revenge ».
Neil est le roi de l’époque et il le sait, même lors de de la sortie de Harvest son influence ne fut pas comparable. Il est surtout conscient que, ce que la nouvelle génération admire, c’est avant tout la puissance saturée qu’il déploie avec le Crazy horse. S'il ne fait par rapidement parler la poudre, cette génération qui pour l’instant le célèbre risque vite de le pousser vers la sortie. Alors, plus de vingt ans après la sortie de Rust never sleep , le loner convoque un Crazy horse revitalisé. Dans le studio d’enregistrement, on laisse les bandes tourner pendant que le groupe feraille comme à la grande époque.
S’imposant depuis quelques jours un programme sportif strict, Neil a désormais le physique d’un bucheron sudiste, ce qui colle parfaitement avec son jeu musclé. Si sur Zuma il semblait déjà soulever des montagnes à chaque riff , ce sont de véritables séismes que sa old black déclenche ici. Saturés par la puissance de ces charges, les amplis semblent au bord de l’implosion, ils n’ont plus connu de telles outrages depuis l’enregistrement de la seconde face de Rust never sleep.
Si l’on en vient souvent à comparer les grands disques du loner avec ce chef d’œuvre , cette comparaison ne fut jamais aussi justifiée qu’ici. Rust never sleep et Ragged glory furent créés pour la même raison, tenir en respect une nouvelle génération particulièrement sauvage. La puissance de Rust never sleep rendait déjà le punk dépassé, la révolte nihiliste des contemporains de Johnny Rotten semblait bien polie à côté d’une telle décharge. Si la supériorité sonore du Crazy horse n’est plus aussi flagrante à une époque où les Pixies annoncent les hurlements de Nirvana, il développe un feeling qui fait résonner chaque note avec une force prodigieuse.
Country home fait renaitre la force rêveuse de Zuma, Farmer john est un boogie blues dopé aux hormones , alors que des joyaux comme Fukin up ou Mansion on the hill réactualisent la folk heavy de Everybody know this is nowhere. Les musiciens retrouvent le plaisir d’une musique simple et sans calcul , la joie de brancher les guitares et d’aller où la muse les conduit. Neil Young n’a pas haussé le ton pour plaire à ses nouveaux disciples, ce son il s’est battu pour l’imposer. Pendant des années, la presse se demanda ce qu’il faisait avec ces bouseux tout juste capables d’aligner trois accords. Beaucoup aurait voulu qu’il reste le génie stonien du Buffalo Springfield ou le poète torturé de Crosby Still and Nash.
Et puis on se mit à se demander ce qu’il était vraiment, avant que cet album ne finisse enfin par répondre à cette question. Aussi versatile soit-il, aussi géniales que furent ses expérimentations, le canadien est avant tout un rocker et le Crazy horse reste son groupe emblématique. D’ailleurs, dès qu’il s’est éloigné de son cheval fou, il s’est aussi éloigné du rock. Il le quittait pour se rapprocher de la country , du blues , de la folk , mais jamais pour trouver mieux ailleurs.
Se connaissant par cœur , les musiciens célèbrent l’hommage que leur rend l’époque dans de grandes improvisations. Particulièrement brillante sur Love and only love , ces passes d’armes sont des Vésuves dont les solos constituent les éruptions. La parade glorieuse se termine sur Mother earth , puissante ballade dotée d’un riff que n’aurait pas renié Hendrix. Voilà le génie de Neil quand il rejoint son fier destrier : la mélodie.
Les amplis ont beau être saturés par la puissance de ses accords,
les murs ont beau être secoués par de telles décharges, cette puissance garde
une grâce que les contemporains des Pixies sont incapables de reproduire.