Rubriques

vendredi 10 janvier 2020

Jimi Hendrix : Songs From The Groovies Children


L’histoire qui vous est raconté ici est celle d’un producteur comme on en fait plus , d’un guitariste au parcours météorique , le tout sur fond de musique mal aimée.
On décrit souvent Bill Graham comme « l’inventeur du rock business », cette affirmation n’est juste que si l’on a une vision idéalisée de celui-ci. Le rock business, c’est celui qui a multiplié par 100 le prix d’une place de concert en quelques années, nous rappelant au passage que les rockers pouvaient voir un Springsteen en pleine gloire pour une bouchée de pain dans les années 60-70.

Bill Graham était l’inverse de ces business men, pour qui la loi du marché prime sur le plaisir. De l’argent il en faisait, et pas qu’un peu, mais il le faisait en offrant une expérience unique à ses spectateurs. Tapis dans l’ombre, c’est lui qui permettait aux groupes invités de bénéficier de la meilleure sonorisation , et qui n’hésitait pas à injurier les artistes refusant de faire un rappel.
Issu du milieu théatral , il voyait le rock comme un nouveau moyen de faire rêver les gens , et se mettait entièrement au service des artistes et du public. Toujours à l’affut, Graham réussit même à faire venir dans son fillmore un Otis Reading en pleine gloire, qui donna un concert bouillant.
A force d’efforts , sa salle est devenue une institution , et un lieu privilégié pour les concerts des frères allman, ce qui est déjà beaucoup. Lorsque Hendrix foule la scène de cet endroit, où les jeunes viennent découvrir la musique de demain, il n’est déjà plus aussi unanimement salué.
Les origines de ce passage à vide remontent en 1965 lorsque , en plus de son contrat pour l’experience , Hendrix signe un contrat avec PPX entreprise , la société du producteur Ed Chaplin. Naïf , Hendrix pensait que ce contrat ne pourrait concerner que ses œuvres solo, et, quand son groupe devient culte , Chaplin vient lui rappeler ses obligations ainsi que la clause d’exclusivité de son contrat.

Alléché par le succès acquis par le vodoo child, il menace de le poursuivre devant les tribunaux si celui-ci ne répare pas le « dommage » que constituent ses trois albums produits par EMI. Soucieux d’éviter une procédure longue et couteuse, surtout au moment où ses gains partent en grande partie dans la construction de son studio « electric ladyland », Hendrix accepte de céder tous les droits de son prochain album , qui sera publié par la société de Chaplin.
Démotivé par ces méthodes de mafieux, Hendrix ne trouve plus l’inspiration, et semble sans cesse repousser la date de sortie d’un disque qui devient vite un boulet. Pourtant, il souhaite retourner sur scène , et le fera avec Buddy Miles.
Agé d’une vingtaine d’années, Miles fait partie de ces batteurs dont la légende oublie trop souvent le nom. En compagnie de Mike Bloomfield, génie du blues traditionnel, devenu le père du psychédélisme grâce au second album du Paul Butterfield Blues Band, il produit le premier album de l’electric flag.

Considéré comme un des disques les plus importants de l’histoire du blues rock , il montre un batteur dont les racines baignent dans la culture musicale afro américaine. Le blues rencontrait la rythmique groovy du funk, dans un brasier d’autant plus unique que le groupe se décomposera après sa production.
Il est aussi présent sur certains titres d’electric ladyland , l’album qui imposa définitivement Hendrix comme le dieu d’un nouveau culte du guitariste soliste. Le duo s’adjoint les services de Billy Cox , et les black panthers voient dans cette formation 100% afro Américaine un signe de ralliement à leur cause.

Hendrix démentira. Bien qu’il partage certaines idées du mouvement, il ne mélange pas musique et politique. Cette histoire, le public la connait déjà, et la critique s’empresse de fustiger le héros qu’elle a tant adoré. Pour elle, ce groupe neo funk n’est rien d’autre qu’une bande de fonctionnaires chargés de maintenir une idole vacillante. Les critiques seront encore plus violentes lors de la sortie du live « band of gypsys », chef d’œuvre massacré parce qu’il servait aussi, et surtout, à libérer Hendrix de la pression mise en place par Chaplin.
Et oui, ce disque était un chef d’œuvre, le véritable dernier album d’un guitar hero cosmique qui ne tardera pas à tirer sa révérence. Son parcours est d’ailleurs annonciateur de celui de Deep Purple et Led Zeppelin, deux groupes qui concrétiseront la déflagration sonore qu’il initia. Le plan d’attaque était simple , partir du blues pour l’atomiser , avant de visiter les territoires funks dans une grande danse sauvage.

Vous trouvez cette comparaison fantaisiste ? Alors démontrez moi que Led Zeppelin I et In Rock ne sont pas les lointains échos de are you experience, et que les rythmes dansants de house of the holy et burn ne sont pas nourris par les vibrations du band of gypsys.
Hendrix avait montré la voie, et le live band of gypsys était aussi essentiel que les œuvres l’ayant précédés. Voilà pourquoi ce coffret , regroupant tous les concerts donnés lors de ce réveillon historique de 1970, est une relique que tout rocker un peu sérieux se doit de vénérer.
Dans la salle emblématique du San Francisco sound , l’ange Hendrix est libéré par la rythmique irrésistible de Buddy Miles. L’homme s’apparente à John Bonham lâché au milieu de la célébration dansante de Sly and the family Stones , le groove incarné par une frappe autoritaire et métronomique.
Dans ce cadre, power of soul, qui ouvre le premier concert, est une véritable célébration orgiaque. Sachant se faire discret malgré leur brio rythmique, Cox et Miles laissent Hendrix emmener son public au cœur de cette énergie blues soul. Il redevient ainsi le pyrotechnicien mystique qu’il fut à ses débuts, ses solos sonnant de nouveau comme des éruptions grandioses.

Il réinvente ses plus grandes créations, soumettant « foxy lady » ou « stone free » à une rythmique plus carrée, comme si cette rigueur bluesy sublimait les brûlots funk « eazy rider » et autres « burning desire ». Et puis il y’a « changes » , le moment de gloire d’un Miles qui en profite pour tester un futur classique de son prochain disque.

Mais bien sûr, on retiendra surtout cette guitare électrique lançant des torrents de notes, qui coulent avec la limpidité d’un fleuve lumineux, rapprochant le voodoo child de James Brown. Plus qu’un retour du guitariste auprès de ses racines afro américaines , ce coffret montre un explorateur musical s’aventurant sans filet sur des chemins que suivront encore une hordes d’artistes jusqu’à nos jours.

mardi 7 janvier 2020

Allman Brother Band : Live At Fillmore West 71



Qu’un live pareil puisse sortir dans une telle indifférence ne peut que m’étonner. Juste promu sur le site du magazine soulbag , cette prodigieuse relique n’a même pas donné envie à rock et folk de replonger dans les effluves hypnotiques de la salle de Bill Graham.

Les frères Allman sont pourtant un maillon indispensable de la mythologie rock , un groupe lançant toute cette vague dite sudiste. Autant bercés par le rock anglais que par le blues , les enfants de Lynyrd n’atteindront jamais cette pureté ancestrale , que les allman ont forgée lors d’années passées comme musiciens de studio et sur scène.

A leur début, ils furent les extraterrestres plongeant dans un monde qui n’était pas le leur. Dans un soucis de séduire un public bercé par les douceurs pop , les frères Allman forment leurs premiers groupes , et balancent une pop bancale en première partie de buffalo springfield , moby grape , jefferson airplane ou le grateful dead. San Francisco s’épanouit sous les refrains fascinants de ses enfants psychédéliques, mais Duane Allman ne se sent pas à sa place au milieu de ces délires sous LSD.

Sa vocation, il l’aura lors d’un concert de Taj Mahal, grande figure de Harlem venu promouvoir le blues le plus pur. Là accompagné de Ry Cooder et Jesse Ed Davies , Mahal livre un stratesboro blues venu des rives du missisipi , l’expression la plus rustique de cette puissance lyrique, qui fait la force du vrai blues.

C’est donc ici , dans cette petite salle où résonne le blues originel , que nait la vocation de Duane Allman , vocation qui engendre la naissance de l’allman brother band. A ce titre, le premier album du groupe est un véritable manifeste, Gregg Allman inscrivant ses râles dans la longue tradition de Muddy Waters et autres Bo Diddley, pendant que la main de Duane s’approprie leur feeling rustique, avec un groove cotonneux capable d’incérer ce son dans cette époque de révolutions sonores.

Les débuts sont discrets, le groupe effectuant la première partie du Velvet Underground, dont le son est loin d’attirer les foules. Encore une fois, le décalage entre les allman brother et le groupe qu’ils soutiennent est saisissant. Le Velvet est un gang clairement avant gardiste , où les instrumentaux minimalistes créent un contraste fascinant avec les textes fouillés écrits par Lou Reed. Le Velvet était un phare au milieu du désert, il annonçait l’avenir alors que tout le monde commençaient à peine à savourer les splendeurs contemporaines, et les textes de Lou parlaient de déchéance alors que tous aspiraient à une transcendance mystique. 

Les Allman aussi étaient en décalage, mais dans le sens inverse, leur musique prônant un certain retour à la terre, alors que leurs contemporains n’étaient pas prêts à redescendre de leurs sommets mystiques. Et pourtant, les ventes du second album décollent et atteignent le top 40 Américain, permettant ainsi au groupe de fouler la scène du Fillmore.

On a assez parlé de leur passage au Filmore East , immortalisé par un album dantesque , véritable relique à la gloire de cette grandiose tradition musicale américaine. Et bien, au risque de détruire tout suspense, ce live at fillmore west est au moins aussi bon que son grand frère, sorti plus de trente ans avant lui. 

Si la set list reste quasiment la même sur les trois show que propose le coffret, le groupe fait de chaque interprétation un moment unique. Pour les frères Allman , le blues est un vaisseau fascinant, qu’ils prennent sans savoir où ils vont le mener.

Les jams à rallonge célèbrent le doigté somptueux de celui que beaucoup commencent à appeler « skydog » , pour décrire cette capacité à planer lors de jams qui sont autant de rampes de lancement pour ses solos blues/jazz.
Sur Stratesboro blues , la slide chaleureuse de Duane le ramène dans cette salle, où Taj Mahal lui a révélé sa vocation. Vocation qu’il se plait désormais à étirer , rallongeant ses solos comme pour en extraire la musique la plus pure , le parfait mélange de tout ce que la musique Américaine à produit de grandiose.  

Malgré le rythme infernal des tournées , malgré une vie menée à 100 à l’heure et son addiction aux drogues dures , Duane est ici plus flamboyant que jamais , comme si c’était son âme plus que sa faible carcasse qui s’exprimait à travers ses notes flamboyantes.

Quelques mois après ces concerts , alors qu’il ignore les limitations de vitesses au volant de sa Harley, l’un des plus grands guitaristes que cette terre ait porté trouve la mort sur la route. Si l’allman brother band connaîtra une seconde partie de carrière plus qu’honorable, il n’atteindra plus jamais la pureté traditionnelle contenue sur cette archive, et que son guitariste a emporté avec lui.
          

samedi 4 janvier 2020

Pink Floyd : Atom Heart Mother


Résultat de recherche d'images pour "pink floyd atom heart mother"

Régulièrement, arte diffuse un documentaire sur les Beatles retraçant les grandes heures de la beatlemania. Comme pour signifier la fin de cet âge d’insouciance, le film se conclut sur les images de l’enregistrement de « a day in the life ». Ce passage impressionnant donne l’impression d’être dans le studio, et nous permet de mesurer toute la portée historique de ce moment, lorsque l’orchestre se met à jouer sa grandiloquente partie.

Point d’orgue d’une grandiose fresque pop , « a day in the life » montrait le chemin à une jeunesse désireuse de repousser les barrières du rock. Pendant ce temps, les floyds ont sortie Ummaguma , disque foncièrement expérimental, qui s’inscrivait dans la logique de « tomorrow never know ».

« Ummaguma , l’album à la vache », je me permets de citer cette erreur de Houellbecq , car elle démontre bien tout le mépris qui entoure encore « atom heart mother ». Il faut dire que le floyd a atteint un premier sommet spatial avec son second disque , et les somptuosités atmosphériques de set the control from the earth to the sun annonçaient des merveilles que les fans ne voulaient pas abandonner.

Les plus snobs préfèreront l’avant gardisme alambiqué d’Ummaguma , les autres se délecteront de la transe acide de « a saucerfull of secret », mais chaque glissement en dehors de ces nouvelle balises sera pris avec méfiance.

La première rencontre du floyd avec la musique symphonique date de 1969, année où le London philarmonique orchestra les a rejoint sur la scène du royal albert hall. Ayant pris goût à ce raffinement musical , Pink Floyd sollicite l’aide du compositeur écossais Ron Geesin , avec qui ils ont travaillé sur la musique du film « the body ». Comme la bande de Roger Water ne sait pas écrire la musique , elle compte sur le compositeur écossais pour lui concocter la partie orchestrale de la bande qu’il lui offre comme support.

Trompettes et trombones introduisent le morceau titre de façon solennelle, bientôt rejoint par le groupe, qui tisse sa fresque épique, les bruitages sonores nous plongeant en plein champs de bataille. Le second mouvement part ensuite vers des contrées plus planantes, porté par la douceur du violoncelle , avant que Gilmour ne hausse le ton, le temps d’un solo soutenu par des cuivres grandiloquents.

On revient ensuite à une atmosphère plus méditative, le mouvement suivant s’annonçant comme un grand crescendo, où la voix d’une choriste semble déjà venue de cette « face cachée de la lune », que le groupe ne tardera pas à explorer plus profondément.

Basse funky , sons déformés , le tout relié par des cuivres , le titre atom heart mother va bien plus loin que la pop vaguement symphonique de son époque. Cette œuvre ambitieuse, long écho de la fièvre créatrice de « a day in the life », achève d’imposer la pop comme une musique sérieuse. Ce concerto atmosphérique, auquel une part du public ne pardonnera jamais son côté symphonique, est un sommet unique dans la carrière du floyd, une beauté foisonnante que le groupe ne reproduira plus.

La face B , composée de cinq chansons pop raffinées , ne semble faite que pour prolonger l’écho de cette symphonie atmosphérique. Atom heart mother n’est pas seulement un grand disque de rock, c’est le virage magnifique d’un groupe qui a transcendé les tendances de son époque.

Un « album à la vache » que la plupart de ses descendants ne feront que caricaturer.        


jeudi 2 janvier 2020

MINISTRY : PSALM 69 (1992)


FORMATION
Al Jourgensen : chant, guitare, synthé
Paul Barker ; basse, programmation
Bill Rieflin : batterie
Mike Scaccia : guitare
Michael Balch : claviers, programmation
(et de nombreux invités)

Fondé en 1981 par Al Jourgensen, Ministry au départ, était un obscur groupe de new wave / synth wave sans réel talent et leurs premiers enregistrements par vraiment convaincants ne présageaient rien de bon (on ne peut pas dire que With Sympathy et Twitch aient soulevé les foules). Puis Al Jourgnsen et Paul Barker (qui a rejoint le groupe en 1986) ont évolué vers une musique plus industriel, plus métal mais avec toujours des influences assez « synthétiques ». Après deux albums intéressants mais pas complètement aboutis ("the land of rape and honey" et "the mind is a terrible thing to taste" qui comporte le très bon "Thieves" qui annonce la couleur à venir) Ministry décolle enfin et arrive en 1992 avec un nouvel album qui s'avère être un chef d'œuvre du genre.

En général, au départ je ne suis pas un grand fan des machines, le rock se devant avant tout de rester une musique basée sur la batterie, la basse et la guitare.
Mais les samples, bien utilisés peuvent, comme les synthés d'ailleurs, amener un vrai plus. Et c’est le cas ici.
Il y a bien des samples - assez réussis – mais qui osera dire que Ministry ne joue pas du rock ; ils sont même en plein dedans tant pour les textes sulfureux que pour la démesure sonore (et puis Ministry est avant tout un groupe guitare/basse/batterie).
Les samples et autres bidouillages électroniques n’étant qu’en toile de fond pour augmenter le côté bizarre et oppressant des compositions.

Ce petit côté industriel de la musique va également bien avec le côté sulfureux qui groupe : halluciné, anticonformiste, provocant et grands consommateurs de substances illégales notamment Al Jourgensen et son look de hippie freak sous acide qui ne s'en cache pas.
La première face et notamment les quatre premiers morceaux sont fabuleux et hallucinants, d'une créativité proche du chaos, un bordel fabuleux : "N.W.O" / "Just one fix" (avec en guest star l'écrivain poète beatnik junkie défoncé William Burroughs qui s'invite et déboule pour l'intro du morceau) / "TV II" (presque du black métal avant l'heure) / "Hero". Gros riffs, guitares en furie, tempo rapides, samples efficaces, refrains qui rentrent dans la tête pour ne plus en sortir, voix ténébreuse et malsaine à souhait...Du grand art.


Sur "Jesus built my hotrod" le groupe est carrément sous amphétamine, un morceau, sautillant, qui explose dans tous les sens. Du blues ultra speedé comme rarement entendu !
Le métal industriel (je n'aime pas trop ce terme) est vraiment né avec cet album. "Psalm 69" donne ses lettres de noblesses au genre.
Jourgensen et sa bande sont à leur apogée, les titres s'enchainent sans temps morts, rien à jeter que du très bons (les titres "Psalm"  69 où Ministry s'en prend à la religion et "Corrosion", répétitif à souhait, sur la face 2 - légèrement plus calme et plus lourde - un peu différents sont tout aussi efficace par leur puissance métallique et hypnotique. Sur "Psalm" 69 toujours ces samples diaboliques qui font la différence . Sur "Corrosion" le chaos semble tout proche). 9 titres, 9 missiles, 9 classiques.


Le sommet de la carrière du groupe qui ensuite sortira les honorables « Filth pig » et « Dark side of the spoon » mais sans atteindre le niveau, la puissance et la démesure de ce « Psalm 69 ».
A noter que le groupe a collaboré dans les années 90 a collaboré avec Jello Biafra (chanteur de Dead Kennedys) au sein de Lard pour sortir quelques enregistrements des plus intéressants notamment « The last temptation of reid »
Décidément 1992 est une année bien riche pour le rock « alternatif » au sens large avec Nirvana « Nevermind », Alice in Chains « Dirt » , le premier album de Rage Against the Machine, Helmet « Meantimes » et bien sur Ministry).
Jeter absolument une oreille à cet album qui sonne différemment de tout ce qui pouvait se faire à l'époque et qui est vraiement le précurseur d'un mouvement à venir. Un album phare de la décennie 1991/2000.

Pink Floyd : A Saucerful Of Secrets


Résultat de recherche d'images pour "pink floyd a saucerful of secrets"

Et le guide se perdit dans les collines de sa psyché contrariée. En pleine tournée Américaine, celui qui avait créé la magnifique matière expérimentale, qui compose the pipper at the gate of dawn, n’est plus capable de tenir son rôle de leader. Assommé par sa consommation massive de LSD , Barrett oublie sa guitare avant d’entrer en scène , où il reste parfois figé comme un pantin désarticulé.

Ses collègues l’incite à consulter un psychologue , qui lui diagnostique une schizophrenie, le groupe est désormais obligé de se séparer de celui à qui il doit sa fulgurante ascension. Pour éviter une séparation douloureuse, pink floyd pense d’abord recruter un guitariste pour épauler son leader défaillant. Le nom de Jeff Beck est évoqué, mais c’est rapidement David Gilmour qui s’impose comme une évidence.

L’homme est proche de Syd Barrett et des autres musiciens, et accepte rapidement une proposition qu’il voit comme une occasion inespérée de faire décoller sa carrière. Sur scène, il ne côtoiera Barrett que quelques jours, son état déplorable obligeant le groupe à le renvoyer définitivement. A saucerful of secret marque donc une nouvelle ère pour le floyd, d’autant que Barrett n’a participé qu’à un seul de ses titres.

 « let there be more light » , qui a la lourde tâche d’ouvrir ce disque charnière, est un formidable manifeste. Composé de trois parties, le titre remplace la pop séduisante de Barrett par une ambitieuse fresque musicale, qui demande plusieurs écoutes pour dévoiler toutes ses qualités.

A saucerfull of secret est largement marqué par l’arrivée de Gilmour , dont la virtuosité incite le groupe à partir sur des chemins moins balisés , à quitter les sentiers battus du rock expérimental pour ouvrir les portes du cosmos. Véritable musique d’architecte, les titres du floyd deviennent des édifices complexes et tortueux, qui trouvent leur sommet avec set the control of the heart of the sun et le morceau titre.

Symphonie spatiale, fresque sonore capable de faire voyager les esprits , ces titres ont aussi suscité l’incompréhension de Norman Smith. Encore marqué par les codes de la pop , fusse t’elle expérimentale , l’ex producteur des beatles ne comprend pas ce morceau à rallonge, où le floyd manie les sons comme un alchimiste fou.

C’est que, après avoir compacté l’inventivité progressive sur des pastilles de quelques minutes, le floyd définissait les codes de la génération suivante, en rallongeant le format de la chanson pop. A ce titre , « set the light for the heart to the sun » est un véritable guide du futur prog rocker . A la composition, Waters imagine un poème hallucinant nourri par la science-fiction de Mickael Moorcock. Pendant ce temps, Nick Mason développe un jeu jazzy renforçant la transe méditative mise en place par ses collègues.

Si set the light for the heart of the sun est surtout le fruit de l’imagination de Roger Waters, il ouvre la voie au premier chef d’œuvre collectif du groupe, le monumental morceau titre. La première partie de ce requiem plonge l’auditeur dans un univers angoissant et solennel. Nous entrons dans un univers inconnu, et la mélodie semble représenter les turpitudes du voyageur égaré. Des tambours tribaux forment ensuite une rythmique spatiale angoissante, qui monte dans un crescendo hypnotique.

Puis, une éruption lointaine sert de fond sonore à un final plus apaisé, une mélodie complexe et fascinante née du chaos. Le ver symphonique était définitivement entré dans le fruit rock, et ce titre est l’édifice fascinant à partir duquel le prog construira sa légende.

On peut encore reprocher au floyd de rebasculer dans un format plus « basique », les autres titres montrant encore cet attachement à une pop fouillée typiquement britannique. Mais le nouveau floyd naissait véritablement sur ses requiems alambiqués , laissant son ex leader fermer le premier chapitre de sa carrière sur le final « jugband blues ».

Le roi Barrett se meurt, mais sa chute permet la naissance d’une nouvelle légende aussi flamboyante que la première.         

lundi 30 décembre 2019

Pink Floyd : The Pipper At The Gate Of Dawn


Résultat de recherche d'images pour "pink floyd the pipers at the gates of dawn"

Si le blues fut, dans les premières heures, la matière vitale qui permit au rock de libérer la jeunesse des années 50, les sixties s’émanciperont de ce vieux totem libérateur. Certes, les floyds payèrent leur dû au dieu blues, Barett ayant passé ses débuts de musicien en jouant come on des stones.

Sauf que les floyds avaient des horizons bien plus vastes, Water étant d’avantage attiré par le jazz de Mingus que par les tubes de la Motown. Les floyds dès leur début, sont les instruments d’une histoire qui dépassent leurs propres influences, et qui devient légendaire dès l’ouverture de l’UFO. Diminutif de « underground freak out », la salle est l’équivalent anglais de ce camping-car américain conduit par la bande de Ken Kesey.

Dans cette salle, le rock ne célèbre plus la libération de la jeunesse et des corps, mais invite le public à un voyage spirituel, porté par une musique ambitieuse. Responsable des effets scèniques ,Mike Leonard construit une roue faite de cellophane de couleur , et qui tourne devant ses spots, pour créer un décor hypnotique. Le succès est rapide, et après avoir essuyé un refus de la part d’Elektra , le floyd est récupéré par EMI, qui lui offre les services du producteur Norman Smith.

Ce producteur fait partie des hommes de l’ombre auquel on rend trop rarement hommage. C’est pourtant lui qui , déprimé par le conformisme d’artistes se contentant de reproduire le son de la motown , a encouragé les Beatles à s’intéresser aux possibilités offertes par les studios d’enregistrements. Avec le groupe de Syd Barrett , il joue le même rôle modeste, et se  contente de soutenir l’intérêt du groupe pour les techniques de studio , et de l’aider à réaliser les fulgurants délires musicaux de son leader.

Si tous s’accordent pour considérer les sixties comme l’apothéose créative du rock , alors 1967 est son point d’orgue. Coté anglais, les Beatles ont repoussé les possibilités du 33 tours avec revolver , et s’apprêtent à enfoncer le clou avec « sergent pepper ». Les stones ne sont pas en reste, et soumettent les vapeurs psychédéliques à leur groove bluesy sur aftermath et beetween the button.

Côté américain, le prophète Dylan a guidé ses disciples sur le chemin de la folk électrique, blonde on blonde s’affirmant comme l’apothéose lumineuse d’une trilogie indépassable. Ses rejetons les Byrds ont tracé le même chemin, avec une sensibilité plus pop , et leur premier disque est la base raffinée à partir de laquelle des musiciens comme Tom Petty, ou Jackson Brown, baseront une carrière exemplaire.

Et puis le son de San Francisco commence à déployer ses ailes, le jefferson airplane lançant ses plus grands slogans peace and love. Si on admet que le rock fut, en majeure partie , une grande guerre culturelle entre l’amérique et la perfide Albion , alors « the pipper at the gate of dawn » lance la vibrante réponse des anglais aux réveries psychédéliques des américains.

Pierre angulaire du rock progressif, le premier essai du floyd est le chef d’œuvre de Syd Barett , dont les textes issus de la littérature enfantine ou de science fiction posent les bases des rêveries progressives. En studio, le floyd laisse sa spontanéité s’exprimer, polissant son œuvre lors de 50 sessions d’enregistrements, pendant que Norman Smith remet de l’ordre dans ses expérimentations alambiquées.

L’enregistrement ne vise plus à trouver le refrain le plus entraînant, où à balancer à la va vite une ritournelle sensée marquer l’esprit des baby boomers , mais à laisser l’auditeur scotché par la richesse du son produit.

« the pipper and the gate of down » est un voyage introspectif, représentant toute la palette des émotions que Huxley résumait dans « les portes de la perception ». Plus féroce, « astronomy domine » et « interstellar overdrive » inventent le carburant qui permettra à Hawkwind de décoller vers des planètes musicales inexplorées. La basse est déjà jouée comme une guitare, et la musique gronde comme une fusée en plein décollage. Considéré comme la base du space rock , « astronomy domine » montre aussi le pessimisme d’un Barett qui arrive déjà à la fin de son parcours météorique.

Inspiré du générique de la série Batman , « Lucifer Sam » est porté par un riff monstrueux réinventant les codes du blues. Le floyd revient ensuite à la finesse pop célébrée par les Beatles et les beach boys , qu’ils semblent défier avec les mélodies de flaming , ou les chœurs de matilda mother.

Le fait que le groupe de John Lennon enregistre « lovely rita » dans le studio voisin a sans doute influencé l’expérimental pow r toc h, dont les bruitages font clairement penser aux fantaisies beatlesiennes. Le floyd partage aussi cette fascination pour Tolkien, que les beatles tentèrent d’adapter en film dès les années 60, et qui inspire à Barrett le récit enfantin de the gnome.

Tendre poésie portée par la douceur d’une guitare acoustique, tout juste rehaussée ici et là par un clavier qui carillonne tendrement, le titre ouvre une seconde face marquée par les rêveries juvéniles chères à Syd Barett.

On peut voir, dans son texte mystique ou fantastique, la sève virtuose qui nourrira l’arbre progressif, auquel le floyd donne ici ses premières lettres de noblesse. Album fondateur , « the pipper at the gate of dawn » est un voyage foisonnant , annonçant brillamment le passage de la pop classieuse à une musique plus « adulte ».

Elvis libérait les corps, Dylan a libéré les âmes, et le floyd terminait le processus en nourrissant les rêves. Alors qu’attendez-vous pour vous laisser porter ?        
        
    

vendredi 27 décembre 2019

Black Sabbath : Paranoid




Résultat de recherche d'images pour "black sabbath paranoid"

1970 : Le rêve hippie est déjà bien amoché, blessé sérieusement par le chaos d’Altamont , et le retour à la terre de groupe San Franciscain, qui se trouvent une passion pour les rythmes poussiéreux de la country. Le premier album du sabb représentait magnifiquement cette désillusion, le pacifisme avait échoué, et le ton devait désormais se durcir. En une journée , black sabbath a lancé un premier pavé incroyablement puissant, gommant toute trace de rêveries pour entrer dans un cauchemar folklorique.

Ils étaient plus lourds que led zeppelin , plus sombres que n’importe quel groupe , et offraient au public la bande son idéale pour oublier le prog déjà décrié , et le psyché sophistiqué. Cela fait beaucoup , surtout pour un disque enregistré en une journée dans un studio des plus basiques.

Du coté des média , qui ont toujours eu un train de retard , on s’empresse d’accuser le groupe de satanisme , soulignant qu’ils utilisaient à outrance « l’accord du diable ». Cet arrangement fut d’abord qualifié ainsi par les illuminés, pour vomir leur haine du blues.  Avec le sabb, il annonçait une autre voie.

Les musiciens du groupe sont aussi catholiques, et cette propagande ne les laisse pas insensible, poussant Ozzy à porter une croix chrétienne à chacune de ses apparitions. L’agenda du groupe, boosté par les ventes du premier album, est plein, et black sabbath entre dans la sainte trinité du hard rock naissant : led zepp , deep purple , black sabbath.

Le second album sera enregistré en seulement quatre jours, mais le titre est d’abord refusé par le patron du label. Choisi en référence au titre le plus engagé du disque, war pigs aurait pu froisser une Amérique engluée dans son intervention au Vietnam, c’est donc le plus consensuel paranoïd qui est choisi pour représenter le disque.  

Après un premier disque résolument hard blues, malgré une ambiance de fin du monde annonçant l’assaut des disciples du métal morbide, paranoid fait entrer le sabb dans la mêlée des prophètes du riff chromé.

Ce disque est le plus direct, le plus tranchant, et le plus rock du groupe d’ozzy, qui laisse un peu sa noirceur de côté pour riposter aux décharges rythmiques de la secte du pourpre profond. En un seul album, le sabbath noir fait déjà le tour de cette folie en trois accords explosifs qui réunit des groupes aussi divers qu’ACDC , led zeppelin , Aerosmith …

Avec sa guitare sonnant comme une sirène pacifique, war pigs est le seul titre se rapprochant de la solennité du premier album. Prêcheur de l’apocalypse, Ozzy décrit crûment la violence de la guerre et de ses dirigeants « traitant les gens comme un amas de chair et d’os ». On peut y voir un parallèle avec le immigrant song de led zeppelin , qui était lui aussi un titre de transition ouvrant la voie à un nouveau son.

Si le titre du zepp paraissait plus guerrier que le manifeste presque peace and love déclamé par Ozzy , c’est que l’invasion préparée par le groupe est surtout annoncée par sa musique. Sèche et brutale, la batterie de Bill Ward entre dans cette guerre explosive que se livrent les batteurs, depuis que Bonham a redéfini les codes du genre.

Chaque martellement est une explosion annonçant les éruptions électriques balancées par Iommi. Guerrier à six cordes, le moustachu maléfique balance ses plus belles flèches, jouant sur les tempos pour mieux marquer le hard rock au fer rouge.

Le passage le plus culte reste bien sûr Iron Man, riff pesant entretenant ses résonances comme autant de secousses sismiques , pendant qu’Ozzy souligne la profondeur dévastatrice d’une guitare sortie des limbes.

Paranoid est le seul véritable passage du sabb sur les terres de plus en plus fréquentées du hard rock, sa musique n’est pas une introduction , elle dit déjà tout en huit titres. Certes, des titres comme paranoid ou farries were boots semblent déjà hacher le blues avec une violence rythmique irrésistible, mais ce n’est qu’une nouvelle version de cette réactualisation annoncée par led zeppelin sur ses deux premiers album. Le sabb joue d’ailleurs, lui aussi, sur les contrastes, mais ses cassures rythmiques sont plus sèches, comme si la moindre harmonie pouvait casser cette tension qui lui sert de moteur.

Et c’est précisément cette tension , exprimée ici de la façon la plus tranchante , qui ne fera que s’alourdir au fil des mois , obligeant black sabbath à quitter les rives d’un heavy rock dont il avait déjà fait le tour sur ces huit titres monumentaux.