Rubriques

dimanche 7 avril 2019

Captain Beefheart and his Magic Band : Trout Mask Replica (1969)







En voilà un album clivant. Pour certains c'est un coup de génie, pour d'autres c'est une faste fumisterie. Personne ou presque ne se situe entre les deux.


« S'il existe une seule chose dans l'histoire de la musique populaire qui puisse être décrit comme une œuvre d'art, au sens compris par ceux qui travaillent dans d'autres domaines de l'art, Trout Mask Replica est probablement cette œuvre. » John Peel


On ne peut pas comprendre Trout Mask Replica sans savoir qui est derrière. Captain Beefheart, né Don Glen Vliet mais se faisait appeler Don Van Vliet. il aurait rajouter le Van pour marquer ses origines néerlandaises. Passionné par l'art il rencontre à l'université celui qui deviendra son ami et complice musical, Frank Zappa. Les deux hommes vont se découvrir un amour commun du rhythm and blues. C'est à cette époque qu'il trouvera son nom de scène venant du scénario d'un film écrit en commun et qui ne verra jamais le jour : Captain Beefheart vs. the Grunt People. Le Capitaine Coeur de Boeuf était né. Il commence à jouer avec Zappa et en 1965, il est contacté par un guitariste de Blues, Alex Snouffer avec qui il forme un groupe, c'est la naissance du Magic Band. Plusieurs autres membres rejoignent le groupe dont un jeune Ry Cooder. Après plusieurs changement de line up, John French arrive à la batterie. Il sera l'un des plus fidèles compagnons de travail du Captain, restant jusqu'en 71 dans le Magic Band. En 1967, sort Safe as Milk, le premier album du groupe très marqué par le Blues. En 1968, c'est Strictly Criminal, dans la mouvance Blues aux influences psyché. L'album retouché par le producteur n'a pas plus au Captain qui s'est senti trahi. Il part s'isoler quand son pote Zappa lui propose de faire un album ensemble

Mais en 1969, c'est un tout nouveau Magic Band articulé autour de Beefheart et de French qui prépare un double album de 28 titres. Les musiciens sont tous affublés d'un pseudonyme : John French devient Drumbo, Bill Harkleroad devient Zoot Horn Rollo, Jeff Cotton devient Antennae Jimmy Semens, Mark Boston devient Rockette Morton et Victor Hayden (c'est le cousin de Beefheart) devient Mascara Snake. A partir de là, Beefheart se lâche totalement pour accoucher d'un album avant-gardiste influencé par le mouvement Dada.

A partir de là, avec l'aide de Zappa, le Magic Band et son leader vont aller plus loin, a l'époque, que n'importe qui dans l'histoire de la musique populaire.

La pochette est réalisé par Carl Schenkel, un vieil ami du Captain. Beefheart porte un manteau, un chapeau avec un volant de badminton sur le chapeau. Puis sa tête est remplacé par une tête de poisson. Si le titre de l'album est "Trout Mask Replica " (Réplique d'un masque de truite en Français), le poisson présent sur la pochette est une carpe. Plus précisément une tête de carpe acheté chez un poissonnier, vidée et collé sur la tête de Beefheart. La main droite tient la tête en même temps car elle était trop lourde pour tenir toute seule. Le tout est sur un fond magenta. Juste à la pochette on sait qu'on va voyager dans un autre monde, très loin d'ici.

Mené par un Beefheart tyrannique, de nombreuses histoires courent sur l'enregistrement. Beefheart aurait écrit toutes les chansons au piano en 8h30, les musiciens auraient été obligés de jouer 14 heures par jour et d'apprendre le saxophone. L'enregistrement ce passe dans des conditions difficiles. Des musiciens sous-alimentés (ils ont même été jusqu’à voler de la nourriture dans un magasin, quand ils se sont fait prendre par la police, c'est Zappa qui a payé leur caution), devant apprendre à "déjouer" de leur instrument. Mais Beefheart n'a jamais tari d'éloge sur eux et si eux n'aurait pas été aussi loin sans lui, lui n'aurait probablement non plus pas pu faire ce disque sans eux. Mais il ne crédita pas pour autant dans les compositions ni dans les arrangements, ce présenta seul à la presse ce qui ne fit qu'accentuer le malaise des musiciens. Cette mouture du Magic Band se disloquera rapidement.

En résulte un album déconstruit, sorte de Free Blues  influencé  à la fois par Bo Diddley et Ornette Coleman, des chansons courtes accompagnées par une guitare slide omniprésente , le tout soutenu par la voix du Captain et ses saxophones parfois de manière simultanés. Quant aux paroles c'est encore autre chose. Faites d'argot .américain, de jeux de mots et de figures de style, elles sont difficiles a traduire et à interpréter pour des non -initiés (ça parle de la Shoah, d'amour, de sexualité, de politique...)

Ce fut Zappa qui enregistra et produisit le tout, la relation entre les deux amis se détériorer car Beefheart en a voulu à Zappa de ne pas avoir tout fait pour que le disque marche. Le disque entra dans les charts anglais jusqu'a la 21 ° place mais pas aux Etats-Unis.

Beefheart nous a donc offert en 1969 un disque inclassable, pas rock, pas complétement Blues, un peu jazz, pas complétement psyché; Ni un disque hippie, ni un disque de freak. Bref un album trop avant-gardiste pour son époque, devenu aujourd'hui objet de cultes pour beaucoup de gens. Influence revendiqué de la frange la plus extrême de la scène expérimentales des années 70 (Nurse with Wound) ou d'une partie de la scène post-punk (PIL, Pere Ubu, Devo). Mais 50 ans après, il reste pour certains un objet de raillerie, il suffit de voir certaines critiques internet ou certaines listes de disques à posséder pour faire bien ou l'album est souvent en bonne place. Pour se faire une idée juste de ce disque on dit qu'il faut l'écouter 5 fois en entier, beaucoup s'y sont essayé, la plupart n'ont pas passé la troisième écoute.

C'est un album qui demande des efforts pour être bien compris. on a le matériel devant nous mais on doit l'assembler nous mêmes. Jamais Beefheart ne refera aussi extrême, en 82 il se retire de la musique pour se consacrer à la peinture. Il décèdera en 2010 d'une sclérose en plaques dont il souffrait depuis plusieurs années nous laissant une des œuvres les plus radicales de la musique populaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire