Notre récit commence en 1969, dans le célébre Fillmore west de Bill Graham. Hippie convaincu , Clint est un habitué de cette salle , Bill Graham étant pour lui le prophète annonçant de nouveaux cultes psychédéliques. C’est sa programmation qui le fit entrer dans le bain culturel des gobeurs d’acides, le dead et autres Jefferson Airplane lui ouvrant les portes d’un univers inédit.
Ce soir-là, c’est une autre révélation qui l’attendait.
Quand raisonnent les premières notes de « whipping post » , Clint
sent déjà que cette musique est solidement attachée à la tradition américaine.
Planté au milieu des projecteurs, le guitariste a la moustache d’un général
sudiste. Mais surtout, ses solos délirants donnent une nouvelle dimension à la
culture des pionniers.
On s’attendrait presque à voir John Lee Hooker entrer,
une guitare à la main, pour faire résonner son bon vieux jungle beat, le temps
d’une jam obsédante. On a beaucoup jacassé sur Clapton, ce « dieu», qui aurait donné une
nouvelle jeunesse au blues. Mais les riffs qu’il développait avec John Mayall
défrichaient déjà les terres du proto hard rock.
Les anglais ne se contentent jamais de la tradition, il
faut toujours qu’il la déforme au gré de leurs lubies. Même le psychédélisme,
musique qui s’épanouit à San Francisco, naquit grâce à la folie avant gardiste
des Beatles.
Celui qui redore le mieux le blason poussiéreux des vieux
Muddy , Hoocker , et autres BB King , c’est ce sudiste au feeling nourri par
ce vieil objet d’admiration, que l’on nomme musique afro américaine. La grandiose jam de « stratesboro blues
, le brasier groovy de « hot lanta » , tous ces titres sont forgés dans le
même moule que hoochie coochie man , c’est la même complainte, rallongée par
des délires instrumentaux inspirées de l’inventivité jazz.
La soirée finie, Clint décide de quitter San Francisco
pour visiter le sud profond. Le rock revient à ses racines, et il se doit de
suivre ce retour. Le train qui le conduit roule au milieu des grands espaces ,
qui donneront les plus belles scènes d’easy rider , et une ouverture grandiose
pour le biopic d’Oliver Stones sur les doors. Mais, sur le walkman de Clint , c’est
le premier disque des allman qui tourne en boucle , lui faisant répéter à qui
veut l’entendre que cette musique est le nouveau grand culte de notre époque.
Les hippies ne sont pas morts à Altamont , où dans le
massacre commis par la Manson family. Tous ces événements constituent un
folklore macabre, qui ne peut fasciner que les esprits les plus primaires. Ils
n’ont aucune portée historique.
Le mouvement Hippie est mort aussi spontanément qu’il est
né, ses héros ayant besoin de retrouver la terre ferme, après des années de rêveries
délirantes. Janis Joplin aborda les terres d’un blues plus groovy et cuivré , le
dead , les byrds , et l’airplane flirtaient avec la country , et canned heat ne
tardera pas à signer un grandiose manifeste avec John Lee Hooker.
Un arbre sans racines ne peut que mourir, et le
psychédelisme était monté trop haut, toisant les « bouseux » du haut
de ses sommets hypnotiques. Clint est interrompu dans sa réflexion par le
freinage brutal du train arrivé à destination. A la sortie du véhicule, le
soleil à son zénith déploie ses lances incendiaires. La largeur des rues ne
fait que renforcer cette impression de marcher en plein désert, et la soif
amène rapidement Clint dans un bar digne d’un film de John Ford.
Sur la façade, une affiche annonce le concert du soir,
une bande de solides sudistes nommée Lynyrd Skynyrd. Le public, lui aussi,
semble sorti des grandes scènes de Sergio Leone. Certains se vantent d’avoir
croisé Leadbeally, ou le grand Muddy . Ils montrent ainsi que , pour eux, le
blues est aussi sacré que le Jack Daniels.
Au bar , un vieillard à la barbe hirsute gratifie notre héros
de ses délires éthyliques.
« Ces mecs , Lynyrd , je leur ai causé tout à l’heure. »
Il marque une pause, et boit son tord boyaux avec une
mimique virile façon John Wayne.
« Des tantes qui ne jurent que par la pop anglaise,
cette mode pour snobinard bourgeois. Et puis , c’est quoi ce nom imprononçable !
Il parait que c’est en hommage à un prof de sport qui leurs filait des roustes.
Je ne sais pas qui l’a baptisé, mais la gnole qu’il buvait à ce moment-là
devait être balèze. »
Clint n’aura pas le temps de répondre, un riff
furieusement boogie venant secouer les certitudes de son interlocuteur. « I
a m the one » ne fut pas choisi pour rien. C’est un des titres les plus
traditionnels de Lynyrd , une musique dénudée jusqu’à l’os , pour n’en garder
que la savoureuse moelle.
A côté de Clint , le vieux en restait bouche bée , comme
le reste d’un public reconnu pour sa sévérité belliqueuse. Dans ce genre de salle,
le blues est un culte, et chaque homme tentant de se l’approprier y risque
littéralement sa vie. Mais Lynyrd avait gagné la partie dès les premières notes,
ses riffs montrant une ferveur qui ne s’invente pas . Ces jeunots parlaient le
même language que leur public.
Rejoint par Rickey Medlocke la veille, le gang termina sa
prestation par un free birds tout en puissance soliste. Quand les dernières
notes résonnent dans le bar , Rickey est le premier à venir fêter la
performance. Cheveux noirs comme le pétrole, le musicien a hérité du charisme
mystique de ses ancêtres cherokee. Le barman lui adresse le sourire qu’il
réserve aux habitués.
« Alors Rick , tu as finis par trouver un vrai
groupe ! »
La phrase du barman fait l’effet d’une décharge sur le musicien,
qui lui lâche un regard à figer un troupeau de buffles en pleine charge.
« Un jour Blackfoot sera aussi célèbre dans le sud
que les allman brothers. Mais en attendant il faut bien manger. »
La prédiction fait rire le barman qui, conscient de la
puissance qu’est capable de déployer son interlocuteur lorsqu’il est sur scène
, répond d’une voix pleine de conviction.
« ça va réveiller ces tapettes anglaises ! »
« Le rock est anglophone bande de crétins !
Free est aussi important que ce qui se construit ici ! »
Celui qui vient de rugir ainsi n’est autre que Ronnie Van
Zandt , le tyrannique chanteur de Lynyrd. Pas aussi épais que Bob Hite , ses
grosses paluches ont pourtant fait siffler les oreilles de plus d’un gaillard
du coin.
Parmi eux , Gari Rossington se fait discret , il ne tient
pas à ramasser la rouste que son chanteur lui réserve déjà à la moindre fausse
note.
Ronnie poursuit sur un ton passionné aussi prenant que
son chant chaleureux :
« On oppose toujours le rock anglais et américain,
mais le rock serait mort depuis les années 50 si certains rosbifs n’étaient pas
allés plus loin.
Le débat fut houleux et , sans le retranscrire
entièrement ici , on remarquera qu’il résume bien l’affrontement entre traditionalisme
et progressisme, que le duo beatles/ stones incarna dans les années 60.
Avant de partir, Clint ose interpeller les héros de la soirée.
« j’aimerais assister à l’enregistrement de votre
premier disque . »
Rickey pose son regard sévère sur lui.
Rickey pose son regard sévère sur lui.
« Qu’est-ce que tu cherches chez une bande de cul
terreux comme nous ? Vu ton look tu dois être du genre à t’extasier
sur le dead. »
Il est vrai que Clint n’avait pas abandonné son look de
clochard céleste. L’apparence, c’est comme les convictions, on en change pas du
jour au lendemain. Il trouve tout de même le courage de répondre.
« Vous êtes l’avenir du rock, et si personne ne le fait,
j’écrirais votre histoire. »
« Ok , rendez-vous au studio MCA demain. Il est
installé dans un ancien bar paumé du coté de Jacksonville. On prendra la photo
de la pochette là-bas aussi . »
Et c’est sur ces belles paroles que se termine ce premier
épisode.
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