L’annonce passée dans jazz
news permit aux stones d’obtenir quelques dates supplémentaires. Une en particulier
est à marquer d’une pierre blanche , celle où les stones furent choisis pour
remplacer Alexis Korner au Marquee Club de Londres. La scène avait des airs de
passage de témoins, le vieux routard laissait ses descendants construire leur
propre blues.
La route n’est pourtant
pas toujours aussi brillante que lors de cette date historique. Le début des
sixties est une époque charnière, celle où une tradition commence à remplacer l’autre.
Dans les clubs, le jazz est encore très présent, et ses musiciens ne voient pas
d’un très bon œil l’arrivée de ses blancs becs à trois accords.
Pour imposer la révolution
en marche, les stones jouaient gratuitement pendant l’entracte des jazzmen
vedettes. Les patrons de bars acceptaient sans problème, mais les jazzeux
voyaient bien que l’époque était en train de leur échapper. Les stones
jouaient leur set comme si ils étaient investis d’une mission, imposer le blues
sur le vieux continent et dans le monde entier.
Si vous voulez avoir une
idée de l’affrontement qui eut lieu à ce moment, regarder le film Jazz on a
summer day. Arrêtez-vous surtout sur cette scène où, alors qu’il joue avec les
jazzmen qu’il admire, Berry se fait littéralement poignarder dans le dos par
ses idoles. Fausses notes, mauvais tempos, ceux qui lui donnèrent sa vocation
de musicien font tout pour détruire sa prestation. Mais Berry résiste brillamment,
et réussit globalement à sauver son swing de ce complot musical.
Dylan ne va pas tarder à
chanter « the time they are changing », mais ce changement fut le
fruit d’une bataille sans merci. La culture est conservatrice par essence. Proposez-lui
une nouvelle vision de son patrimoine, et vous êtes sûr qu’une bande d’illuminés
tentera de lapider le blasphémateur.
Heureusement , la lutte des
stones est souvent victorieuse, et leur permet d’être repéré par Andrew Loog
Oldham. Le manager ressort de sa collaboration avec Brian Espstein , l’homme
grâce à qui les Beatles sont devenus « les quatre garçons dans le vent ».
Encore marqué par son
travail avec le groupe de John Lennon, Oldham tente d’abord de transformer ses
bluesmens crasseux en gendres idéals. Il faut dire qu’il a la pression, decca
vient de signer le groupe, et veut en faire sa revanche sur le passé.
On a souvent créer une
fausse confrontation stones/ beatles , mais le groupe de Mick Jagger doit une
bonne partie de son ascension au succès des quatre de Liverpool. Si le patron
de Decca n’avait pas cruellement renvoyer les scarabées chez eux, avant de s’en
mordre les doigts , nous ne serions sans doute pas en train de parler des
rolling stones aujourd’hui.
Les premiers disques des
stones n’ont pas grande importance, ce sont juste des compilations de vieux
blues censés instruire leur public. Mais la beatlemania était passée par là ,
et les stones devinrent les nouveaux dieux d’une jeunesse hystérique.
Les jeunes anglaises, jusque-là
corsetées par une éducation très stricte, trouvaient enfin un réceptacle pour
libérer leurs pulsions trop longtemps contenues. C’est comme si cette amas de
frustrations sexuelles explosait pendant quelques minutes , les cris couvrant
largement le son d’une sonorisation rudimentaire.
Keith s’amusait parfois à
jouer quelques refrains populaires, mais ses dévotes ne semblaient pas réagir à
sa musique. C’est comme si les vibrations de ce swing réveillaient leurs
instincts les plus primaires. Alors le groupe connut l’angoisse des fins de concerts,
les calculs millimétrés de ceux qui ne veulent pas être sacrifier sur l’autel
de la libération de la jeunesse.
L’histoire des stones a tout
de même failli être stoppée nette lorsque , pris de panique , le chauffeur du
groupe démarra avant que Keith n’entre dans le véhicule. Laissé seul avec la
poignée dans la main, le guitariste fut rapidement entouré par une marrée
hurlante.
Une fois capturée, les
valkyries ne savaient que faire de leur proie, qu’elles secouèrent et
étranglèrent sauvagement. Keith tomba rapidement dans les pommes, et fut
réveiller à l’hôpital après un coma causé par asphyxie.
Les stones vivaient leur
beatlemania , chacun de leurs passages déclenchant ces mêmes scènes de folie
prompt à inquiéter l’establishment. Pourtant, Oldham savait qu’il leur manquait quelque chose, l’époque était en train de changer et les stones
risquaient de rester sur la touche.
Les reprises ne suffisaient
plus à une époque où les beatles écrivaient des tubes à la chaîne. Je ne parle
même pas des who et autres kinks , qui ne tarderont pas à compléter le spectre
de la pop anglaise. Même les américains s’y mettaient, et le talent de Brian
Wilson imposait les refrains surf rock des beach boys.
Alors Oldhaam enferme Mick
et Keith dans la cuisine de leur appartement, et ne les laissera sortir que
quand ils auront pondu un tube. Il avait choisi Mick et Keith car les deux hommes
traînaient toujours ensemble. Brian Jones était un meilleur musicien, mais cela
ne veut pas forcément dire qu’il composait mieux. L’inverse parait d’ailleurs
plus vérifiable. Beefheart montrait à ces musicien ce qu’ils devaient jouer en
pianotant sommairement, Roger Waters était le plus mauvais musiciens du floyd ,
et j’en passe…
L’instinct du manager
avait encore vu juste, mais les stones semblaient s’être plus imprégné de la
pop triomphante que de leurs bon vieux blues. En sortant, Keith annonça tout de
suite « On ne peut pas jouer cette merde ! On est des bluesmen !
La pop on laisse ça aux autres ». Et c’est ce qu’il firent, en revendant
le titre à Marianne Faithfull.
Qu’importe, le déclic
avait eu lieu, et le succès de la chanteuse prouvait que le duo Jagger/
Richard pouvait devenir l’équivalent de Lennon/ Mccartney. La même année, Keith
fut réveillé dans son sommeil par une intuition merveilleuse. Il avait rêvé le
riff de Satisfaction , et s’empressait de sortir son enregistreur pour
capturer cette idée, avant qu’elle ne lui échappe.
Ce riff est sans doute le
moment où il s’est le plus rapproché de la légende de Chuck Berry, et il sait
qu’il a sans doute écrit le « Johnny be Good » des sixties. Un des
plus grand rock de tous les temps, complété par les paroles vindicative de
Jagger, le premier pavé en trois accords envoyé au visage de l’establishment. «
satisfaction » est une annonce de début de règne.
Les stones avaient gardé cette capacité à jouer fort sans déformer le swing originel, éternel objet de
vénération de tout rocker digne de ce nom. La saturation à outrance, ils
laissaient ça aux Who , Kinks et Hendrix.
Ces musiciens annonçaient l’avenir,
alors que les stones semblaient au-dessus de ces préoccupations avant-gardistes. « You really got me » , « My
Generation », et plus tard « hey joe », toute cette violence
contenait le germe de sa propre obsolescence programmée. On peut toujours faire
plus violent, plus bruyant, ou plus lourd. Mais le swing, cette capacité à
inventer un rythme capable de réveiller les morts , est intemporel.
C’est surtout pour ça que
les titres les plus violent d’Hendrix où des Who ne sont pas forcément les plus
marquants, et que les stones commencent à planer au-dessus de la mêlée.
Il ne leur manque plus qu’un
disque rempli de nouvelles compositions, chaque groupe devant passer le test du
33 tours pour graver son nom au fer rouge dans la mythologie rock.
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