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vendredi 20 mars 2020

The Rolling Stones 3


Qu’on ne vienne pas me parler de « out of your head » et du premier album, ces disques étaient des galops d’essais, les manifestes de jeunes loups se faisant les crocs sur le blues. Aftermath est le véritable album des stones, celui où ils ont enfin digéré les heures passées à réciter leur Chuck Berry et autres BB King.

On a beaucoup loué les qualités musicales de Brian Jones, qui explosent sur l’impressionnant paint it black , mais ce aftermath est déjà l’œuvre du feeling exceptionnel du duo Richard/Watt. Stupid Girl, Under my Tumb, et même mother little helper sont des manifestes dédiés au rock rythmique. Les deux guitares sonnent comme une seule, laissant Keith se tailler la part du lion, et mettre du charbon dans la machine rythmique, à grands coups de riffs cadencés.

Les stones ont touché la perfection, sans encore parvenir à totalement en saisir la formule , et les prochains albums avec Brian Jones ne seront pas aussi brillants. L’album suivant, Between the button, montre un groupe lessivé par son ascension fulgurante. C’est le retour du groupe à single et, si let’s spend the night together et ruby Tuesday brillent au milieu de ce grand foutoir , le disque dans son ensemble est anecdotique.

En réalité, Brian Jones devenait un boulet pour les stones. Musicalement, il nourrissait une schizophrénie qui a fait tomber « between the button » dans le précipice. Son talent de musicien permettait au groupe de fouler les chemins détestés de la pop , et ils s’y sentirent obligés pour lutter contre une concurrence des plus rudes. Il ne faut pas oublier qu’innover était devenu la règle, les kinks avaient sorti face to face, les beatles lançaient le psychédelisme avec revolver, et pet sound débarquait dans les bacs des disquaires.

Alors le duo Richard Jagger a commencé à se dire que le blues ne suffirait plus , et s’est mis en tête de marcher sur les plates-bandes de ses amis de Liverpool. Le résultat est gravé sur « their satanic majestie » , ridicule parodie du sergent pepper des beatles. Cet échec mit Brian Jones encore plus à l’écart, car il incita son groupe à rester proche de ce blues qui les a toujours nourris.

Après avoir perdu le pouvoir, ses talents de multi instrumentiste n’étaient désormais plus primordiaux. De plus en plus marginalisé, il se réfugia dans la drogue. Mais là encore, sa résistance n’égalait pas celle de Keith.  Paranoïaque, tout le groupe commençait à le devenir, l’establishment avait décidé de s’occuper d’eux, et le harcèlement était permanent.

Les policiers étaient si souvent près de chez eux, que Keith avouera plus tard qu’il lui arrive encore de vérifier si un flic rôde dehors, avant de sortir de chez lui. A force de chercher, les flics trouvaient parfois un peu de dope, mais les procès qu’ils parvenaient à obtenir étaient rapidement classés sans suite. 
                                                                                   
Si le groupe gérait globalement bien la pression liée au succès , son leader s’effondrait totalement. Sur « beggard banquet » , sa participation créative se limite aux tambourins sur « sympathy for the devil ». C’est que les glimmer twins étaient arrivés au sommet de leur créativité, et surveillaient désormais la maison rock, pendant que les beatles partaient dans tous les sens sur le double blanc.
                                                                                  
Beggar Banquet est un monument parce que les stones sont passés au-dessus de leurs références, et mélangent les traditions musicales dans une grande fête en l’honneur de leur groove rythmique. C’est aussi un des disques où les anglais sonnent le plus comme des américains, ils foulent ces contrées magnifiques , à la frontière du blues , du folk , et de la country.

« sympathy for the devil » résume déjà tout ce qui va suivre. Conçu au départ comme un folk à la Dylan , la chanson n’a cessé de muter au fil des sessions. One + one , le délire révolutionnaire de Godart , doit son seul intérêt au fait d’avoir filmé cette genèse.

On y voit un groupe en parfaite osmose, absorbé par la création de sa salsa infernale, son rock tribal aux rythmes sulfureux. Je ne parle même pas de jumping jack flash , un des plus grands riffs de sir Richards. On retiendra aussi « dear doctor » , qui ramène le blues dans les bayous de Louisiane , le rock libidineux « stray cat blues » , et le presque Dylanien « salt of the earth ». 
                                          
Les stones étaient définitivement sur le toit du monde, et allaient en profiter pour se payer cette critique prompt au lynchage. La scène se passe dans les locaux de Decca, où quelques journalistes sont invités à un banquet promotionnel en l’honneur du dernier album. Au bout de quelques minutes, une bataille de nourriture se déclenche, et laisse les pauvres plumitifs piégés au milieu des tirs de leurs hôtes.

Les stones obtinrent dans la foulée leur propre émission de télévision. Le temps d’un soir, John Lennon , Taj Mahal , Jethro Tull , et même Eric Clapton ont ainsi été invités à célébrer l’arrivée au sommet du groupe de Keith Richards. L’émission montrait aussi la prise de pouvoir du duo Jagger Richards, qui brillait devant un Brian Jones sagement cantonné au second plan. 

Sa femme, Annita Pallenberg , l’avait quitté pour partir avec Keith , réduisant à néant son reste d’intérêt pour son groupe. Si il apparait sur la pochette de Let It Bleed , le disque est surtout l’œuvre de Keith Richards. Après avoir découvert les secrets de l’open tunning , utilisé par de nombreux héros du blues , il illumine l’album de sa classe. 

Let it bleed , country honk , gimme shelter , monkey man , le toucher Richardien illumine plus que jamais le son des stones. Ce bon vieux Keith en profite même pour s’essayer à la pop sur le séduisant « you got the silver ». L’ensemble du disque est très tendu, comme si les stones sentaient que l’époque allait basculer. 

Et le basculement aura lieu dès le lendemain, sur la terre maudite d’Altamont. Les stones voulait organiser leur Woodstock , un festival qui ferait oublier tous les autres , mais ils eurent la mauvaise idée de le faire surveiller par les hells angels. Tous ceux qui idéalisent encore cette bande de « bikers de l’enfer » devraient lire le livre que Hunter S Thompson leur a consacré, et qui les montre sans ce mythe libertaire qui les entoure.

Pratiquant le viol en réunion, et prompt au lynchage, ces bikers étaient l’incarnation même de la mort du rêve hippie. Les payer en bière n’était pas l’idée du siècle non plus mais , quand il mirent leurs motos devant la scène pour retenir les manifestants , on comprenait vite qu’ils ne cracheraient pas sur un petit tabassage de hippies.
Au début pourtant, la peur fit son effet, et personne n’osa s’approcher trop près des précieux engins. La bière et le soleil échauffent progressivement les esprits et , alors que santana entame son set, les bagarres à coup de queues de billards éclatent. 

Quand les stones s’apprêtent enfin à fouler les planches , c’est comme si ils étaient face à un gigantesque champs de bataille. Ils sentent cette tension qui précède les grands affrontements , et les grands drames , ce sentiment ne trompe jamais.

Obligé de traverser la foule pour accéder à la scène, Mick Jagger se prend une giffle de la part d’un des spectateurs. Conscient qu’il se trouve au milieu d’un champs de mines prêtes à exploser, le chanteur ne réagit pas. Une fois installé, le groupe doit attendre que les spectateurs quittent la scène qu’ils ont assiégée pour commencer à jouer.

A ce moment, le groupe se demande s’il doit se lancer dans un concert aussi tendu, mais annuler n’aurait fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Au milieu de Jumping Jack Flash , une nouvelle bagarre éclate. Dans la mêlée, les angels poignardent le jeune Meredith Hunter, sous les yeux terrifiés des musiciens, et de sa petite amie.

La peur du chaos obligent tout de même les stones à continuer le concert. Le lendemain le bilan fait état de plusieurs morts et blessés. Pour se justifier , les angels ont affirmé que Meredith avait sorti un fusil , et visait Mick Jagger.

Personne n’est en mesure de confirmer ces affirmations. En revanche, les échauffourées ont sans doute été causées par ceux qui incendièrent délibérément les motos des angels.

C’est le rêve Hippie qui est définitivement mort ce soir-là. Ses représentants se rendaient bien compte qu’ils ne pouvaient demander la paix dans le monde, alors qu’un simple concert finissait en bain de sang.

Les stones devinrent ainsi les bourreaux de ce rêve pacifiste, un statut dont ils se seraient bien passés.     
                                                             
       

   


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