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dimanche 19 avril 2020

Bob Dylan : More blood more tracks


Bob Dylan - More Blood, More Tracks: The Bootleg Series Vol. 14 ...

Je me rappelle encore de l’annonce du prix Nobel de littérature 2016. Les journalistes ne pouvaient s’empêcher de démarrer la présentation de l’heureux élu par un « non ce n’est pas une blague ». Ces avatars ridicules n’ont sans doute plus ouvert un livre depuis l’obtention de leur diplôme stupide (est ce que Zola ou Cavanna avaient un diplôme de journalisme ?) , ils ne pouvaient donc pas comprendre ce que représentait Dylan.

Ces gens ont l’amour des idées toutes faites, de la modernité absurde, et de la bien pensance ronflante. Pour eux, la musique est une distraction, ou un bien de consommation parmi d’autres.

Si je commence cette chronique par cette attaque apparemment hors sujet, c’est pour mieux ouvrir un chapitre essentiel du mythe Dylanien.
                                                                                     
Replaçons les choses dans leur contexte :
Nous sommes en 1975, Dylan vient de subir la trahison de sa maison de disque, et tente de se refaire une santé au côté du band. Sorti sans son autorisation en 1973, « Dylan » est le premier album d’une série décevante. « Planet wave »  est trop peu inspiré pour relever le niveau, et la tournée des stades qui suivit ne servit qu’à faire tourner la machine à cash.

Enregistré pendant cette tournée, « before the flood » est l’œuvre d’honnêtes fonctionnaires, des has been paumés se débattant dans un environnement trop tapageur pour eux. En dehors de la scène, le tableau n’est pas plus joyeux. Sara commence à se lasser des discussions musicales et des infidélités du Zim. Celle qui inspira « sade eyes lady of the lowlands » s’éloigne tant que le couple semble avoir atteint le point de non-retour.

Si Dylan réfutera toujours cette hypothèse, les textes qu’il écrit pour blood on the tracks sont tout de même parcourus par une tristesse, sans doute influencés par ses déboires sentimentaux.

La suite, tout le monde croit la connaitre. Dylan se serait précipité au studio Columbia, afin de donner à ses récits l’écrin digne de leur puissance poétique.  C’est vite oublier que blood on the track fut d’abord enregistré par Phil Ramone, l’ingénieur du son qui s’est occupé de « before the flood ».

Les sessions se sont d’ailleurs bien déroulées, le disque était prêt à sortir, et Phil était fier de faire écouter le résultat à Dylan. Sauf que le barde est aussi un maniaque anxieux, et ce qu’il entend ne correspond pas à ce qu’il souhaitait produire.

Voilà pourquoi le disque fut finalement refait au studio de Columbia, en compagnie de John Hammond. Les pistes enregistrées à New York devinrent vite un grand fantasme de Dylanophile , qui arrive enfin entre nos mains aujourd’hui.

A l’écoute de cette version résolument acoustique, on ne peut que souscrire au principe énoncé par Johnny Cash « Si les démos sont meilleures, on met les démos sur le disque ».  Les mélodies acoustiques laissent plus de place à la prose de Dylan, qui peint ses âmes tourmentées avec une précision chirurgicale. 

Il y’a quelque chose de Dostoïevski dans cette façon de peindre ces âmes en perdition. Le texte de « Lily Rosemary and the jack of heart », plus romancé a la force romantique des grandes nouvelles d’Hemingway.

D’un point de vue musical, on retrouve le Dylan folk des débuts. Son chant a néanmoins gagné en maturité, et se contente désormais de ponctuer délicatement ses arpèges. Seul « meet me in the morning » s’écarte de cette folk nostalgique, pour raviver la splendeur du blues acoustique.

Le lyrisme fait place à la retenue, et idiot wind montre que le grand Bob n’a pas besoin de lever la voix pour que ses mélodies donnent le frisson.

« more blood more track » montre une émotion plus subtile que la version finale. Si cette retenue semble donner plus de puissance aux textes, on n'ira pas jusqu’à dire que c’est celle-ci qui aurait dû sortir.

Ce nouveau numéro des bootleg serie apporte simplement un regard plus complet sur ce qui restera un des chefs d’œuvre Dylanien. L’écouter, c’est comme découvrir un nouveau chapitre à « crime et chatiment » ou un poème oublié issu des contemplations. Et, quoi qu’en pensent ceux qui voient la musique comme une distraction, ces bandes font parties de notre patrimoine culturel.

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