Je me rappelle encore de l’annonce
du prix Nobel de littérature 2016. Les journalistes ne pouvaient s’empêcher de
démarrer la présentation de l’heureux élu par un « non ce n’est pas une
blague ». Ces avatars ridicules n’ont sans doute plus ouvert un livre
depuis l’obtention de leur diplôme stupide (est ce que Zola ou Cavanna avaient
un diplôme de journalisme ?) , ils ne pouvaient donc pas comprendre ce que
représentait Dylan.
Ces gens ont l’amour des
idées toutes faites, de la modernité absurde, et de la bien pensance ronflante.
Pour eux, la musique est une distraction, ou un bien de consommation parmi d’autres.
Si je commence cette
chronique par cette attaque apparemment hors sujet, c’est pour mieux ouvrir un
chapitre essentiel du mythe Dylanien.
Replaçons les choses dans
leur contexte :
Nous sommes en 1975, Dylan
vient de subir la trahison de sa maison de disque, et tente de se refaire une
santé au côté du band. Sorti sans son autorisation en 1973, « Dylan »
est le premier album d’une série décevante. « Planet wave » est
trop peu inspiré pour relever le niveau, et la tournée des stades qui suivit ne
servit qu’à faire tourner la machine à cash.
Enregistré pendant cette tournée,
« before the flood » est l’œuvre d’honnêtes fonctionnaires, des has
been paumés se débattant dans un environnement trop tapageur pour eux. En
dehors de la scène, le tableau n’est pas plus joyeux. Sara commence à se lasser
des discussions musicales et des infidélités du Zim. Celle qui inspira « sade
eyes lady of the lowlands » s’éloigne tant que le couple semble avoir
atteint le point de non-retour.
Si Dylan réfutera toujours
cette hypothèse, les textes qu’il écrit pour blood on the tracks sont tout de
même parcourus par une tristesse, sans doute influencés par ses déboires
sentimentaux.
La suite, tout le monde
croit la connaitre. Dylan se serait précipité au studio Columbia, afin de
donner à ses récits l’écrin digne de leur puissance poétique. C’est vite oublier que blood on the track fut
d’abord enregistré par Phil Ramone, l’ingénieur du son qui s’est occupé de « before
the flood ».
Les sessions se sont d’ailleurs
bien déroulées, le disque était prêt à sortir, et Phil était fier de faire
écouter le résultat à Dylan. Sauf que le barde est aussi un maniaque anxieux,
et ce qu’il entend ne correspond pas à ce qu’il souhaitait produire.
Voilà pourquoi le disque
fut finalement refait au studio de Columbia, en compagnie de John Hammond. Les
pistes enregistrées à New York devinrent vite un grand fantasme de Dylanophile
, qui arrive enfin entre nos mains aujourd’hui.
A l’écoute de cette
version résolument acoustique, on ne peut que souscrire au principe énoncé par
Johnny Cash « Si les démos sont meilleures, on met les démos sur le disque ». Les mélodies acoustiques laissent plus de
place à la prose de Dylan, qui peint ses âmes tourmentées avec une précision
chirurgicale.
Il y’a quelque chose de
Dostoïevski dans cette façon de peindre ces âmes en perdition. Le texte de « Lily
Rosemary and the jack of heart », plus romancé a la force romantique des
grandes nouvelles d’Hemingway.
D’un point de vue musical,
on retrouve le Dylan folk des débuts. Son chant a néanmoins gagné en maturité,
et se contente désormais de ponctuer délicatement ses arpèges. Seul « meet
me in the morning » s’écarte de cette folk nostalgique, pour raviver la
splendeur du blues acoustique.
Le lyrisme fait place à la
retenue, et idiot wind montre que le grand Bob n’a pas besoin de lever la voix pour que ses mélodies donnent le frisson.
« more blood more
track » montre une émotion plus subtile que la version finale. Si cette
retenue semble donner plus de puissance aux textes, on n'ira pas jusqu’à dire que
c’est celle-ci qui aurait dû sortir.
Ce nouveau numéro des
bootleg serie apporte simplement un regard plus complet sur ce qui restera un
des chefs d’œuvre Dylanien. L’écouter, c’est comme découvrir un nouveau
chapitre à « crime et chatiment » ou un poème oublié issu des
contemplations. Et, quoi qu’en pensent ceux qui voient la musique comme une distraction,
ces bandes font parties de notre patrimoine culturel.
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