Contrairement aux idées reçues,
Trout Mask replica obtint un succès commercial non négligeable. Si l’Amérique a
rapidement rejeté le virage expérimental de celui qu’elle voyait comme un
nouveau héros du blues, l’Angleterre a apprécié cette bizarrerie expérimentale.
La réception de ce disque
confirmait le fossé existant entre le public américain, fortement attaché à
son patrimoine musical, et un public anglais plus friand d’avant-garde. Il ne
faut pas oublier que l’Angleterre a donné les Beatles, qui furent la figure de
proue de cette avant-garde. Grâce à cette devanture commerciale, les maisons de
disques laissaient leur chance à toute une bande de valeureux explorateurs. C’est
ainsi que les deviants , soft machine , et plus tard les pink fairies et le
edgard broughton band, repoussèrent les limites du psychédélisme.
Trout mask replica est
surtout le disque qui déboussola toute la critique rock , qui ne parvenait pas
à classer cette cacophonie merveilleuse. Les interview devenaient donc de
grandes joutes verbales, les journalistes tentant de faire rentrer Beefheart
dans ces cases qu’il méprisait. Qu’on lui parle de jazz ou de blues, d’Howlin
Wolf ou de Coltrane, le bon captaine rejetait toute filiation.
Sa méthode de travail
était justement faite pour l’éloigner de ces grandes figures. Beefheart n’était
pas musicien, il prenait juste son instrument comme il le sentait, et tentait
d’en tirer des sons dérangeants. Parfois il le faisait sur un piano, parfois
sur une trompette. Une fois qu’il était satisfait de ce qu’il avait effectué, ses musiciens devait reproduire un schéma que même son auteur est incapable de
jouer une seconde fois.
Don Van Vliet n’est pas un
compositeur, c’est un réservoir d’idées. Il est l’ingénieur chargé d’esquisser
le plan de ses monuments sonores , avant de laisser ses ouvriers s’occuper des
détails techniques. D’abord sculpteur, il a gardé cette approche pour la musique.
Et c’est justement son dilettantisme musical, allié à sa vision de l’art, qui
rend ses œuvres si originales.
Sorti la même année que « trout
mask replica » , « lick off my decall baby » fit d’abord
scandale. Beaucoup voyait dans ce titre ambigu un jeu de mot ouvertement
grivois. Pourtant, ces « étiquettes » que Don demandait de lécher,
étaient celles que certains tentaient de lui coller depuis la sortie de Trout
Mask. Il voulait simplement qu’on le nettoie de ces filiations hasardeuses,
pour que sa musique soit enfin jugée à sa juste valeur.
Prise dans les studios Warner,
la photo de couverture montre nos ex hippies débraillés en smoking classieux,
ils sortent le grand jeu pour une grande œuvre. Ses « étiquettes » ,
le magic band les décolle à grand coup de cassures rythmiques , de dissonances
, et de croassements dadaïstes lancés par un Beefheart en grande forme.
Essayer de comprendre est
vain, et l’auditeur se fatiguera vite en cherchant à rapprocher ce fouillis de
quoi que ce soit. Et c’est justement l’effet cherché, le magic band veut que
votre esprit abdique, que votre inconscient soit nettoyé de tous ses repères
culturels. C’est là, quand ses délires ont fini par vous vider la tête, que les
choses intéressantes commencent.
L’auditeur retrouve alors
l’innocence de ses premiers émois musicaux, et « lick my decalls off »
peut imposer ses propres règles. On se rend alors compte que ce qu’on avait d’abord
pris pour un détritus joué par des pecnos incapables de s’accorder, est en
réalité une symphonie d’un nouveau genre. On comprend le fil télépathique qui
relie tous ses musiciens, le plan délirant mis en place par ce groupe
délirant.
« lick my decalls off »
n’est pas un album rock dans le sens conventionnel du terme. Beefheart y
manipule les sons comme une palette de couleurs et, pour apprécier la toile, il
faut se débarrasser de tout la gadoue qui forme vos repères culturels.
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