Dans une série de vidéos
faisant la promotion de quelques compiles éditéEs par rock et folk , Philippe
Manœuvre détaillait sa vision de l’histoire du rock :
« On a, environs tous
les 10 ans, une vague qui balaie la précédente. »
Cette réflexion, en plus
de lui permettre de sortir un disque par décennie rock, est une marque d’allégeance
au modernisme ambiant. Dire chaque époque a fait table rase de la précédente,
revient à le résumer à un grand supermarché , où chacun est libre de choisir son
rayon. On retombe dans la religion du « tout
se vaut » , et du « c’est mon choix » , qui transforme la
jeunesse en ramassis d’incultes abrutis.
Le chroniqueur devient
donc représentant de commerce, son récit une campagne publicitaire. Je ne blâme
pas ici les chroniques de Manoeuvre en elles-mêmes, qui me firent tant aimer le rock,
mais bien la vision d’ensemble.
Qu’on le veuille ou non,
l’histoire du rock s’est faite par étapes successives et indissociables. Si le
discours moderniste passe, c’est paradoxalement parce que certains sont restés
bloqués dans les sixties. A l’époque, les innovations se succédaient à une
telle vitesse, que même l’esprit le plus brillant ne pouvait analyser ce
magnifique déferlement.
C’est donc des maisons de
disques au sommet de leur gloire qui choisissent ce qui serait à la pointe de
la révolution en cours. Influencées par le succès fulgurant des Beatles, elles propulsent au sommet les artistes les plus ambitieux.
C’est l’époque bénie où
les who inventent l’opéra rock, où ten years after enregistre des disques
impossibles à jouer sur scène , et les beach boys affrontent les beatles sur le
terrain d’une pop devenue adulte.
Le succès des Beatles est
une bénédiction car il ouvre la voie à une magnifique invasion, mais c’est
aussi une malédiction. Comme toute œuvre marquante, celle des fab four a influencé le son d’une époque, et la pop anglaise trouve un écho dans le psychédélisme
Américain.
Les mélodies se déforment
sous l’effet de l’acide, et chaque groupe tente d’approcher le royaume du grand
sergent pepper. Pas de place pour ceux qui refusent de se soumettre à la
débauche de moyens de l’époque , le minimalisme est fui par le grand public. Cette
mode fera un carnage, poussant des groupes comme le velvet underground, les
pink fairies , et the gun dans le tombeau.
The gun se forme à Londres , en 1967 , année de transition qui est trop rapidement racontée. 1967, c’est l’année
de sortie de disraeli gears et are you experience , deux disques qui
commençaient à trancher avec la douceur ambiante. Hendrix et Clapton annoncent
le culte du guitar hero , mais ils le font naitre de deux façons différentes.
Le premier se réapproprie
le patrimoine blues , augmentant la puissance de cette musique sans la dénaturer.
Il peut ainsi caresser dans le sens du poil un public blues très vivace, le
mouvement vivant un dernier âge d’or depuis la sortie du premier disque du Paul
Butterfield blues band.
Clapton, lui , est plus
opportuniste , et « disraely gear » surfe à fond sur la vague psychédélique.
C’est d’ailleurs cette pop psyché qui fit de « sunshine of your love »
un tube. Hendrix et Clapton représentent donc, à cette époque, le bon vieil affrontement entre la tradition et le modernisme. Mais surtout , leurs concerts
et disques suivent le sillon d’une musique plus puissante , libre, et direct.
The gun aurait sans doute pu
profiter de ce timide virage, si sa musique n’avait pas été aussi radicale.
Dessinée par Roger Dean , la pochette de leur premier album annonce déjà la
couleur d’un disque particulièrement agressif. Gommant même le The propre aux
groupes anglais, le gang de Paul Gurvitz joue une musique qui ressemble à du
Hawkwind débarrassé de ses ambiances dystopiques.
Porté par un riff
furieusement moderne, race with the devil devint un hymne d’initiés, mais
agressa les oreilles de la génération peace and love. Résultat , le disque
rejoint le rang des chefs-d’œuvre honteusement jetés dans les bacs à soldes.
Gun cherche donc un moyen
de faire accepter le tranchant de ses riffs , un plan d’attaque capable d’imposer
son son unique. Il enregistre ainsi un disque historique, une des magnifiques
digues raccrochant ce que le rock fut à ce qu’il devient.
Sur la pochette, le groupe
semble prêt à en découdre, sa puissance de feu n’a pas changé mais il a modifié
son plan d’attaque. La charge commence par le riff furieusement moderne de head
on the cloud.
Cette chevauché reprend
les choses là où « race with the devil » les avait laissées, pendant
que le refrain repris en chœurs tente de rendre cette violence sanguinaire plus accessible.
On ne joue plus ici sur un seul registre, et drow yourself in the river s’ouvre
sur quelques arpèges country.
L’intro presque mélodique
flatte l’oreille du chaland, et mène naturellement à une autre cavalcade
sanguinaire. Le groupe a compris qu’il doit ménager ses effets , et ose s’aventurer
sur les terres des moody blues, et autres icones de la pop distinguée. La
guitare se fait plus caressante, sa force menaçante devient une puissance épique
épousant la tendresse des violons.
Le tonnerre peut ensuite
résonner de nouveau, dreams and sreams étant sans doute un des titres les plus
violents de nos pistoleros, une puissance motoredienne avant l’heure. Et encore,
le groupe de Lemmy n’atteint même pas ce niveau de puissance sanguinaire sur
ses boulets les plus destructeurs.
Ce titre a été
soigneusement placé au milieu de quelques réussites plus mesurées , pour mieux
corrompre les codes de son époque. Cette façon de jouer un rock psychédélique
paranoïaque sera bientôt reprise par le Edgard Broughton Band quelques mois
plus tard.
Coincé entre son désir de
reconnaissance et sa personnalité atypique, gun varie les registres avec une
réussite impressionnante. « hobo » part d’ailleurs dans un psychédélisme
théâtral qui n’est pas sans rappeler les pretty things, et certaines grandes
pièces de Spirit. Ce retour à un registre plus classieux ouvre la voie à une
nouvelle accalmie, oh lady flirtant avec la folk Californienne. Encore une fois
, cette tendresse n’est là que pour préparer la prochaine décharge , et on
revient rapidement à une théatralité proche des pretty things. Puis les chœurs se
font plus fervents, et la guitare part dans un solo proto hard rock réduisant
mountain au rang de bluesmen amorphes.
On tient ici un disque historique,
le glorieux représentant d’une série de chaînons reliant les sixties aux
seventies. Mais, encore une fois le public n’est pas au rendez-vous , et the
gun disparait aussi vite qu’il est apparu.
Le groupe se reformera par
la suite, mais même Buddy Miles ne parviendra pas à lui redonner cette
flamboyance sulfureuse. Gun fut, pendant quelques mois , un des groupes les
plus brillants d’Angleterre. Mais personne ne le savait.
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