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vendredi 24 avril 2020

Gun : Gunsigh


Gun* - Gun Sight | Références, Avis, Crédits | Discogs

Dans une série de vidéos faisant la promotion de quelques compiles éditéEs par rock et folk , Philippe Manœuvre détaillait sa vision de l’histoire du rock :
« On a, environs tous les 10 ans, une vague qui balaie la précédente. »

Cette réflexion, en plus de lui permettre de sortir un disque par décennie rock, est une marque d’allégeance au modernisme ambiant. Dire chaque époque a fait table rase de la précédente, revient à le résumer à un grand supermarché , où chacun est libre de choisir son rayon.  On retombe dans la religion du « tout se vaut » , et du « c’est mon choix » , qui transforme la jeunesse en ramassis d’incultes abrutis.

Le chroniqueur devient donc représentant de commerce, son récit une campagne publicitaire. Je ne blâme pas ici les chroniques de Manoeuvre en elles-mêmes, qui me firent tant aimer le rock, mais bien la vision d’ensemble.

Qu’on le veuille ou non, l’histoire du rock s’est faite par étapes successives et indissociables. Si le discours moderniste passe, c’est paradoxalement parce que certains sont restés bloqués dans les sixties. A l’époque, les innovations se succédaient à une telle vitesse, que même l’esprit le plus brillant ne pouvait analyser ce magnifique déferlement.

C’est donc des maisons de disques au sommet de leur gloire qui choisissent ce qui serait à la pointe de la révolution en cours. Influencées par le succès fulgurant des Beatles, elles propulsent au sommet les artistes les plus ambitieux.

C’est l’époque bénie où les who inventent l’opéra rock, où ten years after enregistre des disques impossibles à jouer sur scène , et les beach boys affrontent les beatles sur le terrain d’une pop devenue adulte.  

Le succès des Beatles est une bénédiction car il ouvre la voie à une magnifique invasion, mais c’est aussi une malédiction. Comme toute œuvre marquante, celle des fab four a influencé le son d’une époque, et la pop anglaise trouve un écho dans le psychédélisme Américain.  

Les mélodies se déforment sous l’effet de l’acide, et chaque groupe tente d’approcher le royaume du grand sergent pepper. Pas de place pour ceux qui refusent de se soumettre à la débauche de moyens de l’époque , le minimalisme est fui par le grand public. Cette mode fera un carnage, poussant des groupes comme le velvet underground, les pink fairies , et the gun dans le tombeau. 

The gun se forme à Londres , en 1967 , année de transition qui est trop rapidement racontée. 1967, c’est l’année de sortie de disraeli gears et are you experience , deux disques qui commençaient à trancher avec la douceur ambiante. Hendrix et Clapton annoncent le culte du guitar hero , mais ils le font naitre de deux façons différentes. 

Le premier se réapproprie le patrimoine blues , augmentant la puissance de cette musique sans la dénaturer. Il peut ainsi caresser dans le sens du poil un public blues très vivace, le mouvement vivant un dernier âge d’or depuis la sortie du premier disque du Paul Butterfield blues band.
Clapton, lui , est plus opportuniste , et « disraely gear » surfe à fond sur la vague psychédélique. C’est d’ailleurs cette pop psyché qui fit de « sunshine of your love » un tube. Hendrix et Clapton représentent donc, à cette époque, le bon vieil affrontement entre la tradition et le modernisme. Mais surtout , leurs concerts et disques suivent le sillon d’une musique plus puissante , libre, et direct. 

The gun aurait sans doute pu profiter de ce timide virage, si sa musique n’avait pas été aussi radicale. Dessinée par Roger Dean , la pochette de leur premier album annonce déjà la couleur d’un disque particulièrement agressif. Gommant même le The propre aux groupes anglais, le gang de Paul Gurvitz joue une musique qui ressemble à du Hawkwind débarrassé de ses ambiances dystopiques.

Porté par un riff furieusement moderne, race with the devil devint un hymne d’initiés, mais agressa les oreilles de la génération peace and love. Résultat , le disque rejoint le rang des chefs-d’œuvre honteusement jetés dans les bacs à soldes. 

Gun cherche donc un moyen de faire accepter le tranchant de ses riffs , un plan d’attaque capable d’imposer son son unique. Il enregistre ainsi un disque historique, une des magnifiques digues raccrochant ce que le rock fut à ce qu’il devient.

Sur la pochette, le groupe semble prêt à en découdre, sa puissance de feu n’a pas changé mais il a modifié son plan d’attaque. La charge commence par le riff furieusement moderne de head on the cloud. 

Cette chevauché reprend les choses là où « race with the devil » les avait laissées, pendant que le refrain repris en chœurs tente de rendre cette violence sanguinaire plus accessible. On ne joue plus ici sur un seul registre, et drow yourself in the river s’ouvre sur quelques arpèges country. 

L’intro presque mélodique flatte l’oreille du chaland, et mène naturellement à une autre cavalcade sanguinaire. Le groupe a compris qu’il doit ménager ses effets , et ose s’aventurer sur les terres des moody blues, et autres icones de la pop distinguée. La guitare se fait plus caressante, sa force menaçante devient une puissance épique épousant la tendresse des violons.

Le tonnerre peut ensuite résonner de nouveau, dreams and sreams étant sans doute un des titres les plus violents de nos pistoleros, une puissance motoredienne avant l’heure. Et encore, le groupe de Lemmy n’atteint même pas ce niveau de puissance sanguinaire sur ses boulets les plus destructeurs.

Ce titre a été soigneusement placé au milieu de quelques réussites plus mesurées , pour mieux corrompre les codes de son époque. Cette façon de jouer un rock psychédélique paranoïaque sera bientôt reprise par le Edgard Broughton Band quelques mois plus tard.

Coincé entre son désir de reconnaissance et sa personnalité atypique, gun varie les registres avec une réussite impressionnante. « hobo » part d’ailleurs dans un psychédélisme théâtral qui n’est pas sans rappeler les pretty things, et certaines grandes pièces de Spirit. Ce retour à un registre plus classieux ouvre la voie à une nouvelle accalmie, oh lady flirtant avec la folk Californienne. Encore une fois , cette tendresse n’est là que pour préparer la prochaine décharge , et on revient rapidement à une théatralité proche des pretty things. Puis les chœurs se font plus fervents, et la guitare part dans un solo proto hard rock réduisant mountain au rang de bluesmen amorphes. 

On tient ici un disque historique, le glorieux représentant d’une série de chaînons reliant les sixties aux seventies. Mais, encore une fois le public n’est pas au rendez-vous , et the gun disparait aussi vite qu’il est apparu.

Le groupe se reformera par la suite, mais même Buddy Miles ne parviendra pas à lui redonner cette flamboyance sulfureuse. Gun fut, pendant quelques mois , un des groupes les plus brillants d’Angleterre. Mais personne ne le savait.

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