Il a redonné à l’allman
brothers band un éclat qu’il avait perdu depuis le trépas de Duane Allman, avant
de s’appliquer à quitter le purisme sudiste. Gov’t mule fut créé pour ça, et la
transformation fut encore plus radicale après le trépas de son bassiste. A ses débuts,
la mule était limitée par sa formation en power trio, qui la condamnait à
reprendre le groove sudiste avec une puissance digne de cream.
Adepte des jams sans filet,
la mule était une curiosité coincée entre la virtuosité des frères Allman , et
le blues anglophile de Lynyrd Skynyrd. C’était aussi ce qu’il fallait au rock sudiste
de cette époque, et l’urgence de poudrières tels que « gov’t mule »
et « dose » ont fait autant pour la résurrection sudiste que les
grands disques des black crowes.
Et puis le temps a passé,
l’engouement s’est amenuisé, et la mule a radicalisé sa maturation. On a dit
beaucoup de mal de déjà vodoo, la cicatrice laissée par le départ tragique d’Allen
Woody était encore à vif. Le public rock est sentimental, et s’attache
rapidement à ses formations préférées. Tout changement est alors pris comme une trahison,
elle empêche l’objet de sa fascination de rester figé dans le marbre.
Si on prend déjà voodoo
avec le recul que nous autorise le temps, on se rend compte qu’il ne fait qu’exacerber
ce que le groupe initiait timidement auparavant. La palette de ses musiciens était,
dès le départ, extrêmement large. Il la déployait sur scène, à grands coups de
reprises déchainées. Black Sabbath , Hendrix , Neil Young , Fleetwood mac , une
bonne partie de la mythologie rock est passée entre leurs mains dévotes.
En studio , life before
insanity montrait déjà un groupe plus appliqué , soignant ses arrangements et
ménageant ses effets. Je l’ai dit au début de cette chronique, la mule était le vaisseau
permettant à Hayne de revistier son héritage , ses multiples virages étaient
prévues dès le départ.
Il ne faut pas mettre de
frontière entre son œuvre et celle de son groupe, les deux se complètent. C’est
d’ailleurs sur « tales of ordinary madness », sorti en 1993 , que
Hayne annonçait les débuts sulfureux de la mule.
Il n’y a donc pas eu,
comme certains l’ont écrit, plus de dix ans de blanc entre « man in motion »
et le précèdent album de Hayne. Man in motion est la suite de « shout »
, « dark side of the mule » , « stone side of the mule » et
« sco mule » , il s’inscrit à la suite de ces explorations sonores.
Pour Man in motion, Hayne veut
atteindre les terres de la motown , et la soul irrésistible promue par le label
stax. Pour toucher son but, il s’est
entouré de pointures ayant côtoyé Keith Richards au sein des X pensive winos ,
et de grandes figures du Jazz et du funk. On ne s’étonnera donc pas d’entendre
un monstre de groove, une chaleur dansante et orgiaque digne de James Brown ou
Marvin Gaye.
Warren Hayne se hisse
littéralement au niveau de ces chanteurs iconiques , mesurant sa voix pour ne
pas brusquer son groove cuivré. Il y’a un peu du band of gypsys dans le riff
dansant d’on a real lonely night, une part de Sly and the family stones dans
les chœurs enjoués qui composent cette chaleur groovy. Mais les groovies children
tel que funkadelique ne disposaient pas de ces cuivres jazzy pour réchauffer
leurs fiestas. Alors, bien sûr, sur des
titres comme man in motion, les enfants du funk peuvent remuer du popotin, en
pensant à leurs jeunes années, mais là n’est pas le seul charme de ce disque.
Warren Hayne reste avant tout
un bluesman, et ses couleurs funk jazzy vont raviver la splendeur du spleen
venu du Mississipi. Hatesburg Husle va encore plus loin, c’est la fusion
parfait de la musicalité soul et de la sensibilité blues. C’est aussi cette
union qui fait la grandeur de « a friend to you » , « river
gonna rise » ou « your wildest dream ».
La guitare y oublie toute agressivité,
elle se fait délicate pour se fondre dans ses mélodies venues de Memphis. Même
quand Hayne revient aux rythmes enjoués qui ouvrent le disque , les interventions
solistes de Hayne restent mesurées. Le guitariste attend patiemment son tour, et débarrasse
la virtuosité hendrixienne de ses distorsions stridentes.
Le voyage se termine sur
une gravité plus sobre, « save me » se contentant d’un orgue et d’un
piano pour soutenir la ferveur de Warren Hayne. On retrouve alors la splendeur
éternelle du gospel blues, une homélie musicale qui semble enregistrée au milieu d’une
église.
Au final, en explorant une
nouvelle parcelle de l’histoire musical américaine , Hayne produit un disque
sur lequel le temps n’a pas prise. Ses mélodies cuivrées et rythmes funky
forment une patine qui lui donne le charme de ces vieux meubles en bois ,
auxquels l’artisan semble avoir insufflé une partie de son âme.
Man In Motion aurait pu
être produit il y’a trente ans, et on pourra encore l’écouter dans trente ans
avec le même émerveillement.
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