1964, George Clinton ne
supporte plus les plans vaseux de son label. L’époque est au Doo Woop , cette
pop ascétisée pour fils de bonne famille. On demandait à son groupe d’imiter les
blancs , alors que ceux-ci vénéraient sa culture afro américaine. On pensait
que de telles singeries permettraient de les imposer comme les successeurs de
Chuk Berry. Le vieux Chuck avait ouvert
une voie, en devenant le premier noir idolâtré par une génération de jeunes blancs,
mais l’establishment ségrégationniste tentait
de colmater la brèche.
En fin de compte, ses
producteurs étaient peut-être les versions modernes des juges qui mirent Chuck
en prison lors de procès Kafkaïens. On justifiait son enfermement dans un genre
moribond en lui vantant la pop sixties. Les Beatles avaient conquis le monde,
et luttaient avec les beach boys pour garder leur trône de génies de la pop. Parce que, ce que les
producteurs ne pouvaient comprendre, c’est que le look avait finalement assez
peu d’importance. Dès le départ, les Beatles annonçaient un monde où la musique
serait le nouveau réceptacle du génie humain.
Comment faire décoller un
groupe de doo woop alors que Pet sound et rubber soul venaient de traumatiser une
génération ? C’était comme vanter l’artisanat en pleine révolution
industrielle. Et puis, quand un manager se plante, c’est toujours le musicien
qui trinque. Le groupe de Clinton était comme un soufflet qui n’a jamais monté,
et les dirigeants du label semblaient ne plus vouloir maintenir la cuisson. Le
groupe de Clinton se nommait the parliement
et , mis au pied du mur , il allait enfin révéler sa véritable nature.
C’est que, malgré les
efforts de l’establishment américain , Chuck Berry a désormais des fils
spirituels. Hendrix fit pleurer Clapton lors d’une performance flamboyante,
Miles Davis devint le Paul Mc Cartney du Jazz, sans oublier Marvin Gaye , John
Coltrane , Sly Stone.
Mis en première ligne, Hendrix
subit l’assaut d’un nouvel obscurantisme, un racisme qui venait désormais aussi de groupuscules
noirs. Vexés qu’il ne veuille brandir leur étendard, les black panthers firent
courir le bruit que cet homme jouait « la musique des blancs ». Les
partisans du black power semblaient tenter de rétablir dans les esprits la
ségrégation que Chuck Berry a abolie dans la pop. Comme si les blancs ne
pouvaient groover , comme si les noirs ne pouvaient expérimenter sans trahir
leurs frères opprimés.
Cette étroitesse d’esprit,
ces petites chapelles musicales défendues par fainéantise intellectuelle par les journalistes,
et exacerbées par les partisans de Malcolm X , Clinton passera sa vie à la
combattre. Justement, renommé funkadelic , son nouveau groupe lance le premier
pavé dans cette mare un peu trouble.
Funkadelic , c’est parliament
lavé de sa douceur gluante, le funk s’immergent avec bonheur dans les rêveries
acides. Hendrix avait montré comment élargir le cadre du funk, et Funkadelic
suivait son exemple pour l’exploser. Le disque s’ouvre sur un bouillonnement
qui semble boire le cerveau de l’auditeur , un magma hypnotique qui fait fondre
la raison. Lavés de nos repères aliénants, nos esprits peuvent apprécier la
magie d’instrumentaux faussement désordonnés.
Ces notes aux allures si
peu harmonieuses ne virent jamais à la cacophonie, c’est au contraire une
nouvelle forme de musicalité qui prend place. C’est que cette musique semble
revenir aux origines de la musique, dans la grotte où les premiers hommes inventaient les prémices du
jazz , du funk ,et du blues , sans se préoccuper de les séparer comme ces vieux
symboles d’un passé révolu.
Le groove psychédélique existe,
le blues peut évoquer coït aussi bien que les rythmes funky, et la créativité
musicale n’est pas le monopole de l’envahisseur anglais. Dans ce bouillon de culture,
la musique vit comme jamais. La tradition n’est plus fossilisée, mais nourrit les
exploits contemporains.
Ce disque est aussi le
fruit d’une époque où la musique était tout, où elle ouvrait les esprits et
accouchait d’œuvres sur lesquelles le temps n’aura jamais prise. George Clinton
avait pris sa revanche sur ses managers, et posait les bases d’une discographie
unique, une fête où les traditions copulent sur un rythme libérateur.
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