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samedi 12 septembre 2020

Warren Hayne 2

Gov't Mule: Gov'T Mule: Amazon.fr: Musique 

 « Don’t you mind people grinin in your face »
Warren Hayne déclame ses paroles avec la ferveur du premier communiant. Il est le loup hurlant qui a perdu son choral gospel, un ange mystique perdu sur terre. Toutes les grandes musiques sont mystiques, la musique n’est d’ailleurs rien d’autre qu’une religion qui crée ses dieux. Devant une telle ferveur, les musiciens restent muets , ils savent que leurs instruments ne feraient que déranger cette communion. Ce chant à capela est aussi puissant que Billy Holiday chantant le blues des victimes du KKK sur strange fruit . Cette complainte fait partie de la grande expression de l’âme humaine.
Premier album de Gov’t mule ,  cet album éponyme est un hommage à cette mère universelle, cette terre d’Amérique dont les paysages accouchèrent de tout ce que la musique compte de grandiose. Après la prière a capela de son leader, le trio développe une puissance digne des power trios légendaires. Ce qui frappe avant tout , c’est ce groove gras et rugueux , cette locomotive heavy qui semble tirer toute une partie de l’histoire musicale du sud.

La batterie apache dirige la cérémonie, les riffs dansent autour de ses incantations comme la tribu de Geronimo en pleine fête voodoo. Dans un chaos paroxystique, la guitare entre en transe , grande dévote au service des grandes icônes noires. On sent déjà, dans la mélodie et les instrumentaux rêveurs, une envie de sortir des clichés liés au rock sudiste. La tentative est encore timide, le trio battant un fer brûlant qui ne lui autorise aucun calcul.

Alors Gov’t mule donne quelques pistes permettant de deviner ses futurs coups d’éclat , il esquisse le plan du prochain voyage.  Les riffs lâchent parfois quelques bulles psychédéliques , qui éclatent avec une grâce Gilmourienne. Sur trane , le groupe cherche un peu son groove , fait un détour du coté de Macon , terre natale des frères Allman. Puis le rythme s’emballe, le déluge s’intensifie, et l’âme d’Hendrix ressuscite dans un brasier free jazz rock. Gov’t mule a retrouvé le cœur d’un puissant cratère, et joue comme si sa puissance permettait d’en entretenir la puissance flamboyante.
Ce qui s’exprime ici, c’est la terre et le ciel, la rigueur de la tradition et la recherche dévote d’une beauté mystique . C’est une force supérieure descendant sur cette terre qui a porté tant de grands hommes. Dans ce contexte, Mr Big est bien plus qu’un hommage au groupe Free, c’est le point d’orgue que le groupe de Paul Kossof n’a pu atteindre.  Même quand il rend hommage à un groupe anglais, Gov’t mule garde cette ferveur groovie que seuls les américains savent entretenir.
Gov’t mule est un premier album qui a déjà des airs d’aboutissement, un pavé issu d’une époque où la musique était un totem sacré. Ainsi naquit Gov’t mule , glorieux gardien d’une flamme céleste.
 Le premier album ayant eu un succès honorable, Gov’t mule s’embarque dans une grande tournée américaine. Conscient de la puissance qu’il déploie en concert, le trio enregistre son premier live au Roseland Balroom.

 Ouvert en 1917, cette salle était à ses débuts réservée aux blancs. Les bourgeois venaient y danser sur des airs pompeux, inconscient de la révolution culturelle qui s’apprête à envahir leur salle. Dans les années 20 , le jazz déploie ses ailes d’or , et ses noires magnifiques défoncent les barrières ségrégationnistes à grands coups de swing. De la douceur de Neil Armstrong , à la tristesse éblouissante d’Ella Fitzerald , le jazz est la force irrésistible qui permet à la musique noire d’envahir une première fois les radios et salles de concerts. La révolution en marche atteint vite le roseland balroom , où l’on vibre désormais au rythme du dixieland.

 Quand on sait que Gov’t mule doit son nom à un décret qui promettait à tout esclave libéré une terre et une mule pour la cultiver, enregistrer son premier concert ici sonne comme une évidence. Le rock est le prolongement du jazz et du blues, l’achèvement d’un combat culturel entamé dans les années 20. Après avoir lutté pour imposer leur culture, les dieux du jazz et du blues donnaient naissance à des enfants blancs , caucasiens et noirs se lançaient dans un groove métisse.
 Quand Gov’t Mule découvre le roseland Balroom , il voit d’abord une de ces façades grisâtres qui forment le décor des vieux films américains. Sur le fronton,  le nom de la salle s’affiche en grandes lettres rouges , seule couleur sur un mur sinistre. Le groupe s’installe, la salle commence déjà son grondement dévot, et le rideau s’ouvre. En lançant les première notes, Warren Hayne est impressionné par la disposition des spectateurs. Devant lui, le public forme un gigantesque entonnoir qui semble prêt à l’engloutir. Un étage supérieur est placé sur les côtés de la salle enfermant le trio dans une avalanche de clameurs.

 Une foule pareille ne se maîtrise pas avec des berceuses, et la présentation du groupe laisse rapidement place à une rythmique de plomb. Gov’t mule prend alors le temps de construire son groove sismique, et les instruments hurlent sous la torture de musiciens déchaînés. Ce déchaînement n’est pas dénué d’une certaine finesse et, porté par la puissance de sa section rythmique, Warren Hayne décolle vers des sommets qui n’étaient plus explorés depuis la mort de Duane Allman. Gov’t mule déchire le blues , et Hayne se charge de lui passer la pommade , la grâce de sa guitare sort le groupe du bourbier assourdissant dans lequel trop de ses contemporains se complaisent. Longue improvisation de 16 minutes , Trane met le public à genoux dès les premières notes. Comme une grande apothéose céleste , cette longue divagation s’éteint sur le riff de St Stephen.

 Le San Francisco sound est ainsi repris à la sauce redneck , la cote hippie se réconcilie avec le sud sur un boogie lumineux. Ce soir-là, Gov’t mule redonne un avenir au rock, il défend son héritage sans l’ériger en monument intouchable.

Pour clore la fête, Voodoo child ressemble à l’incantation assourdissante d’une secte antique face au kraken. Cette fois, la force réveillée par cette incantation est le rock dans ce qu’il a de plus virulent. Les amplis tremblent encore lorsque les dernières notes de Voodoo Child s’éteignent, le rideau se refermant ainsi sur les débuts glorieux de Gov’t mule.

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