Les chorus de guitare rugissent comme une bête prête à
mordre , la batterie semble marquer le pas d’une procession funèbre. Dose est
un second disque tendu , ses jams sont tranchantes comme un solo de Ritchie
Blackmore. Thelonious Beck transforme le boom boom de Hooker en explosion heavy
rock , un séisme donnant à chaque pulsation de batterie des airs de décharges
dévastatrices. Warren Hayne ne retient plus ses coups , ses solos tonnent
désormais comme des décharges de canons frappant le mur de la tradition
sudiste. Entre deux éruptions, des titres comme game face laissent la mélodie s’envoler
dans des bulles aériennes , doux relent psychédélique réveillant les grandes
heures de San Francisco.
La violence de Gov’t mule n’est pas un artifice pour impressionner
le chaland, c’est un ingrédient dans son tableau rempli de contrastes. Cette
violence accentue la grandiloquence des refrains, donne au chant des airs de
supplication face à l’apocalypse , et la puissance reste un émissaire au
service de la mélodie.
La ballade towering fool annonce une seconde partie plus apaisée.
La mélodie est douce , presque tendre , c’est un ange que le groupe n’ose
brusquer. Les solos rendent hommage à ce blues tranquille , ils s’élèvent comme
David Gilmour sur Confortably numb. Ce genre de blues rêveur fait le lien entre
le monde virtuose du Floyd et la rugosité sudiste , il rappelle que Gov’t mule
se nourrit à ces deux mamelles antagonistes. La basse de « Birth of the
Mule » sonne d’ailleurs comme la contrebasse de Charle Mingus , dirigeant
ainsi un free jazz heavy, dont les saccades boogie saluent la naissance du rock
sudiste. Là-dessus, la guitare hurle comme une âme damnée, elle fait penser que le Black sabbath des
premières heures s’est joint à cette improvisation folle.
La gloire de Warren Hayne se situe justement dans cette
capacité à marier la carpe et le lapin , en restant fermement enraciné dans le
passé. Il faut entendre son groupe reprendre John the revelator de Blind Wille
Johnson pour comprendre. Ce qui était un gospel blues terreux devient une
grande messe voodoo aux accents bluegrass.
Pris dans ce tourbillon mystique , les lamentations de
Warren Hayne semblent tutoyer les grands esprits. La tradition danse une
valse fascinante, les fantômes du passé accouchent d’une mélodie unique. Les
mélodies de Gov’t mule ont le charisme de ces vieux disques qui dorment dans
les caves des grands labels, ces documents retraçant une époque où tout était à
inventer.
Les critiques pourront toujours chercher , dans le
moindre solo ou la moindre note , les traces d’un plagiat de classiques du
passé. Cette recherche laborieuse ne fera que faire grandir leur admiration face
à cet édifice novateur fait d’un bois venu d’un autre âge. Si le groupe
parvient à rapprocher des éléments en apparence opposés , c’est qu’il joue
comme si tout restait à inventer.
Après tout , Chuck Berry n’a fait qu’accélérer le blues ,
Sun Ra a joué du bebop pendant des années , et les premiers hard rockers n’étaient
que des bluesmen blancs. Mais ceux-là s’étaient approprié ce patrimoine , et l’emmenaient
progressivement sur des chemins de plus en plus inexplorés. C’est exactement ce
que fait Gov’t Mule avec ce Dose.
Ce second album est aussi le début d’une période de
maturation qui va, progressivement, mener la mule à produire des mélodies de
plus en plus riches.
Après la sortie de Dose , Gov’t Mule effectue une série
de concerts monumentaux , où il réinvente ses standards entre deux titres de ses
albums. ZZ top , Black Sabbath , Neil Young , les classiques se réinventent
ainsi dans des prestations qui n’ont rien de nostalgiques. Sorti après cette
série de concerts triomphaux , life before insanity est un disque plus
anglophile que son prédécesseur. Le boogie le plus gras côtoie ainsi les
mélodies tolkenniennes de Led Zeppelin , les ballades font preuve d’une douceur
pop digne des sixties. Il y a un monde entre wandering child et life before
insanity , Gov’t mule dessine de nouvelles contrées et nous guide à travers ses
décors.
La mélodie féerique de « life before insanity »
rappelle les paysages fantastiques d’house of the holy, alors que bad little
doggy suit les leçons de Led Zeppelin IV. La rythmique s’emballe , ralentit brusquement,
change de direction brutalement , et les solos décollent au milieu de cette
terre pleine de cratères impressionnants. Cette alchimie musicale est celle qu’initia
Jimmy Page, grand druide du hard rock alliant l’ombre menaçante du rock le plus
dur , et la beauté lumineuse de mélodies épiques.
Your Burden Down permet à Gov’t mule de ramener cette
magie en Amérique, d’appliquer ce procédé aux terres plus traditionnelles de la
musique américaine. Le synthé purplelien entre dans une chevauchée sanguinaire ,
qui donne au boogie blues un tranchant inédit. Incantation de l’esprit d’Howlin
Wolf dans un chaos heavy , le titre est un puissant hommage aux martyrs des
champs de cotons.
Puis vient ce qui restera comme le sommet de la première
période de la mule , fallen down. Ce titre dépasse toutes les étiquettes , c’est
une pop solennelle comme les vieux blues , un blues drapé dans la finesse
séduisante de la pop, une homélie musicale appelant Dieu sur un solo céleste.
Autant l’avouer, la mule n’a jamais fait mieux que ce titre , ce qui ne veut
pas dire que life before insanity est son meilleur album. Ce troisième disque
montre encore un groupe à peine sorti de l’œuf, il fait encore partie des
premiers pas d’une formation qui ne demande qu’à mûrir.
Life before insanity montre un groupe qui s’emballe dans de grandes orgies
heavy , des éruptions impressionnantes sans être complétement maitrisées. Si
beaucoup considèrent les trois premiers albums de la mule comme des sommets indépassables,
c’est par attachement à la formation originale.
La fin brutale de la première formation de la mule a
entrainé une forme de nostalgie qui a beaucoup nuit à la suite de la carrière
du groupe. Quand, quelques mois seulement après la sortie de Life Before
Insanity , Allen Woody fut retrouvé mort d’une overdose , tout le monde savait
qu’il emportait l’identité du trio dans la tombe.
Si il est vrai que les trois albums qu’il a produit avec
le groupe sont des classiques incontournables , que le groupe ne sonnera plus
jamais de la même façon , il entame tout de même une seconde partie de carrière
brillante.
Mais avant la renaissance vient le temps du deuil.
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