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samedi 26 septembre 2020

Warren Hayne 6 bis (parenthèse live)

 



Ces derniers temps, je reviens souvent à l’idée selon laquelle les frontières entre le blues, le jazz, et le rock sont bien minces. Chuck Berry était un fan des grands jazzmen, qui lui mirent un coup de couteau dans le dos historique, sur le film « jazz on a summer day ». Au début les musiciens défendaient leur chapelle, autant pour préserver leur gagne-pains que par conviction. En perte de vitesse dès la seconde partie des années 50, les jazzmen ne tenaient pas à être enterrer par des manchots tout juste capables d’aligner trois accords.

 

Mais il y’avait, dans ces éructations libidineuses , une énergie increvable. Plus opportunistes et rationnels, les grands bluesmen reconnaitront leurs héritiers, et profiteront largement de l’explosion du rock. Salués comme les inventeurs de cette puissance libératrice , Muddy Waters , John Lee Hokeer, et autres vieux routards, connaissent un second âge d’or dans les sixties.

 

Le blues ne sera pas le seul à être récupéré par des anglophones en pleine boulimie d’innovation sonore. Le Jazz , lui aussi , ressuscite via les mélodies délirantes de soft machine , la folie sauvage des stooges trouve ses fondement dans le free jazz, et Zappa part dans des improvisations interminables , suivant ainsi les enseignements de Miles Davis et Coltrane.

 

La conquête est totale, l’harmonie entre les genres parfaite, et c’est au tour du grand Miles de se frotter à sa descendance. En pleine enregistrement de Bitches Brew , il affirme solennellement avoir réuni le meilleur groupe de rock de tous les temps. 

 

A l’origine de ce flirt jazz rock, on en revient encore au sud américain. Lieu béni où tout a commencé, la terre natale de Muddy Waters et Elvis accouche ensuite de l’Allman brother band.   

 

Sorti en 1969, le premier album du groupe est l’annonciateur d’une virtuosité qui s’épanouit glorieusement sur « live at fillmore ». Là, sur la scène d’une salle qui annonce la musique de demain, l’Allman brother band se livre sans filet. Le groupe est un vaisseau rutilant, qui démarre sur un blues rock carré , avant que Duane ne fasse décoller sa carcasse à grand coup de solos vaporeux. 

 

Si les Allman Brother sont les jazzmen du blues , alors Duane est leur Miles Davis , celui qui transcende le tout en plaçant ses notes au moment clef. Cette grâce virtuose, cette union solenelle de musiciens connectés à la perfection dans un groove blues jazz, le groupe va la perdre avec son soliste.

 

Lynyrd prend alors la suite quelques années plus tard, mais la formule n’est plus la même. Tout évolue très vite, et le groupe de Vand Zant est déjà le fruit d’une autre époque. Fasciné par le blues boom anglais , Lynyrd part dans une direction plus pop. Pour lutter à armes égales avec led zeppelin ou les who , les guitares sont plus incisives , les improvisations plus tonitruantes, le jazz se fait la malle. 

 

Loin de moi l’idée de dénigrer un groupe aussi essentiel, ou de relativiser l’importance de la vague qu’il a entrainé. Je souligne juste qu’il mettait fin à une certaine vision de la musique sudiste. Les Allman Brother n’ont absolument pas été régénérés par leur descendance, bien au contraire. Mené par un Gregg Allman ayant trouvé refuge dans la boisson, le groupe décline progressivement. Même l’excellent « brother and sister » n’a pas intéressé grand monde , et rares sont ceux qui écoutent les albums suivants.

                                          

Et puis le groupe va trouver un nouveau moteur en la personne de Warren Hayne. Aussi doué en soliste qu’a la slide , Hayne entraine l’ABB vers un retour aux sources. Régénéré , l’ABB sort d’abord « shade of two word » , qui renoue avec la beauté chaleureuse de leurs débuts. Mais Hayne est aussi un improvisateur inventif, autant friand de blues binaire que d’épanchement jazzy, et le live au beacon theater fait renaître la flamme perdue depuis la sortie du live at fillmore. 

 

En parallèle, l’Amérique s’est lassée des mélodies mielleuses des années 80, et l’authenticité revient à la mode. C’est d’abord le sud post Allman qui en profite avec le succès des Black crowes. Les riffs à mi-chemin entre les Stones et Led zeppelin montrent un groupe faisant renaitre l’héritage de Lynyrd Skynyrd. L’histoire bégaie, mais la musique portée par l’ABB n’en sera pas une nouvelle fois victime. 

 

Warren Hayne est plein de projets , et profite de ce contexte favorable pour les réaliser. Sorti en 1993, son premier album solo ne s’est pas vendu autant que les premiers succès des Black crowes, mais l’essentiel n’est pas là. Tout en puissance groove , le disque posait les bases du projet qu’il réalise ensuite avec Allen Woody. 

 

Les deux hommes partagent le même amour du blues virtuose, amour qui nourrit la puissance du premier album de Gov’t mule. A une époque vouée à la puissance sonore, on se pâme sur cette violence crue , qui fait dire à beaucoup que le jimi hendrix experience a trouvé un nouveau descendant. Comme l’Allman Brother Band , Gov’t Mule privilégie l’efficacité sur ses disques , qui paraissent presque pâles à coté de ses prestations sur scène. C’est d’ailleurs le groupe des frères Allman qui lui met le pied à l’étrier, en l’invitant à faire sa première partie.    

 

Les premières minutes que le groupe passe face à son public sont capitales, elle conditionne ce que sera le reste de sa carrière. Et c’est précisément ces premières minutes que l’on découvre sur « the georgia bootlegs box ». Pour marquer le coup, le riff de blind man in the dark sonne comme une sirène annonçant le règne de nouveaux conquérants. On pourrait rapprocher cette puissance menaçante avec l’immigrant song de Led zeppelin , le groove en plus. On découvre d’emblée à la face la plus directe de la mule, celle qui pointait si bien son nez sur le premier album. Cette force, Gov’t mule la revendique clairement lorsqu’il reprend le pachydermique « don’t step in the grass sam »,  le brûlot proto hard rock de Steppenwolf.   

 

Mais la Mule ne partage pas la précipitation fulgurante du groupe de John Kay. Sa puissance, il lutte pour la perpétuer dans de longues improvisations, où il salue Zappa , Pink foyd et Grateful dead au détour d’instrumentaux plus apaisés. On passe du Mississipi à la Californie, de la hargne hard blues à la folie psyché prog.

 

Et puis l’envie de faire parler la poudre se fait de nouveau sentir, et le groupe entérine sa conquête sur un young man blues à faire rougir Towshend , avant de saluer la puissance irrésistible de Billie Gibons sur « just got paid ».

En cette année 96 , Gov’t mule achevait de réhabiliter cette vieille virtuosité sudiste. Le Jazz et le blues flirtaient de nouveau sous le regard bienveillant de la fée électricité, et Duane Allman aurait sans doute regardé ça avec un sourire plein de satisfaction. 

 

 

 

Le roxy theater restera , pour beaucoup , la salle où Zappa atteignit le sommet du free jazz déjanté. Dans ce décor respectant parfaitement la grandiloquence de Los Angeles , le fou à moustache a donné les plus grands concerts de sa vie , accompagné du plus grand groupe qui l’ai jamais porté .

 

Comme lui , Gov’t mule va vivre ici une soirée historique, le début de son virage vers une musique plus mature. On ne le répétera jamais assez, mais « dose » était le sommet d’une musique foudroyante, qui ne pouvait que s’émousser au fil des répétitions.  En vieux routard, les américains cherchèrent leurs voies sur scène, espace de totale liberté, où ils développaient des improvisations uniques. 

 

A ce titre, le premier disque constitue le début de la route, la mule fouillant dans ses influences comme un guerrier du blues faisant l’inventaire de ses armes. Vient bien sûr d’abord le blues, et ce thorazine shuffle rallongé avec bonheur, dans la pure tradition des frères Allman. Cette ouverture représente le socle permettant au groupe de décoller sans perdre pied, c’est la sève savoureuse d’une œuvre qui ne cesse de ce complexifier.

 

A la fin du titre, Hayne souhaite à son public une bonne année 1999, époque célébrant un rock alternatif dont il est très éloigné. Comme pour enfoncer le clou de cette différence, le riff plombé de « war pigs » vient secouer les murs de l’impressionnante enceinte. La version des sudistes est moins sombre , moins immédiate aussi , le trio ne pouvant s’empêcher de rallonger ses coups de tonnerre à travers de savoureuses improvisations.

 

On reconnaîtra à leur batteur le mérite de faire oublier la frappe assommante de Bill Ward , le groove du groupe donnant au tout un coté plus puissant que braillard. Hayne n’est pas Ozzy , et son chant plein de lamentation, allié à ses solos virtuoses achève de prouver que , à une certaine époque, le sabb prêchait bien le même culte que les pionniers du hard blues.

 

Le clou est enfoncé par cette version habitée de 30 days in a hole , le brûlot rock d’Humble pie, transcendé par la force d’une jam où son énergie viscérale pactise avec  l’épaisseur graisseuse engendré par le zeppelin de plomb.  On ne s’étonnera pas que « mr big » referme ce premier ballet d’hommage, la finesse rugueuse de Free ayant donné un second souffle au rock venu du sud-américain.  

 

Déjà transcendé sur son premier album studio, Mr Big s’ouvre sur un solo qui semble demander la bénédiction des pionniers du Chicago blues. Puis vient ce riff inusable, boogie lancinant au feeling vicieux. Les anglais ont toujours cherché ce son, cette grâce traditionnelle, mais seuls les américains semblent capable de l’exprimer avec autant de pureté.

 

Le blues anglais a toujours eu quelque chose d’un peu hors sujet, une finesse mélodique plus pop que purement blues, c’est sa grandeur et son plus grand complexe. La mule ne fait pas exception à la règle, qui veut que les musiciens américains sont réellement habités par le blues, et donne au titre de Free un nouvel aboutissement.

 

Du boogie , on en aura encore une bonne tranche avec ce « look on yonder wall » , au riff sautillant que n’aurait pas renié Status quo du temps de sa splendeur. Un piano bastringue fait son entrée, subtile annonce d’une deuxième partie de concert où le groupe semble se métamorphoser. 

 

On part ensuite sur quelque chose de plus sophistiqué, comme la superbe intro jazzy de soulshine. Le feu d’artifice se fera alors plus mélodique, plus musical aussi, comme pour donner plus de profondeur à une performance des plus intenses.

 

Et c’est cette seconde partie, où les jams du groupe laissent percer leurs douceurs cajoleuses, qui s’avère la plus intéressante. Le tout trouve son point d’orgue sur « Cortez the killer », monument du loner, dont la mule étire le folk méditatif sans en amenuiser la beauté bucolique.

 

Beaucoup penseront que la seconde vie de Gov’t mule ne démarrera qu’à la mort de son premier bassiste, mais les germes d’une seconde partie de carrière grandiose se trouvaient déjà sur ce disque.  

 

 

 

Notre époque manque de passeurs, ces artistes capables de faire entrer la tradition dans l’ère moderne. Et c’est précisément ce que fut Gov’t mule dès ses débuts, un power trio venu mettre un grand coup de pompe dans l’héritage des seventies , histoire de voir quel visage il aurait après ce vivifiant outrage. Je ne vais pas m’étaler une nouvelle fois sur les albums studios, qui donnèrent un vent de fraîcheur au rock du sud américain,  ceux-ci ne sont rien comparés à ses prestations scéniques.

 

Là, devant un public qui ne sait à quoi s’attendre, Gov’t mule arbore un nouveau visage, émaillant ses prestation de reprises qui sont autant de réappropriations d’un glorieux répertoire. Enregistrer ce groupe le jours du nouvel an était plus qu’une coïncidence, c’était l’affirmation que le rock survivrait à ce nouveau millénaire.

 

Paraphrasant le MC5 , Warren Hayne déclare fièrement : « it’s time to choose if you want to be part of the problem or if you want to be part of the solution ». La dessus, le riff de bad little doggie déboule de manière tonitruante. Ce n’est pas une simple ouverture, c’est le cri d’un groupe qui fait sa nouvelle mue, les guitares déchirant son feeling hard blues dans des saillies sonores dignes des grandes heures du rock de Détroit.  

 

Même sur la power ballade « blind man in the dark » , il plane une tension orgiaque , comme si le groupe savait qu’il vivait un moment fort de sa brillante carrière. On se prend littéralement cette rythmique lourde en pleine figure , Matt Abts martelant ses fûts avec une violence que n’aurait pas renié John Bonham. Le titre est aussi l’occasion pour Hayne de placer un solo déchirant au milieu de la tempête, solo qu’il fait durer pendant quelques vivifiantes minutes, son groupe restant concentré sur son feeling , comme un équilibriste sur sa corde.

 

Cette fascination qu’engendre les longues envolées instrumentales est intemporelle , c’est la lutte du musicien pour garder sa justesse, dans un moment qui ne lui laissera pas de seconde chance. A ce jeu-là, Gov’t mule se distingue toujours , même si il a remplacé le coté méditatif des frères Allman par une puissance plus proche de sa génération.

 

Si on est envoûté par l’ouverture tout en finesse de « life before insanity », c’est parce qu’elle renforce la virulence du  riff binaire qu’elle introduit. Cette façon de souffler le chaud et le froid au sein d’un même morceau n’est d’ailleurs pas sans rappeler Led zeppelin , inspiration que le groupe revendique à travers une vibrante version de dazed and confused. 

 

Le talent de Warren Hayne , comme celui de Page à sa grande époque , c’est d’avoir su flirter avec des rythmes moins simples , des mélodies plus raffinées , sans perdre cette excitation liée à la musique la plus basique. Son groupe a beau multiplier les cassures rythmiques , partir dans des jams à rallonge comme si il lançait le moteur d’une puissante machine , on a toujours l’impression que le voyage se termine trop tôt. 

 

C’est que Hayne sait trousser une mélodie, qui revient entre les instrumentaux, comme une apothéose, avant de s’effacer de nouveau derrière une nouvelle charge bluesy. Ce bon vieux Warren joue de la guitare comme Coltrane joue du sax , ces improvisations lui permettant d’oublier toute mesure. Là où les autres auraient enchaîné trois notes, il en case le double, ne se reposant que quand il se recentre sur des mélodies toujours dotées d’une chaleur jazzy.  

 

Lointain descendant de Mick Bloomfield, il sait se faire discret et sobre sur les lamentations enivrantes de towering fool , avant de se lâcher sur une countdown jam qui ressemble à un manifeste. 

 

Nous voilà près pour un voyage en forme d’inventaire, la pression orgiaque ne redescendant que le temps de l’intervention de Little Milton , venu célébrer le Chicago blues à l’heure du nouveau millénaire.  

 

Les reprises s’enchaînent comme autant de dépoussiérages. Sans surprise , c’est « 21st century schizoid man » qui suit le décompte annonçant le début des années 2000. Le titre était déjà le plus virulent épisode de l’histoire du rock progressif, la mule en fait un blues zeppelinien, corrosif et irrésistible. Le manifeste paranoïaque du roi cramoisi n’a jamais était aussi vibrant, Hayne dressant un monument à la gloire du hard blues , le temps d’un solo massif comme un obélisque dressé en l’honneur de ce nouvel âge.

                                                                                     

 Helter Skelter n’a jamais été aussi puissant, we’re not gonna take it place le rythm n blues à un autre niveau d’énergie rythm n blues, et les frères Allman sont célébrés à travers une version accélérée de end of the line. On redescend ensuite dans les terres country folk du band , comme si les sudistes avaient besoin de retrouver leurs racines le temps d’une reprise respectueuse de « I Shall be released ».

                                          

Cette ballade prépare le terrain à une reprise de simple man, qui voit le groupe troquer sa violence rythmique contre un lyrisme allant crescendo jusqu’aux fameux refrains. Voilà où se situe la grandeur de Gov’t mule , ses reprises se glissent dans son répertoire naturellement , elles puisent aux mêmes sources et brillent du même éclat.

 

A l’image d’un Dylan, le groupe n’a plus qu’à interpréter ses titres au gré de ses lubies, accélérant ou ralentissant ses tempos, et transformant la mélodie le temps d’un concert. Le musicien est alors un mage qui manipule ses formules devant un public médusé. Cette fascination n’a pas d’âge, elle s’affranchit des époques, montrant ainsi que le rock, comme la musique de Gov’t mule, est éternel.    

 

 

 

 

 

Lorsque ce live est sorti, en 2014 , les puristes ont du se demander ce qui était arrivé à Gov’t mule. Certes , le groupe a toujours pris un malin plaisir à parer le blues sudiste de ses dorures mélodiques. Les premiers albums annonçaient donc la renaissance de ce rock rugueux, qui se parait désormais de sonorités plus complexes, d’un son au pouvoir de séduction moins immédiat.

                                                                    

Les trois premiers disques gardaient pourtant une puissance groovy propre aux enfants de Lynyrd , tout en laissant deviner une virtuosité qui ne demandait qu’à s’épanouir dans des univers plus larges. Un compromis entre la rugosité de leur Amérique profonde et la puissance mélodique des plus grands groupes anglais, voilà ce que représentait la mule. Mais de là à crier son amour d’un symbole de la pop élitiste il y’avait une marge.

 

Nous voilà donc, encore une fois face à cette vieille peur : les messies que les rockers avaient choisis étaient-ils en train de nous faire leur aveu d’impuissance. On en a vu tant s’étioler dans le bain visqueux du passéisme putride, que la peur nous serre le cœur à chaque reprise, et le moindre hommage est fatalement déclencheur de soupçon. Le rock est comme l’homme, s’il ne bouge pas il s’affaisse, perd toute puissance de séduction, et finit par ne susciter que dégoût et rejet.

 

Voilà pourquoi les jeunes préfèrent le rap au rock. Certes le rap est con, mais il s’agit d’une connerie variée, foisonnante, aussi inépuisable que celle qui qualifie une bonne part de l’espèce humaine.  

 

Alors, pour dissiper toutes ses peurs , la mule lâche les chevaux dans une ouverture où il dynamite ses classiques. Les solos ravageurs de Warren Hayne renouent alors avec la puissance des débuts, pendant que les claviers nous préparent en douceur à la prestation d’un groupe, qui ne cessera de troquer la naïveté de ses premiers cris contre une nouvelle forme de beauté musicale. Une approche en douceur du « côté sombre de la lune », voilà ce que représente la première partie de ce concert, le gang de l’ex Allman produisant un boucan digne d’une fusée en plein décollage, pour rassurer ses passagers sur les capacités de l’appareil dans lequel il embarque.

 

On commence à entrevoir les décors lunaires grâce à un instrumental fiévreux , ou eternity breath est transformé en groove spatial , avant de laisser place à une version dépouillée du fameux riff de St Stephen. Avec une rare intelligence, Gov’t mule parvient à s’approprier l’ambiance fascinante d’eternity breath , St Stephen enchainant sur une énergie beaucoup plus directe. Comme si le groupe dessinait sa propre dualité à travers ce passage majestueux.

 

Le premier décollage a eu lieu, mais il est rapidement suivi d’une dernière escale sur terre, le temps de refaire parler la poudre. Et puis le groove change progressivement de forme, la mélodie passe lentement devant la puissance électrique, comme si la brute avait laissé place au poète.

 

C’est que Gov’t mule a muri depuis le départ tragique de son premier bassiste , et ce live commence à ressembler à une victoire du groupe dans son long combat vers la maturité. J’avoue pour ma part apprécier autant la première période que la seconde, et je ne suis visiblement pas le seul à apprécier que Gov’t mule puisse faire autre chose que du blues tueur de tympans.

 

La preuve, lorsque Warren Hayne annonce un set « vraiment spécial » , et que les premières notes de child of the earth résonnent , le silence se fait et une autre magie commence à faire effet. Vient ensuite « shine on you crazy diamond » , qui nous permet de saluer l’humilité d’un guitariste qui n’a pas cherché à singer la beauté atmosphérique du jeu de David Gilmour.

 

A la place, il fait entrer le groupe dans un jazz cotoneux et éblouissant, le prodige spirituel naissant de l’alliance de ces musiciens plus attachés  à leurs buts qu’à leur égo.  C’est encore une nouvelle spiritualité qui semble ressortir de ce moment merveilleux, où le public uni comme un seul homme déclame les fameux vers de wish you were here. Cette ballade dédiée au génie perturbé que fut Syd Barett devient alors un hymne universel, la perte de ce grand homme résonnant dans chaque cœur d’une façon différente, mais avec la même force. Si il y’a une force supérieure, elle se situe dans ces refrains , qui nous attirent pour mieux nous élever. La musique ayant réussi à produire des moments de communion que la religion ne peut que singer gauchement.  

 

Et ses classiques, que le public a choisi de s’approprier, Gov’t mule les encre entre ses compositions, comme si ils étaient issus du même moule. Il fait ainsi plus que rendre hommage à un monument qui brillera toujours tel un diamant fou , il justifie un virage élitiste que beaucoup semblait lui reprocher depuis la sortie de « déjà voodoo ».

 

L’élève est allé chercher auprès du maitre la matière capable de justifier sa nouvelle existence, et les deux parties se sont régénérées à travers cet échange plein d’humilité.  

 

                   

La disparition violente d’Allen Woody , au début des années 2000 fut un choc pour tous les fans de Gov’t mule. Le bassiste était le moteur du groupe , celui qui permettait à ce jams band de développer une énergie dévastatrice , capable de rivaliser avec la puissance zeppelinienne des black crowes. La tragédie se situe surtout dans le fait que, après un début de carrière tonitruant, le groupe commençait à se diriger vers un rock plus complexe. Timidement esquissé sur « life before insanity », ce virage prometteur permettait au groupe de produire des ballades aux arrangements fouillés.

                                                         

On pensait que cette évolution n’avait pas eu le temps d’aller plus loin lors de la période Woody, mais une vidéo est venue tous chambouler. Publiant ses hommages au compte-goutte , Warren Hayne a diffusé un extrait d’un live que le groupe effectua au Roxy , en 1999.

 

Nous sommes quelques mois seulement avant la mort de son bassiste et, avide de découvrir de nouvelles sonorités , Gov’t mule a invité John Scotfield à se joindre à eux le temps d’un concert. Le guitariste fait partie des pionniers de cette fusion entre le blues et le jazz, qui contamina le rock dans les années 60-70.Cette fusion, il la développait déjà en compagnie de Gerry Mullighan et Chet Baker, avant de rejoindre un John Duke qui ne jouait pas encore avec Zappa.

 

Nourri par ses deux influences, l’homme a publié une série de disques qui s’insèrent dans le revival jazz porté par Zappa , soft machine , et autres fils du grand Miles. La rencontre entre l’icône du jazz et les représentants modernes du rock sudiste se fera autour d’une série de titres piochés dans le répertoire des deux artistes , de John Coltrane, et de James Brown.

 

La rencontre entre deux des plus grands guitaristes vivant auraient pu faire craindre un duel pompeux, une série de mitraillages visant à aligner le plus de notes possibles. Heureusement, il n’en est rien, et les musiciens oublient totalement leur ego. 

 

Charger de diriger les explorations de ce nouveau big bang , Allen Woody est étonnamment à l’aise dans ce registre plus groovy. Dans un premier temps, la puissance tout en finesse qu’il développe avec Matt Abbs fait forcément penser aux Allman Brothers. Le rythme sautillant, parcouru de divagations hypnotiques , est dans la droite lignée de ce que le groupe de Duane livrait sur « in memory of Elisabeth Reed ».

 

Mais Hayne et Scotfield ont aussi fait leurs classes dans un tribute band de Grateful dead , ils savent comment faire évoluer une mélodie. Le rythme se fait de plus en plus doux , les instrumentaux deviennent de confortables édredons sonores , et l’odeur du jazz se fait fortement sentir. On ne dira jamais assez de bien de afro blues et devil like it slow , qui flirtent avec les grandes heures du Mashavishnu orchestra.

 

Ce n’est pas pour rien que ce disque est totalement instrumental, toute parole aurait brisé la beauté de cette symbiose virtuose. Les musiciens n’effectuent pas des reprises dans le sens le plus strict du terme , mais plutôt dans la tradition des grands big bang de jazz. Le titre est un repère, une base qui permet aux musiciens de progressivement construire une symbiose unique. La musique devient alors l’expression d’âmes unies dans un combat visant à maintenir la force mystique qu’ils ont créé.   

Cette symbiose permet au groupe de développer une version plus raffinée du groove de funkadelique, sans que l’on ait l’impression de changer d’univers.  

 

 

Warren est-il le Ronnie Van Zandt de notre époque ? Son entrée dans l’Allman Brother’s Band signa le dernier âge d’or du groupe de Macon. Virtuose de la six cordes , Hayne apportait une certaine classe au blues terreux de « Shade Of Two Word ». C’est aussi pendant son passage au sein de l’Allman Brother Band qu’il rencontra Allen Woody.

Les deux hommes partagent bien sûr l’amour du blues , mais aussi une culture rock impressionnante , qu’ils souhaitent mettre au service de leur propre formation. Ainsi né Gov’t Mule , un groupe fait pour dépasser les clichés et limites du rock sudiste. D’abord un power trio , il apporte au rock sudiste ce que Hendrix apporta au blues rock : une révolution.

On ne peut que regretter que ses premiers disques , flirtant avec le hard rock anglais et la pop , tout en restant solidement plantés dans les terres du sud américain, n’aient pas fait plus de disciples. C’est que la formule si personnelle de la mule exige autant de virtuosité que de conviction, et les jeunes préfèrent souvent parcourir les chemins balisés par les grands des seventies ou les Black Crowes.

Puis, en 2000, Allen Woody part rejoindre Duane Allman, ce qui est loin de tuer le groupe. Le parallèle avec le drame vécu par les Allman Brother n’est pas anodin. Comme eux la mule ne sonnera plus de la même façon après ce coup du sort. Le groupe des frères Allman trouva son salut dans la tradition, accentuant sa sonorité country pour faire oublier les tensions internes. La mule, elle, préfère la fuite en avant.

Toujours plus ambitieux, le groupe n’a cessé de livrer des productions de plus en plus soignées , et des compositions aussi alambiquées que charmantes. Les musiciens avaient alors atteint un statut important, au point de réunir la nouvelle et l’ancienne génération sur un « shout ! » où Elvis Costello laissait place à Myles Kennedy.

La première partie, composée des compositions jouées par le groupe, montrait une machine bien huilée et au sommet de sa grandeur. Alors que le second disque, chanté par des invités, était une célébration du rock comme on n’en a produit peu depuis le rock'n'roll circus.

Certes , les albums studios nécessitaient parfois plusieurs écoutes afin d’apprécier pleinement les fresques instrumentales des sudistes, mais on était sûr que le jeu en valait la chandelle. Le groupe ne voulait pas se laisser fossiliser et, sorti en 2014, ses disques d’hommages étaient les témoins de cette intention de réinventer le passé à sa sauce. C’est d’ailleurs un extrait de « Dark Side Of the Mule » qui marque d’abord l’esprit quand on écoute ce live, Gov’t Mule transformant le space rock d’ « Eternity Breath » en blues mystique, laissant place à un « St Stephen » transformé en boogie virtuose.

Les titres des derniers albums , eux, gagnent paradoxalement en efficacité , comme si le groupe de Warren Hayne tricotait toutes ces fresques pour atteindre l’évidence. C’est que le groupe maîtrise un art qu’on croyait perdu depuis l’époque des jams band , une façon de maintenir la tension à son intensité maximum , tout en la parsemant d’explosions éblouissantes de classe. Les compositions deviennent ainsi de véritables épicentres, autour desquels se diffusent ses tremblements hard rock ou jazzy.

Le temps suspend ainsi son envole pendant un solo Pagien, avant qu’un saxophone relaxant ne vienne convoquer le fantôme de Miles Davis. Les titres deviennent des prétextes à une grande cérémonie, où l’esprit de l’auditeur est propulsé par un groove réconfortant, vers des sommets qu’il ne souhaiterait plus quitter.

Les musiciens deviennent alors de glorieux mages face à une foule de Devos, la musique prenant une teinte mystique. Ce soir-là , au Capitol Theater , le public eut l’impression de vivre bien plus qu’un simple concert.

 

 

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