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jeudi 26 novembre 2020

Tom Petty 3



 1985 commençait pourtant bien, le succès ayant permis à Petty de monter son propre studio. Cette tradition, instaurée par Hendrix, permet surtout aux gros groupes de ne plus se préoccuper des disponibilités des studios. Galvanisé par cette acquisition, Petty voulait produire son album concept. Popularisé avec le grandiose sergent Pepper , l’album concept a connu son âge d’or dans les années 70, grâce aux Who , aux Pretty Things , à Lou Reed etc…

Le concept permet surtout au groupe de centrer ses compositions autour d’une trame narrative, elle lui impose de trouver une méthode capable de relier ses compositions. Les Who avaient suivi l’exemple de l’opéra, en composant une ouverture, un entracte , et une fin. Les Beatles, eux, préférèrent ouvrir et fermer leur album culte sur la fanfare du sergent poivre. Ce qui rend l’exercice du concept album compliqué, c’est que la musique doit être aussi cohérente que l’idée qui préside à sa création.

Or, les Heartbreakers n’y parviennent pas, et se perdent dans leurs tentatives narratives. Certains titres sont bons, la plupart semblent accrocheurs, mais ils semblent partir dans tous les sens. Pour supporter la pression des tournées incessantes, Petty s’est mis à la cocaïne, ce qui ne l’aide pas à mettre de l’ordre dans son puzzle conceptuel. Pousser à bout par ses échecs successifs, le chanteur frappe le mur avec une telle rage , que l’on entend ses os prendre la forme de la poudre qu’il se met dans le nez.

A l’hôpital , ses médecins se montrent pessimistes , il ne pourra sans doute plus jamais jouer de la guitare. Pressés par les délais, les Heartbreakers décident de compiler les titres précédemment enregistrés, et d’en faire l’album southern accent. Nous sommes alors en 1985 et, si southern accent n’est pas un concept album, il s’inscrit tout de même dans une série d’œuvres témoignant du marasme de l’époque.

Le rock est mort l’année précédente, en 1984, quand Springsteen a sorti l’insupportable Born in the U.S.A. Sa plume était pourtant toujours à son meilleurs niveau, le texte du morceau titre était d’ailleurs là pour en témoigner. Réduit à un simple hymne patriotique par un vieux cow boy Tatcherophile , born in the USA pointait le sort pitoyable que l’Amérique réservait à ses soldats envoyés, et revenus, du Vietnam. Mais le boss aurait dû se douter qu’enrober dans un tel soufflet pop , sa protest song ne pouvait que passer pour une vieille ganache réac.

La forme influence malheureusement la compréhension du fond , et cette musique aurait pu illustrer la connerie guerrière d’un Rambo. Ajoutez à cela le clip de De Palma, où l’ex grand rocker danse ridiculement en compagnie de Courtney Cox, et vous assistez à la transformation du rock en produit de consommation. Et bien southern accent est le born in the usa de Tom Petty.

Les choses commençaient pourtant bien , rebel renouant avec le lyrisme rock de damn the torpedoes. Puis le clavier s’est mis à la page , ses sifflements agaçants flirtant parfois avec la beauferie tapageuse d’un Van Halen. Autrefois présent sans être envahissant, le synthé noie désormais des guitares qui, de toute façon n’ont pas l’air très enthousiasmés par ce qu’elles jouent. Sorte de relique d’une ambition abandonnée, les cuivres de the best of everything semblent porteurs d’une trame musicale prometteuse , d’une mélodie qui aurait pu donner un peu de cohésion à cet album sans tête. Finalement, il est placé en fin d’album, comme l’aveu d’impuissance d’un groupe qui n’a pas su être à la hauteur de son ambition.

Si il se vend bien aux Etats Unis, southern accent marque déjà la fin de l’âge d’or des heartbreakers, grands rockers étouffés par la superficialité de leur époque.

 Alors que Tom Petty commence une rééducation qui durera plusieurs mois, MCA comble le vide en sortant son premier album live. Paru la même année que southern accent (1985), et composé de prestations récentes, pack up the plantation est un live historique. Tels les Rolling stones , les Heartbreakers compensèrent leur panne créative par une énergie scénique décuplée. Il faut dire que, en 10 ans, le groupe s'est créé un répertoire truffé de perles, qu’il regroupe dans un grand best of scénique. Seul gimmick dans un show assez sobre, le drapeau sudiste rappelle les origines que notre rocker revendique sur son dernier album. A la droite de ce drapeau, deux choristes sont prêtes à enrober les mélodies de Petty dans un écho gospel. De l’autre côté du symbole sudiste, des cuivres discrets ajoutent un peu de chaleur au rock des Heartbreakers. 

Sur Breakdown , les choristes n’oseront tenir leur rôle d’échos fervents , intimidés par la formidable symphonie vocale à laquelle ils assistent. Le riff se dandinait comme Keith Richard sur le riff de Brown Sugar , la voix angélique de Petty entamait les premiers vers de son blues sentimental. Alors que le chanteur venait à peine de finir le premier couplet de son blues, la foule se met à chanter dans un chœur si parfait , que les musiciens se contentèrent de l’accompagner.

A la fin du premier couplet, Tom gratifie la foule d’un «  vous allez me faire perdre mon boulot» admiratif. Le public donne ensuite à la voix de Petty l’écho formidable qui marque les grandes communions musicales. A la fin d’une grande improvisation, les chœurs finissent par reprendre le contrôle, et guide la mélodie vers une coda finale, qui fait progressivement retomber la pression. Le moment que je viens de décrire est aussi important que Hendrix brûlant sa guitare à la fin du star splanged banner, c’est le genre d’événement qui donne au rock des allures de force sacrée.

Les interventions de cuivres, plus mesurées que sur southern accent , enrichissent les vieux classiques et réhabilitent les derniers ratés. Sur american girl , ils enlacent le riff sur un mojo stonien en diable. Le blues funky de nothin to me est ensuite rehaussé par un riff plus hargneux, qui part dans une sorte de réadaptation bluesy du groove de Sly Stone.

Lors de leur passage en Californie , les Heartbreakers reçurent la visite de Stevie Nicks , qui vient poser sa voix sur insider et needles and pins. La Grace Slick moderne participe à une version de insider , qui ferait pâlir les plus belles mélodies de Rumour. Il faut l’entendre, portée par un piano mélancolique, et montant dans un crescendo digne des Mamas and the papas. Quand elle accompagne ensuite Petty dans une lumineuse reprise du tube sixties Needles and Pins , on comprend que Insider fut écrit pour sa voix de cantatrice hippie. Avec ces deux titres, Petty a rapproché sa muse de ce « rêve Californien », dans lequel son lyrisme s’épanouit.

Du rock mal dégrossi des premiers disques, aux réhabilitations du désastre southern accent , pack up the plantation déploie l’intensité des live historiques. Plus qu’un simple bouche trou sensé faire patienter les fans, pack up the plantation est LE live des années 80.                       

 

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