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jeudi 26 novembre 2020

Tom Petty 2




Que se passe t-il ici ?!

Le responsable de MCA prononça cette phrase sur le ton désespéré d’un chef d’entreprise qui voit s’envoler ses bénéfices. La location d’un studio est payante, et ce même si le groupe qui l’occupe refuse d’enregistrer le moindre accord.

Amusé par la panique de ce cochon capitaliste, Petty a le sourire narquois de celui qui sait que son interlocuteur ne peut que céder.

J’en ai assez que vous m’exploitiez, assez que mes disques soient vendus à des prix indécents à des gosses dont les parents travaillent à l’usine. Mon père travaillait dans les mêmes usines, et je sais ce que c’est de devoir économiser des mois pour obtenir un disque. Le succès de Damn the torpedoes doit désormais changer les choses, et j’exige que mon contrat soit révisé, et le prix de mes albums diminué. 

Le responsable semble presque se rassurer , il a déjà réussi à raisonner ce genre de rockers rouges. Pas plus tard qu’en 1979 , une bande de punks anglais avait demandé à ce que leur double album soit vendu  au prix du simple. Et bien Columbia avait simplement baissé les royalties de ces utopistes , et avait ainsi limité les pertes. Quant à Neil Young , qui avait produit un album de rockabilly pour dégoûter sa maison de disque , celle-ci l’a attaqué en justice pour « non-respect de la marque Neil Young ».

Le loner en a encore pour quelques jours avant de se remettre de cette bravade. Les maisons de disques ont toujours traité les artistes comme des salariés et , si les contrats qu’il signe restent plus libres que la plupart des cdi , notre responsable est convaincu qu’on pourra un jour soumettre les musiciens à la même servitude que les autres salariés.  

Notre responsable, comme ses semblables , rêve du jour où les goûts musicaux seront standardisés , où les musiciens seront les travailleurs à la chaine d’une musique sans âme. Que l’on puisse attaquer Neil Young pour non-respect de la « marque » qui porterait son nom est d’ailleurs symptomatique de ce corporatisme sordide. Regonflé par ces malsaines pensées , notre bureaucrate bedonnant lance sa diatribe de sous Machiavel bouffi. 

Écoute-moi bien petit prétentieux ! Ce n’est pas avec ton petit succès que tu deviendras le roi de cette boite ! Tu crois être le seul à savoir écrire des chansons ? A l’époque où Bowie, et Springsteen sont au sommet ! Mais tu vas couler si tu ne te bouges pas pauvre fou !

Là, voyant que son discours ne produit aucun effet sur un musicien qui le regarde avec un mélange d’amusement et de pitié, notre responsable prend un ton hystérique.

Tu sais comment les européens te considèrent ? Comme un sous Springsteen ! Et ce statut c’est encore à nous que tu le dois. Sinon tu trainerais encore dans les bars crasseux avec ta bande de bras cassés. Tu ne vas pas te retourner contre le label qui t’a tout donné ? Contre ceux qui t’on fait connaitre le meilleur producteur de l’époque ? Ne gâche pas tes chances gamin. 

Tom Petty connaissait trop ce discours pour y céder, son père avait suffisamment subi ce mélange de paternalisme et de dévalorisation.

Ne m’appelez plus jamais gamin. Je vous connais assez pour savoir que c’est vous qui avez besoin de ceux que vous essayez de soumettre, et pas le contraire. Si vous pensez que ma musique vaut si peu, que votre maison de disque peut se passer de mes ventes, libre à vous de me virer. Mais je ne rejouerais pas avant d’avoir eu gain de cause.

« Soyez résolu à ne plus servir et vous voilà libre. »

Cette phrase de Bossuet résume bien la victoire que Petty obtint ce soir-là, et le label finit par céder sans diminuer ses royalties. Sorti à un prix plus abordable que ses prédécesseurs, hard promise fait un carton aux États-Unis Unis, mais ses ventes restent relativement modestes en Europe. Qu’importe , au pays du rock n roll les Heartbreakers sont désormais les rois, et hard promise acte cette prise de pouvoir.

Devenue la nouvelle égérie du rock Californien après le succès de Rumour , Stevie Nicks vient poser sa voix de « gold dust woman » sur the insider. Dans la tradition des grandes cantatrices pop , elle est le miel qui soigne le cœur de ses plus cruelles blessures.

Mais les Heartbreakers restent avant tout d’indécrottables rockers, comme le montre the waiting et king’s road. Alors que ses refrains se font de plus en plus prenants, Petty semble restreindre ses effets. Si sa voix baigne toujours dans un léger écho , qui lui permet de se poser avec une grâce angélique sur ses riffs mélodieux , les effets sonores ont disparu. 

Plus à l’aise au second plan, le claviériste abandonne aussi l’exubérance de damn the torpedoes. Arrondis par une productions très propre, les riffs redeviennent le nerf de la guerre, la guitare devient la lyre électrique donnant de la force aux refrains pop. Légèrement funky sur nightwatchman , carillonnant comme un tube de Springsteen sur the waiting , les six cordes renvoient les tacherons new wave à leurs expérimentations pompeuses.

Presque ignoré par un vieux continent qui ne comprend plus grand-chose au rock, hard promise est un disque admirable. Après avoir imposé ses conditions à sa maison de disque , Petty lui livre son disque le plus brut depuis come and get it.

Il serait temps d’expliquer à certains que l’homme qui figure sur cette pochette est , pour le rock américain , aussi important que Springsteen.

Sorti moins d’un an après hard promise , long after dark est la plus grande réussite de James Lovine. Dans sa quête de perfection sonore, le producteur a atteint une profondeur et une pureté qu’aucun de ses contemporains ne saura reproduire. Tom Petty a besoin de cette profondeur , c’est un miel qui gomme les accords trop gras , sans anesthésier ses riffs. On peut juste regretter que le très contemporain « you got lucky » soit devenu le tube du disque. 

Ces sifflements d’orgue flattaient les oreilles des amateurs de Supertramp, mais paraissent aujourd’hui terriblement datés. La production sauve tout de même les meubles, en permettant aux guitares de donner un peu de vie à cette bluette romantique. On peut se consoler en considérant que ce titre est le cheval de Troie, qui permet aux Heartbreakers d’imposer d’autres titres beaucoup plus remuants.

Ce rock énergique et mélodieux, ce folk rock Byrdsien dépoussiéré par une énergie post punk, c’est la grande histoire du rock se transformant pour survivre aux sordides eighties. Petty n’est pas à classer dans l’étagère de la new wave , mais n’est pas non plus à enterrer à côté des fossiles d’un rock dit classique.

Sa musique est contemporaine sans suivre les diktats d’une quelconque mode musicale, elle s’insère à la suite d’une histoire qu’elle ne copie pas. Ecoutez cette batterie martelant obsessionnellement son beat binaire, le boogie lancinant de stand the chance, et même les mélodies post beatles de staight into darkness et change of heart , et osez me dire que ce groupe s’inscrit dans le sillon de la new wave ou du post rock.

Et le clavier cristallin du morceau titre ne rappelle-t-il pas les grands moments de the rivers ou darkness on the edge of town ? Il n’y a pas de barrière entre long after dark et les glorieuses seventies , il représente le nouveau chapitre d’une histoire qui se perpétue. Oui les solos graisseux et les distorsions psychédéliques ont disparu, mais les Beatles , les Kinks et les Beach boys les boudaient déjà dans les sixties. Long after dark aurait dû regrouper toute sa génération derrière son panache rouge, you got lucky faisait d’ailleurs du pied aux plus modernistes de ses contemporains.

Imaginez l’effet formidable qu’aurait produit des dizaines d’albums tels que celui-ci, le rock aurait été sauvé pour au moins trente ans. Les mélodies de Tom Petty sont malheureusement les derniers morceaux de bravoure restaurant la dignité d’un rock exsangue.

Avec ce disque , James Lovine devient aux années 80 ce que George Martin était pour les sixties , un producteur construisant un modèle indépassable.

                

 

 


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