Après la sortie de alpha centaury , Shroyder quitte le groupe , qui le remplace par Peter Bauman. Ce changement offre enfin une certaine stabilité au groupe, et la formation va vivre les six plus belles années de tangerine dream. A la même époque, ce nouveau trio produit la bande-son du téléfilm vampira. Anecdotique , cette BO sera exhumée en 2005 , par un groupe de fans passionnés. Cette musique, comme beaucoup de bandes-son que le groupe produira par la suite, ne peut intéresser que les fans les plus indulgents.
Tangerine dream est déjà une bande de cinéastes du son , sa musique suggère ses propres images , vous plonge dans son monde. Le seul défi valable serait de demander à un cinéaste de produire un film capable d’illustrer ses grands espaces sonores. Kubrick en aurait sans doute été capable, mais son odyssée spatiale fut écrite trop tôt pour rencontrer l’éléctro cosmique d’Edgard Froese. Malgré le fait que « vampira » représente un épisode anecdotique de sa carrière, elle a tout de même incité le groupe à produire plus de 300 heures de musique.
Cette boulimie de travail a forcé Edgard Froese à accepter l’impasse dans laquelle il était. A l’écoute de ces bandes, il comprend qu’il ne peut pas aller plus loin avec des instruments traditionnels. Il a certes réussi à libérer son groupe de l’enclos du psychédélisme, mais ce n’est que pour le faire entrer dans une cage plus large. Si il fut parmi les premiers, Tangerine dream n’est plus le seul à explorer les paysages de cette musique cosmique.
En ces années 1971-1972, Pink Floyd fait décoller ses voyageurs vers les mêmes sommets, et je ne parle même pas du rock dystopique d’hawkwind. De son coté Edgard sent bien que la batterie et la guitare sont des bouées embarrassantes, auxquels trop d’auditeurs s’accrochent pour ne pas être emporter dans ses mondes inconnus. Si il veut larguer la concurrence, son groupe doit utiliser un nouveau carburant.
Edgard Froese demande donc à ses musiciens de revendre leur matériel traditionnel. Pour en revenir à 2001 l’odyssée de l’espace, le rocker lui rappelle ce singe frappant sur son os, et il ne veut pas moisir dans cette préhistoire musicale. Tangerine dream récupère donc du petit matériel électronique, sculpte les sons produits par ses générateurs d’ondes sinusoïdales. Il se rend vite compte que ces machines produisent des sons biens plus profonds que leurs vieux violons. Si cette découverte donnait vraiment l’impression que le trio communiquait désormais avec le cosmos, cette musique était trop cacophonique pour durer.
Pendant quelques semaines pourtant, le groupe effectue ses expérimentations devant un public sidéré. Conscient qu’il ne produira rien de concret avec ces machines, tangerine dream finit par vendre la plupart de ses instruments, et s’offre un synthétiseur. Invention ultra moderne, l’imposante installation devient le centre de gravité autour duquel tourne un orgue, et quatre violoncelles.
Poursuivant la voie tracée par la pièce maitresse de alpha centaury , tangerine dream abandonne les pastilles sonores , pour produire de grandes symphonies cosmiques. Avec Zeit , Tangerine dream sculpte les sons comme Rodin sculptait la pierre . La tête plongée dans les étoiles, les musiciens triturent les boutons, cordes et touches qui forment leur précieux argile sonore. Le synthétiseur donne à ses décors une couleur plus froide, et plus inquiétante que ses œuvres précédentes.
Les violoncelles plantent un arrière-plan sombre , l’orgue monte au milieu de ce ciel noir , comme une comète propulsée depuis une planète lointaine. Au milieu de ce ciel d’encre, le synthétiseur module des signaux qui semblent stopper la marche de l’univers, free jazz morbide prenant le temps par le col, et l’obligeant à suspendre son vol. La bête de métal est un animal menaçant, ses gémissements inquiétants et fascinants noircissent encore le tableau dans lequel cette ambiance nous enferme.
Quand cette symphonie démarre, c’est comme si notre pauvre terre s’arrêtait de tourner, comme si l’horloge universelle qui dirige nos vies stoppait son avancée destructrice. Il faut écouter Zeit comme un hermite , coupé de toute perturbation auditive et visuelle. C’est là, dans cet exil volontaire, que l’album vous enferme dans ses décors torturés. Ne vous débattez surtout pas, n’essayer pas de trouver dans cette mer d’idées noires une trace de lumière apaisante. Il faut plonger au fond de cet abysse pour que sa beauté angoissante pénètre votre esprit.
C’est une œuvre que l’on explore en apnée, un mouroir qui vous étouffe et vous fait revivre, vous effraie et vous émerveille. Et ne comptez pas sur les percussions pour vous sauver de cette torture jouissive , il n’en subsiste aucune trace. Si vous avez le courage de plonger entièrement dans cet univers tourmenté, ce qui vous apparaissait au départ comme une suite de gémissements menaçants devient progressivement plus uniforme. Les plaintes robotiques entrent alors dans un lyrisme d’outre-tombe.
Sombre comme une nuit sans lune , triste comme un matin sans soleil , ce décor est pourtant d’une beauté inoubliable. Malgré sa froideur glaciale, malgré le coma déprimant dans lequel il vous plonge, on ne demande qu’à revivre l’expérience quand les derniers échos de Zeit s’éteignent. Quand le temps reprend sa marche inexorable, quand nous sommes forcés de quitter cet exil que nous voudrions continuer éternellement, les sensations terrestres nous paraissent bien futiles.
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