Nous sommes en 1984 , et le rock vit les heures les plus sombres de son histoire. Dans les bacs , Let’s dance , le dernier album de David Bowie fait une entrée fracassante. On le reconnait à peine, planté dans une position de boxeur en plein combat, sur un fond verdâtre. Avec ses cheveux blonds , sa musculature de Rocky anglais , et son bronzage orangé , l’ex provocateur androgyne devenait un sex-symbol prêt à assommer la concurrence. Sauf que celle-ci ne s’appelait plus les Stones, les Who où les Kinks , mais Mickael Jackson , Madonna et Prince.
Dans ces conditions , l’enjeu n’était plus de faire découvrir au public de nouveaux univers , mais de se rapprocher le plus possible de ce qu’il pourrait aimer. Alors Bowie a accepté ces règles , comptant sur Nile Rodgers pour lui concocter la production la plus tapageuse possible. Il touche ainsi la timbale en réadaptant le crescendo de twist and shout , sur un let’s dance qui fera bientôt le tour des radios et des fêtes foraines.
Pour comprendre ce revirement, il faut rappeler que Bowie a souvent vécu son époque plus intensément que ses contemporains. Lorsque ses tubes soul conquirent l’Amérique, il devint un dandy junkie capable de faire passer les plus grands rockers pour des fils de bonne famille. Squelettique et blafard, Bowie a bien failli ne pas survivre à la folie créative des seventies.
De ses tourments naquirent les chefs-d’œuvre froid d’une trilogie dite berlinoise , qui faisait elle-même suite à une période groovy brillante. Et puis notre caméléon a survécu à ses tourments, a nettoyé son corps des poisons toxiques qu’il consommait en quantité astronomique , et est venu réclamer les fruits de son glorieux parcours. Let’s dance n’était rien d’autre que la superproduction sensée le faire entrer dans le rang des superstars les plus rentables.
Album raté artistiquement, let’s dance fut assez maquillé pour séduire les foules. Le succès commercial fut tel, que Bowie entra dans un cercle infernal, où les compromis commerciaux vidaient sont art de sa substance. Tonight ne le perturba pourtant pas plus que ça. Il le considérait comme une simple erreur de parcours, un disque complétement raté que le temps fera oublier. Sauf que l’album suivant, never let me down, s’était enfoncé dans le même marasme.
Cette fois , Bowie ne supporte plus le piège dans lequel il s’est fourré , ne veut plus faire des compromis qui étouffe sa musique. Il en est convaincu, never let me down contenait de bonnes chansons , mais la production a massacré ses quelques perles. La tournée qui a suivi la sortie de l’album ne fut pas plus rassurante, le glass spider tour s’imposant vite comme la tournée la plus ridiculement grandiloquente de sa carrière.
Tiré vers le bas par une fanfare sans tête, Bowie réussit même à massacrer ses classiques, et ce ne sont pas ses effets spéciaux tapageurs qui le sauveront du désastre. Alors son public se met à se réfugier dans sa nostalgie, et on lui propose vite de réciter ses classiques lors d’une tournée exceptionnelle. Celle-ci aura bien lieu, sous le nom de sound+vision tour , mais Bowie jurera qu’il chante ses vieilleries pour la dernière fois.
Comment faire oublier ses dernières erreurs sans sombrer dans le passéisme ? Voilà la question qui taraude notre caméléon pop en cette fin d’eighties. La réponse se présente à lui sous la forme d’une cassette, que sa secrétaire lui transmet à la fin du glass spider tour. Il s’agit du premier enregistrement d’un trio inconnu au bataillon, et dans lequel Bowie entrevoit une possibilité de sortir de son impasse.
Il appelle donc ces jeunes musiciens, et demande
humblement si il peut devenir le chanteur de leur groupe. N’en croyant pas
leurs oreilles, les chanceux acceptent rapidement. Surtout quand leur
interlocuteur leur annonce qu’il ne veut pas les traiter comme une bande de
fonctionnaires à ses ordres, mais bien comme le groupe dont il fait partie.
Refusant de retourner dans les grands stades où il étouffe, Bowie nomme son groupe Tin machine, et fait la tournée des petites salles. Les nouvelles allant vite, les pauvres enceintes accueillant la prestation de ce groupe pas si inconnu sont vite assiégées par une horde de Bowiemaniacs. Seule une petite partie d’entres eux aura l’honneur d’assister à ses concerts intimistes, où leur idole change une nouvelle fois de visage.
En privé, Bowie a plusieurs fois affirmé qu’il prenait un plaisir immense lorsqu’il jouait avec les spiders from mars, et il semble retrouver ce plaisir avec tin machine. Comme pour symboliser cette joie retrouvée, Bowie apparaît parfois avec les plates-formes boots de Ziggy Stardust.
Sorti en 1988, le premier album de tin machine lui permet de tuer ses piteuses eighties. Sur les passages les plus heavy , Reeve Gabriel salue la violence théâtrale dont Mick Ronson fit preuve sur le trop sous-estimé the man who sold the word. Nourri par cette violence, Tin Machine en profite pour saluer une autre figure incontournable de la mythologie Bowienne. Tendu comme une jam proto punk , Tin Machine ( le morceau titre) rappelle les exploits d’un Iggy Pop dirigeant les coups de sang destroy des Stooges.
Caché derrière ce chaos électrique , Bowie se régénère au milieu de cette centrale tonitruante. Le sex-symbol insipide qu’il fut encore quelques mois plus tôt est déjà mort, et pour une fois personne ne regrettera la disparition ce calamiteux personnage.
Quelques semaines après la sortie du disque, une armée de garage rockers et de brutes grunge viennent achever le spectre écœurant des eighties. D’une certaine manière, Bowie avait encore pressenti les changements à venir, mais il ne les a pas influencés. Plombé par sa volonté de ne jouer que dans de petites salles, Tin machine ne trouve pas son public , et doit se séparer après un second disque aussi impopulaire que le premier.
Aujourd’hui, les deux disques de ce groupe éphémère sont devenus
des albums cultes. Si ils ne sont pas des chefs-d'œuvre, tin machine et tin
machine II sont des maillons essentiels de l’œuvre de Bowie.
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