Après le fiasco de Tangram, Tangerine Dream est choisi pour produire la bande son de thief , le premier thriller de Michael Mann. Le réalisateur permet au groupe de participer aux séances de production. Tangerine dream visionne donc les premières scènes du long métrage, et sélectionne celles qu’il préfère. Le groupe peut ainsi se concentrer sur sa sélection, afin de composer une bande son plus cohérente. Mais le manque de temps l’oblige à piocher dans ses fonds de tiroir , qui n’étaient pas bien remplis depuis quelques mois.
La bande son de thief est donc la compilation de rebus des séances précédentes, auxquelles le groupe ajoute quelques compositions bâclées. Perdu dans le monde de Michael Mann, Tangerine dream ne parvient pas à retrouver la splendeur mystérieuse de ses grandes œuvres. Caricaturale à l’extrême, la musique qu’il produit ici est aussi ridiculement kitsch que ce que Vangelis enregistra pour illustrer Blade Runner. Si la réadaptation cinématographique du classique de Philip K Dick est devenue un classique, ce n’est certainement pas grâce aux gargouillements insipides du musicien grec.
Blade Runner et thief montrent que les musiciens d’avant-garde ne sont pas fait pour le cinéma. Piégés par le réalisme des images, ils se caricaturent pour coller à l’œuvre qu’ils illustrent, ou pour éviter de faire fuir les spectateurs les moins ouverts. Parue sous le simple nom de thief , la bande originale de Tangerine dream est la pire production du groupe . Il fallait bien que ces musiciens touchent le fond pour remonter de façon spectaculaire.
Sorti de cet échec, Tangerine dream enregistre exit , un disque révolutionnaire qui parvient enfin à redéfinir son son. Arrivé au studio, chaque musicien commence par composer de son côté. Les musiciens se retrouvent ensuite avec six titres, qu’ils retravaillent collectivement. Pour unir cette diversité de sons et de rythmes, Tangerine dream décide de tout miser sur les synthétiseurs modernes. Edgard Froese abandonne donc la guitare, et ses claviers donnent des mélodies d’une noirceur inquiétante et nostalgique. Le mellotron n’est utilisé qu’à doses homéopathiques, afin de ne pas troubler la noirceur de ce nouveau tableau sonore. Ce mellotron , autrefois maître des éclaircies et crépuscules de décors bouleversants , se contente désormais de brèves séquences répétées dans un tourbillon mélodique.
Tangerine dream ne cherche plus à faire rêver mais à séduire et son équipement moderne donne naissance à un de ses disques les plus accessibles. Si exit est composé de six titres assez courts, leur homogénéité est telle, qu’ils peuvent être considérés comme les six mouvements d’une superbe pièce instrumentale. Seul chant de l’album , kiew mission est une prière pour la paix sur fond de douceur mystique. Les percussions insufflent un peu de vie à ce recueillement, avant que le synthé ne s’essouffle lentement, tel un homme quittant ce monde avec le calme de celui qui a bien vécu.
Pilot of purple twilight pose un décor figé et glacial,
où les sifflements du synthé dessinent de somptueuses aurores boréales. Court,
mais très pesant et intense, ce titre nous plonge dans une apathie nostalgique,
d’où chorozon s’empresse de nous sortir. Ce troisième titre bénéficie d’une
batterie dont le synthé accentue le pilonnement , la folie d’une rythmique
galopante peut ainsi nous empêcher de nous morfondre sur cette superbe mélodie.
Vient ensuite le morceau titre, grande couleuvre dévoilant ses beautés en enroulant sa mélodie autour des battements du séquenceur. Pour suivre les contorsions de cette branche souple, ce reptile musical change progressivement de forme. On est ainsi absorbé par cette mélodie mutant au fil du temps, tout en restant incroyablement cohérente. Exit est un disque où Tangerine dream parvient enfin à se vendre sans se renier.
La relative brièveté des titres, ainsi que la douceur de ces bonbons mélodieux, permet au groupe d’entrer de plein pied dans les eighties. Malgré sa noirceur, network 23 développe d’ailleurs un rythme dansant taillé pour le top 40. Aussi accessible qu’ambitieux, exit est un rayon de lumière dans un océan de médiocrité.
Après la sortie d’exit , Hollywood convoque une nouvelle fois Tangerine dream, qui produit la bande son de the soldier. Sorti en 1982 , the soldier est une sorte de James Bond en plus féroce. Relativement ignoré lors de sa sortie, le seul intérêt de ce film réside dans la prestation du grand Klaus Kinski. Du côté de la bande son , Tangerine dream effectue un travail aussi désespérément anecdotique que ses précédentes prestations hollywoodiennes. Aussi ratés soient-ils , les travaux que le groupe effectua pour le cinéma semble décupler sa popularité.
En 1981, leur tournée européenne est prolongée avec une série de 17 concerts en Angleterre. En guise d’apothéose de cette tournée triomphale, le groupe retrouve son Allemagne natale pour un grand concert devant le reichstag de Berlin.
Revenu de ce triomphe, Tangerine dream accepte d’enregistrer la bande son de la série télévisée tator. Sorti en single , le titre devient vite un hit , et reste à ce jour le plus grand succès du trio. Surpris par ce succès inattendu, Tangerine dream s’empresse d’affirmer que ce titre n’a rien à voir avec la musique plus « sérieuse » qu’il souhaite produire. Edgard Froese enfonce le clou , en affirmant que ce single enregistré en trois heures est très éloigné des ambitions musicales du groupe.
Ces mêmes ambitions apparaissent en 1981, sur l’album white eagle, qui tue tout espoir de réhabilitation inattendue. Si tangram contenait encore quelques bons moments, si exit pouvait laisser espérer un avenir radieux, white eagle apparait comme l’acte de décès de Tangerine dream. Ceux qui inventèrent tant de mondes parallèles sont devenus des caricatures de leurs plus grandes années. En voulant rester dans le coup, Tangerine dream inonde white eagle de synthés stériles , sifflements privés de l’inspiration géniale d’exit. De ces bruitages ne nait aucune émotion , aucune vision, comme si tout ce qui sortait de ces machines ne pouvait qu’être géniale.
Et voilà bien un point sur lequel le groupe est encore précurseur, mais d’une bien triste façon. En triturant ses touches comme un aveugle tâtonnant à l’aide d’une canne, Tangerine dream affirme que la modernité prime sur la réflexion , idée que la musique électronique promouvra ridiculement. Les titres ne sont plus que des séries de bruitages privés de sens, et sur lesquels le groupe colle de vagues concepts fumeux. Mojave nous est ainsi présenté comme une ballade dans le désert mojave , mais son écoute s’avère aussi pénible que de le traverser sans moyen de se rafraichir. La seule chose que cette agglomération de bruitage pourrait vaguement évoquer , c’est un nanar de science-fiction du niveau de starship trooper.
Les fans les plus dévots pourront toujours calquer leurs délires sur cette bouillie mécanique , cela ne les empêchera pas d’abandonner l’album après quelques écoutes. La vérité est que, à force de produire des bandes son sans âme, Tangerine dream ne sait plus rien faire d’autre.
Ce qui était l’élite de l’avant-garde allemande est devenu
une machine à produire des fonds sonores. Certaines musiques d’ambiances
procurent plus d’émotions que white eagle et ses successeurs, comme si Tangerine dream n’avait fait que s’éteindre lentement après le départ de
Baumann. On évitera donc de suivre plus longtemps cette longue décadence, pour
ne retenir que ces dix années où le groupe ne touchait plus terre.
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