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vendredi 8 janvier 2021

Tangerine Dream : Stratosfear


Le parcours d’un groupe comme Tangerine dream est un chemin sans but. Le trio est une horde de druides vouée aux expérimentations les plus folles, et il passera toute sa carrière à chercher sans trop savoir ce qu’il veut trouver. Pour Tangerine dream , la musique est comme le labyrinthe du minotaure , une énigme insoluble , une quête dont les étapes successives sont plus importantes que l’objectif. Le groupe expérimental ne bénéficie d’aucun gimmick rassurant, d’aucune référence à suivre, il produit lui-même les repères qu’il utilise par la suite.

Forcément, face à un tel manque de stabilité, le chroniqueur peut se sentir perdu. Ce genre de musiciens ne peut être comparés à Chuck Berry, John Lee Hooker, et autres références qu’il agite comme des doudous rassurants. Le musicien lui, est rassuré dès qu’il a fini son premier album. Pour lui, cet acte fondateur est l’équivalent de la première ligne de l’écrivain, une fois qu’on l’a fini le reste vient tout seul. Il y a alors une progression qui s’instaure, un schéma logique que seul Tangerine dream maitrise.

On a ainsi vu les allemands passer d’un psychédélisme électronique à une symphonie glaciale, sans oublier le bruitisme fascinant de son troisième album. L’instrumental « traditionnel » se faisait progressivement dévorer par l’électronique, la symphonie spatiale devenait une prière de monstre mécanique. Rubycon était l’aboutissement de ce processus, un typhon ambient et mélodique balayant tout repère terrestre.

Et puis ricochet est revenu à une musique un peu plus terrestre, sa batterie et sa guitare donnant plus de vie aux bulles mélodiques de ces mages électroniques. Ce faux live montrait une nouvelle voie, mais aucun des musiciens n’était d’accord sur la façon de la poursuivre. Rapatrié à Berlin, le groupe accepte donc de convoquer un producteur pour arbitrer entre ses différents points de vue. Après avoir produit le superbe rock bottom de Robert Wyatt , Nick Mason est donc convoqué à Berlin.

Tangerine Dream pensait sans doute que le batteur de Pink floyd allait leur offrir un peu de cette splendeur rêveuse, qui ressuscitât l’ex batteur de Soft machine. Mais Mason se révèle vite incapable de choisir entre les voies proposées par le groupe, et repart sans avoir participé au moindre enregistrement. Réveillé par cette déroute, le trio décide de se répartir les rôles. Peter Baumann sera l’architecte chargé de bâtir les lignes séquentielles, ces colonnes tournoyantes, sans lesquelles le groupe se serait perdu dans ses décors bruitistes.                                           

Sur cette base, Christopher Franke lance ses chorus de batterie, roulements déchainés formant le muscle de l’humanoïde musical qu’est stratosfear. Il est à noter que les nappes de mellotron de Baumann n’ont plus rien à envier aux meilleurs moments d’Edgard Froese. Egalé sur son propre terrain, le leader de Tangerine dream habille cet amas de circuits et de muscles dans une enveloppe plus charnue. Ses accords coulent, comme le sang irrigant le puissant organe que forment les percussions.     

La musique de Stratosfear est beaucoup plus travaillée que celle des albums précédents. Il faut dire que la technologie a encore donné un coup de pouce au trio, et des machines plus modernes leur permettent désormais d’enregistrer certaines sonorités. Progressivement, Tangerine Dream ajoute plus de cordes, de chœurs, et de percussions, et agence ces matériaux comme des esclaves construisant la grande pyramide de Gizeh.

De l’union entre la tradition et l’innovation, entre les instruments conventionnels et avant-gardistes , il nait une nouvelle base que chacun est libre d’emmener plus loin. Sur les passages les plus méditatifs, la basse lance des lignes nuageuses, pendant que le mellotron siffle comme une flute enchantée. Ce même mellotron crée des nuages délicats , à travers lesquels s’engouffrent les arpèges , qui peignent leurs fresques somptueuses sur cette surface douce. Pendant ce temps, les percussions se posent délicatement sur un synthétiseur cotonneux, comme un chat marchant sur la banquette du salon.  

Le temps d’un intermède plus rythmé, une harmonie céleste joue le blues du cosmos. Stratosfear est l’accord parfait entre la musique terrestre et la folie spatiale de Tangerine dream. Folk atmosphérique, space rock bucolique, l’album explore un vocabulaire musical inédit et exaltant, révolutionne ce que l’on nomme vulgairement l’école de Berlin. Ce n’est pas la dernière apothéose d’une histoire démarrée en 1970, mais le nouveau chapitre d’une mythologie que le groupe écrit à chaque album.  

  

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