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dimanche 14 mars 2021

Nouvelle rock détroit 5

 


Les premiers concerts furent monumentaux, les Stooges balançant des ogives free rock d’une puissance destructrice. Iggy n’était plus un homme, la scène le transformait en demi dieu ne connaissant ni la peur ni la douleur. Un soir, il avait bondi dans le public, qui tendit ses bras pour lui permettre de traverser cet océan de ferveur. Cette scène mythique, où Iggy se dressait au-dessus de la foule, n’était absolument pas calculée . L’iguane a juste senti que son charisme reptilien lui permettait de chevaucher cette bête folle qu’est la foule, le doigt pointé vers l’horizon, tel un général emmenant ses troupes au combat.

Un autre soir, sa témérité faillit avoir des conséquences dramatiques. Les Stooges étaient en train de jouer TV eyes , le magma sonore agitant Iggy comme une bête folle , qui se retourna soudain sur la foule. Tel un fauve enragé, le chanteur bondit sur son public avec une rage impressionnante, déclenchant la fuite des spectateurs situés sur sa trajectoire. S’écartant comme les parois d’une trappe scélérate, les spectateurs laissèrent la bête sauvage s’empaler sur un morceau de verre. Le gros éclat pénétra profondément dans le torse d’Iggy, qui ne semblait même pas s’en rendre compte. La blessure saignait abondamment, les convulsions rageuses du chanteur repeignant les murs de gouttes sanglantes. Ce soir-là, le rock était redevenu une énergie dangereuse, une force qu’on ne maitrise qu’au péril de sa vie.

Pourtant, Alain voyait bien que quelque chose clochait, que même la plus forte dose d’adrénaline ne pouvait déclencher une telle insensibilité. La suite des événements ne fit que renforcer ce pressentiment, le charisme sauvage de l’iguane s’apparentant de plus en plus à de la folie suicidaire. Iggy portait le manque de succès des Stooges comme une croix, et il semblait demander à son public de l’immoler dessus tel un Jésus destroy. Son martyr , le chanteur faillit l’obtenir lorsqu’il s’en prit à une bande de motards. Ce jour-là, il cessa soudain de chanter pour déverser les pires injures sur une bande de sous hells angels , qui paraissaient jusque-là plus intéressés par la boisson que par ses gesticulations.        

Ces brutes sont, au fond, de grands sensibles. Ne trouvant les mots pour répondre à une telle débauche de haine, ces ploucs à bécanes tabassèrent le chanteur à 10 pour prouver qu’ils n’étaient pas «  une bande de pédales chassant en meute »… Désigné un seul d’entre eux aurait sans doute rendue la démonstration plus efficace , mais l’émotion a dû prendre le pas sur la réflexion. C’est ainsi que dix bourrins massacrèrent la tête d’un chanteur qui, lui , n’avait pas de reptilien que le cerveau. Heureusement pour notre hurleur suicidaire , ses agresseurs se montrèrent aussi limités physiquement qu’intellectuellement, ce qui permit à Iggy de s’en sortir avec quelques bleus.

Après cet événement, les musiciens ne cachaient même plus leur déchéance. On commençait à voir le trio se shooter en coulisse, ou sur scène juste avant de plaquer ses premiers accords. Ce qui, au départ, leur donnait une énergie formidable, les plongeait désormais dans une catatonie lamentable. Certains soirs, les musiciens semblaient littéralement dormir debout, la déesse héroïne leur faisait payer le prix de l’énergie qu’elle leur avait auparavant donnée.

Et ce ne sont pas les ventes de leurs albums qui allaient inciter le label à être indulgent. Les deux premiers disques du groupes furent une catastrophe commerciale, le public n’était pas encore prêt à quitter un rêve psychédélique que les Stooges voulait assassiner. Résultat, avant de monter une nouvelle fois sur scène, un cadre d’Elektra vint annoncer aux Stooges que la suite de leur lamentable périple se fera « sans eux ». Au lieu d’achever un groupe au bord du précipice, cette nouvelle sembla réveiller le trio. Ce soir-là , ces héros maudits jouèrent comme ils n’ont jamais joué, comme ils ne joueront jamais plus. C’était plus que leur vie qui était en jeu, c’était leur honneur. Il fallait que l’histoire retienne que, lâchés par leur label, les Stooges avaient jeté leurs dernières forces dans une prestation démentielle. Si l’histoire s’était achevée ce soir-là , Iggy serait devenu le Che Guevara du rock , mais Alain crut reconnaître un homme dans la foule. 

Ce visage de travelo homo maquillé comme une prostituée russe, ça ne pouvait être qu’un Bowie jouant encore son rôle de pédé de l’espace (Michou Stardust pour les intimes !). Aussi brillante que soit sa musique, Alain trouvait le barnum obscène de Ziggy pathétique. Il n’empêche que, si le salut des Stooges pouvait venir d’un génie anglais déguisé en tante de l’espace, Alain était prêt à lui pardonner ses fausses outrances d’homo (sapiens ?) british.             

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