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lundi 5 avril 2021

Dossier Patti Smith 1

 



Comment expliquer Patti Smith en 2020 ? A une époque qui ne vénère que le pouvoir et l’argent ,  l’arrivisme et les plaisirs futiles , cette femme peut paraitre folle. Patti Smith n’a construit sa vie qu’en acceptant des années de misère, le sang du pauvre irrigant souvent la plume du poète. C’est aussi une femme forgée par deux visions du monde diamétralement opposées. Durant les premières années de sa vie, elle suit les enseignements d’une mère très pieuse , qui lui apprend ses premières prières. Encore aujourd’hui, Patti Smith considère la prière comme un des plus fabuleux dons qu’on lui ait fait. Si on ne peut pas dire qu’elle suivit le dogme catholique à la lettre, sa foi va entretenir ce mysticisme qui rendra son œuvre si particulière.

Très vite, la jeune fille mène une vie de moine, mais ses textes sacrés sont surtout les œuvres de Rimbaud et autres grands auteurs français et américains. Quand elle n’est pas enfermée dans ses lectures , la jeune fille joue les chefs de guerre avec les garçons du quartier. Ses croisades enfantines sont racontés avec passion dans just kids , montrant que la jeune fille eut vite des ambitions d’homme.

Après l’influence religieuse de la mère vint l’enseignement libertaire du père. Athée convaincu , il lui conseille de ne pas prendre trop au sérieux les bondieuseries de sa mère, et va encourager sa curiosité culturelle. La jeune fille était déjà sensible à la musique américaine, John Coltrane et Thélonious Monk tournant en boucle dans sa chambre d’adolescente. Sentant la fibre artistique de sa fille, le père de Patti l’emmène visiter le musée de Philadelphie, lui offrant ainsi sa première vocation.

Là, au milieu de ces peintures , elle comprend que l’art est une religion sans dogme , elle sent le caractère sacré de ces créations. Un artiste ne doit pas chercher la « beauté » , ne doit pas se soucier du gout de la majorité , il doit simplement être juste. Une création ne peut être appelée œuvre que si l’on sent que son créateur y a mis toute son âme, c’est au spectateur de se mettre au niveau de l’artiste et pas le contraire. Créer, c’est se différentier de l’animal, c’est rendre hommage à cette étincelle dans laquelle certains voient la preuve de l’existence de dieu.  Devant toute ces icônes sans dogme, Patti a une révélation : elle sera artiste.

Le soir vint la seconde révélation, celle qui allait définir son destin. Nous sommes au milieu des années 60 , quelques jours seulement après l’invasion triomphale des Beatles , lorsque les Stones débarquent sur les télévisions américaines. Il y’a, dans les postures lascives de Mick Jagger et le swing nonchalant de Keith Richard, une force qui semble prête à changer le monde. Les sixties sont l’âge de la révolte, une décennie où une jeunesse plus libre que jamais commence à rêver de lendemains qui chantent. L’époque forge les hommes plus que l’inverse, et Patti ne fera pas exception à la règle. Au lycée,  elle s’intéresse au mouvement des droits civiques, s’émeut devant l’invasion du Tibet par le totalitarisme chinois, suit les manifestations contre le nucléaire.

Le lycée est sa période d’initiation, le temps béni où elle parvient à rencontrer un Andy Warhol en pleine gloire , où elle assiste à son premier concert des Stones , pendant que Rimbaud reste son dieu. Nourrie par ses passions artistiques, elle obtient son diplôme sans trop de difficulté, ses professeurs ne pouvant que lui reprocher ses rêveries. C’est une autre facette d’elle qui ressort particulièrement dans just kids , cette façon de quitter le réel pour se plonger dans ses transes artistiques. Le monde n’accepte pas longtemps que l’on puisse parfois échapper à la trivialité du réel, et sa première expérience professionnelle lui réserve un bien cruel châtiment.

Patti venait d’obtenir son diplôme , dont la spécialité artistique la condamnait à démarrer sa vie professionnelle en usine. Là, le bouillonnement de son esprit devient un handicap qui ralentit son travail à la chaîne. Alertés par un rythme qui menace le bon fonctionnement de leur funeste chaîne de production, les responsables décident de régler le problème de la façon la plus rude. Il faut rappeler que pendant les sixties l’hypocrisie de DRH ayant imposé leur vocabulaire Orwellien n’a pas encore pris le pouvoir , et la violence hiérarchique s’exprime de manière plus spontanée.

C’est ainsi que deux responsables de production plongent la tête de Patti dans un toilette dont le précédent occupant avait oublié de titrer la chasse. Cette humiliation va nourrir la hargne qui caractérisera la musique de Patti, en attendant elle l’éloigne définitivement des prisons prolétariennes que sont les usines. Bien décidée à assumer son destin d’artiste, elle part pour New York avec quelques dollars et du matériel de peinture. Femme pauvre presque Bloyenne , elle passe plusieurs nuits sous les portiques du métro. Patti trouve bien un petit boulot , mais le maigre salaire payé par la librairie où elle travaille ne lui permet pas de payer un logement. La misère est pour elle le prix de la liberté, le martyr que tout homme doit vivre pour prétendre devenir artiste. Nous l’avons déjà dit, le sang du pauvre est la seule chose qui peut faire briller sa plume, et Patti en est parfaitement consciente.

L’histoire de l’art croise encore son parcours misérable, quand ses amis l’incitent à chercher un logement du coté de Greenwich village. C’est dans ce quartier populaire que les grands écrivains beat venaient admirer le swing des grands jazzmen, avant que Dylan n’y impose sa folk influencée par Woody Guthrie. On pense encore à « la femme pauvre » de Léon Bloy en suivant son parcours, Robert Mapplethorpe jouant le rôle de l’artiste la sortant de sa misère. Comme l’héroïne Bloyenne , Patti est donc recueillie par un peintre dont elle tombe amoureuse. Le couple passe des journées entières à peindre, le tourne disque passant les dernières nouveautés que leurs maigres ressources leur permirent d’acheter.

Si le mécène de Patti ne connaitra pas le triste sort de Léopold, celle-ci sera néanmoins profondément perturbée lorsque son artiste fera son coming out. La martyre mystique se console alors en partant de nouveau en exil artistique à Paris. Arrivée dans la ville lumière, elle mène une vie de saltimbanque, où elle survit en participant à de petits spectacles de rue, tout en faisant les poches des passants distraits. Mais c’est encore un drame qui met fin à son rêve parisien le 3 juillet 1969.

Le déclin de Brian Jones n’était un secret pour personne, il avait d’ailleurs été dévoilé de façon flagrante par le film one+one de Godard. Mis à l’écart par le génie du duo Richard / Jagger , Brian Jones devenait un maillon secondaire du groupe qu’il avait créé. Cela faisait plusieurs semaines qu’il compensait sa perte de contrôle sur le groupe par des excès d’alcool et de drogue le rendant incontrôlable. One + one montrait la phase finale de sa disgrâce, le retour des Stones à des racines blues qui rendaient son talent de multi instrumentiste accessoire. Brian Jones, c’était le sitar de paint it black, et les quelques touches exotiques disséminées sur les premiers albums des Stones. Sans sa curiosité et son ouverture musicale, les Stones seraient sans doute restés un groupe de vieux bluesmen au milieu d’une époque où la pop partait dans tous les sens. Le lutin blond avait aussi et surtout instauré le son stonien , basé sur deux guitares si harmonieuses , qu’il parait souvent impossible de dire qui joue quoi. Cette symbiose rythmique, Keith Richard la regrettera pendant des années, et ne la retrouvera un peu que lorsque Ron Wood remplacera le mal aimé Mick Taylor.

Brian Jones a créé les Stones, avant que sa propre créature ne lui échappe. Profondément perturbée par sa disparition brutale , Patti Smith fait un cauchemar où elle voit son père mourir. Croyant que cette vision est prémonitoire, elle retourne d’urgence à New York , où elle retrouve Robert. Devenus amis , l’ex couple s’installe au Chelsea hôtel. Le lieu fait partie de ces sanctuaires qui semblent annoncer la fin d’une époque, un mausolée morbide prédisant la fin du rêve hippie. C’est là que Dylan Thomas mourut d’un empoisonnement à l’alcool. Quelques années plus tard, un Sid Vicious en pleine transe meurtrière massacrera sa Juliette destroy dans une de ces chambres.

Quand Patti occupe un de ces appartements, le Chelsea hôtel est un lieu où la crème de la culture américaine côtoie des loosers en pleine perdition héroïnomane. C’est sans doute dans ces couloirs que Burroughs trouva la laideur inspirant les passages les plus glauques de Junkie et du Festin nu. Patti devient d’ailleurs vite proche de cet écrivain, qui lui livre quelques secrets pour poètes avertis. Le Chelsea hôtel fait partie des symboles de cette culture où la pop se met au niveau de l’art, où le rock côtoie cette littérature dont il commence à se nourrir. Patti Smith fera partie de cette histoire-là , sa musique sera l’instrument permettant à sa prose de conquérir le monde. Celle qui se dit « fille spirituelle de Rimbaud » , commence à se placer dans la lignée des grands poètes rock que sont Lou Reed et Bob Dylan.

Quelques années plus tard, elle est repérée par Gerard Malangua , qui l’intègre au poetri project , pour une performance historique à l’église Saint Marc. C’est là, dans ce symbole catholique, que la papesse du punk va réellement démarrer sa légende.                  

                                                 

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