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samedi 10 avril 2021

Dossier Patti Smith 4


La sortie de Horses montre cette éternelle incompatibilité entre l’art véritable et le capitalisme moderne. Si Horses obtint un succès honorable, ce ne fut pas le raz de marée que déclenchera plus tard nervermind the bollocks et autres pavés punk. Suivant comme à son habitude le troupeau, la critique préfère ne pas se mouiller. Blasphème ultime, la plupart de ces plumitifs refusent de prendre réellement position, se contentant d’une tiédeur censée protéger leur crédibilité. De toute façon, le monde du rock ne semble pas avoir besoin d’une telle illuminée. Les critiques américains sont encore trop occupés à vomir un hard rock qu’ils n’ont jamais supporté, alors que les anglais sont trop fascinés par le bouillonnement musical de leur pays pour se aller voir ce qui ce passe chez leur voisins. Cachée derrière le paravent de son insignifiance, la critique enfonce le clou de sa médiocrité par une phrase publiée dans un magazine dont je me garderais de citer le nom :

« Ce disque en ennuiera certains et passionnera les autres. »

Reste donc les concerts, sanctuaires sacrés permettant aux avant-gardistes en mal de reconnaissance de ne pas mourir de faim. Là, le Patti Smith group est une horde de communards défendant chèrement sa peau, Patti lançant ses déclamations comme un général ordonnant l’assaut. Cette métaphore guerrière, la papesse rock ne cesse de l’employer à longueur d’interview. Toute grande armée a besoin d’une cavalerie fulgurante, celle du Patti Smith groupe se nomme John Cale. A chaque fin de concert, celui-ci vient faire hurler son violon dans une reprise sauvage de my generation.

Dylan non plus n’a pas laissé tomber la révolutionnaire mystique, et il lui propose de rejoindre sa rollin thunder revue. N’ayant duré que quelques mois, la rollin thunder revue est l'un des plus beaux actes de rébellion contre la grandiloquence du show business. Voir Bob Dylan et Joan Baez quitter la routine confortable de la gloire, pour parcourir les routes dans un van miteux est un symbole grandiose. Au cours de son périple, la troupe jouait où elle le pouvait, souvent en compagnie de musiciens locaux plus ou moins connus. Malheureusement, Patti ne peut accepter cette invitation, le Horses tour n’est pas fini et elle refuse de laisser ses troupes en rase campagne.

Entre temps, sa relation avec Tom Verlaine s’est tendue , et le couple se sépare quelques jours après le début de la tournée. Quelques semaines plus tard, Patti reporte son affection sur Fred Sonic Smith , le guitariste le plus remarquable de Détroit. Quand ils se rencontrent, le MC5 a fini par se séparer à cause de leur début sulfureux. John Sinclair a fait naitre le groupe autant qu’il l’a tué, son ombre est la malédiction qui a condamné le gang. Si la révolte du hippie rouge a contribué à façonner le son du five , ses idées politiques ont attiré la censure de l’establishment américain. Lâchés trop rapidement par ses maisons de disques , privés de passages en radio et de proposition de carrière solo , ses musiciens maudits ne se sont jamais remis de leur débuts sulfureux. On ne diffuse pas impunément des idées gauchistes dans un pays où le communiste est plus haï que le pire des criminels, une nation où les rouges sont encore plus détestés et méprisés que les noirs.

Si je m’attarde ainsi sur les différents amants de notre poétesse, ce n’est pas seulement pour parler une nouvelle fois du MC5. Patti est aussi artiste que muse, elle rêvait autant de devenir femme d’artiste qu’artiste elle-même. Dans ce cadre, ses amants étaient autant des guides que des partenaires. Faites le test, écoutez Marquee Moon et Horses l’un après l’autre, vous remarquerez alors que leur lyrisme free jazz ont un air de famille.

Patti a une trop haute idée d’elle-même pour que cette proximité soit un hasard, sa vie irrigue son œuvre et immortalise son parcours. En s’inspirant ainsi de Tom Verlaine, elle faisait sonner Marquee Moon et Horses comme deux jumeaux nés de son amour pour l’art. Si l’on part de ce principe, on comprend mieux le virage pris sur radio éthiopia.

Son destin étant désormais lié au plus grand des libertaires prépunks, elle exige une liberté de création totale. Elle accepte tout de même d’engager le producteur Jack Douglas , à condition que celui-ci ne s’occupe que du son du disque. Douglas ne fut pas choisi au hasard, son travail pour Aerosmith ou Alice Cooper en fit le producteur idéal pour un disque qui se veut plus dur que le précédent. Avant d’entrer en studio, Patti a pris quelques leçons de guitare auprès de Fred Sonic Smith, qui lui donne un peu de ce feeling abrasif qui fit les grandes heures du MC5. La compagnie du guitariste a aussi amplifié une contradiction qui s’exprimait déjà sur Horses. C’est l’époque où elle crie son athéisme, tout en citant des passages de la bible entre un riff et une lecture de Rimbaud. Devant elle, la génération des Ramones se demande comment on peut prétendre défendre leur barricade en citant de pareilles bondieuseries.

La chanteuse sent l’antipathie que provoque ses grands prêches, mais elle ne parviendra jamais à séparer totalement son œuvre de la bible. Sans doute juge t-elle, comme Leon Bloy avant elle, que toute œuvre n’a de valeur que si elle se nourrit des récits bibliques. Bloy voyait l’art comme un hommage à dieu, Patti donne l’impression de vouloir le dépasser. Ce qui est bien plus blasphématoire que les gesticulations nihiliste de sa descendance à crêtes. Pour faire comprendre son message, elle va débarrasser son groupe de ses échos grandiloquents, jeter aux oubliettes son swing de cathédrale. La musique redescend sur terre , mais ce n’est que pour mieux souligner la transe d’une femme qui ne peut que rugir comme un croisé en pleine guerre sainte.

Radio éthiopia est un superbe paradoxe, la réussite d’une artiste qui ne peut plus être une groupie. Si Fred Smith a inspiré radio éthiopia , c’est de manière beaucoup plus marginale que Tom Verlaine avec Horses. Patti a mûri , son époque a désormais plus d’influence sur sa musique que ses histoires personnelles. Ce que radio ethiopia évoque dès les premières notes de ask the angel , c’est la puissance spectaculaire des grands barons du hard blues. Patti fait de la dévotion un blasphème, se sert de l’énergie la plus populaire pour écrire son disque le plus complexe.

La justesse est pour elle dans la contradiction, elle sait qu’il n’y’a rien de plus blasphématoire qu’une groupie de dieu devenue rockstar , ses harangues sont des flèches déchirant le dogme. Alors que le son de radio ethiopia semble flirter avec les blockbusters led zeppien , la musique crache sur leur virtuosité grandiloquente. Patti n’a jamais voulu apprendre le moindre riff, elle ne sait pas accorder sa guitare. Cette femme est la Jackson Pollock du rock, une Ornett Coleman de la guitare, elle envoie des sons rageurs qui semblent s’unir miraculeusement.

Là encore, cette inspiration sera très mal comprise, Lester Bang étant le premier à tirer sur son ex collègue. Par respect pour son amie, il ne publiera jamais sa chronique, qui tombera tout de même entre les mains d’une Patti qui en sera profondément blessée. La déception est malheureusement partagée par une grande partie du public qui, comble de l’ironie , l’accuse d’avoir cédé au pire des péchés capitaux : l’orgueil.

Subissant les leçons de moral de curés minimalistes, Patti a au bout du compte sorti un disque qui transcende ses contradictions sans les gommer. Une œuvre plus brute mais aussi riche que son premier album. Et c’est déjà un exploit que l’on peut saluer.                

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