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vendredi 16 avril 2021

Patti Smith 7

 


Dans le rock , les adieux ne sont jamais définitifs , ceux de Patti Smith ne feront pas exception à la règle. Le retour est d’abord discret, et commence par une courte reformation du Patti Smith group. Patti souhaitait profiter de la popularité de son groupe pour aider l’orchestre symphonique de Détroit, en lui reversant tous les bénéfices de la soirée. L’opération est un succès, qui montre que la papesse punk se considère toujours comme une ambassadrice de l’art. Elle sent aussi que ses musiciens espèrent une reformation plus longue, chose qu’elle refuse radicalement. Sa dernière déclaration publique sera donc l’annonce de la fin, définitive cette fois, du Patti Smith group.

De retour à Détroit , elle finit par travailler sur un album en duo avec Fred Smith. Le couple se voit alors comme les John Lennon et Yoko Ono de Détroit, ceux qui viendront rallumer une flamme que le MC5 n’a pu préserver. Mais la musique n’est plus la préoccupation principale du duo, qui laisse les sessions s’éterniser pour donner la priorité à sa famille. Cloitrés dans une ex motor city devenue une ville fantôme, Patti Smith et Fred Smith disparaissent totalement des radars médiatiques. Le meurtre de John Lennon par un sombre inconnu ne fera que renforcer son choix. A l’heure où les musiciens de leur génération se cachent derrière leur garde du corps,  le couple vit une vie de famille des plus banales.

La stabilité n’étant jamais bénéfique aux artistes, les sessions de leur album ne donnent rien de concluant,  et Jimmy Lovine est appelé à la rescousse. L’idée de duo est alors abandonnée, Dream of life sera juste le grand retour de Patti Smith. L’album sort enfin en 1988, et exprime autant l’assagissement de son auteur que la profondeur des changements intervenus durant son exil. Les années 80 ont vu le rock abdiquer face à une pop triomphante, les guitares ronronnent désormais pour s’attirer les faveurs de médias de plus en plus puissants.

MTV vient de naitre, amplifiant un culte de la superficialité qui ne fait que s’accentuer. Sur la jeune chaine, on peut voir Bowie chanter son hymne de foire produit par Neil Rodgers, Springsteen danser de manière ridicule en compagnie de Courtney Cox, ou Dire Straight réclamer « son MTV ». Pour accéder au succès, les rockers doivent sonner plus propre, moins violent.. En un mot comme en mille : Moins rock !

Si on ne peut que s’incliner quand ce procédé dévitalisant accouche de disques aussi sompteux que « brother in arms » ou joshua tree, il faut reconnaitre que cette standardisation de la musique nuit gravement à l’inventivité des rockers. Produit par la même personne que l’irrésistible Ester , Dream of life est malheureusement un symbole de cette mort lente du rock. On ne peut pas reprocher à Patti, alors qu’elle vient de dépasser la quarantaine, de ne plus hurler comme un communard mystique sur sa barricade. En revanche, on peut regretter que sa fougue utopiste ait laissé place à un mélange de moralisme démagogique et de sentimentalisme gluant.

Symbole de cet idéalisme émasculé, people have the power se traine comme l’idéalisme hippie agonisant à Altamont. La batterie est robotique et froide comme une boite à rythme, les synthés dégoulinent de solennité surfaite, pendant que la guitare ne peut que balbutier un riff amorphe. Résultat, quand Patti chante « people have the power » ce qui se voulait une affirmation sonne comme une demande désespérée. Des slows comme « goin under » jouent ensuite la carte de la variété rock. Ce piano ultra clean, ces chœurs suintant de bons sentiments, et une guitare se lançant dans un solo sans énergie, on retrouvait déjà tout ça sur quelques albums de Renaud.  

Le rock n’a pas réussi à se débarrasser de ce que la majorité nomme la beauté. Pour cela, il aurait fallu passer en boucle des disques comme « trout mask replica » , rendre le peuple fou à grands coups de « absolutely free » , inonder le monde de mélodies loufoques , de riffs délirants et autres folies avant gardistes. Gavée de cette pop exigeante, la masse aurait compris que c’est à elle de se mettre au niveau des artistes, et que cette hiérarchie doit toujours rester immuable.

Quand le grand public devient le roi fainéant de la pop, cela donne des disques comme dream of life, qui lui sert la soupe avec une soumission vulgaire. Alors on cherche dans cette production indigeste quelques traces de sincérité artistique, on attend cet oasis comme un bédouin perdu en plein désert.

Quelques mirages rassurant se dessinent alors, comme ce up down there , dont la fougue sonne comme un lointain cousin de rock n roll nigger. Si le titre reste trop tiède pour provoquer des cris d’extase, il montre au moins que Patti peut accoucher d’un rock mature sans se noyer dans un populisme stérile. Du coté des ballades par contre, la grandiloquence de la production détruit tout début de lyrisme authentique.

Pour la plupart des auditeurs, dream of life sera un disque agréable , le genre de musique qu’on écoute avec plaisir , avant de l’oublier dès que l’album se termine. C’est malheureusement aussi le genre de musique d’ambiance dont l’époque raffole. De ce point de vue, même si son travail est artistiquement honteux, Jimmy Lovine a fait ce que l’on attendait d’un producteur moderne. En noyant totalement son lyrisme solennel, il a fait de Patti Smith une pop star. A une époque qui considère que plus rien n’est sacré, la papesse du punk produisait son born in the Usa.

Si l’on constate aujourd’hui que ce dream of life n’a pas trop mal vieilli, c’est avant tout grâce au vide de sa musique. Une œuvre ne peut vieillir que si son propos est rendu caduc par l’inexorable marche du changement. Dream of life chuchote trop faiblement pour perturber les codes d’une quelconque époque, c’est un souffle si timide que l’on finit vite par ne plus l’entendre.

Et c’est bien là que se situe le comble de l’ironie :

Patti Smith a produit une œuvre sans âme !          

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