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lundi 19 avril 2021

Patti Smith 8



Quelques mois après la sortie de dream of life , en 1989, Robert meurt du sida. La maladie le rongeait depuis plusieurs mois, le fringuant jeune homme de just kids étant devenu un vieillard épuisé. Pleurer un mort, c’est avant tout pleurer une partie de son passé, chaque disparu emporte avec lui une période de nos vies qui ne reviendra plus. Robert était le compagnon de misère, celui qui avait sorti Patti de sa vie de vagabond, lui permettant ainsi de conquérir le monde. Un mort partant rarement seul, Richard rejoint bientôt Robert dans le rang des fantômes chers à Patti Smith. Claviériste de son groupe, le musicien emporte avec lui le souvenir de cette enragée mystique que Patti n’est plus depuis la fin du Patti Smith group.

Alors que la chanteuse fait progressivement le deuil de ses deux amis, Fred Sonic Smith apparait de plus en plus fatigué. Cet épuisement n’alarme pas sa femme, qui poursuit avec lui la vie de famille paisible qu’elle s’est choisie. En 1994, une autre disparition bouleverse le couple, celle de Kurt Cobain. Ils n’ont pas rencontré ce jeune homme torturé, qui apportât au rock un de ses derniers âges d’or , mais ils sentent qu’il existe un lien entre sa musique et la leur. Kurt était un descendant du brasier de Détroit, alors que sa musique trouvait sa force dans tout ce que la génération proto punk de Patti a initié. Quand l’ange blond du grunge s’est donné la mort, Patti et Fred ont perdu un fils spirituel.

C’est aussi à cette époque que Patti renoue avec le cirque médiatique. La poésie a pour elle largement pris le pas sur la musique, la papesse punk affirmant qu’elle souhaite désormais être reconnue comme écrivain. Elle accepte finalement de reprendre le micro, pour enregistrer un inédit sensé booster les ventes d’une compilation, dont les profits seront reversés à une association de lutte contre le sida. Quelques jours plus tard, Fred Sonic Smith meurt à l’hôpital de Détroit. Epuisé par la quête d’un succès qui ne vint jamais, le plus grand guitariste de Détroit a succombé à un infarctus.

Après deux mois de deuil, sa veuve réapparait progressivement lors de quelques cérémonies publiques. Patti revient ensuite enfin à la musique, et réserve le studio electric ladyland , où elle entame l’enregistrement de gone again. Sorti en 1996, cet album sera résolument nostalgique. Plongé dans le studio où tout a commencé, Patti renoue avec un lyrisme tragique, qui manquait à ses productions plus pop. Les fantômes côtoient les vétérans revenus la soutenir, le morceau titre et « summer cannibals ayant été écrit avec Fred Smith , alors que John Cale et Tom Verlaine participent aux chœurs de « beneath the southern cross » et « fireflies », la sœur de Fred tient quant à elle la mandoline sur Rain. Alors que la troupe dirigée par Patti s’agrandit, la production est plus brute que sur ses précédents albums, Patti n’allait pas entrer dans son cimetière avec un attirail de popstar.

Le morceau titre est une ouverture saisissant, un blues d’apaches rendant hommage aux braves tombés au combat. Il symbolise un album où la rage côtoie la tristesse, une œuvre se révoltant contre l’injustice de la mort et pour survivre à ses drames. Cette tristesse rageuse semble régénérer l’inspiration de Patti , qui fait danser ses fantômes sur un blues rock illuminé , ravive le feu de son rock mystique en leur honneur. En plus d’avoir perdu un ami et un mari, la chanteuse a aussi perdu un fils spirituel, le grondement stoogien de about a boy rendant hommage à Kurt Cobain. Gone again est un album où la petite histoire de Patti rencontre la grande histoire du rock, où elle semble autant mettre des mots sur les douleurs d’une musique orpheline, que sur ses propres blessures.

Au-delà de ses textes, la musique convoque ses propres icônes. Gone Again rappelle le blues de shaman de Jim Morrison , Fireflies flirte avec la folie divine d’un John Coltrane en pleine méditation free jazz , et le souvenir des Stooges nourrit la noirceur de about a boy. Comme si la mort harcelait la chanteuse, Jeff Buckley effectue sa dernière prestation dans les chœurs de beneath the southern cross , il mourra noyé à peine un an plus tard. Summer of cannibals apporte un peu de lumière à cette noirceur endeuillée. Propulsé par un riff heavy blues digne des passages les plus puissants de horses , le titre ressemble à une lueur d’espoir au milieu de ce mouroir aussi étouffant que fascinant.  

Gone again est l’album d’une chanteuse qui prit le micro avec l’urgence d’un naufragé se jetant sur sa bouée. Traumatisée par une série de disparitions soudaines , Patti comble le vide laissé par ces disparus avec sa musique la plus pure , la plus poignante aussi. Un chroniqueur avait affirmé que l’on reconnaissait les grandes chansons de Lou Reed à la faible intensité de sa voix, le génie n’ayant pas besoin de hurler pour se faire entendre. C’est pourquoi, perdu dans ses textes les plus approximatifs, le grand méchant Lou avait tendance à hausser le ton, alors que les perles de « blue mask » ou « cosney island babie » semblent chuchotées avec une douceur enivrante.

Grâce à gone again , ce constat se vérifie aussi pour Patti , les complainte telles que « fireflies » ou « raven » étant murmurées telles des prières. La douleur a fait naitre une Patti Smith mature, elle a donné à gone again la profondeur d’un Dylan rescapé de son arrêt cardiaque. Il y’a d’ailleurs un lien profond entre gone again et time out of mind , le disque que Dylan enregistrera après avoir échappé à la mort. Tout deux sont les œuvres d’artistes qui, voyant la grande faucheuse approcher, exorcisent leurs angoisses dans les profondeurs d’un blues poignant.

         

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