Rubriques

lundi 23 août 2021

John Coltrane : Coltrane Sound

 


"Coltrane sound" fait partie de ces albums tombés dans les oubliettes de l’histoire. Issu des mêmes sessions d’enregistrements que "My favorite things" et "Play the blues", le disque ne sortit qu’en 1964. Placé entre "Crescent" et "a love suprem", il ne pouvait que passer pour un incompréhensible retour en arrière. Ce qui est le prolongement logique de "My favourite things" fut donc boudé par nombre de critiques, qui ne prirent pas le temps de replacer l’œuvre dans son contexte. Comme son illustre prédécesseur, "Coltrane sound" est porté par un saxophone chantant des refrains inoubliables.

L’affaire commence avec deux ballades, "the night as a thousand eyes" et "Central park west". La première, nerveuse et rythmée, voit le quartet imprimer un tempo de rumba, sur lequel Coltrane fait danser ses tapis de sons. Cette danse finit par être rompue par le solo de McCoy Tyner, subtil mélange de puissance rythmique et de finesse mélodique que ne renierait pas le grand Monk. Coltrane et son pianiste clôturent ensuite le titre devant un rythme crépitant comme un feu de bois. Sonny Rollins ne manquera pas de reprendre ce tour de force sur l’album "what’s new", prouvant ainsi que Coltrane n’a plus rien à envier à celui qui lui infligea une cuisante humiliation quelques mois plus tôt.

La seconde ballade, "Central park west", est un hommage à la ville de New York porté par le lyrisme du saxophone soprano. Propulsé par l’agilité monkienne de McCoy Tyner, Trane fait de ses chorus de grands feux d’artifices sonores. Cette performance s’inscrit dans la lignée du lyrisme extravagant dont il posa les bases sur "Giant steps". Après l’Amérique, le saxophoniste pose son swing en Afrique, "Liberia" honorant la mémoire de la première ville décolonisée d’Afrique. Si le pays est devenu un symbole de l’émancipation du peuple noir, la mélodie de Coltrane montre une certaine désillusion vis-à-vis de ce qui n’est encore qu’une utopie au moment où il joue. Le piano de McCoy Tyner installe un spleen charmeur, une douceur mélancolique nuançant les dissonances et chorus alambiqués du saxophoniste. Après un break retentissant de Jones, le pianiste nous gratifie lui aussi de spectaculaires dissonances, comme si le pessimisme de son saxophoniste avait fini par influencer son jeu.

Composé par Johnny Green, "Body and Soul" célébra la naissance du saxophone ténor, quand celui que l’on appelait the Hawk se mit à planer au-dessus de sa mélodie. Ici, Coltrane modernise ce standard en gommant les trémolos du grand Coleman, tout en décuplant son tempo. Le titre s’écoule ainsi avec un lyrisme respectueux de la version originale, jusqu’à l’ultime solo de Coltrane. Son chorus prolongé réaffirme l’avènement d’une nouvelle génération de ténors, une génération dont il sera le père spirituel.

"Equinox" et "Satellite" montrent ensuite la passion de Coltrane pour l’astronomie. Contrairement à Sun Ra, cette passion ne s’exprime pas dans de grandes expérimentations synthétiques. Sans surprise, l’auteur de "Liberia" pose sa base spatiale en Afrique. "Equinox" s’ouvre ainsi sur un tempo afro cubain, ambiance légère que McCoy Tyner assombrit de ses accords sourds. Ce qui fut une mélodie légère décolle ainsi dans une grande méditation cosmique. D’une intensité planante irrésistible, le jeu de Trane renforce son charisme spatial grâce à ces notes effleurées.

"Satellite" voit Coltrane tourner comme un astre autour de sa section rythmique. Il rivalise d’excentricité avec le duo basse batterie, enchainant apaisements et emportements dans une logique folle. Perturbé par un tel déchainement, l’auditeur finit par ne plus savoir qui est au centre de ce drôle d’héliocentrisme. McCoy Tyner fut l’ancre incitant son saxophoniste à garder un pied sur terre, son absence permet à ce dernier d’explorer de nouvelles galaxies.  Quand les dernières notes de ce spleen d’astronaute du swing s’éteignent, on ne peut qu’applaudir les derniers échos d’une trilogie historique.

Si il est difficile de choisir le point d’orgue du triptyque "my favourite things", "play the blues", "coltrane sound", celui-ci trouve ici une fin parfaite. Autant que "my favourite things" avant lui et "a love suprem" après lui, "Coltrane sound" est un pilier du temple coltranien.               

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire