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dimanche 26 septembre 2021

John Coltrane : Coltrane

 


Une fois les sessions de "John Coltrane with Johnny Hartman" terminées, Coltrane repart sur les routes en compagnie du trio Tyner / Jones / Garrison. Régulièrement, Eric Dolphy les rejoint pour célébrer leur retour dans le rang de l’avant-garde. Si Dolphy n’est pas toujours là, ses apparitions confortent Coltrane dans la voie qu’il s’est choisie. Comme lui, Dolphy est un explorateur attaché à la tradition. Sorti quelques mois plus tôt, "Out there" montre les hésitations d’un génie coincé entre deux mondes, entre le passé et l’avant-garde. Dolphy fut un mercenaire appliqué quand il joua avec Mingus, le prolongement de la tradition bop quand il foula la scène du "Five spot", un inventeur révolutionnaire quand il enregistra "Out to lunch".

Ce fut un meurtrier de la tradition sur l’explosif "Free jazz", son sauveur sur "Olé". Il se révéla aussi comme un brillant trousseur de mélodies et un redoutable inventeur d’harmonies alambiquées. Sa participation à quelques concerts de son quartet redonna à Coltrane le gout de l’expérimentation après une période relativement réactionnaire. Ayant retrouvé sa voie, le quartet retrouve aussi la cohésion qui fit des merveilles lors de son passage au "Village vanguard". Voulant forger ce fer tant qu’il est chaud, les musiciens s’empressent de retrouver le chemin des studios.

Ouvrant l’album issu de ces sessions, "Out of the word" est une mélodie modale et rêveuse inspirée par une comédie romantique de 1945. Martelant le thème central avec autant de force que de somptuosité, Tyner initie une valse endiablée. Ayant bien retenu les leçons dispensées par le duc Ellington, Coltrane prend le temps de développer la richesse de son thème. Il déroule ainsi ses notes telles de somptueux tapis de sons, permet à l’auditeur d’admirer la finesse de ses motifs. Puis son souffle s’emballe, ses chorus quittent les rails de la rythmique dans un emportement virtuose et fascinant. On peut rapprocher cette fuite des expérimentations dissonantes d’"Out to lunch". Comme celui de Dolphy, le souffle coltranien s’inscrit dans l’esprit libertaire du free sans totalement se conformer à sa vision extrême de la liberté.

Tyner attend la fin de cet orage pour ramener progressivement cette mélodie sur terre grâce à un somptueux solo. Loin de s’être totalement calmé, Coltrane prend le motif d’ouverture avec la violence d’un métallurgiste forgeant son œuvre dans un acier brulant, le tord dans tous les sens tout en prenant garde de ne pas le défigurer totalement. Ainsi, il prouve aux disciples d’Ornette Coleman que l’on peut développer des innovations intenses tout en gardant une trame mélodique. "Soul eyes" s’impose ensuite comme le calme après la tempête. Le chant langoureux du saxophone enlace de nouveau les gracieux enchainements du piano. On retrouve ici la beauté lumineuse de "Ballads", comme si Trane se reposait un peu dans les bras de la tradition.

Ses notes s’allongent, ses chorus s’étendent pendant de douces secondes, avant que la bluette ne s’éteigne dans un gracieux soupir cuivré. On retrouve ensuite le chemin du jazz modal, le groove tourbillonnant de "the inch worm" renouant avec la légèreté dansante de "My favorite things". A l’image du final d’"out of this word", "the inch worm" voit Coltrane triturer le motif central sans le dénaturer. Répétant régulièrement un refrain entêtant se gravant vite dans la mémoire de son auditeur, le saxophoniste sépare ses parties mélodieuses par de grandes expérimentations free. Retrouvant la symbiose de "Catch the Trane" (sur le "live at village vanguard"), les autres musiciens suivent le saxophoniste comme si ils étaient liés par un sixième sens.

"The Inch worm", comme "out of this word", montre un Coltrane sachant désormais envelopper ses expérimentations dans des emballages attrayants. Ses mélodies lui permettent d’allier expérimentations ambitieuses et refrains populaires. Tunji ajoute à ce mélange une douce spiritualité, les éclats de caisse claire initiant une ambiance méditative. Les rythmes tribaux embarquent ensuite cette douce méditation dans une transe intense. Peu inspiré par ces rêveries abstraites, Tyner se contente d’enchainer sur un chorus nonchalant. Garrison initie ensuite une vibrante danse tribale à laquelle le duo Tyner-Jones se joint rapidement. Admirant ce feu d’artifice polyrythmique, Coltrane finit par interrompre cette transe par un chorus majestueux. Pour finir, Miles Mod explose le cadre du jazz modal dans une série d’improvisations aux dissonances jubilatoires. Pas encore prêt à couper tous les liens qui l’attachent au jazz structuré, Coltrane commence discrètement à dessiner le chemin de ce qui deviendra le free jazz coltranien.          

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