Rubriques

samedi 25 septembre 2021

L'orgue divin : Yes - Going for the one (1977)

 



"L'expression "Going for the one" est une nouvelle création Andersonienne dont il a sûrement apprécié la multiplicité de sens possibles : "se rapprocher de l'Unique", sous-entendu de Dieu, ou tout simplement "viser la première place" dans un contexte sportif. Mais que le second sens corresponde aux paroles de la chanson n'invalide pas nécessairement le premier à l'échelle de l'album, d'autant que "Going for the one" ne s'en tient pas à un sujet unique (...)."

(Yes - Aymeric Leroy, Le mot et le reste, p.191)


Bon, ça démarre mal.

Déjà là cette pochette avec ce fier bipède et son postérieur en milieu urbain, c'est pas possible.
Non c'est pas possible, crédieu.

Remplacer les sublimes oeuvres que Roger Dean avait à chaque fois peintes pour les pochettes des disques du groupe par un travail inédit de Storm Thorgeson s'avérait pourtant un deal appréciable. Dark side of the moon et son prisme lumineux sur fond noir pour Pink Floyd ? C'est lui. Le visage qui fond de Peter Gabriel sur l'un des premiers disques solo de l'archange Genesien ? Encore Storm. Les automobilistes encapuchonnés de rouge de The Mars Volta ? L'oeil de Dieu narguant Caïn dans le désert sur le Bury the Hatchett des Cranberries ? Cette poignée de main enflammée sur Wish you were here ou les statues de The Division Bell ? Toujours lui.
Une institution le regretté Thorgeson.

Bref, ça s'annonçait une affaire en or.

Beh non.

Comme quoi l'inspiration parfois, "quand ça veut pas, ça veut pas" (reprendre ici la voix d'une marionnette télévisuelle).

Pourtant je ne suis pas difficile visuellement en terme de postérieurs. Si ça se trouve je suis sûr qu'un petit coquin ou une petite maligne s'est amusé-e à compiler des pochettes de nus sur le web pour le plaisir des yeux (indice : ah ben oui). Mais voilà, ici le travail sur la composition & la structure de l'image tombe un peu comme du déjà vu.

En gros ça donne ici : L'oppression de la nature mise à nu de l'humanité face à un monde galopant de plus en plus à sa perte avec ses immeubles qui poussent aussi vite que les morilles que cultivent les hobbits ? (Il faut le dire très vite. Tiens je vais le mettre en italique). Mouais. Ok.

Bon les immeubles sont sympas, j'aime bien la façon anguleuse dont ils sont découpés : Il s'agit effectivement de montrer visuellement l'agressivité de la société consumériste actuelle. On pense donc à des dents voire des pointes ou piques et en soit, l'idée fait son chemin en effet.

Néanmoins au premier regard, cette pochette ne me parlait pas. 

Et je suis sûr que pour tous les passionnés de YES, ça a dû être sensiblement la même chose. Et une bonne pochette de disque comme une bonne couverture de livre ou une belle affiche c'est déjà 50% du travail de séduction de l'oeuvre normalement.

On m'objectera que je tiens un discours un brin matérialiste, oui je m'en rends compte, pardon. Mais je suis de la vieille école moi, même avec mes mp3, j'aime bien aussi avoir l'objet disque (cd ou vinyle) dans mes mains.

Et si vous m'avez lu jusqu'ici, bravo. Je vais vous récompenser, évoquons le disque maintenant.

Et pour la petite histoire telle qu'elle est révélée par Aymeric Leroy dans son livre et validée également par plusieurs spécialistes, la pochette est en fait un choix dû à Jon Anderson qui repousse de côté les propositions du pauvre Roger Dean qui s'était déplacé de lui-même en Suisse, à Montreux (là où YES va enregistrer l'album) sous prétexte un peu rancunier que Dean n'était pas disponible quand il a fallu créer une illustration de pochette pour Olias of Sunhillow, le premier album en solo de Jon, l'année d'avant, en 1976. Bigre Jon, c'est pas bien d'être rancunier comme ça, c'est un coup à te plomber YES, et ça s'arrangera pas sur l'album d'après d'ailleurs...

Et donc, la musique alors.

Bon, à vrai dire, là aussi ça démarre mal.

Comme le révèle Aymeric Leroy dans son livre consacré au groupe, Going for the one amorce un tournant dans l'histoire du groupe. En 1977 et même si cela ne se ressent pas encore (cela le sera plus sur Tormato, l'album d'après), les maisons de disques commencent à faire pression et via les radios on demande des titres raccourcis. Si YES chez Atlantic a été un cador monstrueux du rock et a dégagé pas mal de royalties (à tel point que Jon Anderson abordera par exemple très vite un style de vie un brin luxueux au grand dam des finances du groupe), comme beaucoup de groupes, son temps est un peu compté et on va lui signifier très vite que refaire des disques comme Close to the edge voire les complexes Tales from Topographic Oceans ou Relayer, ça va passer un peu moins bien. Sans compter que le punk déboule à ce moment, sauf que pour l'instant vis à vis des gros groupes et surtout ceux du rock progressif ce n'est certes pas encore un problème. Le premier album des Clash par exemple n'est paru qu'en avril de cette même année 77, quelques mois à peine avant Going (7 juillet 1977).

Toujours est-il que le claviériste Patrick Moraz parti, Yes se cherche à nouveau et prend l'option de demander à Wakeman de revenir tout en lui assurant revenir à une musique plus mélodique, le claviériste de la seconde mouture du groupe ayant en effet jamais caché son énervement envers le Tales from Topographic Oceans de 73, inutilement complexe, confus et trop long à son goût, au grand dam de Jon, Steve et Chris. Going va être également le moyen pour Yes d'aborder en douceur un début de virage vers une nouvelle peau, à mi-chemin de la tradition rock prog du groupe et de la modernité sonore qui se profile dans les 80's (on ignorait alors que quelques années plus tard les années 80's prendraient une direction hélas trop clinquante et lisse). Et Leroy d'analyser le disque en le scindant en deux parties : une première face qui va dans de nouvelles directions, une seconde plus raccord avec le YES que tout le monde connaît alors.

Going for the one en ouverture est une espèce de rock-country-pop taillé pour du single.

 Quand on connaît ce qui a précédé de Yes, ça fait un peu mal au début. C'est pas dégueu en tant que fan du groupe mais y'a mieux. D'ailleurs ça s'arrange tout de suite après avec les 7mn58 de Turn of the century où le groupe produit un titre serein, planant avec des envolées de douceur et de magie sur fond de texte romantique évoquant le passage du temps (au sein d'un couple ? Dans la vie ? Cela reste abstrait et tant mieux).

Like leaves we touch, we see
We will know the story
As Autumn calls we'll both remember
All those many years ago

Puis déboulent les 6mn de Parallels

Un titre rock grandiloquent avec de l'orgue qui pourra en freiner certains, en faire pogotter d'autres. Pour ma part, ce titre un peu redondant m'a toujours filé une sacrée banane.

Wonderous stories est une petite balade mignonne taillée dans un écrin sonore qu'on veut similaire au travail sonore sur Turn of the century sans forcément y parvenir à nouveau. C'est surtout une petite chanson made in Jon Anderson, jamais vraiment sorti du monde des hippies, les papillons, les fleurs, les arcs-en-ciels, les poneys qui chient des comprimés de valium, tout ça.... Oops, je m'égare.

Et puis il y a la dernière piste.

Awaken la fabuleuse (ça fait très héroïc fantasy ce que je bredouille).

Gros morceau de 15mn où le groupe travaille clairement une composition basique en progression (On est pas dans la prise de risque constante comme avec l'album Relayer juste avant) mais toujours en surprenant, fascinant de bout en bout. Gros morceau de magie.

Cela commence avec des notes de piano complètement cinglées (Rick Wakeman est dans la place) avant qu'une ambiance planante s'installe où le chant de Jon Anderson se pare d'échos. La dramaturgie se met en place. Des accords de guitare électrique font tomber le rideau tandis que les voix en choeurs et la batterie entament un parcours de combattant. Ça monte, ça défouraille, la basse appuie en bouclier le tout. Puis ça s'emballe magnifiquement. Et ça repart de plus belle. Sortez les épées, armez les lances, en formation. Wakeman ressort même l'orgue (un vrai orgue d'église vu que c'est enregistré directement avec celui de l'église St Martin de Vevey en Suisse, mazette), c'est dire.

Puis soudain tout semble se suspendre à 6mn30.

Des notes de harpes résonnent dans un grand vide comme si nous observions une large plaine avec juste les ombres des nuages passant lentement au sol.

Puis l'orgue, joué comme dans une église cette fois, va appuyer délicatement la mélodie à la harpe d'Anderson. Un passage contemplatif du plus bel effet.

Puis tout monte lentement. La mélodie reprend mais la magie reste.

Le morceau se termine par une coda à l'orgue avec tous les instruments ensemble dans une apothéose à la YES puis la voix de Jon Anderson seule dans l'éther comme au début...


Alors ? Mineur Going for the One ? Que nenni. Avec les deux plus longs morceaux qui frôlent l'excellence et d'autres à peine "très bons" (c'est dire le niveau hein), YES réussit à nouveau là un coup de maître. Et dire qu'on avait frôlé la catastrophe...


2 commentaires:

  1. Tiens je ne le connais pas celui là.
    Je suis en désaccord complet avec Wakeman , tales from the topographic ocean est un chef d'œuvre.
    Je pense que son plus gros problème est d'être sortit à une époque où le prog commençait déjà à décliner populairement .

    RépondreSupprimer
  2. Les créateurs des oeuvres ne sont pas forcément les mieux placés pour analyser leur production. A ce qu'on en sait, Wakeman s'est senti brimé pendant la construction de "Tales of...". Et puis il avait déjà sa carrière solo en tête avec juste après, son premier disque, "The six wives of Henry VIII" (que j'aime beaucoup) donc ça devait l'arranger. Je trouve perso que c'est justement parce que les autres membres ont pu doser un peu Wakeman que l'émotion surgit brillamment des plus beaux passages de "Tales of...", mais c'est que mon avis. ^^

    RépondreSupprimer