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mercredi 22 septembre 2021

John Coltrane : The John Coltrane Quartet plays


Sorti en 1965, "The John Coltrane Quartet plays" est un adieu aux vieux repères de son auteur. Devenu maître des rythmes modaux, reconnu comme un brillant inventeur de structures harmoniques, Coltrane songe alors à se débarrasser de ses vieux totems. Cet album est en quelque sorte la dernière danse qu’il offrit à ses anciennes muses. De par son ton apaisé, l’album semble prolonger la douceur de "Crescent". En ouverture, Tyner imprime un de ces mantras majestueux dont il a le secret, bâtit le socle que son saxophoniste élargit de ses chorus aériens. On retrouve ici le procédé modal qui fit la gloire du saxophoniste lors de la sortie de "My favorite things".

Comme ce dernier, "Chim chim cheree" est une reprise d’un air populaire, plus précisément du générique de Mary Poppins. Tyner martèle d’abord le thème central avec rigueur, Coltrane entonnant ensuite la mélodie avec un entrain fidèle à la version originale. Progressivement, le saxophoniste trouve dans ce standard de nouveaux territoires à explorer. Ayant perçu l’émotion transmise par cette composition, Trane la restitue dans son propre langage. Il modifie ainsi la forme de l’œuvre sans en corrompre l’essence. Coltrane s’approprie ainsi l’œuvre tout en respectant l’inspiration de son auteur. Vient ensuite "Brazilia", dont l’architecture alambiquée est inspirée par les constructions modernistes soviétiques.

Jones entasse ses percussions telle une grue dépassée par la complexité de la construction qu’on lui demande de bâtir. En chef de travaux concentré, Coltrane dessine les plans de ses vertigineux grattes-ciel. Après le premier immeuble, le quartet bâtit le premier quartier, puis enrichit la ville ainsi créée de somptueuses bâtisses. Une fois le décor planté, les premières traces de vie apparaissent au milieu de ses allées. Tyner semble exprimer l’agitation de cette grande métropole, ses accords s’élèvent comme des arbres apportant un peu de sérénité à ce décor agité. Tel un grand architecte, Coltrane organise la vie de ce petit monde. Une fois son environnement dessiné, il cherche à en modifier les formes, épaississant et affinant les murs sans trahir l’esprit qui guida leurs constructions.

Sur "Nature boy", il s’offre de nouveau les services de deux bassistes. La vibration de leurs cordes remplit tout l’espace, on retrouve ainsi le bourdonnement méditatif d’"India". Tyner et Jones se font alors discrets pour laisser le duo de bassistes explorer des paradis inconnus. Le saxophone s’enroule dans la voluptueuse étoffe qu’il tricote, s’y contorsionne comme un serpent en pleine mue. Les basses finissent d’ailleurs par abandonner ce gracieux reptile pour explorer de nouveaux territoires. L’inventivité des bassistes est telle que Coltrane les laisse clore le titre sur un final paranoïaque.

Redevenu le seul maitre du swing, Garrison lance "Song of praise" sur une vibrante mélodie arabo-andalouse. L’ampleur de ses accords forme un hôtel prêt pour l’arrivée du prêtre d’une religion inconnue. Enfilant de nouveau les habits d’apparat qui furent les siens sur "A love suprem", Coltrane s’embarque dans une bouleversante célébration du sacré. C’est une autre prière dont les hommes de toutes confessions peuvent sentir la profondeur, un dogme universel et bouleversant. Quand les dernières notes de ce titre s’éteignent, on ne peut que se réjouir d’avoir redécouvert pendant quelques minutes une profondeur que l’on croyait unique.

"The John Coltrane Quartet plays" condense tous les décors que son auteur a explorés pendant cinq glorieuses années. Véritable générique de fin d’un film aux décors foisonnants, il permet à son auteur de célébrer une terre qu’il s’apprête déjà à quitter.        

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