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jeudi 14 octobre 2021

Au commencement... : Yes - Yes (1969)

 



« Le choix de « I see you » des Byrds (issu de l'album Fifth Dimension) apparaît en revanche des plus pertinents, et peut prétendre au titre de sommet de l'album. Les qualités de l'original (harmonies vocales en tête) se voient transcendées par un arrangement inspiré, tant dans sa composition chantée (les « la la la, la la la » qui répondent aux « I see you », absents de la version des américains) que dans les développements instrumentaux qui lui ont été adjoints. Yes se pare d'accents jazz, de la batterie tout en cymbales de Bill Bruford au jeu fluide et délié de Peter Banks, bien plus attrayant avec un son clair qu'affublé d'une saturation mal maîtrisée, et leur improvisation en duo dans la partie centrale (souvent portée en concert à plus de dix minutes) est d'une grande intensité, en même temps qu'elle montre que les horizons de Yes ne se limitent pas qu'au rock. »

(Yes, Aymeric Leroy, éditions Le mot et le reste, p.31)


Il faut toujours se méfier des préjugés : La majeure partie du temps, en plus d'être tenaces ils se révèlent étonnamment faux. Ou erronés suivant la subjectivité de chacun.

Où avais-je lu que le tout premier album de YES ne valait pas le coup ?
Sur le net, et parfois plus qu'abondamment.

Or, l'écoute tardive de ce premier album (1) permet de volatiliser un peu pas mal de faux jugements à l'emporte-pièce. Si on resitue dans le contexte de toute la discographie à venir du groupe, certes on pourra trouver cet album mineur. Et pourtant il contient déjà tous les germes embryonnaires du style de la bande à Jon Anderson, pas encore stabilisés. Mais, à mon grand étonnement, la patte YES est déjà là, et de fort belle manière.

Même si le groupe ne décolle pas avec de longues pièces épiques d'emblée à la différence de King Crimson qui sort également son premier album la même année 69, quelques mois après (2), on dénote d'emblée deux pistes longues de 6mn qui sortent déjà un peu des carcans.
Sans surprise, elles s'avèrent les meilleures de l'album dans un registre « proto-prog » ou « pré-prog » avant l'heure.

Dans l'une, « I see you », une reprise des Byrds où la différence fait tout (3) et où sous l'impulsion d'un Bruford passionné de jazz mais ne pouvant pas encore donner pleinement cours à ses envies (4), on assiste à un premier petit mariage de raison entre rock pur (déjà la fameuse « basse qui claque » de Chris Squire même si « le son Squire » n'est pas encore trouvé – il le sera au prochain album) et improvisation jazzistique (batterie qui donne le rythme tandis que Peter Banks est à la guitare). Et dès le début, sous la tutelle de Jon Anderson, le mélange d'harmonies des voix hérité du folk-rock comme de la pop (5) et peu pratiqué dans le rock et encore moins le rock progressif qui va suivre dans les premiers temps s'avère un très bon choix qui distingue déjà un peu le groupe de la masse.

La seconde, « Survival » avec son petit climax d'introduction dynamique puis le fondu enchaîné vers une ambiance plus posée, magique, délicate et mystique qui monte lentement en progression s’avérera typique de certaines compositions à venir de YES et il n'est pas interdit d'y voir quelque part la préfiguration d'une structure qui sera plus ou moins reprise sur un « I've seen all good people » (album "The Yes Album"). Quand je vous dis que « la patte YES » est déjà là.

Dans les autres compositions aussi même si l'on navigue entre le bon et le moins bon.

Intelligemment, YES a disposé ses titres les plus longs en début et fin du vinyle, procédé que le groupe resserrera dans les albums à venir (j'adore personnellement le fait de placer un titre long en début, au milieu et à la fin sur « Fragile », exercice d'autant plus ardu qu'il faut changer de face sur un vinyle...) et attaque d'emblée avec un titre purement rock parfait pour l'ouverture, « Beyond and before ». Là aussi YES surprend d'emblée puisque dans le paysage rock d'alors, la basse n'était encore pratiquement jamais autant mise en avant et plus considéré comme un instrument propre à asseoir la section rythmique au même titre que la batterie. Cela tient autant au style YES que l'envie évidente d'un Squire d'en démontrer évidemment (il ira plus loin par la suite on s'en doute, se réécouter « Roundabout » par exemple sur l'album « Fragile » à nouveau).

Avec « Yersterday and today » on est dans la petite sucrerie pop, la ballade magique que YES parsèmera avec un égal bonheur par petites touches sans jamais se renier dans pas mal d'albums à venir (« A venture » sur The Yes Album ; « Wonderous stories » sur Going for the one, « Madrigal » et « Circus of heaven » sur Tormato...). Et si sur le plan des paroles comme Aymeric Leroy l'indique, ça passe moyen (On portera ça sur le compte de la naïveté et la jeunesse de son interprète –qui fera heureusement bien mieux par la suite-- tout comme de l'époque vu que c'est assez misogyne), sur le plan musical c'est que du bonheur. Une respiration évidente et bienvenue où tout le groupe joue en acoustique et où même Bruford troque sa batterie contre un délicieux vibraphone (6) alors que Tony Kaye abandonne momentanément son orgue pour le piano.

« Sweetness » qui sera le premier single du groupe (7) suit le même chemin (paroles très bof bof où la femme n'est que le repos du guerrier, en revanche musicalement et mélodiquement on marque des points). Un titre agréable en soi mais peu représentatif du Yes qui se cherche encore et empruntera très vite le chemin du prog. Surtout ça donne l'impression d'entendre un énième (bon) groupe dans la mouvance rock-psychédélique alors que YES revendique d'emblée dans ses intentions, d'aller musicalement très loin.

En effet, comme le raconte Leroy dans son ouvrage, le noyau dur formé avant tout des jeunes Jon Anderson au chant (25 ans) et Chris Squire à la basse (21 ans) a une même vision commune : celle de créer « une musique qui serait complexe, virtuose et puissante » et dedans, une « dimension vocale très affirmée, avec des harmonies à la Simon & Garfunkel » (p.18). Le recrutement par la suite de Peter Banks (guitare), William Bruford, alias Bill Bruford (batterie) et Tony Kaye (à l'orgue hammond) va permettre de faire émerger une formation certes mouvante comme on le verra par la suite avec les départs de Banks et Kaye mais qui servira de premier tremplin aux ambitions d'un YES qui ne demande qu'à se tailler sa part du gâteau.

Pour l'instant toutefois YES n'a pas encore les moyens de ses ambitions et doit ronger son frein, avec une certaine élégance cependant : en concert, faute d'avoir suffisamment de compositions développées à leur répertoire, les reprises seront légion. Un exercice que YES n'abandonnera d'ailleurs pas tout à fait, en témoigne d'ailleurs l'inédite reprise du « America » de Simon & Garfunkel de près de 10mn sur la compilation « Yersterdays » de 74 parue peu après « Relayer » pour faire patienter un peu leur public de fans alors que les membres du groupe entament peu après leurs tournée, la publication de leurs albums en solo et donc également le « solo tour ».

« Yersterdays » étant une compilation regroupant à la fois des titres de ce premier album et de « Time and a word » qui le suit, il n'est pas interdit de penser que cette composition-reprise vient d'ailleurs de ces années là. On y décèle pour preuve non pas les petits moogs chers à Wakeman mais de l'orgue, instrument principal d'un Kaye qui d'ailleurs se fera éjecter prochainement pour son manque d'enthousiasme à vouloir faire évoluer un peu sa musique, mais nous n'en sommes pas encore là, je ne vais pas spoiler...

Quand à ce premier disque évidemment, même si YES ne le reniera pas officiellement, quasiment aucun titre ne sera pourtant joué par la suite en concert dans les décennies qui vont suivre, c'est un signe assez évident au final (j'aurais pas dit non moi à « I see you » en live cela dit). Pas étonnant non plus puisque certaines compositions restent un peu bancales (« Harold Land » au milieu ça me fait à chaque fois un gros coup de mou, pas vous?) mais l'impression de fraîcheur pour le fan comme celui qui voudrait s'initier au groupe est toutefois franchement prenante, ce qui donne à ce premier disque un charme indéniable.

Bref YES compense son professionnalisme à venir (sur un peu tous les plans) par un disque rock honorable et franchement bien foutu pour ce qui s'agit d'être une première œuvre. Et s'il y a encore du chemin à parcourir, le saut de géant va s'effectuer justement au prochain album...


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(1) A l'occasion de la lecture et relecture du livre de Aymeric Leroy consacré au groupe (que je chronique également ici), autant vous prévenir d'ailleurs qu'il y aura pas mal de chroniques de YES sur RiP suite aux nombreuses réécoutes passionnées.

(2) Yes sort son premier album le 25 juillet 1969 contre le 10 octobre de cette même année pour le roi pourpre de Robert Fripp.

(3) Le morceau de base, folk-rock, est déjà très bien : https://www.youtube.com/watch?v=MuSsXlNw7TA … En le reprenant, YES fait preuve non seulement d'un grand respect de la structure de base tout en essayant de l'emmener dans une direction inattendue et fort plaisante également : https://www.youtube.com/watch?v=LPKp4lLLMu4 )

(4) Il se consolera plus tard où libéré tant de YES que King Crimson, il fondera son groupe de jazz-rock pour un résultat franchement assez sympa d'ailleurs.

(5) La reprise donc d'un titre du groupe de David Crosby et McGuinn est dès lors plus qu'évidente. De même pour celle d'un titre des Beatles sur ce même disque.

(6) Instrument d'ailleurs un peu plus utilisé dans le Jazz. Bobby Hutcherson et Milt Jackson y firent des merveilles.

(7) Très mauvais choix stratégique d'emblée puisque ce fut un flop intégral.



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