Rubriques

vendredi 15 octobre 2021

Nouvelle rock: Au delà du blues 3

 


Après avoir écrit le récit de son incroyable voyage, Albert fixa la guitare et l’inscription sur le mur avec un mélange d’angoisse et de fascination. Le vieux dut utiliser cette drôle de machine à remonter le temps plus d’une fois. Quelle histoire cet objet tentait-il de lui raconter ? Doit-il payer le prix d’une telle découverte ? Si oui quel est-il ? Il pensait surtout que, quitte à explorer un tel phénomène, autant aller jusqu’au bout. Il se remit donc à jouer le même riff et s’effondra de nouveau à la cinquième répétition. Cette fois, il fut réveillé par un violent coup de pied au cul.

« Recule toi bon dieu ! On doit enregistrer un putain de chef d’œuvre. »

Celui qui venait de crier ces mots n’était autre que Keith Richards. La présence de Jones indiquât à Albert qu’il avait encore remonté le temps. Brian Jones fut celui qui permit aux Stones de s’imposer comme l’un des plus grands groupes des sixties. A une époque où, sous l’influence des Beatles , tout le monde voulait révolutionner le rock , ses talents de multi instrumentiste permirent au groupe de ne pas passer pour d’affreux réacs. Grâce à des titres comme Paint it black et autres Under my thumb , les Stones purent se faire passer pour les rivaux des Beatles. En réalité, ils étaient les éternels seconds, ceux qui suivaient les quatre garçons dans le vent de plus près. Si les Stones ont commencé à écrire leurs propres textes, c’est sous l’influence du duo Lennon/Mccartney.

Loin de se combattre, les deux plus grands groupes d’Angleterre se coordonnaient pour éviter de sortir leurs tubes en même temps. Le fossé qui les séparait se creusa avec Sergent pepper , grandiose pièce montée que personne ne put surpasser. Alors que les Beatles planaient désormais largement au-dessus de la mêlée , les Stones sortirent « His satanic majesty request » , triste navet psychédélique montrant leurs limites créatives. Quand Mick Jagger commença à déclamer sur une folk diabolique «  please allow me to introduce myself », Albert comprit tout de suite où il avait atterri. Placé dans un coin du studio, Godard filmait la scène avec un sourire émerveillé. En bon gauchiste, l’homme transforma ce moment de grâce en délire révolutionnaire, le film qu’il tirera de l’évènement n’ayant de valeur que grâce aux passages captés dans ce studio.

L’homme n’avait pas compris que, loin de se positionner sur le plan politique, les Stones prenait un virage musical résolument réactionnaire.  Ce qu’il aurait fallu montrer, entre les prises de studio, c’est le visage des pionniers du Mississipi, ce sont les grandes performances de Muddy Waters et Howlin Wolf. On aurait ainsi vu la véritable révolution apportée par cet album, c’est-à-dire une mutation de l’héritage américain. Comprenant qu'ils ne seraient jamais de grands innovateurs pop, les Stones se réfugiaient dans leur caverne américaine. Sorti en 1968, Beggars banquet est un disque où le gospel, le blues et la folk sont passés à la moulinette stonienne. Fatigué par ses excès, marginalisé par le duo Jagger/Richards , Brian Jones parvint tout de même à imposer ses fameuses percussions en ouverture de « Sympathy for the devil ». Ce sera une de ses dernières contributions à la légende du groupe qu’il a pourtant fondé, ce virage blues rendant ses talents de multi instrumentiste inutiles.

Le drame de Brian Jones était qu’il était un brillant multi instrumentiste incapable d’écrire des tubes. Devenu incapable d’emmener le groupe qu’il avait fondé plus loin, il en perdit le contrôle. En plus de ce changement de leadership , beggars banquet est aussi le premier album permettant aux Stones de se hisser au niveau des Beatles. Le groupe du duo Lennon McCartney vient en effet de publier le foisonnant double blanc. L’opposition artistique devenait ainsi claire, les Stones représentait un nouveau traditionalisme pendant que les Beatles poussaient le rock à se réinventer sans cesse.

Comme leurs chefs de files, les traditionalistes et les avant gardistes ne se sont jamais réellement opposés, ils représentaient la grandiose variété du rock anglais. Ne pouvant swinguer comme ses voisins américains, les anglais n’avaient d’autre choix que de d’inventer leur propre vision du blues, ou de s’émanciper des vieux schémas originaux.  Beggars banquet symbolisait donc un blues nourri par une époque tendue, une musique qui se nourrit de la révolte qui gronde sans réellement la promouvoir.  Mick Jagger chante d’ailleurs clairement « what a poor boy can do exept to sing for a rock n roll band ». Un peu plus loin, quand il scande « I was born in a crossfire hurricane » , c’est d’abord une certaine vision du blues qu’il balaie. Beggars banquet marque le début d’une époque où le blues se fera de plus en plus tendu, de plus en plus tranchant. Aussi magnifique que fut la progressive dissolution des Beatles , à partir de 1968 les Stones devinrent les rois de l’époque.

Dans le studio tout le monde fut émerveillé par la musique enregistrée ce jour-là. Seul Brian Jones paraissait totalement déprimé, il savait qu’avec un tel album le duo Jagger / Richards venait de le tuer. Quelques semaines plus tard, après avoir soigné sa déprime par l’alcool, Jones se noya dans sa piscine. Pour le remplacer, les Stones choisirent Mick Taylor , jeune prodige ayant commencé sa carrière avec les Heartbreakers. Les Beatles étaient alors sur le point d’annoncer leur séparation, laissant ainsi les Stones prendre le pouvoir.

Quand Albert se réveilla de ce qui ressemblait encore à un sublime rêve, un calendrier accroché au mur annonçait la date pendant que le riff de Keith prédisait la naissance de groupes comme Aerosmith. 23 avril 1971, Albert avait fait un saut de trois ans !

Etait-ce donc ça le prix à payer pour pouvoir comprendre la longue histoire du rock ? Il est possible que notre ami reste bloqué dans une époque qui n’est pas la sienne. Cette perspective ne l’effrayait absolument pas, il ne se sentait attaché qu’à l’histoire qui lui était raconté. Sur sa chaine hi-fi , le riff de Can you here me knocking annonçait d’ailleurs la naissance du hard blues.     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire