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mardi 17 septembre 2019

Bob Dylan: Highway 61 revisited




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Comment imaginer une pochette plus iconique que celle-là ?Il faut dire que sa production fut un véritable casse-tête, Dylan posant dans de nombreuses rues du Greenwich village, sans que le photographe Daniel Kramer ne trouve le bon plan. L’homme est déjà responsable de la pochette de « brin git all back home » , mais c’est finalement Dylan qui aura l’idée qui va débloquer la situation. Il arrive donc aux séances avec un t shirt de motard et demande juste au photographe de le shooter avec. Kramer ajoutera juste son manager à l’arrière-plan pour donner un meilleur équilibre à l’image.
La photo est là, prête à marquer des millions de rétines, tant elle revendique clairement ce que le précèdent album ne faisait qu’esquisser timidement.

 Le voyage de Dylan en Angleterre fut une véritable renaissance, l’énergie du swinging london lui redonnant le gout du rythm n blues qu’il n’osait pas revendiquer.

On oublie un peu vite que le poète a fait ses premières armes dans le blues , avant de se tourner vers un milieu folk qu’il pensait plus porteur. Ce que les fans prirent pour une trahison, lorsqu’il sortait sa guitare électrique, n’était qu’un retour aux sources. Voilà pourquoi il appela l’album précèdent brin git all back home », le rock était une musique américaine, et il allait le rappeler aux blancs becs anglais.
Mais le virage était trop timide, le disque ne comportant qu’une face de rock électrique qui, malgré sa grandeur, ne suffira pas à faire trembler ces stones auxquels Dylan voudrait tant ressembler.

Pour confirmer son virage, il lui faut son Keith Richard , un homme jouant le blues comme si il coulait dans ses veines. Cet homme, ce sera Mick Bloomfield, que les derniers disques de Paul Butterfield ont élevé au rang de roi d’un blues électrique tout neuf.           

Selon Dylan, Bloomfield est tout simplement le meilleur guitariste de blues, et quand il rencontre Al Kooper , il forme sans le savoir un des duos les plus brillants de l’histoire de la musique. Quelques jours avant les sessions d’enregistrement, Dylan s’enferme dans sa maison de Woodstoock pour peaufiner le voyage initiatique qu’il va enregistrer.

 Il a une idée nette de ce qu’il veut et, quand le producteur Wilson semble vouloir reprendre la formule des albums précédents , il lui lâche cette phrase cinglante : « Je ferais mieux de le produire avec Phil Spector ».

Bob Johnson saute sur l’occasion pour prendre le relais, et ce même si il n’est producteur chez Columbia que depuis 1965. Mais c’est justement cette fraîcheur que cherche Dylan, Johnson n’ayant pas cette manie de vouloir faire sonner ses musiciens de la façon qu’il juge la plus commerciale. Il laisse juste le groupe créer en toute liberté, se contentant de trouver le meilleur son pour chaque instrument, et de ponctuer les sessions de cette déclaration enthousiaste : « C’est le meilleur disque que j’ai jamais produit ».

On a trop souvent collé à Dylan la parenté du folk rock, étiquette réductrice qui empêche de comprendre l’importance de ce « highway 61 ». Le folk rock, c’est la rencontre entre la pop des beatles et la folk acoustique, c’est des refrains légers posés sur des guitares carillonnantes.Le folk rock est l’enfant des Byrds, et grandit grâce à CBNY et Neil Young.

« higway 61 » serait plutôt le disque à mettre dans la série restreinte des albums de rock les plus purs et parfaits. Du coté des textes, l’auditeur se retrouve embarqué dans un road trip fascinant , où plane l’ombre de Kerouac, sur fond de mélodies flirtant tantôt avec la simplicité d’un chuck Berry , le spleen de Muddy Water , ou le génie pop de Phil Spector.D’ailleurs, Like a rolling stone vaut bien tous les let it be , Imagine , et autres perles Spectoriennes , tant elle révolutionne les codes de l’époques. Personne n’avait encore osé dépasser la barre des 6 minutes, qui permettait à un titre de passer à la radio.

 Si la formule finira par devenir ennuyeuse quelques années plus tard, elle permet à Dylan de déployer une poésie fascinante. Le duo Bloomfield Kooper est déjà parfaitement en place, et invente ce son « sauvage et vif comme le mercure, brillant comme l’or ». La « miss lonely » , qui provoque le mélange de compassion et de ressentiment que Dylan exprime ici est sans doute Edie Segwick , nouvelle égérie de Warhol dont l’histoire ne retiendra pas longtemps le nom.
Derrière cette poésie, c’est encore le rock qui mène la danse, le titre s’ouvrant sur une pulsation de batterie qui marquera définitivement la mémoire d’un certain Bruce Springsteen.

Et puis il y’a cette rythmique imparable et irrésistible , qui fera dire aux observateurs les plus rétrogrades que Dylan a troqué son lyrisme poétique contre une vulgaire énergie rythmique.C’est aussi à eux que Dylan s’adresse dans « ballad of a thin man », quand il écrit : « something is happening here but you don’t know what it is », la chanson pouvant aussi être vue comme une description de la déchéance de son ami Brian Jones. Encore une fois, Bloomfield brille autant que l’écrivain dont il illumine les textes. Le guitariste atteint le sommet du jeu puissant qui le caractérise, ses notes se déversant en un torrent majestueux, avec ce feeling chaleureux qui disparaîtra avec lui.

Puis nous reprenons la route, passant dans les rue de Tombstone sur fond de rock n roll aussi pur qu’un riff de Chuck Berry, et on se souvient que c’est ici qu’eut lieu le règlement de compte qui donna à Kirk Douglas un de ses plus grand rôle *.    Dylan envoie ensuite une lettre d’amour au blues , sa Buick 6 étant la meilleure bécane pour entreprendre la traversée de la highway 61 , cette route qui va de la nouvelle Orléans à la frontière canadienne , en passant par le missisipi . Dylan place ainsi sa silhouette au milieu des images vénérées de Muddy Water , Bo Diddley et autres dieux de la musique américaine.

C’est ensuite de cette même route 61 qu’il parle sur le morceau titre, la version originale étant plus aérée et le rythme plus net que sur la reprise tonitruante de Johnny Winter. Le titre est la dernière déflagration rock, avant que Dylan ne reprenne son costume d’Homère moderne.

On se retrouve ainsi auprès d’un homme coincé dans une ruelle glauque de Rio Bravo où « les hommes laissent leurs cheveux pousser et leur moralité glisser ». Derrière ce décor décadent plane encore l’ombre de Kerouac, dont le roman « ange de la désolation » partageait la même ambiance glauque. Derrière ce récit sombre, l’orgue d’Al Kooper brille comme la lumière au fond du tunnel.

Dylan n’est jamais aussi fascinant que dans ses récits compatissants , et « desolation raw » s’impose comme l’apothéose d’un album incontournable. Cette fois, cette désolation row n’est pas clairement située, comme si Dylan voulait en faire le symbole d’une violence que l’on croise autant à New York qu’au Mexique. Western moderne, le récit montre aussi la lucidité d’un Dylan qui semble autant se moquer de ceux qui construisent les chaînes de montages, que des manifestants brandissant des slogans simplistes en espérant améliorer leurs conditions de vie.                     

 Les guitares acoustiques, lancées sur un rythme enjoué , contrastent avec un récit foncièrement pessimiste, qui semble exprimer ce que Dylan répondait quand on lui demandait ce qu’il pensait de Joan Baez : « Elle croit qu’elle peut changer le monde . Moi je pense que personne ne le peut ».
Dylan n’aura pas changé le monde avec ce disque, mais il aura définitivement changé la face du rock. On pouvait désormais déclamer des vers sur fond de rock électrique, et des artistes comme Springsteen ou Patti Smith sauront retenir la leçon. Nous sommes en 1965 et le rock produit ses premières pensées.



* règlement de compte à OK Corral 


mercredi 28 août 2019

Bob Dylan : Shot Of Love


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Après la sortie du décrié « street Legal » , Dylan s’était mis à dos le grand public et la critique. Autrefois vénéré comme un demi dieu , le voilà considéré comme un has been erratique , les observateurs attentifs consentant tout juste à saluer une ou deux réussites par album. Lors de la sortie de «  slow train coming » , premier volet de ce qui deviendra sa trilogie chrétienne , le Zimm fut lapider par ceux qui le vénérèrent quelques années plus tôt.

Le voilà donc accusé d’avoir trahi les idéaux de sa génération, pour faire la promotion d’un dogme que seul la peur du pléonasme m’empêche de qualifier d’étriqué. Dylan était passé dans le camp des valeurs poussiéreuses, et tous le crucifièrent avec complaisance. Ajoutez à cela la participation d’un Mark Knopfer en pleine gloire, et vous comprenez pourquoi tous crachèrent sur ce qu’ils voyaient comme l’alliance du conservatisme et de la facilité commerciale.

Pourtant , là où Street Legal était presque un disque de pur gospel , slow train flirtait avec les accords chaleureux du blues , Knopfer en profitant pour retrouver un son plus rustique. Le second volet de cette trilogie honnie, « saved », commençait déjà à toucher les rivages du rock , qui sont explorés sur son successeur , le séduisant « shot of love ».  

Faire la chronique de ce disque, c’est d’abord mettre fin aux préjugés qui firent de cette trilogie chrétienne une période décriée de la carrière de Dylan. D’ailleurs,  Dylan enverra lui-même la plus belle des réponses à ces intégristes pseudos libertaires : « le but de la musique est d’élever et inspirer l’esprit ». La musique fut toujours porteuse d’une certaine spiritualité, qu’elle s’exprime via les plaintes des travailleurs de cotons, ou à travers les discours humanistes de Guthrie.

Quant aux textes de ce « shot of love » , ils ne peuvent déranger les esprits athées que si ceux si considèrent l’athéisme comme un dogme. Celui qui refuse d’écouter un album de Dylan à cause de ces lettres d’amours envoyées au petit Jesus est aussi buté que les grenouilles de bénitiers, qui regardent les non croyants avec un mélange de pitié et de dégoût.

Pour l’esprit libre, les églises sont des bâtiments comme les autres. Alors pourquoi s’insurger de voir Dylan crier sa foi ? Le mythe Dylanien se nourrit autant de sa poésie Rimbaldienne que de ses brusques changements de philosophie.

Surtout qu’en cette année 1980  le barde doute, et son shot of love naitra d’un éprouvant parcours du combattant qui le verra tester de nombreux studios, le tout entre deux dates de tournée. Le résultat n’est pas dénué de défauts , à l’image de cette ouverture où les instruments semblent noyer dans le mix . « shot of love » est pourtant porteur de cette magie qui ne naît que dans les grandes œuvres , la voie passionnée de la choriste venant transformer ce qui ressemblait d’abord à une tentative maladroite en rock habité aux refrains irrésistibles.

Comme une nouvelle provocation, Dylan qualifiera ce texte inspiré d’un récit biblique comme « l’une des meilleurs chansons que j’ai écrite ».

« J’aurais beau avoir être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de dieu, j’aurais beau avoir la foi jusqu’à transporter des montagnes , si il me manque l’amour je ne suis rien » Lettre de Saint Paul aux Corinthiens.

Voilà dans quelle source puise « shot of love » , le titre transformant cette déclaration prophétique en récit où l’on sent pointer la colère de Dylan pour les journalistes. On peut d’ailleurs imaginer que c’est d’eux qu’il parle quand il se demande « qui a tatoué ses enfants avec un stylo empoisonné ».

On entre déjà dans l’ambiance d’un disque foncièrement pessimiste, Dylan semblant s’inspirer des paroles bibliques pour exprimer ses propres douleurs. Le titre suivant continue le prêche sur une note plus sombre.

« Le cœur est tortueux par-dessus tout, et il est méchant : qui peut le connaitre » Livre de Jeremie chapitre XVII.

 « heart of mine » fait de cette citation un acte d’auto flagellation qui n’aurait pas fait tache au milieu des spleens sentimentaux de « blood on the track ». Pour donner un peu de légèreté à l’ensemble , Ringo Starr et Ron Wood lancent le prêche sur un rythme funk rock que n’aurait pas renié Sly et sa famille stone.

Et puis on entre dans ce que tout le monde prendra pour un hymne d’intégriste chrétien , le titre de « property of Jesus » annonçant déjà la couleur. Pourtant, les mécréants décriés dans ses vers ne sont pas ceux pour qui l’église n’est qu’un décor au milieu des paysages américains et français, mais les zombies hypnotisés par le consumérisme.

Là encore , la production est brouillonne , les instrument se marchant dessus dans une espèce de boogie bancale. Pourtant, encore une fois , la sauce prend sans qu’on ne puisse expliquer pourquoi , et le refrain tue notre rationalité pour mieux nous faire adhérer à cette déclaration de foi.

Puis vient un des titres qui justifieraient presque à lui seul l’écoute de ce disque. Il est vrai que la figure de Lenny Bruce avait déjà quelque chose de christique, l’homme ayant subi la haine d’un establishment qui n’acceptait pas qu’un humoriste lui mette le nez dans son hypocrisie.  A la mort de Lenny Bruce, Lennon aura ce trait d’esprit « il a fait une overdose de police », sa plus belle oraison funèbre est donc logiquement écrite par un Dylan désormais crucifié par une philosophie qui n’est qu’une nouvelle forme de bien-pensance.  On ajoutera que l’orchestration plus sobre du titre lui permet de renouer avec le lyrisme sans fioriture qui fait la force de ses plus belles œuvres.

Suit une série de réflexions spirituelles, où il semble regretter l’homme qu’il fut avant sa conversion, un être perdu et incapable de distinguer le bien du mal. On pense parfois à Tom Petty, quand la guitare vient poser ses notes mélodiques sur des nappes de synthés harmonieuses.

Et puis vient le monument Dylanien que tous cherchent dans chacun de ses albums , le titre qui fera dire aux esprits les plus fermés que Dylan aura au moins réussi un morceau sur « shot of love ».

« Voir le monde dans un grain de sable/ Et le paradis dans une fleur sauvage/ Tenir l’infini dans le creux de sa main/ Et l’éternité dans une heure. »

 Ces vers, qui inspirèrent « every grain of sand » ne sont pas issus de la bible , mais d’un poème de William Blake. Bien sûr, la spiritualité transpire dans ce texte racontant le désarroi d’un homme dans l’attente du jugement dernier. Se sentant au bord du précipice, l’homme n’est plus «  qu’un grain de sable entre les mains du maitre ».

Là encore, l’instrumentation se fait moins bavarde, des arpèges se contentant de souligner l’atmosphère doucereuse mise en place par le clavier. Un journaliste de mojo affirmera que ce titre « transcende toutes les religions pour exprimer des préoccupations universelles », celle-ci n’étant qu’une façon de rassurer l’homme conscient de la fragilité de son existence.

Le titre ne fait que confirmer ce que personne ne voulut voir : pour Dylan la religion fut surtout un moyen de trouver des réponses aux questions qu’il se pose depuis le début de sa carrière. Son génie ne s’était pas noyé dans la bible, il avait juste changé de visage.  
  
          


jeudi 25 juillet 2019

Bob Dylan : Blood on the tracks


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Ca y’est, Bob a tué le mythe Dylan, et l’outil du crime se nomme self portrait. Je ne veux pas rouvrir de vieilles plaies, mais la célèbre chronique de Rolling Stones résumait tout. « C’est quoi cette merde ! » Ces mots cinglants exprimaient le désespoir d’un grand public las des extravagances du barde.

Certains avaient grincé des dents lors de son passage à l’électrique, d’autres appréciaient moyennement de le voir célébrer la country et jouer un cow boy pour John Ford, mais les mélodies étaient encore brillantes. Mieux, Dylan gardait cette simplicité instrumentale sur la plupart de ses titres, les accords habillant les mots comme de gracieuses fourrures.

Voilà ce que self portrait a détruit, sa façon de réduire les bavardages pour atteindre l’évidence disparaissait sous l’assaut de cœurs féminins, et cordes boursouflant les titres de leurs gémissements irritants. Il se rattrapera sur new morning , perle honteusement oublié au milieu d’un répertoire Dylanien qui n’en manque pas. Mais il était trop tard.

Vous allez me dire que c’est justement l’intérêt de ce disque, qui est considéré aujourd’hui comme le suicide artistique le plus impressionnant de l’histoire du rock. Oui mais, ne nous voilons pas la face, une part de la superbe de Dylan est partie en même temps que son immense popularité.
                                                                                                                                                                   
New morning , Planet Waves , Pat Garett and Billy the Kid sont des disques honorables , mais je n’échangerais pas deux palettes de ces disques contre un blonde on blonde.

Pourtant, un nouvel âge d’or se prépare déjà quand , en 1975, déprimé par le naufrage de son mariage, Dylan écrit une série de titres intimistes. Il  entre d’abord en studio pour produire les premières versions acoustiques, mais sent qu’il manque quelque chose pour rendre justice à ses textes.

Dylan a changé sa démarche de composition, il écrit désormais ses titres comme peint un artiste, et il lui faut des musiciens pour planter des décors dignes de ses nobles sentiments. Pour la production, il retrouve John Hammond, et s’installe dans les studios de New York, qui l’ont vu composer certaines de ses grandes œuvres.

Il est d’ailleurs rejoint par Paul Griffin, dont le clavier sublimait déjà les refrains cultes de « highway 61 revisited » et « bring it all back home ». Comme tout semble l’annoncer, Dylan monte un gros coup.

Blood on the track sort en 1975. Sous une pochette sombre , illustrant un album articulé autour de la rupture amoureuse. La simplicité de l’accompagnement fait le lien entre le barde acoustique des début et le précurseur électrique de blonde on blonde.  

Blood on the tracks est comme une peinture qu’il aurait construit par morceaux, chaque titre se trouvant finalement réuni par une vision d’ensemble. En introduction, tangled up in blue renoue avec une certaine verve électrique, mais le propos est bien plus sombre qu’auparavant.

Cet homme, qui a l’impression d’être le spectateur de la déliquescence de son amour , c’est bien sûr Dylan. Même si celui-ci le niera longtemps, le texte tire sa force de la sincérité de son auteur,  qui semble faire un aveu quand il affirme « tout ce temps j’étais seul-le passé était là tout proche ».  Le voilà donc qui se demande si tout cela a réellement existé, si ce n’était pas un rêve d’autant plus cruel que le retour à la réalité semble insupportable.  

Le tableau suivant est digne d’un roman de Dostoievski . Le Zim y conte une passion éphémère entre une prostituée et son client, le client se réveillant le lendemain en se demandant si ce moment a réellement eu lieu. Là encore, c’est la confusion de Dylan qui apparaît entre deux délicats arpèges, la réverbération ajoutant encore plus de profondeur au récit. A la sortie, certains se demanderont si cette histoire fait référence à son ancienne liaison avec Suze Rotolo , ou si il s’agit d’un mélange de rage et de tristesse face à l’incompréhension qui s’installe dans son couple.

C’est encore une certaine colère qui fait vibrer la corde sensible de l’auditeur lorsque viennent les premières notes d’idiot wind. Se sentant incompris, Dylan lance ses piques poétiques à celle qui semble avoir tant changé. Sa rage finit par exploser dans un puissant crescendo : « Ce vent idiot qui souffle à chaque fois que tu ouvres les dents- tu es stupide ma petite- c’est un miracle que tu saches encore respirer ».

Après la dépression post séparation de « meet me in the morning » , dont l’allure faussement légère renoue avec la rugosité de ses débuts, un message d’espoir apparaît enfin comme une oasis au milieu d’un désert sentimental.

Autre classique Dylanien, « shelter from the storm » dévoile un tableau plus apaisé. Cette histoire d’homme à qui une femme offre un toit pour s’abriter représente l’espoir d’un être abandonné, qui pense déjà à sa renaissance. Trois simples accords et un harmonica nostalgique viennent appuyer cette réflexion biblique : si la rupture est temporelle , le véritable amour est éternel.

Même Lily Rosemary and the jack of heart , qui dépeint une scène digne d’un western , porte un double sens qui le relie au thème du disque. Dylan dévoile progressivement ses personnages . Puis une banque est cambriolée , un homme poignardé , et un juge aux méthodes expéditives envoie Rosemary à l’échafaud pour meurtre. La partie de poker des débuts bascule dans le drame de manière soudaine, le récit posant ainsi cette question : la vie comme l’amour ne serait-t-il qu’un jeu de hasard ?

Après la sortie de blood on the track , l’auteur de ce chef d’œuvre se demandera comment « on peut aimer un tel amas de souffrance ». C’est que, comme dans toutes les grandes œuvres, c’est un peu du genre humain qui s’exprime dans cette série de spleens sentimentaux.

       


mercredi 24 juillet 2019

Bob Dylan : The Time They Are A Changing


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Pour comprendre le phénomène Dylan, il faut remonter en 1958. Plus précisément au triste jour où l’avion de Buddy Holly s’écrasa , emportant dans sa chute les trois plus grands rockers du premier Age d’or. Buddy Holly, Big Bopper, Ritchie Valens apparaissent sur la couverture des journaux avec ce sombre constat : « the day the music died ».

Le rock n roll a connu sa première mort, et les journaux commencent déjà à rouler le macchabée dans la boue. On découvre que des DJ furent payés pour passer les grands succès de ses illustres accidentés, le tout s’imbriquant dans un gigantesque plan aliénant, qu’on nomme aujourd’hui show business.

Oui , mais cette génération-là n’est pas aussi docile que la nôtre , elle a soif d’authenticité et se tourne naturellement vers le folk. C’est là que s’impose la première image de Dylan, prolo bouffi chantant sa « chanson pour woody » en imitant son accent.  

Ce sera le seul acte traditionaliste de Dylan , qui explose sur un second disque beaucoup plus personnel. Loin de moi l’idée de remettre en cause le statut de chef d’œuvre de « the freewheeling Bob Dylan », mais je pense qu’il n’est pas l’aboutissement que tout le monde semble voir.

Dylan n’est pas seulement un amoureux de folk, c’est aussi un rocker qui a roulé sa bosse dans divers formations, avant de sentir le vent tourner. C’est d’ailleurs en première partie de John Lee Hoocker qu’il effectue un de ses premiers concerts. Le bluesman, tapant du pied pour ponctuer ses paroles, lui apprend le sens du rythme. Il constate alors que , sans une bonne rythmique , aucune magie n’est possible.

Orson Wells avait d’ailleurs l’habitude de se retourner lors des tournages, afin de ce concentrer uniquement sur cette ponctuation vitale. Le rythme est la matière hypnotique qui embarque l’auditeur, capte son attention pour mieux le fasciner, mais les grands producteurs ont tendance à en émousser le tranchant.  

Sur « freewheelin.. » John Hammond a arrondi le son au maximum, jouant tout sur les mélodies et les vers de ce poète révolté. Heureusement, la plume de Dylan était à son zénith , et la mélancolie des textes de « blowin in the wind », ou la révolte de «  master of war » se suffisent presque à elle-même.

Heureusement, le manager de Dylan ne l’entendait pas de cette oreille. C’est lui qui conseille à son poulain de se faire produire par un homme en pleine ascension :Tom Wilson. Son parcours a probablement aidé Dylan à accepter cette proposition. Militant contre la ségrégation au parti républicain, il a tenu une émission de radio avant de créer son propre label basé à New York. C’est là que Columbia le repère, et il devient le premier producteur noir de la maison de disque.

Sa vie entre en résonance avec les préoccupations d’un Dylan révolté par les préjugés d’une Amérique attachée à sa ségrégation raciale, comme une mouche trônant sur une bouse fraîche. Il en sort deux titres, « Only pawn their game » et « the lonesome death of Hattie Carrol », deux protest songs qui font écho aux vers rageurs de master of war.

William Zatzinger , le meurtrier du barman noir Hattie Carrol , ne sera condamné qu’à 125 euros d’amende, le jugement est rendu le jour où Luther King prononce son fameux discours lors de la marche vers Washington. Sur « The Lonesome death of hattie Carrol », Dylan se contente de conter les faits, ses arpèges claquant comme pour souligner sa honte de voir une telle scène se dérouler dans son pays.

On est quelque part entre le talkin blues et le folk contestataire de Guthrie, le mélange de ces deux influences étant déjà un symbole que « les temps sont en train de changer ».

La bêtise de quelques individus conformistes ne s’exerce pas seulement contre la population afro-américaine, et Dylan en fait l’expérience lorsque son look de Beatnick lui vaut d’être snobé par le réceptionniste d’un hôtel. La colère lui inspire les mots de « when the ships comes in », ces métaphores bibliques étant allégées par une guitare sautillante et un rythme presque festif. Au milieu de ses lamentations, une complainte vient bientôt donner à sa révolte une dimension universelle : « Oh le temps viendra quand les vents s’arrêteront et la brise s’arrêtera de souffler. Comme le vent se calme avant le début de l’ouragan à l’heure où le bateau arrive. »

Impossible de ne pas voir ici un parallèle avec le récit de l’arche de Noé, la première prière demandant à un déluge salvateur de balayer les vieilles tares. Ces textes ne sont pas moins percutants que ceux de l’album précèdent, leur musique a même tendance à leur donner plus de force, la musique étant désormais aussi authentique que les textes.

« With god on your side » boucle la diatribe révolutionnaire par une remise en cause de l’histoire américaine sur un air inspiré par un chant de l’IRA, the patriot game. Le voilà donc qui s’en prend à la religion, argument vicieux qui est souvent cité pour justifier les pires abominations : « La cavalerie chargea – les indiens moururent  - oh le pays était jeune – avec dieu de leur coté ».  

Mais voilà , « the time they are changing » ne fera pas date , il est d’ailleurs à peine cité parmi les grandes œuvres du barde.

Peut-être est-ce dû à cette pochette, présentant un Dylan rachitique et sévère, dans un cliché en noir et blanc qui n’est pas sans rappeler son maître Woody. Pourtant, « the time they are changing » est encore un grand pas en avant.  

 Seul le morceau titre deviendra un classique incontournable de Dylan. C’est une ballade pleine d’espoir, englobant toutes les révoltes pour crier son envie de voir un jour meilleur se lever. Elle représente l’apothéose de toutes les protest songs de ce disque. Et on ne peut qu’en conclure que « the time they are a changing » mérite mieux qu’un astérisque dans les nombreuses biographies du grand Bob.   
      


mardi 2 juillet 2019

Bob Dylan : Street Legal


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La fin d’une époque, voilà comment on peut résumer l’année 1978. Commencée en 1977 , la révolution punk ne tardera pas à s’écraser lamentablement . Les seuls à y survivre s’appellent Strummer , Thunder , Costello ou Rotten , des musiciens trop inventifs pour se limiter aux mœurs simplistes du punk. Dans le même temps, Elvis meurt d’une crise cardiaque dans ses toilettes, achevant ainsi une longue descente aux enfers démarrée lors de son retour du service militaire. 

Pour Dylan , la mort du king fut un traumatisme rejoignant la dégradation de son mariage, pour l’entrainer dans sa période sombre. Tout d’abord, il eut l’envie urgente de rendre hommage à celui qui brisa les barrières culturelles entre noirs et blancs. Il réunit donc un véritable big bang , dans lequel on retrouve des musiciens ayant participé à la période la plus spectaculaire du king, et adapte ses morceaux à cet hommage. Sauf que les fidèles ne lui pardonnent pas cette façon de défigurer ses plus grands classiques , le tout avec un groupe jouant dans l’urgence une musique qui parait improvisée.

Résultat , le double album retraçant cette performance ne sort pas tout de suite et , en rentrant de tournée , Dylan retrouve la formation qui l’a accompagnée lors de la rollin thunder revue. Les séances sont catastrophiques , Dylan est perdu et ne parvient pas à obtenir le son qu’il veut. Finalement, il congédie son groupe, et décide de faire un album avec plus de cuivres , plus de chœurs , et plus de gospel.

Malgré la chute de son mariage, qui ouvre une de ses périodes les plus sombre , Dylan est encore au sommet des ventes. « blood on the trak » et « desire » n’ont en commun que leurs ventes plus que satisfaisantes, et semblent montrer que Dylan peut désormais tout se permettre. Surtout que sa plume est encore à son zénith sur « street legall » , qui sort en 1978. Doté d’un refrain qui a dû donner des idées à John Mellencamp , Changing of the guard est d’ailleurs un de ses plus grands classiques.

Sa rupture amoureuse est désormais imminente, et la tristesse nostalgique de blood on the tracks a fait place aux reproches amères voire vindicatifs. Les textes de « love in vain » et « baby stop cryin » ont pu être mal interprétés, mais il faut les limiter à la colère d’un homme qui voit une partie de sa vie s’effondrer devant ses yeux. Ce Dylan qui, d’ailleurs, fut rarement aussi grandiloquent qu’ici, sa voix s’élevant au milieu des chœurs gospel comme une apparition divine, cherche un échappatoire.

 Sur le verso de la pochette, on le voit en tenue blanche, comme le king sur la scène de Memphis , symbole d’un rock n roll qui ne cessera de le fasciner. Mais ce disque a le même « défaut » que le live à Budokan , le groupe derrière le Zim semblant improviser selon le lyrisme de ses vers. Dans une interview, Dylan disait qu’il entendait la musique, et savait ensuite quel mot calqué sur la mélodie. Ici , sa voix semble diriger la musique comme un chef d’orchestre exigeant , Dylan ayant rarement chanté aussi bien.

Mais cette grandiloquence, ces vers mystiques s’élevant au milieu de chœurs fervents, n’empêcheront pas le disque de se vendre moins que ses prédécesseurs. Au fil des années , ce disque sera de plus en plus décrié , ses chœurs gospels annonçant une période chrétienne que les fans de Dylan n’ont jamais accepté.

La plume du grand Bob était encore féconde, mais de moins en moins de gens étaient prêts à s’y intéresser. Une page se tournait définitivement, celle des rockers vénérés comme des guides générationnels, et le plus grand d’entre eux ne pouvait échapper à ce changement. Et oui , « the times they are really changing ».   
                                                                                       
    


mardi 25 juin 2019

Bob Dylan : The Rollin Thunder Revue


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Quand on y pense, cette tendance à parquer les rockers dans des stades fut une absurdité. En dehors du fait que, parqués dans ces immenses parterres , seuls les spectateurs des premiers rangs profitent pleinement de la prestation , cette mode a tendance à standardiser le concert de rock. Face à des milliers de personnes, rares sont les musiciens osant expérimenter, et proposer autre chose que ce que le public s’attend à entendre. Arrivé à un certain degré , le nombre devient une force tyrannique imposant ses attentes aux pauvres artistes.

Si se planter n’est pas trop grave, quand on joue simplement devant une salle modeste, cela s’avère catastrophique quand vous avez des milliers de personnes face à vous. Ajoutez à ça les sponsors, sans lesquels vous ne pourriez assumer le coût d’un tel concert, et vous voilà obligé de respecter un certain cahier des charges.

A ce titre la pochette de « before the flood » représentait le basculement à venir , cette somme de spectateurs vertigineuse incarnant un passage obligé, et ce pour tout musicien voulant pérenniser sa carrière. Mais Dylan ne se satisfait pas de cette obligation, les grandes salles le frustrent et lui donnent l’impression d’être une curiosité qu’on exhibe au plus grand nombre.

Alors il décide de tout envoyer promener , congédiant un band avec lesquel il avait pourtant produit ses albums les plus brillants , et réunissant une poignée de vieilles connaissances. Réconcilié avec celui dont elle a accéléré l’ascension, Joan Baez rejoint une équipe qui comprend aussi Mick Ronson , l’homme qui fut derrière ziggy stardust.  Et ils affutent leurs mélodies à l’ancienne , cherchant la symbiose devant le public chaleureux des salles petites ou moyennes où ils jouent.

Ce que Dylan voulait retrouver avant tout , c’était la simplicité de ces années où il a conquis le monde , avec une guitare sèche pour seule alliée. Le fait que son périple ait démarré en Angleterre n’est pas un hasard, il convoque son passé pour que cette rétrospective lui montre une nouvelle voie.

Outre Roger McGuinness , ex leader des byrds , et Mick Ronson, qui forme un duo de guitares chargé d’électriser les mélodies du grand Bob, la rollin thunder revue recrute des musiciens locaux pour compléter son effectif. Les prestations sont chaleureuses, porteuse d’une légèreté hippie désuète, le mouvement étant déjà dépassé à l’époque.

De l’avis de tous ceux ayant eu la chance d’assister à ces prestations , ces concerts furent magnifiques , mais Dylan a jusque là toujours refusé de sortir les enregistrements issus de cette tournée. Alors en plein tournage de son film Renaldo and Clara, il ne voulait pas que ces enregistrements face de l’ombre à sa nouvelle lubie.

Ce refus donna aux enregistrements une aura mythique, et ce n’est pas hard rain qui allait soulager la frustration des Dylanophiles. Enregistré lors de la seconde partie de cette tournée, lorsque la gaieté et la spontanéité des débuts ont fait place à une certaine lassitude, il ne restitue absolument pas la magie de cette tournée bohème. 

Un premier disque sortira des années plus tard , dans la lignée des bootleg séries , ne faisant qu’accentuer l’attente de fans convaincus que le Zim gardait encore le gros de ces enregistrements dans ses tiroirs.

Aujourd’hui , enfin , l’évènement est salué comme il se doit, à travers 14 disques indispensables à tout fans de Dylan. Le barde arrivé sous un masque blanc , comme si il effectuait une nouvelle mue artistique. Sous les pieds des musiciens , un tapis aux couleurs chaleureuses semble sorti du van des merry prankers. Mais la troupe est attachée à la terre, et ne reviendra pas aux délires acidulés des disciples d’Aldous Huxley et Ken Kesey.
 La série de Live s’ouvre sur la prestation seacrest motel  de Fallmouth en Angleterre. Le band est d’abord salué à travers deux reprises issues de leurs premiers disques, tears of rage et I shall be realeased, deux perles rustiques issues du premier album du band. Ecrites par Dylan , ces chansons sont jouées dans une version bucolique très respectueuse des originaux, la voix nasillarde du Zim ajoutant une douceur nostalgique à ces classiques folk.

Mais on retiendra surtout « ballad of a thin man » , où Ronson ne s’acharne pas à reproduire le feeling de Mike Bloomfield , dont le talent est salué par un piano au swing irrésistible. Suivent deux titres issus de desire , et qui reviennent de façon récurrente dans ce coffret. Le premier, hurricane , renoue avec la verve protestataire des débuts de Dylan. Cette histoire de boxeur jugé pour un crime qu’il n’a pas commis est tout simplement une des meilleurs chansons folk du barde, et les chœurs ne font qu’ajouter de la force à son message.

Et puis vient ce qui restera le plus grand moment de cette tournée, « one more cup of cofee » , longue complainte tsigane portée par une mélodie envoutante. Et puis il dépouille la mélodie grâcieuse de « just like a woman » , les violons bluesgrass gémissant tendrement derrière ses chœurs plaintifs. Cette première prestation peut ensuite se conclure sur le vibrant « knockin on heaven’s door » , qui sera toujours plus prenant dans la version sobre et habitée de Dylan, que massacré par les hurlements d’Axl Rose.

Cette mise en bouche nous ferait presque regretter que cette date ne remplisse qu’un disque, mais rassurez-vous , les choses sérieuses ne font que commencer.

Les disques suivants seront doubles , et le périple continue dans le Memorial auditorium de Worchester. Du répertoire lié au band, il ne reste que I shall be realeased , qui clôt merveilleusement le premier disque.  « When I paint my masterpiece » ouvre le bal sur une note délicieusement bluesgrass, les guitares dansant langoureusement autour de la mélodie. On se délecte des quelques solos bluesy, soutenant la beauté doucereuse des déclamations dylanniennes.

Le maitre mot du concert semble être « sobriété » , la guitare soutenant le rythme sans hausser le ton , laissant ainsi la beauté des notes cristallines de guitares slide de ain’t me babe s’exprimer. Si Ronson a un jeu plus bluesy que le folkeux lambda, il s’adapte parfaitement à la personnalité musicale de Mcguin , au point que des titres comme «  the lonesome death of Hattie Carrol » sonne presque comme le byrds des débuts, et flirte avec la douceur électrique de CBNY.  

Cette proximité prouve, si il y’avait encore besoin , que la majorité de la scène folk rock n’a fait que se réapproprier les mélodies de sa trilogie électrique ( blonde on blonde , highway 51 revisited et brin git all back home). Et , quand il s’associe à un ex Byrds , les passages les plus electriques s’en approchent d’autant plus.

« It take a lot to laught . It take a train to cry » change radicalement de registre , partant dans un boogie déchainé , où les guitares se font plus incisives pour transcender un rythme binaire viscérale. Passé ce coup de sang , on en revient aux mélodies Tsiganes de l’album desire , avec le festif romance in durango , et le plus rock Isis. 

Et puis Dylan reprend sa guitare électrique, pour redevenir le jeune folkeux du festival de Newport , le temps de « blowin in the wind ». Avec Joan Baez , il renoue avec des splendeurs oubliées, prouvant ainsi que les grandes mélodies ne vieillissent pas. Le duo prolonge un peu la chaleur de ce moment d’anthologie avec les chœurs folks de « wild mountain time ».

Si j’ai dit précédemment que le maitre mot de ce concert est « sobriété », c’est avant tout parce que les moments les plus mémorables de ce concert sont ceux où il se contente d’une guitare sèche, et de sa voix chevrotante. Et , si vous en doutez encore , réécoutez la mélodie countrie de mama you been on my mind , ou le spleen acoustique de « tangled up in blue ».

Et , quand après quelques minutes supplémentaires , la rollin thunder revue se clôt sur un classique de Woody Guthrie chanté avec Johnny Mitchell , on comprend que le plus simple est souvent le mieux. Mais il est déjà temps de reprendre la route vers le prochain épisode de ce voyage musical.

Celle-ci ce déroule à Cambridge, au Harvard Square Théâtre. La troupe s’est alors stabilisée autour d’une set list proche du show précèdent, et ses deux guitaristes ont gagné en assurance. Le duo Mcguin / Ronson est toujours un allié discret , mais les quelques effets qu’il s’autorise donnent à ces titres country/bluegrass une énergie beaucoup plus rock.Ce duo carillonne gracieusement sur « when I Paint my masterpiece », tricote un blues langoureux sur « it ain’t me babe », et ses arpèges accentuent la douceur nostalgique de « blowin in the wind ».   

Parmi les grandes surprises de ce live , on retiendra encore une fois « wild mountain time », un spleen bucolique porté par la classe indépassable du duo Dylan/ Baez. Issu de la noirceur de blood on the tracks , « simple twist of fate » offre un intermède acoustique bienvenu et envoutant. Plus de dix ans après la puissance acoustique de son premier disque , Dylan prouve une nouvelle fois que personne ne peut avoir autant de charisme avec une simple guitare sèche.

Mais le point d’orgue de ce live , celui qui justifie presque à lui seul la présence de ce double album dans ce coffret , c’est la réadaptation de « just like a woman ». Morceau phare de « blonde on blonde » , sa mélodie électrique se transforme en lamentation campagnarde, les violons larmoyant rapprochant le titre des paysages rustiques chers à Steinbeck et Johnny Cash.

Cette version modifiée montre une nouvelle fois que Dylan ne veut pas que son œuvre se fossilise. En bricolant ses créations selon ses lubies du moment , l’homme inventait de nouvelles œuvres devant un public qui ne comprenait pas toujours ses fantaisies. De cette manière il a accumulé une quantité d’enregistrements live dépassant sa discographie studio , tout en étant au moins aussi importante. L’ épisode de Cambridge, au Harvard Square Théâtre, fait clairement partie des grands moments de cette véritable œuvre parallèle.   

Après un brillant périple dans la perfide albion , la rollin thunder revue retrouve le pays de son guide folk , et pose ses valises au music hall de Boston. Ce périple rappelle le retour de Dylan au pays , dans les années 60. L’homme était, à l’époque, un poète folk adulé, cherchant une nouvelle voie alors qu’il était vénéré par toute une génération. En 1975, il n’est plus cette idole que les jeunes américains voudraient statufier. Si l’on en croit le documentaire de Scorcese , l’homme était plutôt au début de sa période creuse , et ce malgré le succès de son album desire , sorti peu avant la tournée.

Interviewé par le réalisateur, Dylan avouera lui-même que «  si on la juge de façon commerciale , la rollin thunder revue fut un échec. » Mais laissons donc les griffes immondes du mercantilisme dans les supermarchés répugnants, où il règne comme un roi assis sur un tas d’ordures.

Si on était un peu mesquin, on pourrait affirmer que c’est Joan Baez, alors auréolée du succès de diamond and rust , qui a sauvé ce voyage du fiasco financier. Mais le dieu argent ne fait pas tout, et la revue du grand Bob brille d’un nouvel éclat dans cette soirée américaine.

Terre natale du blues, l’amérique déchaine un groupe plus prompt à laisser les guitares, ces éternels symboles de l’insoumission, exprimer tous leurs feeling trouvant sa source chez BB King , Muddy Water , et même Chuck Berry. Sur « romance in durango » Ronson s’autorise un solo déchirant, qui semble saluer la mémoire de Hendrix. L’instant est éphémère, quelques secondes qui semblent valoir de l’or, mais qui s’arrête juste avant que cette magnifique intuition ne puisse virer à la démonstration un peu désuète.

Mcguin et Ronson sont parmi les seuls musiciens stables de la revue, et ce n’est pas un hasard. Ayant appris à se connaitre lors des précédentes prestations, ils sont à Dylan ce que le duo Richard / Jones fut aux stones. Sachant d’instinct où placer ses notes pour obtenir le maximum d’impact , leurs riffs et solos courts percent régulièrement la mélodie , comme une décharge vivifiante et régulière.

Comme pour célébrer son retour au pays , Dylan se pose quelques minutes pour revisiter son passé folk. La participation de Baez à « the time they are changing » semble le ramener plus de dix ans en arrière, quand ils étaient le couple royal de Newport. C’est un autre symbole qui succède à cette douceur folk avec « Mr tambourine man ». On tient ici l’un des titres les plus vénérés du Zim , celui qui a donné naissance au folk rock sur « bring it all back home » , avant que les Byrds ne prolonge son éclat sur un album qui donnera des idées à toute une scène Californienne.

Comme Dylan ne joue jamais la même chose deux fois , il reste quelques savoureuses surprises sur ce concert , mais je ne veux pas gâcher toute la surprise aux curieux. « Elvis a libéré les corps et Dylan à libéré les esprits » disait Springsteen. Ce soir-là, il a sans doute réuni ces deux facettes qui font la grandeur du rock , la beauté primaire , et la fascination mystique. Si vous en doutiez encore , voilà la preuve que la rollin thunder revue fut d’abord et surtout une grande troupe de rock , au sens le plus noble du terme.

D’ailleurs , je vais arrêter mon récit à cette étape , pour laisser à ce coffret la part de mystère qui déclenche les grandes découvertes. Sachez juste une chose , cette objet est un document historique d’une sincérité bouleversante. Car , si les petites salles sont l’endroit où le rock brille le mieux , c’est parce que ces salles humbles n’autorisent aucun artifice. 
     

jeudi 20 juin 2019

Bob Dylan : Under The Red Sky


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On le croyait mort , endormi par sa collaboration catastrophique avec le grateful dead, et achevé par des années 80 qui furent catastrophiques pour le rock. Dylan était le dernier des insoumis, celui qui pouvait décider de jouer une autre version de ses classiques en concert, en se moquant bien de l’avis des spectateurs ayant payé leur place.

Alors , quand son public l’a entendu se plier aux normes marketing des années 80 , à grand coup de boites à rythme et de productions synthétiques , il a bien failli signer l’acte de décès. Heureusement, l’homme a retrouvé la flamme grâce aux conseils avisés de bono , qui l’envoya enregistrer sous la houlette du producteur de unforgeatable fire.  De nouveau célébré, le barde s’est tourné vers une de ses obsessions récurrentes, rejoignant Tom Petty et George Harrison pour produire le premier disque des travelling wisbury.

En parallèle , il enregistre son prochain album sur le même principe , invitant une poignée de vétérans pour donner une nouvelle jeunesse à sa prose.  Elton John , Slash , George Harrison, la liste est impressionnante , et a malheureusement engendré une attente qui nuira à l’album. Le public voulait que ce disque soit un hommage au génie Dylanien , et attendait un retour de sa plume la plus séduisante. Mais under the red sky n’est rien d’autre qu’un excellent disque de rock.

Pris sous cette angle, on comprend l’apparente simplicité des textes, ils ne sont là que pour saluer l’énergie juvénile des enfants du rock. Le rock que Dylan a toujours admiré , celui dont il essaya régulièrement de s’approcher, c’est celui que jouait Chuck Berry , Eddie Cochran et , un peu plus tard , le band et le blues band de Paul Butterfield. Subterannean homesick blues annonçait déjà cet amour pour la simplicité rythmique, le rythme de ses paroles comptant plus que leurs sens, comme si la voix cherchait à ponctuer les riffs.

Si Dylan s’est relativement peu investi dans ces enregistrements , se cachant pour voir Slash effectuer sa partie , comme une ombre bienveillante surveillant discrètement la construction de sa prochaine œuvre, c’est sans doute pour retrouver ce charisme simple après lequel il a régulièrement  couru .

Et c’est peut être sur ce disque qu’il y parvient le mieux, démarrant le bal avec une rythmique rêche que n’aurait pas renié John Lee Hooker.  Sa voix est un métronome, imposant ses rythmes , ses respirations et accélérations , et ménageant des silences qui laissent le temps à la guitare de lancer des solos aussi brillants que minimalistes.

N’allez pourtant pas croire que l’homme ne sait plus soigner ses mélodies, le morceau titre développant une beauté folk annonçant les futures douceurs de tempest, le solo bluesy en plus. On en revient encore à ce vieux blues , auquel le rock se raccroche régulièrement , comme une bouée de sauvetage lancée à un enfant parti trop loin du rivage. Il est dommage de constater que son public refuse de lui accorder le droit de se raccrocher à cet éternel parent du rock.Comme si le blues était trop crasseux, prolos , inculte , pour ce disciple de la beat generation.

L’homme pourra toujours s’acharner à balancer des boogies aussi efficaces que « unbelivable » ou « tv talkin song", une part de son public restera trop snob pour gouter à ces plaisirs simples. Et si le plus grand drame de Dylan était de ne pas être Elvis ?



mardi 18 juin 2019

Bob Dylan : John Wesley Harding



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Bob Dylan/Johnny Cash, ces deux hommes furent les deux pôles opposés du rock quand Dylan passa à l’électrique, pendant que Cash imposait un live acoustique à sa maison de disque. Ils l’étaient aussi au niveau de leurs paroles , Dylan ayant construit sa légende sur ses textes utopiques, poétiques et prophétiques. Johnny Cash , lui , était la voix du peuple , celui qui parlait aux détenus de folsom avec des mots et des images qu’ils ne comprenaient que trop bien.

Et puis les deux hommes se sont rapprochés , la rugosité country de l’homme en noir influençant un Dylan cherchant à fuir sa propre légende. L’année 66 fut pourtant riche, et a vu Dylan retrouver la joie de jouer simplement dans une cave avec the band. Le disque qui naitra de ces sessions ne sera pourtant pas édité tout de suite, Dylan préférant passer à autre chose au plus vite. Il se nourrit donc des légendes de l’ouest américain, des rythmes de l’amérique profonde, et en tire ce John Wesley Harding, qui sort en 1967. Son morceau titre sera sans doute le déclic qui aménera Peckinpah à le recruter pour jouer et composer la BO de Pat Garett et Billy the kid. Cette histoire de robin des bois de l’Amérique profonde fait furieusement penser au romantisme de ce western.

Mais comment parler de ce disque sans parler de « all allong the watchtower » ? Devenu un hymne anti vietnam grâce à Hendrix, on pourrait presque lui préférer la version d’origine , plus légère et mélodique. Dylan y exprimait juste son intention de ne plus se laisser plumer par «  ces hommes d’affaire qui boivent son vin » , mais les hurlements de la guitare Hendrixienne lui donnèrent un tout autre sens.

Le disque est pourtant d’une légèreté qui semble interdire ce genre d’interprétation contestataire. Toujours respectueux d’une country folk qui est au peuple américain ce que la littérature est à la France, c'est-à-dire une partie de son identité, il s’inspire de la bible pour composer ce qui restera la plus belle ballade du disque. On peut d’ailleurs s’étonner que cette mélodie champêtre ait donné son nom à un géant du heavy métal anglais. On trouve aussi dans cette chanson les premiers signes d’une quête d’épanouissement mystique, qui s’exprimera d’abord via les prêches de « slow train coming » et « saved ».

Les textes sont proches des préoccupations des classes modestes autrefois dépeintes par Steinbeck, et  « As I Went Out One Morning » en est l’exemple le plus vibrant. Derrière la douceur de cette mélodie simple se cache une attaque véhémente des marchands de rêves, qui ont défiguré l’utopie de Thomas Paine. Dylan n’a donc pas quitté son rôle de porte parole , il refuse seulement de se laisser associer éternellement à une génération qui est déjà en voie de fossilisation.

Du coté de la musique , la grande partie de la scène Californienne, qui a démarré en imitant les mélodies folk rock de Dylan, quitte le psychédélisme , pour suivre de nouveau les traces de son guide. Toujours premier quand il s’agit de suivre les pas du Zim , les Byrds produisent les mélodies de saloon qui composent « sweathear of the rodeo » dès 1968. Le grateful Dead ne lui emboitera le pas qu’en 1970 , avec wokingman’s dead , avant qu’une partie du jefferson airplane ne s’y mette sous le nom de hot tuna.

La country était alors devenue une autre source d’inspiration pour tout un pan du rock américain, mais Dylan avait déjà la tête ailleurs. Après avoir approfondi le sillon country sur « nashville skylline » , sorti en 1969, il sort les mélodies boursouflées de self portrait. Le ratage de cet album montre un artiste qui cherche une nouvelle voie, et ne la trouvera qu’après les parenthèses folk (new morning ) et bucoliques (pat garrett and billy the kid). Dylan restait un artiste insaisissable, et découvrir ses albums s’apparente toujours à une expérience sans précédent.

vendredi 7 juin 2019

Bob Dylan : Oh mercy



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Quand ce disque sort , cela fait bien vingt ans que la critique démolit chaque nouvel album de Dylan. Si celle-ci a tout de même daigné accorder au basement tapes son statut de classique, ce n’est que grâce à la présence du band. Certains n’ont pas accepté de voir l’homme rejeter son rôle de porte parole d’une génération hédoniste et pacifiste, et ce ressentiment s’est déversé sur presque toute sa discographie post blonde on blonde. Pour « blood on the track » , il n’ont pas osé , ses mélodies étant trop pures et somptueuses pour permettre la moindre attaque perfide.

Il faut comprendre que Dylan , comme Neil Young ou Johnny Cash , fait parti d’une espèce d’artiste aujourd’hui disparue, celle qui privilégie la liberté à la gloire. Alors oui , parfois , on se demande si il ne donne pas le bâton pour se faire battre , self portrait restant un exemple parfait de suicide artistique.  Mais, pour un self portrait, on pouvait se rassurer avec hard rain , nashville skyline , ou l’honteusement sous estimé desire.

Lay ladie lay , Hurricane , et autres forever young valait bien like a rolling stones ou ballad of a thin man. Mais on refusait de le soulager de ce poids lié à son passé folk et électrique, au point que « all along the watchtower » deviendra un hymne anti Vietnam, grâce au doigté divin d’Hendrix. L’homme l’avait écrite pour déclarer son mépris du show business et des parasites, tournant autour des idôles en pleine lumière, mais on y voyait encore un descendant de « the time they are changing ».

Trop de personnes souhaitaient statufier ce visage orné de lunettes noires , celui penché sur un piano pour en sortir les premières notes de like a rolling stones. On en fit des posters psychédeliques et une œuvre d’art publiée dans le magazine hippie Oz. Il lui faudra des années pour se débarrasser de ce passé trop glorieux. A la limite , pour mettre fin au jugement injuste imposé par les « discothèques rocks idéales » , qui fleurissent sur les étagères des libraires, on conseillera de démarrer l’exploration du répertoire Dylanien par ses disques plus controversés.

Mais le mal est fait , et personne ne soulignera que le barde eut le mérite de simplifier le son de Knopfer sur « slow train coming », sa ferveur de premier communiant ne gommant pas la beauté de la plupart des compositions. Nous étions néanmoins en 1979, année funeste annonçant une décennie calamiteuse, et Dylan ne pouvait que continuer son long martyr artistique.

Après avoir essuyé les plâtres pendant des années, il souhaite même mettre fin à sa carrière, avant que Bono ne l’en dissuade. Alors au sommet des charts avec son groupe, le chanteur lui propose de travailler avec Daniel Lanois. Le producteur a travaillé avec Peter Gabriel , U2 , et Brian Eno , et semble parfait pour réconcilier Dylan avec son époque.

Les sessions ce déroulent à la Nouvelle Orléans , et le disque sort en 1989. Loin de lui imposer une production ultra moderne, l’homme propose d’ajouter des dobros, de la steel guitare , et des percutions à l’attirail folk du Zim. Mais c’est surtout sa voix qui fait l’objet d’un traitement particulier , celle-ci planant au dessus du groupe comme une série de déclarations angoissées.

Car Dylan ne sait plus où est sa place, et il parvient enfin à l’exprimer froidement sur « what was if you wanted ». Cette fragilité, alliée à la rigueur d’un orchestre plus conséquent, rapproche ses mélodies du spleen Springsteenien , l’harmonica poignant qui clôt l’album rappelant furieusement l’introduction de « the river » .

On retiendra aussi « political word » , qui ouvre les débats sur un rythme  country agrémenté d’un riff stonien en diable. Dylan remet ça sur « everything is brocken » , dans un registre plus folk rock que n’aurait pas renier Mudcrutch , le dernier projet musical de Tom Petty.  Le drame de Dylan restera que , malgré l’efficacité de ses titres plus rock , on retiendra toujours plus les récits de bardes habités comme «  man in the long black coat » , ou les moment où il exprime son spleen avec une voix suivant une mélodie mélancolique. A ce titre , When the teardrops fall aurait presque des airs de « sad eyes lady of the lowland » , si le saxophone ne venait pas y ajouter un peu de chaleur. « ring them bells » vient plutôt renouer avec la douceur sombre de « blood on the track », la tristesse de l’amant déçu ayant laissé place aux hésitations d’un artiste qui veut encore croire en son avenir.

Ce n’est pas pour rien que cet album se nomme « oh mercy » . L’homme a encaissé trop de coups et réclame grâce. Avec un disque pareil, c’est plutôt un nouveau triomphe qui l’attend.

mardi 28 mai 2019

Bob Dylan : The Basement Tapes





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L’accident de moto est il vrai ? Ou a-t-on affaire à une manœuvre du poète le plus célébré de sa génération ? C’est vrai que depuis quelques années l’homme semble encore plus renfrogné que d’habitude. Il faut dire qu’il porte sa croix pour avoir osé électrifier la folk, et doit effectuer ses concerts sous les insultes les plus fleuries. Derrière lui,  the hawks forge sa légende de plus grand groupe de rock de sa génération, et soutient un porte parole devenu la cible à abattre. Le grand public adore détruire les artistes qu’il a lui-même sacralisé, la nature humaine est parfois affreusement mesquine.

Dans ce contexte, on peut comprendre que l’homme ait voulu prendre du recul, inventant ainsi un débat aussi ridicule que les rumeurs autour de la mort de Mccartney. Accident ou pas , lorsqu’il s’enferme avec le band dans une demeure nommée big pink , il écrit une nouvelle fois l’histoire. L’alliance du band et de Dylan, c’est le mariage de la guitare et de la plume, de l’énergie rock et du souffle poétique.

On a beaucoup attaqué Dylan sur sa voix nasillarde, elle était pourtant parfaite pour sa prose nostalgique. Même sans les comprendre , il se dégage de ses mots un sens universel, une mélodie particulière à la saveur immédiatement reconnaissable. De son coté, le band né réellement lors de ces sessions souterraines. Les concerts précédents , dont la légendaire prestation au fillmore fut dévoilée en CD dans les années 90, montrait un groupe trop « basique » , se contentant d’accompagner sagement le Zim.

Mais , quand il rentre dans la cave de big pink , le band devient la bande d’amis d’un Dylan décidé à évacuer la pression. Il leur transmet son amour de la folk , avant que le groupe ne l’emmène sur le territoire du blues. L’ambiance est bon enfant et, tout en s’amusant, la fine équipe remplit des tonnes de bande. Dans ces enregistrements, on trouve aussi bien des reprises de standards de John Lee Hocker , que de nouvelles compositions expérimentées par Dylan.

Ces titres ne sont pas destinés à sortir , mais même à cette époque où internet n’existait pas , il est bien dur de garder un tel secret. C’est ainsi que plusieurs de ces enregistrements se retrouvent sur un album pirate , et la rumeur enfle. Les copies s’échangent sous le manteau, et les trafiquants d’enregistrements illégaux en vendent tant, que ces casettes deviennent l’enregistrement pirate le plus populaire de l’époque. Dylan se voit donc obligé de publier une version officiellle pour mettre fin à cette mascarade. Réuni en studio , le band sélectionne huit pistes censées représenter sa partie , alors que Dylan dispose du reste de ce qui deviendra un double album.  

« the basement tapes » sort donc en 1975, soit près de dix ans après les sessions effectuées à Big Pink. Entre temps , Dylan aura participé à l’élaboration du premier album du band, offrant trois chansons dont « I shall be released ». Le disque montre un groupe qui est à la musique américaine ce que Steinbeck est à sa littérature : Un symbole.

Sur la pochette des basement tapes, une caisse montre le nom de l’album écrit modestement sur un carton , alors que Dylan apparait de profil , le visage à moitié caché par son chapeau. Le band en revanche , trône fièrement derrière l’auteur de « like a rolling stones ». Si la pochette ne contient ni nom ni titre, la tranche proclame fièrement « Bob Dylan and the band » , montrant ainsi que les musiciens collaborent désormais de manière égale.

Résultat, alors que les hippies s’apprêtent à lui rendre hommage, Dylan fait seul ce qu’ils feront à plusieurs milliers à Woodstock : immortaliser un symbole de la grandeur de la culture des sixties. La première partie représente le début de la légende du band , qui dirige la cérémonie sur huit titres qui sentent bon l’Amérique insouciante racontée dans tortilla flat*.    

Et les musiciens n’ont pas retenu leur inspiration, léguant à Dylan le sommet d’une musique inspirée par ce que l’Amérique a de plus grand , un festin de mélodies à la croisée du blues , de la folk , de la country et du rock. Le band est tout ça et bien plus encore, ils sont plus authentiques que les stones , ils sont plus percutants que les byrds et leurs douceureux sweatheart of the rodeo , ils sont la tradition et le progrès. Car cette musique, il la jouait déjà avant que la mode n’incite le dead, ou d’ex membres de groupes psychédéliques, à la réciter avec plus ou moins de succès. Les huit titres qu’ils jouent ici valent bien les « workingsman dead » , « hot tuna » , et autres pépites terreuses sorties par des hippies en reconversion. Ces disques ne sont pas mauvais, loin de là, mais ils ne sont pas dotés de cette insouciance irrésistible. Le band touche au sublime sans réellement en être conscient , et c’est ça qui fait la magie de titres comme this Wheels on fire ou tears of rage.

De son coté , Dylan brille dans une ambiance américana séduisante , quant les passages les plus folk rock ne semblent pas annoncer blonde on blonde , le grand disque enregistré après ces sessions mais sorti des années avant.

D’ailleurs, je ne suis pas loin de penser que le véritable double album parfait de Dylan est en fait celui-ci, sa spontanéité valant bien les sommets de lyrisme de « blonde on blonde ». Et puis , encore une fois , la réunion de Dylan et du band est une des meilleurs choses qui ait pu arriver au rock. Et , si il était sorti à la fin des sixties , the basement tapes aurait sans doute été célébré comme son plus beau chant du cygne.