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mercredi 25 décembre 2019

Lou Reed : Magic and Loss


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« La mort soigne notre désir d’être immortel » Proust. Voilà ce qui peut résumer l’état d’esprit de Lou Reed en 1992. Son disque précèdent , song for drella, a été salué par une presse unanime , déjà subjugué par l’excellent New York. Ode à la mémoire de Warhol, le disque montrait un Lou Reed devenu le survivant d’une aventure qui est enfin reconnue et célébrée.

Finies les histoires de deals à 25 dollars , les refrains provocateurs et les hymnes à la décadence, il était sorti de son propre purgatoire, et voulait désormais aider les autres à vivre. Cet objectif peut paraître un peu prétentieux, c’est pourtant la ligne directrice qui mena à la production de ce disque. « Le disque de rock n roll a toujours été un média jouet, je veux en faire autre chose qui peut aider les gens à vivre. »
Tant musicalement que dans sa construction, magic and loss est l’aboutissement de ce que Lou commençait à développer sur « new york » et « song for drella », disque dont la popularité masquera malheureusement cette réussite. A sa sortie, Lou Reed affirmait que l’album parlait de mort et de magie , cette magie émancipée des religions organisées , et qui forme la spiritualité de ceux qui ont été un peu secoués par la vie.

Le concept permet aux chansons de s’enchaîner comme des scènes tristes ou lumineuses , renouant avec ce concept de « film pour l’esprit » qui fit la beauté des plus grandes œuvres Reediennes.

La guitare saturée ouvre le ballet des disparitions regrettées , évoquant rageusement les esprits de ses potes , ce début de voyage se nomme sobrement « dorita ». « what’s good » poursuit donc le chemin endeuillé sur un rythme raffiné et nonchalant où Reed se plaint de « l’injustice de la vie ». Le tempo tout en retenu renoue avec New York , mais ne fait que souligner la véhémence d’un narrateur, qui ne sait comment réagir face à l’injustice de la vie.
« Power and glory » prend la suite sur une note spirituelle, c’est le blues du chanteur conscient de son cancer, mais qui croit en sa survie comme certains croient en dieu. Les complaintes gospel parsèment d’ailleurs son chant parlé , comme des apparition divines perçant les nuages sombres. On saluera au passage le riff d’une rare finesse, qui sublime cette complainte pleine d’espoir.
Puis vient « magician » , ultime manifeste de l’homme voyant l’ombre de la mort planer au-dessus de sa dernière couche. Et, forcément, cette image ne pouvait être illustrée que par le blues, cri de l’homme à terre, et qui devient une danse voodoo fascinante.    
Sword of damocles est sans doute le point d’orgue de ce disque, une complainte face à la fragilité de la vie, où les guitares synthés sonnent comme des violons, rejoignant une contrebasse majestueuse, pour emmener notre esprit au nirvana.

Sur le titre suivant, la musique semble sortir de l’église où Lou assiste à un enterrement , et parle au mort comme  pour refuser cette fin. La batterie profonde pulse comme un cœur, qui finit par s’arrêter, et les arpèges de guitare sont d’une profondeur hypnotique.
Et puis, après s’être placé dans la position du témoin, Lou imagine sa propre mort, dans un « cremation » où il sonne comme un Dylan macabre. Fidèle à la promesse portée par l’album, il se plonge dans un rêve, où il parle à la personne disparue. Il ne cite jamais de nom, préférant laisser l’auditeur placer ses propres souvenirs sur sa mélodie sobre. Sa voix semble sortir d’un trip spirituel, où seules quelques notes de guitare et de basse rehaussent le nuage réconfortant formé par les synthétiseurs.
No chance repart sur un rythme plus enjoué, plus rock et sautillant. Le constat n’est pourtant pas moins sombre et, si Lou semble sorti du deuil, ce n’est que pour constater qu’il n’a pas vu son amie partir, et n’a pas eu « la chance de lui dire au revoir ».

Le deuil s’achève donc et laisse place à la colère face à l’injustice du destin, l’animal de New York retrouvant les rives du rock rugissant sur un « the warrior king » vengeur. Voilà donc notre héros se rêvant en roi guerrier, prêt à botter les fesses des cochonneries ayant mis fin à l’existence de son ami.
Mais, je l’ai déjà dit, Lou n’est plus un rock n roll animal, sa hargne n’est plus l’expression sauvage d’un homme se croyant immortel. Elle est l’intermède entre la tristesse de la mort et la célébration de la bravoure du mourant.
Revenant dans le nuage synthétique parcourant le début du disque, la voix de Lou célèbre désormais le courage de ceux qui se sont battus pour gagner un peu de temps supplémentaire.  Puis la guitare gronde de nouveau, furieux requiem célébrant le combat mené par le héros de « gassed and stocked », dont il ne reste « que quelques photos et souvenirs ». Le titre sonne comme une célébration tribale du combat que vient d’achever le défunt, une sorte de blues sauvage sur un rythme de galère.

Après avoir connu la mort , Lou célèbre désormais une envie de vivre « plus forte que la luxure », sur une rythme orgiaque, porté par un riff doté de la puissance vitale du vrai rock n roll. Le titre se nomme « power and glory II » , et c’est la lumière au bout d’un voyage qui , en dépit des apparences , se révèle résolument optimiste et positif.

Le morceau titre conclut l’album sur ce constat, lâché comme une révélation : L’arrogance est un venin destructeur et la passion est le seul moteur de la vie. Il semble d’ailleurs se parler à lui-même quand il lâche « tu ne peux pas être Shakespeare et Joyce », constat cruel pour celui qui, plus que n’importe qui, a élevé les paroles rock vers des sommets littéraires.

Magic and loss (l’album) est un nouvel aboutissement dans la carrière de Lou Reed , son disque le plus abouti après Berlin. C’est aussi une œuvre qui nécessite qu’on s’y plonge totalement pour en ressentir toute la profondeur, la pièce musicale lumineuse d’un poète ayant atteint le sommet de son art.  
     


dimanche 22 décembre 2019

Lou Reed : New Sensations


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« Le moindre geste humain se comprend à partir de l'avenir; même le réactionnaire est tourné vers l'avenir puisqu'il se soucie de préparer un futur qui soit identique au passé. » Sartre.
Et voilà , je recommence avec mon affrontement entre vieux et nouveaux , immobilisme traditionnel et futilité moderniste. C’est que, en musique, cette séparation me parait absurde, chaque artiste se devant de se nourrir de ce qu’il l’a précédé, pour inscrire son œuvre dans le marbre de la postérité.

Et pourtant, je ne dirais jamais assez de mal des années 80, consécration d’un modernisme devenu fou, triste dépotoir ou les conseillers marketing étouffèrent tout ce que la musique avait de beau. On ne va pas reprendre le récit misérable de cette dystopie pop, elle est déjà assez irritante sur tous ces albums sonnant de la même façon.

Que peut faire Lou Reed à une époque qui crée ses propres œillères ? Comment peut-il survivre alors que la colonne vertébrale de son œuvre est le rock ? Ecoutez bien tous ses disques , du premier album à celui-ci , tous célèbrent ce rythme rugueux qui fit le vrai rock n roll. On exclura juste Berlin , grandiose requiem allant bien plus loin que le simple rock n roll , et la cacophonie metal machine music.

Pour le reste , les preuves de la pureté de ce rocker sont présentes dès les premiers riffs du velvet, et jusqu’au beat irrésistible de « I love you sweet suzanne ». Premier titre de « new sensation » , il choque par son coté commercial , porté par une boite à rythme très présente. Ne vous leurrez pas , Lou n’a pas décidé d’entrer dans la catégorie grandiloquente des clowns funestes que sont devenus Bowie et Springsteen après le succès de Let’s dance et Born In the USA , sans oublier les gesticulations risibles de celui qu’on nomme déjà « king of pop ».

A une époque célébrant l’artificiel et le tapageur, Reed balance un tube simplissime, où la boite à rythme est le cheval de Troie, chargée de faire pénétrer le rock n roll dans une pop corrompue. « I love you suzanne » plonge ses racines dans les disques de la motown , c’est le patron montrant aux jeunes l’essence d’une énergie orgiaque inépuisable.

Lou Reed , c’est Jekyll et Hyde en même temps , la subversion des premiers rock n roll servi par un poète à la prose fascinante. Si la production léchée tourne la page de ses riffs métalliques, si les textes plus apaisés semblent tuer le dandy décadent sous les coups de l’homme mur , pendant que les chœurs emmènent les refrains vers des sommets spirituels, cette sagesse est un leurre.

Lou sait qu’il est désormais le maître d’un navire que tous semblent abandonner et, au fond, new sensation est fait du même bois que ses classiques électriques.

 Rien n’est jamais tout rose dans son esprit , la violence y côtoie le romantisme, au rythme d’un chant parlé, qui ressemble à la réincarnation des grands poètes et romanciers.

L’amour, célébré sur Cosney Island Babie , lui inspire ici une désillusion violente. Cette désillusion qui l’amène à enchaîner les baignes sur le visage délicat de sa bien aimée, le tout chanté sur une mélodie que n’aurait pas renié le Petty des débuts. « I’m sorry » lâche t’il, sur une complainte bien éloignée de la froideur du narrateur de Berlin. « Turn to me » termine la série amère, en assurant qu’il sera toujours le seul vers qui cette femme pourra toujours se tourner, le tout sur un rythme stonien laissant les chœurs gospels transformer le refrain en prière désespérée.

Le morceau titre semble le mettre dans la peau de Marlon Brando dans l’équipée sauvage , ou du captain america d’easy rider. Attaché à sa moto, Lou Reed se rêve en vagabond solitaire, écoutant de la musique country en causant avec les indigènes. C’est l’éternel cri de révolte de celui qui ne se reconnaissent pas dans ces « gens négatifs », et enfourche sa moto comme on prenait autrefois la mer , pour se sentir enfin vivant. Le tout sur fond de rock n roll mélodique.

Mais sa liberté, Reed la trouve surtout dans la culture , saluant Scorcese et le thêatre sur « doin things that we want to ». Là , les chœurs se font plus nerveux , la rythmique plus enjouée , avec toujours ce feeling post stonien, pour célébrer la puissance émancipatrice de ce rock dont Lou est devenu la nouvelle réincarnation.

Puis il a de nouveau le blues , et se désespère de la vie solitaire du chanteur en tournée, lourd tribut d’une gloire qui , pour lui , fut toujours relative. Nommé « what become a legend most » , son rythme de valse pop rappelle « street hassle », la grâce poétique ayant remplacé la violente noirceur de son ancien classique. 

La fascination morbide de l’animal rock n roll n’est jamais loin, et trouve encore une expression vibrante sur « fly to the sun ». La mort ? Il la décrit comme un moyen de fuir la souffrance, affirmant qu’il ne fuirait « ni devant la bombe ni devant l’holocauste », pour « voler jusqu’au soleil ». La mélodie est encore une fois superbe, avec cette voix, qui parle comme celle qui semble vous raconter une histoire, quand vous vous plongez dans un grand roman.

Dans le roman Reedien , le rock n roll n’est jamais loin , comme ses grands espaces chers à Kerouac.  « my friends John » est d’ailleurs le second meilleur rock du disque (juste après I love you suzanne), porté par un beat implacable.

Loin du junkie qu’il fut, high on the city montre un Reed apaisé , à la recherche de plaisirs sains, le tout sur une mélodie désuète, ouvrant la voie à la légèreté entrainante de « down at the arcade ». Ce rêvant en héros de jeu vidéo, Lou achève le disque comme il a commencé, par un rock n roll donnant la fessée à tous ses contemporains.

Aujourd’hui , ceux qui n’ont pas oublié ce disque le regarde de haut , lui reprochant de resservir la même formule sous un vernis eighties. Mais c’est justement la grandeur de ce disque et, alors que le rap et l’électro commence à balancer leurs soupes fades , alors que le heavy metal enchaîne les notes à une vitesse maladive , laissant le groove mourir sous ses mitraillages abrutissant , Reed rappelle que le rock est avant tout une affaire de swing.       


     

mercredi 18 décembre 2019

Lou Reed : Take No Prisonner


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Dans une sombre salle new yorkaise, un craquement d’allumette perce dans le silence , comme la lumière au milieu des ténèbres. Détendu comme jamais, plus prétentieux que dans ses heures les plus glorieuses , Lou Reed sait qu’il a atteint le sommet de sa carrière. Ce soir-là , le public lui est acquis d’avance, et les rares personnes conscientes qu’il représente désormais le rock n roll sont réunies, comme si New York attendait le héros qui l’a si bien dépeinte.  

« Excusez-nous du retard nous étions en train de nous accorder ».
Dès cette phrase, le public lui répond par une ovation chaleureuse, un spectateur lui lançant cette ordre féroce « Take no prisonner Lou Reed ».

Et il commence par lancer une pique à Patti Smith, dont le dernier album vient de sortir « It’s not radio Ethiopia , it’s radio brooklin ! », avant de partir sur un sweet jane de plus de six minutes , prétexte à quelques digressions pleines d’auto dérision.

I wanna be black part ensuite dans un free jazz fascinant rappelant ce que Lou Reed déclarait à l’époque : « si tu ne sais jouer ni le rock , ni le jazz, alors mélange les deux ! ». Malgré cette touche d’humour ce passage est impressionnant de virtuosité, une fête spectaculaire réinventant la notion d’orchestre rock. L’orchestre de Lou Reed est plus rock que celui de Zappa, moins théâtral que celui de Springsteen, c’est la chaleur du jazz copulant avec la puissance du pure rock n roll.

Derrière lui, le groupe chauffe comme l’autel d’une célébration païenne, et donne la plus puissante version de satellite of love jamais enregistrée. Portée par des chœurs fervents, et des cuivres chaleureux, cette version transcende la beauté glam de l’original et , quand la guitare succède à l’orchestre le temps d’un solo déchirant, on assiste véritablement à l’assassinat de la suffisance glam. Présent dans le public, Springsteen a du apprécier cette version grandiloquente, qui n’est pas sans rappeler le charme théâtral de ses shows.

Chef d’œuvre du Velvet , « pale blue eyes » n’égale pas la force de la version contenue dans live 1969, mais les chœurs font encore des merveilles, sur ce qui restera un des meilleurs titres écrit par le poète de New York.

Si vous voulez un chef d’œuvre, jetez-vous sur cette version extraordinaire de Berlin. Ce qui, sur disque, était une introduction au disque le plus magnifiquement déprimant que le rock ait porté, devient ici un véritable requiem rock, une symphonie sombre débouchant sur une série de points d’orgues lumineux.

Après s’être laissé aller à la sensibilité sur les trois précédents titres, Lou durcit de nouveau le ton, transformant « waiting for the man » en blues incroyablement tendu. Comme au début du concert, Lou joue avec le public, crachant sur les idoles de cette nouvelle génération (Patti en a pris pour son grade en début de concert) , et improvisant des discours farfelus au milieu d’impros qui étirent ses rythmes, comme Sergio Leone étire ses scènes.

Et puis, enfin, le break rythmique de waiting for my man laisse place à une guitare suivant les cuivres dans un blues urbain et menaçant, entrant ainsi dans un « temporary thing » qui porte merveilleusement son nom. Boogie en deux accords, monument de feeling à une époque où le rock semble le renier, ce titre est un magnifique pied de nez aux surexcités à crête qui prétendent perpétuer le message de Lou.

Contrairement à ce qu’annonce sa pochette, ce disque n’est pas punk, Lou est bien trop fin pour balancer les mêmes braillements niais. D’ailleurs, la seconde partie du live creuse un sillon classieux bien éloigné des glaviots de la bande à Rotten.

Et le voilà reparti dans ses sensibleries , partant dans une version de cosney island babie capable d’hérisser le poil du skinhead le plus endurci. Ce qui était une ballade introspective et philosophique devient une catharsis fiévreuse, un crescendo vibrant porté par la chaleur des cuivres, et la puissance de ses chœurs gospels.

Après le poète , l’animal rock n roll ne tarde pas à refaire surface , introduisant « street hassle » par un solo plein de larsen, avant de lancer ironiquement « c’est comme ça que metal machine music est né ». Lou Reed tient là le meilleur groupe de sa vie, le seul capable de balancer un titre comme street hassle en live, avec autant de justesse et de puissance.

La valse se fait encore plus solennelle, plantant cette histoire glauque dans un décor solennel et fascinant. Avec Reed, la beauté et la violence s’enchaînent, comme les scènes d’un film qui ne peut que mal finir, et la guitare perce la mélodie comme le prêche annonçant la catastrophe. C’est que la figure de Reed a toujours eu quelque chose de christique, et l’humour contenu dans certains de ses monologues a surtout pour effet d’accentuer des envolées, qui réussissent toujours à prendre l’auditeur par surprise.

On regrettera juste que Bruce ne soit pas monté sur scène pour lancer sa déclamation , mais le riff final achève cette fresque de manière grandiose. La longue jam de « walk on the wild side » lui donne ensuite l’occasion de régler ses compte avec son passé , d’exprimer son regret d’avoir mis fin au Velvet , tout en interdisant à son groupe de mettre la moindre émotion dans son plus grand classique.

Ce satelite of love, il le veut froid, distant, comme pour mettre fin à une époque où il n’était pas réellement lui-même. Est-ce parce qu’il sait qu’un tel succès peut le tuer ? Est-ce pour affirmer une liberté à laquelle il tient plus que tout ? Où faut-il y voir un autre rejet de la production que Bowie lui a réservé ?

Ce qui est un des plus grands classiques du rock, il le dépeint comme un bon morceau issu « d’un bouquin stupide sur des infirmes », avant d’envoyer cette délicate attention à ceux qui lui ont donné l’inspiration «  Allez-vous pendre les mecs ». On l’a déjà dit, avec Reed la violence et l’agressivité ne sont jamais loin, mais il est le seul à lancer son fiel avec autant de classe.

La violence de Reed est fascinante comme pouvait l’être celle de Lenny Bruce, c’est le cri de révolte du poète au milieu d’un monde de fous. Et, si le public prend ses insultes avec reconnaissance , c’est parce qu’il a conscience , comme le disait Dustin Hoffman dans le biopic consacré à Lenny Bruce , « d’avoir besoin de ce genre de fous ».

Comédie subversive, concerto rock, poésie décadente, « take no prisonner » est tout cela est bien plus encore. C’est le plus grand live de celui qui voulait être « le Dostoïevski du rock ». Et quand « leave me alone » clôt la céremonie sur une fureur proto metal asphyxiante, elle laisse l’auditeur assommé par une œuvre unique , une réinvention vibrante de ce que doit être un live rock.    

   

samedi 12 octobre 2019

Lou Reed : Rock N Roll Animal


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Il y’a peu , avant d’écrire cette chronique , je lisais l’ « Œuvre » d’Emile Zola , m’étonnant de trouver chez son peintre maudit des préoccupations partagées par les grands artistes rejetés du rock. Transformez ce peintre en rocker , imaginez que l’œuvre qu’il construit n’est autre que Berlin , et vous découvrez le calvaire vécu par Lou Reed en 1973.

Sa grande œuvre , à jamais incomprise, n’obtiendra pas le rang si mérité de sgt pepper des seventies, et le chanteur se cache désormais derrière son personnage de Dandy décadent. Il avait compris que le public, obnubilé par les digressions instrumentales du hard rock et du prog, n’était pas encore prêt à subir ses histoires sordides sur fond de mélodies voluptueuses.

En 1973 , les dieux de la pop se nomment Black Sabbath , Led Zeppelin , et Deep Purple , et il fallait jouer aussi fort qu’eux pour se faire entendre. Lou va leur donner ce qu’ils veulent, après avoir promu Dick Wagner et Steve Hunter au rang de héro hard glam. Aminci par la drogue , le chanteur ressemble à un mix entre un personnage de Burroughs et Ziggy Stardust.

Son image marque ainsi une génération vouée au culte de l’artificiel et du narcissisme. Andy Warhol avait prouvé qu’une boite de conserve pouvait être une œuvre d’art, Lou allait beaucoup plus loin en annonçant que tout le monde pouvait l’être.

Une horde de jeunes imiterait bientôt ce style outrageant, profitant de son insouciance avant que « le Dandy ne meure sous les coups de boutoir du réel », comme disait ce cher Eudeline. Backstage , Lou n’est qu’un junkie pathétique , et il n’est pas rare de voir ses deux guitaristes le porter jusqu’à la scène. Là, la lumière des projecteurs agit comme la foudre sur le corps de ce frankenshtein rock , qui se voit soudain doté d’une aura impressionnante.

Columbia lui ayant forcé la main, afin de rattraper le naufrage de Berlin, Reed réduira ce live à un énième bourbier heavy rock. Au-delà du fait qu’aucun enfant de Led Zeppelin n’a su écrire des rimes aussi évocatrices que celles d’heroin , le jeu de ses deux émissaires est bien plus fin que celui des Iommi , Blackmore, et autres tacherons chevelus.

Pour ouvrir rock n roll animal , Steve Hunter compose une longue introduction instrumentale , sorte de boogie mécanique ouvrant la voie à un sweet jane métamorphosé. Dick Wagner offre une leçon de retenue aux hard rockers, leur réapprenant le gout du riff carré, du solo qui ne se perd pas dans des digressions interminables.  

Entre leurs mains , le chaos froid de « white light white heat » devient un brûlot fédérateur , où la guitare slide vient défier Duane Allman pendant quelques précieuses secondes. Issu de loaded , « rock n roll » n’a jamais si bien porté son nom , ses solos étincelants s’apparentant aux exploits classieux de Mick Ronson. Et puis il y’a heroin , froide observation des émotions successives d’un junkie, transformé ici en péplum rock.

Les stones avaient suivi cette voie provocatrice avec sister morphine , et il était temps que le poète de New York reprenne son trône de roi décadent. Cette version est un grand blues industriel, les solos déchirant la mélodie comme autant de transes narcotiques.

Comble de l’ironie, « lady day » voit tout le public communier devant la pièce maitresse d’un grand disque qu’elle a massivement rejeté. Et c’est là que se trouve justement le génie de rock n roll animal. Lou Reed s’y approprie le son de son époque pour imposer ses récits sombres.

Bien sûr, le disque sera un succès, un des rares albums où les ambitions commerciales et artistiques sont réconciliées. Lou Reed a beau avoir les même préoccupations, son histoire s’achève mieux que celle de Claude Lantier*.

·         Le peintre- Zola        

mardi 10 septembre 2019

Lou Reed : New York


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New York , Babylone du 21e siècle , Byzance des privilégiés et enfer des sans grades. Ton seul véritable mérite aura été d’inspirer la prose d’un des plus grands poètes américains.

 Pour bien te comprendre, et voir à quel point tes moeurs hypocrites sont en train de contaminer le monde , il faudrait d’abord relire « le bûcher des vanités » , chef d’œuvre littéraire d’un ancien journaliste qui a si bien décrit tes contradictions.

On y découvrait alors, caché sous la grandeur de tes gratte-ciels tapageurs , une ville pourrie par les conflits raciaux , dirigée par une bande de cochons de wall street érigés au rang de maître d’un monde malade. Si Lou Reed a  commencé par diriger ses sarcasmes contre la niaiserie hippie, c’est toujours tes décors rances qui lui inspirèrent ses récits de dealers et de déviances sado maso.

Tu me diras que tu ne fus pas la première, que la grandeur des villes symboliques n’a toujours bénéficié qu’à une poignée de privilégiée , laissant les autres trimer pour survivre , tout en remerciant leurs geôliers de la chance qu’ils leur offraient. Napoléon III , Thatcher, Reagan , ces gens faisaient partie de la même race d’affameurs, la modernité ayant rendu la barbarie plus aseptisée, sans la rendre plus supportable aux damnés de ta terre que l’on dit ultra moderne.

Pourtant , j’écris ces lignes pour te remercier , car tu as ressuscité la verve de ton enfant terrible. On croyait Lou Reed fini, perdu entre sa rébellion suicidaire et ce besoin de reconnaissance à jamais blessé par le bide du grandiose Berlin. Et puis la mort des eighties lui fit redécouvrir le rock dépouillé dont il fut toujours l’égérie, alors que tes moeurs hypocrites ressuscitaient sa verve.

Sous sa plume , Romeo and juliette devient une fable sur la vie que tu réserves aux habitants de quartiers portoricains transformés en ghetto. « Je mettrai Manhattan dans un sac poubelle avec ces mots écrit en latin : Difficile d’en avoir quelque chose à foutre aujourd’hui ».

J’aurais encore un petit faible pour « Dirty blvd » , qui décrit ton monde inégalitaire à travers les yeux d’un jeune pauvre qui, de sa fenêtre, voit les stars de cinéma arriver en ville, pendant que « les ruelles sordides sont toujours plongées dans le noir ». Car dans l’immeuble sans vitres où vit Pedro, « personne ne rêve de devenir docteur » . Dans son « sale boulevard » , on a plutôt tendance à devenir dealer, mais ne croit pas que ce récit pathétique est livré avec les larmes du bon musicien compatissant.

Ces pavés verbaux , où Reed préfère souvent parler que chanter , sont lancés sur un ton sarcastique, ton monde brûle et Lou Reed danse au milieu de la fournaise. La musique n’est pas en reste , les riffs claquent comme aux grandes heures du rock , et une énergie révolutionnaire se dégage de ses mélodies flamboyantes. Au bout du compte , Reed sera toujours le punk ultime , ce qui est venu après n’est qu’un frelaté de sa grandeur rebelle.

Même quand il parle de relations père fils , c’est toi qui semble visé par la métaphore. Et quand il dit que les névroses du père se transmettent souvent au fils , on ne peut s’empêcher de voir l’image de tes rejetons européens développant les mêmes tendances inégalitaires , la même violence , et les mêmes tensions ethniques. La conclusion est plus terre à terre quand le narrateur lâche « En fait ils sont plus heureux quand ils souffrent. En fait c’est pour ça qu’ils sont mariés ». C’est tout de même ta poésie beat qui influence ce qui restera la plus belle mélodie de Reed depuis des années, mais ce sera le seul compliment que tu obtiendras dans cette chronique.  

Ah si , tu as quand même réussi à provoquer la réunion de deux ex Velvet , qui crachent à la figure de ta bigoterie, à travers le récit abracadabrantesque de the great américain whale. Dans le couloir de la mort , un indien ayant tué un maire raciste attend sa dernière heure. Pendant ce temps, sa tribu initie un rite ancestral et parvient à invoquer les esprits, qui envoient une baleine géante purifier la saloperie New Yorkaise. C’était sans compter sur la puissance de ta méprisable NRA , qui explose la fiole du cétacé à grand coup de bazooka.

Inutile de préciser quelles dérives le récit pointe du doigt …

Tu finis même par lui inspiré une vision sarcastique de la parenté, qu’il résume parfaitement dans ces vers :

« ça serait cool d’avoir un petit enfant à qui filer des coups de pied au cul .
Une petite miniature à remplir de mes pensées.
Un petit moi , un petit gars ou une petite nana à qui refiler mes rêves.
Histoire de dire que la vie n’est pas du gâchis. »

Voilà une profession de foi contre la reproduction pleine d’humour, et qui serait peut-être la seule solution pour ralentir l’inexorable avancée de ta bêtise. En fin de compte, l’acte le plus rebelle qu’on puisse envisager face à un monde malade est de ne pas se reproduire, on condamne ainsi symboliquement ce bourbier à la mort.

Lou Reed continue son œuvre sur une note d’optimisme. « busload of faith » nous invitant à ne croire personne, il faut remplacé la foi en l’homme par une foi supérieure. Selon ses propres dires , chacun est libre d’y ajouter la sienne.
                                                                                  
Puis vient une nouvelle suite de récits décadents ou « on ne vend plus de choux parce qu’ils ont retrouvé des seringues dedans ». Livré sur un air country western sur « hold on » , ces histoires renouent avec une verve crue qui rappelle le tranchant du premier velvet. Aujourd’hui on se rend compte que le bon salarié du tertiaire a parfois tendance à se piquer pour supporter la platitude de son existence. Tu vois grosse pomme, tu rodes encore entre ces vers.

Passons ensuite à une catégorie qu’on ne se lasse pas d’attaquer, les politiciens étant rarement autre chose que de nouveaux curés ayant remplacé Jésus par Marx ou Maurras. Et ça les mène parfois à commettre les pires horreurs , comme ce cher Mr Waldheim qui se vit rappeler son passé nazi. Le récit de sa déchéance dans   « Good evening mr Waldheim » pourrait presque passer pour une version musicale de «  les dieux ont soif », livre où Anatole France montrait déjà que si l’idéologie devenait un dogme, elle ne pouvait mener qu’au massacre.

De politique, il en est encore question sur les titres suivant, Reed en profitant pour dédier une mélodie à des vétérans vietnamiens qui resteront les pires victimes de l’injustice américaine. Le système libéral si bien représenté par tes « maîtres du monde* » de wall street en prend encore un coup, Lou Reed faisant une nouvelle fois remarquer l’évidence : Comment une minorité privilégiée peut-elle encore se gaver sur le dos d’une masse de miséreux. 

La conclusion quitte tes déviances new yorkaise, pour reprendre à son compte la morale rédemptrice de « la passion du christ ». L’ex martyr punk a mûri , et annonce cette nouvelle maturité dans un final aussi majestueux que mystique. La musique est magnifique, le texte plein de regrets et d’humilité . En fin de compte la seule chose que tu partages avec celui que tu as inspiré sur ce disque qui porte ton nom , c’est une philosophie contradictoire.   

  *Tom Wolf :le bûcher des vanités 

jeudi 2 mai 2019

Lou Reed : Metal Machine Music (1975)





Alors oui j'aurais pu choisir Berlin, Transformer, un des deux Lives, Coney Island Baby ou d'autres grands disques du Lou. Mais mon choix s'est arrêté sur Metal Machine Music. Mais revenons en 67. Cette année-là, Lou et ses potes du Velvet Underground ont révolutionné le rock avec leur premier album. Après le départ de John Cale à la suite du deuxième album, Lou reste encore les deux albums suivants du Velvet. A l'été 70, Lou quitte le groupe car il n'est pas satisfait de Loaded le 4 ° album du groupe qui aurait été modifié sans son consentement par son manager. Il se retire chez ses parents et arrête la musique.

Revenu en 72 il sort un album qui porte son nom mais ne rencontre pas de succès, avant que Bowie dont il est une des idoles, ne lui produisent Transformer qui lui assure le succès. En 73, Berlin suivra, l'album est très sombre et déconcerte les fans. Lou à cette époque consomme tout ce qu'il trouve, ses concerts sont souvent épiques, son look devient glam, il se teint les cheveux en blond. Un Live nommé "Rock'n'roll animal" sort dans les bacs en 74, sa suite intitulé Lou Reed Live sortira en 75. Entre les deux, Sally Can't Dance le nouvel album studio de Reed rencontre un gros succès et pour surfer sur ce succès, RCA demande à Reed un nouvel album le plus vite possible. Lou fatigué des pressions de sa maison de disques, leur donnera à écouter Metal Machine Music.

Et là, c'est le choc, MMM c'est une heure de feedback de guitares enregistré a différentes vitesses (entre autres choses : on y trouve aussi des morceaux d'autres oeuvres mises ensemble) par Lou Reed. Aucune chanson, rien d'exploitable. un suicide commercial pensé par Lou Reed. Un album dont Lou était très fier. Un disque dont l'arrêt automatique était impossible avec un sillon en fin de face 4 (car c'est un double) qui ne termine jamais.

L'album va se faire incendier comme jamais dans l'histoire de la musique avant lui probablement, les critiques sont unanimes pour dire que c'est un des pires albums jamais enregistré, Rolling Stone l'élit plus mauvais disque de l'année, le public crie au scandale, les gens ramènent même l'album au magasin. Au bout d'un mois, les disquaires refusent de vendre le disque, il sera retiré du catalogue de RCA pendant 25 ans.

Lou lui en à rien à foutre en déclarant que ce disque est son chef d'oeuvre, qu'il a mis 6 ans à le faire. 
Il déclare même à propos du disque et de son public :
" Ce disque aurait pu coûter 78 dollars 99 ! Si les gens trouvent que c'est une arnaque, ouais, hé bien, je les arnaquerai encore. Je ne vais m'excuser devant personne! On devrait me remercier d'avoir sorti ce putain de truc, et s'ils n'aiment pas, ils n'ont qu'a aller bouffer de la merde de rat" 

Et il ajoute " C'était un énorme Fuck You. J'ai sorti ce disque pour me débarasser de tous ces trous du cul qui viennent à mes concerts et qui braillent Vicious et Walk on the Wild Side"

Le résultat escompté ne ce fait pas attendre mais Lou part en tournée en Australie, sous speed incapable de tenir debout; il est incapable d'assurer ses concerts. Le groupe joue quand même avec Doug Yule. Lou s'enerve vire tout le monde et rentre aux USA. RCA lui demande 600 000 dollars et ne veut plus le produire. Ruiné, Lou est au fond du trou. Après avoir assuré a RCA que le prochain album sera un disque "normal" il obtient de l'argent.

MMM est un disque aujourd'hui reconnu comme l'une des influences de la musique noise et l'un des disques fondateurs de la musique industrielle, ouvrant la porte a de nombreux artistes des décennies suivantes. Lou quelques années plus tard montera un trio expérimental et bruitiste nommé Metal Machine Trio. Histoire de boucler la boucle

dimanche 13 janvier 2019

[CHRONIQUE] Lou Reed - Berlin (1972)



Bercée par les poètes de la Beat Generation, Lou Reed est un personnage paumé dont l’histoire aurait pu être racontée dans les recueils les plus sombres de William S. Burroughs. Il y a d’abord eu le Velvet Underground, groupe anachronique venu raconter ses contes déviants en pleine période hippie. L’aide de Warhol ne pourra empêcher le naufrage annoncé, et le premier disque du groupe glisse dans les méandres des bacs à soldes. Malgré l’insistance de Warhol, ce n’est pas la voix de mannequin dépressif de Nico qui aidera le groupe à sortir de la dèche. Pire, Lou Reed fait tout son possible pour se débarrasser de cette potiche de luxe, imposée par l’artiste/producteur pour combler le « manque de charisme des musiciens ».   



On soulignera juste que, avec le fameux album à la banane, l’ancienne mannequin aura au moins participé à la production d’un classique,  avant d’enregistrer une série d’étrons ampoulés. Sans elle, le Velvet pouvait se cantonner à ce qu’il faisait le mieux, un Rock primaire, sorte de Proto Punk rêche et violent. White Light, White Heat  sera le symbole de ce virage, avant que Lou Reed ne ce remette à composer de tendres mélodies Folk sur le trop oublié Velvet Underground.  Mais le manque de succès est source de tensions, et John Cale claque la porte du groupe, sans que Lou Reed ne parvienne à en prendre le contrôle. Engagé pour le remplacer, Doug Yule prend rapidement l’ascendant sur un Lou Reed exténué après une série de concerts américains, qui n’ont pas empêché le groupe de se faire virer par Atlantic Records. Yule prend alors la main, et remplace Reed au chant sur certains titres de Loaded. Le résultat commercial n’est pas plus brillant que pour les albums précédents, et Lou Reed, à son tour, claque la porte.

Poussé vers la sortie par le groupe qu’il a lui-même fondé, marginalisé par ses multiples échecs musicaux, Lou Reed n’en reste pas moins le poète qui a annoncé le Punk dix ans à l’avance. Et , pendant qu’il galérait au sein du Velvet, s’épuisant à chercher dans plusieurs villes le succès que New York lui refusait, le premier album du groupe est tombé entre les mains d’un certain David Bowie. Devenu une nouvelle icône du mouvement Glam', il a toujours revendiqué l’influence de ce disque, et propose naturellement à son idole de produire son prochain disque. La première fois, cette proposition lui vaudra un coup de poing rageur, de la part d’un Reed pas encore prêt à entrer dans le palmarès de celui qui brille au sommet de la pop anglaise. 
Il finit tous de même par accepter, et les ventes de Transformer lui permettent d’imposer à sa maison de disque un second projet ambitieux. Désireux de se libérer de toute préoccupations commerciales, il grave un double album d’une noirceur sans précédent, à telle point que ses producteurs l’obligent à se limiter à un seul vinyle, pour ne pas couler la boutique. Reed accepte de mauvaise grâce, limitant la durée de son œuvre sans perdre le fil conducteur qu’il a imaginé.

Le disque démarre sur un brouhaha festif, une fête d’anniversaire sans doute. Mais les tristes notes de pianos annoncent rapidement des lendemains difficiles. Berlin est avant tous l’album le plus cynique de Lou Reed, et le choix de la capitale allemande comme toile de fond n’est sans doute pas un hasard. Symbole d’une Allemagne écartelée après la seconde guerre mondiale, la capitale est aussi l’illustration d’un monde, qui suit l’évolution des tensions entre américains et russes, comme si sa vie en dépendait. La guerre franche, déclarée, et meurtrière des années 40 a fait place à une tension permanente, à un conflit stratégique et à une guerre politique, pouvant à chaque instant faire basculer le monde dans le chaos.

Et cette fois, sans cris de guerre, sans bombardement spectaculaire, et sans tripes à l’air, il suffirait juste qu’un dirigeant paranoïaque appuie sur un bouton, pour rayer des milliers d’hommes de la carte. Mais Lou Reed n’est pas là pour rassurer une jeunesse vivant avec cette épée de Damoclès atomique au dessus de la tête. Il va, au contraire, se servir de l’écartèlement tragique de la ville allemande comme d’une métaphore de la situation de ses personnages.

Véritable drame Shakespearien en dix actes, Berlin est une longue descente aux enfers, chuchotée d’une voix nasillarde par un Lou Reed paraissant comme insensible. C’est un bourbier infernal, sans une once d’espoir à laquelle se raccrocher et, même quand il s’éloigne un peu de son histoire tragique pour évoquer les « riches qui causant souvent la chutes des empires », et ces pauvres « qui ne peuvent juste rien y faire », son désespoir de junkie pathétique l’incite à en conclure... qu’il « s’en fout royalement ».
Même quant sont personnage principal raconte le suicide de sa femme, qui ne supportait plus son enfer narcotique, c’est d’une voix incroyablement neutre et sans émotion. Proche de l’Etranger de Camus, ce personnage insensible ne fait qu’ajouter à la splendeur tragique de ces mélodies sombres.

Berlin fait partie de ces œuvres qui vous marquent au fer rouge, et finissent par vous suivre pour le restant de vos jours. Évidement, une production aussi radicalement sombre ne pouvait que faire fuir le grand public, un échec dont Lou Reed ne se remettra jamais réellement. Il venait pourtant de produire son plus grand chef d’œuvre, sorte d’équivalent musical du Festin Nu de Burroughs