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mercredi 25 décembre 2019
dimanche 22 décembre 2019
Lou Reed : New Sensations
« Le moindre geste humain se comprend à partir de
l'avenir; même le réactionnaire est tourné vers l'avenir puisqu'il se soucie de
préparer un futur qui soit identique au passé. » Sartre.
Et voilà , je recommence avec mon affrontement entre
vieux et nouveaux , immobilisme traditionnel et futilité moderniste. C’est que,
en musique, cette séparation me parait absurde, chaque artiste se devant de se
nourrir de ce qu’il l’a précédé, pour inscrire son œuvre dans le marbre de la
postérité.
Et pourtant, je ne dirais jamais assez de mal des années 80,
consécration d’un modernisme devenu fou, triste dépotoir ou les conseillers
marketing étouffèrent tout ce que la musique avait de beau. On ne va pas
reprendre le récit misérable de cette dystopie pop, elle est déjà assez
irritante sur tous ces albums sonnant de la même façon.
Que peut faire Lou Reed à une époque qui crée ses propres œillères ?
Comment peut-il survivre alors que la colonne vertébrale de son œuvre est le
rock ? Ecoutez bien tous ses disques , du premier album à celui-ci , tous
célèbrent ce rythme rugueux qui fit le vrai rock n roll. On exclura juste
Berlin , grandiose requiem allant bien plus loin que le simple rock n roll , et
la cacophonie metal machine music.
Pour le reste , les preuves de la pureté de ce rocker sont
présentes dès les premiers riffs du velvet, et jusqu’au beat irrésistible de « I
love you sweet suzanne ». Premier titre de « new sensation » ,
il choque par son coté commercial , porté par une boite à rythme très présente.
Ne vous leurrez pas , Lou n’a pas décidé d’entrer dans la catégorie
grandiloquente des clowns funestes que sont devenus Bowie et Springsteen après
le succès de Let’s dance et Born In the USA , sans oublier les gesticulations
risibles de celui qu’on nomme déjà « king of pop ».
A une époque célébrant l’artificiel et le tapageur,
Reed balance un tube simplissime, où la boite à rythme est le cheval de Troie,
chargée de faire pénétrer le rock n roll dans une pop corrompue. « I love
you suzanne » plonge ses racines dans les disques de la motown , c’est le
patron montrant aux jeunes l’essence d’une énergie orgiaque inépuisable.
Lou Reed , c’est Jekyll et Hyde en même temps , la
subversion des premiers rock n roll servi par un poète à la prose fascinante.
Si la production léchée tourne la page de ses riffs métalliques, si les textes
plus apaisés semblent tuer le dandy décadent sous les coups de l’homme mur ,
pendant que les chœurs emmènent les refrains vers des sommets spirituels, cette
sagesse est un leurre.
Lou sait qu’il est désormais le maître d’un navire que
tous semblent abandonner et, au fond, new sensation est fait du même bois que
ses classiques électriques.
Rien n’est jamais
tout rose dans son esprit , la violence y côtoie le romantisme, au rythme d’un
chant parlé, qui ressemble à la réincarnation des grands poètes et romanciers.
L’amour, célébré sur Cosney Island Babie , lui inspire
ici une désillusion violente. Cette désillusion qui l’amène à enchaîner les
baignes sur le visage délicat de sa bien aimée, le tout chanté sur une mélodie
que n’aurait pas renié le Petty des débuts. « I’m sorry » lâche t’il,
sur une complainte bien éloignée de la froideur du narrateur de Berlin. « Turn
to me » termine la série amère, en assurant qu’il sera toujours le seul
vers qui cette femme pourra toujours se tourner, le tout sur un rythme stonien
laissant les chœurs gospels transformer le refrain en prière désespérée.
Le morceau titre semble le mettre dans la peau de Marlon
Brando dans l’équipée sauvage , ou du captain america d’easy rider. Attaché à sa
moto, Lou Reed se rêve en vagabond solitaire, écoutant de la musique country en causant avec les indigènes. C’est l’éternel cri de révolte de celui qui ne se
reconnaissent pas dans ces « gens négatifs », et enfourche sa moto
comme on prenait autrefois la mer , pour se sentir enfin vivant. Le tout sur
fond de rock n roll mélodique.
Mais sa liberté, Reed la trouve surtout dans la culture ,
saluant Scorcese et le thêatre sur « doin things that we want to ».
Là , les chœurs se font plus nerveux , la rythmique plus enjouée , avec toujours ce
feeling post stonien, pour célébrer la puissance émancipatrice de ce rock dont
Lou est devenu la nouvelle réincarnation.
Puis il a de nouveau le blues , et se désespère de la vie
solitaire du chanteur en tournée, lourd tribut d’une gloire qui , pour lui ,
fut toujours relative. Nommé « what become a legend most » , son
rythme de valse pop rappelle « street hassle », la grâce poétique ayant
remplacé la violente noirceur de son ancien classique.
La fascination morbide de l’animal rock n roll n’est
jamais loin, et trouve encore une expression vibrante sur « fly to the sun ».
La mort ? Il la décrit comme un moyen de fuir la souffrance, affirmant qu’il
ne fuirait « ni devant la bombe ni devant l’holocauste », pour « voler
jusqu’au soleil ». La mélodie est encore une fois superbe, avec cette voix,
qui parle comme celle qui semble vous raconter une histoire, quand vous vous
plongez dans un grand roman.
Dans le roman Reedien , le rock n roll n’est jamais loin
, comme ses grands espaces chers à Kerouac. « my friends John »
est d’ailleurs le second meilleur rock du disque (juste après I love you
suzanne), porté par un beat implacable.
Loin du junkie qu’il fut, high on the city montre un
Reed apaisé , à la recherche de plaisirs sains, le tout sur une mélodie désuète,
ouvrant la voie à la légèreté entrainante de « down at the arcade ».
Ce rêvant en héros de jeu vidéo, Lou achève le disque comme il a commencé, par
un rock n roll donnant la fessée à tous ses contemporains.
Aujourd’hui , ceux qui n’ont pas oublié ce disque le
regarde de haut , lui reprochant de resservir la même formule sous un vernis eighties. Mais c’est justement la grandeur de ce disque et, alors que le rap et
l’électro commence à balancer leurs soupes fades , alors que le heavy metal enchaîne
les notes à une vitesse maladive , laissant le groove mourir sous ses
mitraillages abrutissant , Reed rappelle que le rock est avant tout une affaire
de swing.
mercredi 18 décembre 2019
Lou Reed : Take No Prisonner
Dans une sombre salle new yorkaise, un craquement d’allumette
perce dans le silence , comme la lumière au milieu des ténèbres. Détendu comme
jamais, plus prétentieux que dans ses heures les plus glorieuses , Lou Reed
sait qu’il a atteint le sommet de sa carrière. Ce soir-là , le public lui est
acquis d’avance, et les rares personnes conscientes qu’il représente désormais
le rock n roll sont réunies, comme si New York attendait le héros qui l’a si
bien dépeinte.
« Excusez-nous du retard nous étions en train de
nous accorder ».
Dès cette phrase, le public lui répond par une ovation chaleureuse,
un spectateur lui lançant cette ordre féroce « Take no prisonner Lou Reed ».
Et il commence par lancer une pique à Patti Smith, dont
le dernier album vient de sortir « It’s not radio Ethiopia , it’s radio
brooklin ! », avant de partir sur un sweet jane de plus de six
minutes , prétexte à quelques digressions pleines d’auto dérision.
I wanna be black part ensuite dans un free jazz fascinant
rappelant ce que Lou Reed déclarait à l’époque : « si tu ne sais
jouer ni le rock , ni le jazz, alors mélange les deux ! ». Malgré
cette touche d’humour ce passage est impressionnant de virtuosité, une fête
spectaculaire réinventant la notion d’orchestre rock. L’orchestre de Lou Reed
est plus rock que celui de Zappa, moins théâtral que celui de Springsteen, c’est
la chaleur du jazz copulant avec la puissance du pure rock n roll.
Derrière lui, le groupe chauffe comme l’autel d’une
célébration païenne, et donne la plus puissante version de satellite of love
jamais enregistrée. Portée par des chœurs fervents, et des cuivres chaleureux,
cette version transcende la beauté glam de l’original et , quand la guitare
succède à l’orchestre le temps d’un solo déchirant, on assiste véritablement à
l’assassinat de la suffisance glam. Présent dans le public, Springsteen a du apprécier cette version grandiloquente, qui n’est pas sans rappeler le charme théâtral de ses shows.
Chef d’œuvre du Velvet , « pale blue eyes » n’égale
pas la force de la version contenue dans live 1969, mais les chœurs font encore
des merveilles, sur ce qui restera un des meilleurs titres écrit par le poète
de New York.
Si vous voulez un chef d’œuvre, jetez-vous sur cette
version extraordinaire de Berlin. Ce qui, sur disque, était une introduction au
disque le plus magnifiquement déprimant que le rock ait porté, devient ici un
véritable requiem rock, une symphonie sombre débouchant sur une série de points d’orgues lumineux.
Après s’être laissé aller à la sensibilité sur les trois précédents
titres, Lou durcit de nouveau le ton, transformant « waiting for the man »
en blues incroyablement tendu. Comme au début du concert, Lou joue avec le public,
crachant sur les idoles de cette nouvelle génération (Patti en a pris pour son
grade en début de concert) , et improvisant des discours farfelus au milieu d’impros
qui étirent ses rythmes, comme Sergio Leone étire ses scènes.
Et puis, enfin, le break rythmique de waiting for my man
laisse place à une guitare suivant les cuivres dans un blues urbain et
menaçant, entrant ainsi dans un « temporary thing » qui porte
merveilleusement son nom. Boogie en deux accords, monument de feeling à une
époque où le rock semble le renier, ce titre est un magnifique pied de nez aux
surexcités à crête qui prétendent perpétuer le message de Lou.
Contrairement à ce qu’annonce sa pochette, ce disque n’est
pas punk, Lou est bien trop fin pour balancer les mêmes braillements niais. D’ailleurs,
la seconde partie du live creuse un sillon classieux bien éloigné des glaviots
de la bande à Rotten.
Et le voilà reparti dans ses sensibleries , partant dans
une version de cosney island babie capable d’hérisser le poil du skinhead le
plus endurci. Ce qui était une ballade introspective et philosophique devient une
catharsis fiévreuse, un crescendo vibrant porté par la chaleur des cuivres, et la
puissance de ses chœurs gospels.
Après le poète , l’animal rock n roll ne tarde pas à
refaire surface , introduisant « street hassle » par un solo plein de larsen, avant de lancer ironiquement « c’est comme ça que metal machine
music est né ». Lou Reed tient là le meilleur groupe de sa vie, le seul
capable de balancer un titre comme street hassle en live, avec autant de
justesse et de puissance.
La valse se fait encore plus solennelle, plantant cette
histoire glauque dans un décor solennel et fascinant. Avec Reed, la beauté et
la violence s’enchaînent, comme les scènes d’un film qui ne peut que mal finir,
et la guitare perce la mélodie comme le prêche annonçant la catastrophe. C’est
que la figure de Reed a toujours eu quelque chose de christique, et l’humour
contenu dans certains de ses monologues a surtout pour effet d’accentuer des
envolées, qui réussissent toujours à prendre l’auditeur par surprise.
On regrettera juste que Bruce ne soit pas monté sur scène
pour lancer sa déclamation , mais le riff final achève cette fresque de
manière grandiose. La longue jam de « walk on the wild side » lui
donne ensuite l’occasion de régler ses compte avec son passé , d’exprimer son
regret d’avoir mis fin au Velvet , tout en interdisant à son groupe de mettre
la moindre émotion dans son plus grand classique.
Ce satelite of love, il le veut froid, distant, comme
pour mettre fin à une époque où il n’était pas réellement lui-même. Est-ce parce
qu’il sait qu’un tel succès peut le tuer ? Est-ce pour affirmer une
liberté à laquelle il tient plus que tout ? Où faut-il y voir un autre
rejet de la production que Bowie lui a réservé ?
Ce qui est un des plus grands classiques du rock, il le
dépeint comme un bon morceau issu « d’un bouquin stupide sur des
infirmes », avant d’envoyer cette délicate attention à ceux qui lui ont
donné l’inspiration « Allez-vous pendre les mecs ». On l’a déjà dit,
avec Reed la violence et l’agressivité ne sont jamais loin, mais il est le seul
à lancer son fiel avec autant de classe.
La violence de Reed est fascinante comme pouvait l’être
celle de Lenny Bruce, c’est le cri de révolte du poète au milieu d’un monde de
fous. Et, si le public prend ses insultes avec reconnaissance , c’est parce
qu’il a conscience , comme le disait Dustin Hoffman dans le biopic consacré à
Lenny Bruce , « d’avoir besoin de ce genre de fous ».
Comédie subversive, concerto rock, poésie décadente, « take
no prisonner » est tout cela est bien plus encore. C’est le plus grand
live de celui qui voulait être « le Dostoïevski du rock ». Et quand « leave
me alone » clôt la céremonie sur une fureur proto metal asphyxiante, elle
laisse l’auditeur assommé par une œuvre unique , une réinvention vibrante de ce que
doit être un live rock.
samedi 12 octobre 2019
Lou Reed : Rock N Roll Animal
Il y’a peu , avant d’écrire cette chronique , je lisais l’ « Œuvre »
d’Emile Zola , m’étonnant de trouver chez son peintre maudit des préoccupations
partagées par les grands artistes rejetés du rock. Transformez ce peintre en
rocker , imaginez que l’œuvre qu’il construit n’est autre que Berlin , et vous
découvrez le calvaire vécu par Lou Reed en 1973.
Sa grande œuvre , à jamais incomprise, n’obtiendra pas le
rang si mérité de sgt pepper des seventies, et le chanteur se cache désormais
derrière son personnage de Dandy décadent. Il avait compris que le public,
obnubilé par les digressions instrumentales du hard rock et du prog, n’était
pas encore prêt à subir ses histoires sordides sur fond de mélodies
voluptueuses.
En 1973 , les dieux de la pop se nomment Black Sabbath ,
Led Zeppelin , et Deep Purple , et il fallait jouer aussi fort qu’eux pour se
faire entendre. Lou va leur donner ce qu’ils veulent, après avoir promu Dick
Wagner et Steve Hunter au rang de héro hard glam. Aminci par la drogue , le
chanteur ressemble à un mix entre un personnage de Burroughs et Ziggy Stardust.
Son image marque ainsi une génération vouée au culte de l’artificiel
et du narcissisme. Andy Warhol avait prouvé qu’une boite de conserve pouvait
être une œuvre d’art, Lou allait beaucoup plus loin en annonçant que tout le
monde pouvait l’être.
Une horde de jeunes imiterait bientôt ce style
outrageant, profitant de son insouciance avant que « le Dandy ne meure
sous les coups de boutoir du réel », comme disait ce cher Eudeline.
Backstage , Lou n’est qu’un junkie pathétique , et il n’est pas rare de voir
ses deux guitaristes le porter jusqu’à la scène. Là, la lumière des projecteurs
agit comme la foudre sur le corps de ce frankenshtein rock , qui se voit
soudain doté d’une aura impressionnante.
Columbia lui ayant forcé la main, afin de rattraper le naufrage
de Berlin, Reed réduira ce live à un énième bourbier heavy rock. Au-delà du
fait qu’aucun enfant de Led Zeppelin n’a su écrire des rimes aussi évocatrices
que celles d’heroin , le jeu de ses deux émissaires est bien plus fin que celui
des Iommi , Blackmore, et autres tacherons chevelus.
Pour ouvrir rock n roll animal , Steve Hunter compose une
longue introduction instrumentale , sorte de boogie mécanique ouvrant la voie à
un sweet jane métamorphosé. Dick Wagner offre une leçon de retenue aux hard rockers,
leur réapprenant le gout du riff carré, du solo qui ne se perd pas dans des digressions
interminables.
Entre leurs mains , le chaos froid de « white light
white heat » devient un brûlot fédérateur , où la guitare slide vient
défier Duane Allman pendant quelques précieuses secondes. Issu de loaded ,
« rock n roll » n’a jamais si bien porté son nom , ses solos
étincelants s’apparentant aux exploits classieux de Mick Ronson. Et puis il y’a
heroin , froide observation des émotions successives d’un junkie, transformé
ici en péplum rock.
Les stones avaient suivi cette voie provocatrice avec
sister morphine , et il était temps que le poète de New York reprenne son trône
de roi décadent. Cette version est un grand blues industriel, les solos
déchirant la mélodie comme autant de transes narcotiques.
Comble de l’ironie, « lady day » voit tout le
public communier devant la pièce maitresse d’un grand disque qu’elle a
massivement rejeté. Et c’est là que se trouve justement le génie de rock n roll
animal. Lou Reed s’y approprie le son de son époque pour imposer ses récits
sombres.
Bien sûr, le disque sera un succès, un des rares albums
où les ambitions commerciales et artistiques sont réconciliées. Lou Reed a beau
avoir les même préoccupations, son histoire s’achève mieux que celle de Claude
Lantier*.
·
Le peintre- Zola
mardi 10 septembre 2019
Lou Reed : New York
New York , Babylone du 21e siècle , Byzance
des privilégiés et enfer des sans grades. Ton seul véritable mérite aura été d’inspirer
la prose d’un des plus grands poètes américains.
Pour bien te comprendre,
et voir à quel point tes moeurs hypocrites sont en train de contaminer le monde
, il faudrait d’abord relire « le bûcher des vanités » , chef d’œuvre
littéraire d’un ancien journaliste qui a si bien décrit tes contradictions.
On y découvrait alors, caché sous la grandeur de tes gratte-ciels tapageurs , une ville pourrie par les conflits raciaux , dirigée par une
bande de cochons de wall street érigés au rang de maître d’un monde malade. Si
Lou Reed a commencé par diriger ses
sarcasmes contre la niaiserie hippie, c’est toujours tes décors rances qui lui
inspirèrent ses récits de dealers et de déviances sado maso.
Tu me diras que tu ne fus pas la première, que la
grandeur des villes symboliques n’a toujours bénéficié qu’à une poignée de privilégiée , laissant les autres trimer pour survivre , tout en remerciant leurs geôliers
de la chance qu’ils leur offraient. Napoléon III , Thatcher, Reagan , ces gens
faisaient partie de la même race d’affameurs, la modernité ayant rendu la
barbarie plus aseptisée, sans la rendre plus supportable aux damnés de ta terre
que l’on dit ultra moderne.
Pourtant , j’écris ces lignes pour te remercier , car tu
as ressuscité la verve de ton enfant terrible. On croyait Lou Reed fini, perdu entre sa rébellion suicidaire et ce besoin de reconnaissance à jamais blessé
par le bide du grandiose Berlin. Et puis la mort des eighties lui fit
redécouvrir le rock dépouillé dont il fut toujours l’égérie, alors que tes
moeurs hypocrites ressuscitaient sa verve.
Sous sa plume , Romeo and juliette devient une fable sur la
vie que tu réserves aux habitants de quartiers portoricains transformés en ghetto.
« Je mettrai Manhattan dans un sac poubelle avec ces mots écrit en latin :
Difficile d’en avoir quelque chose à foutre aujourd’hui ».
J’aurais encore un petit faible pour « Dirty blvd »
, qui décrit ton monde inégalitaire à travers les yeux d’un jeune pauvre qui,
de sa fenêtre, voit les stars de cinéma arriver en ville, pendant que « les
ruelles sordides sont toujours plongées dans le noir ». Car dans l’immeuble
sans vitres où vit Pedro, « personne ne rêve de devenir docteur » .
Dans son « sale boulevard » , on a plutôt tendance à devenir dealer,
mais ne croit pas que ce récit pathétique est livré avec les larmes du bon
musicien compatissant.
Ces pavés verbaux , où Reed préfère souvent parler que
chanter , sont lancés sur un ton sarcastique, ton monde brûle et Lou Reed danse
au milieu de la fournaise. La musique n’est pas en reste , les riffs claquent
comme aux grandes heures du rock , et une énergie révolutionnaire se dégage de
ses mélodies flamboyantes. Au bout du compte , Reed sera toujours le punk ultime
, ce qui est venu après n’est qu’un frelaté de sa grandeur rebelle.
Même quand il parle de relations père fils , c’est toi qui
semble visé par la métaphore. Et quand il dit que les névroses du père se
transmettent souvent au fils , on ne peut s’empêcher de voir l’image de tes
rejetons européens développant les mêmes tendances inégalitaires , la même
violence , et les mêmes tensions ethniques. La conclusion est plus terre à terre
quand le narrateur lâche « En fait ils sont plus heureux quand ils souffrent.
En fait c’est pour ça qu’ils sont mariés ». C’est tout de même ta poésie
beat qui influence ce qui restera la plus belle mélodie de Reed depuis des
années, mais ce sera le seul compliment que tu obtiendras dans cette chronique.
Ah si , tu as quand même réussi à provoquer la réunion de
deux ex Velvet , qui crachent à la figure de ta bigoterie, à travers le récit abracadabrantesque
de the great américain whale. Dans le couloir de la mort , un indien ayant tué
un maire raciste attend sa dernière heure. Pendant ce temps, sa tribu initie
un rite ancestral et parvient à invoquer les esprits, qui envoient une baleine
géante purifier la saloperie New Yorkaise. C’était sans compter sur la puissance
de ta méprisable NRA , qui explose la fiole du cétacé à grand coup de bazooka.
Inutile de préciser quelles dérives le récit pointe du
doigt …
Tu finis même par lui inspiré une vision sarcastique de
la parenté, qu’il résume parfaitement dans ces vers :
« ça serait cool d’avoir un petit enfant à qui filer
des coups de pied au cul .
Une petite miniature à remplir de mes pensées.
Un petit moi , un petit gars ou une petite nana à qui
refiler mes rêves.
Histoire de dire que la vie n’est pas du gâchis. »
Voilà une profession de foi contre la reproduction
pleine d’humour, et qui serait peut-être la seule solution pour ralentir l’inexorable
avancée de ta bêtise. En fin de compte, l’acte le plus rebelle qu’on puisse
envisager face à un monde malade est de ne pas se reproduire, on condamne ainsi
symboliquement ce bourbier à la mort.
Lou Reed continue son œuvre sur une note d’optimisme. « busload
of faith » nous invitant à ne croire personne, il faut remplacé la foi en
l’homme par une foi supérieure. Selon ses propres dires , chacun est libre d’y
ajouter la sienne.
Puis vient une nouvelle suite de récits décadents ou « on
ne vend plus de choux parce qu’ils ont retrouvé des seringues dedans ». Livré
sur un air country western sur « hold on » , ces histoires renouent
avec une verve crue qui rappelle le tranchant du premier velvet. Aujourd’hui on
se rend compte que le bon salarié du tertiaire a parfois tendance à se piquer
pour supporter la platitude de son existence. Tu vois grosse pomme, tu rodes
encore entre ces vers.
Passons ensuite à une catégorie qu’on ne se lasse pas d’attaquer,
les politiciens étant rarement autre chose que de nouveaux curés ayant remplacé
Jésus par Marx ou Maurras. Et ça les mène parfois à commettre les pires
horreurs , comme ce cher Mr Waldheim qui se vit rappeler son passé nazi. Le
récit de sa déchéance dans « Good
evening mr Waldheim » pourrait presque passer pour une version musicale de
« les dieux ont soif », livre où Anatole France montrait déjà que si
l’idéologie devenait un dogme, elle ne pouvait mener qu’au massacre.
De politique, il en est encore question sur les titres
suivant, Reed en profitant pour dédier une mélodie à des vétérans vietnamiens
qui resteront les pires victimes de l’injustice américaine. Le système libéral si bien représenté par tes « maîtres du monde* » de wall street en
prend encore un coup, Lou Reed faisant une nouvelle fois remarquer l’évidence :
Comment une minorité privilégiée peut-elle encore se gaver sur le dos d’une masse
de miséreux.
La conclusion quitte tes déviances new yorkaise, pour
reprendre à son compte la morale rédemptrice de « la passion du christ ».
L’ex martyr punk a mûri , et annonce cette nouvelle maturité dans un final
aussi majestueux que mystique. La musique est magnifique, le texte plein de
regrets et d’humilité . En fin de compte la seule chose que tu partages avec celui
que tu as inspiré sur ce disque qui porte ton nom , c’est une philosophie
contradictoire.
*Tom Wolf :le bûcher des vanités
jeudi 2 mai 2019
Lou Reed : Metal Machine Music (1975)
Alors oui j'aurais pu choisir Berlin, Transformer, un des deux Lives, Coney Island Baby ou d'autres grands disques du Lou. Mais mon choix s'est arrêté sur Metal Machine Music. Mais revenons en 67. Cette année-là, Lou et ses potes du Velvet Underground ont révolutionné le rock avec leur premier album. Après le départ de John Cale à la suite du deuxième album, Lou reste encore les deux albums suivants du Velvet. A l'été 70, Lou quitte le groupe car il n'est pas satisfait de Loaded le 4 ° album du groupe qui aurait été modifié sans son consentement par son manager. Il se retire chez ses parents et arrête la musique.
Revenu en 72 il sort un album qui porte son nom mais ne rencontre pas de succès, avant que Bowie dont il est une des idoles, ne lui produisent Transformer qui lui assure le succès. En 73, Berlin suivra, l'album est très sombre et déconcerte les fans. Lou à cette époque consomme tout ce qu'il trouve, ses concerts sont souvent épiques, son look devient glam, il se teint les cheveux en blond. Un Live nommé "Rock'n'roll animal" sort dans les bacs en 74, sa suite intitulé Lou Reed Live sortira en 75. Entre les deux, Sally Can't Dance le nouvel album studio de Reed rencontre un gros succès et pour surfer sur ce succès, RCA demande à Reed un nouvel album le plus vite possible. Lou fatigué des pressions de sa maison de disques, leur donnera à écouter Metal Machine Music.
Et là, c'est le choc, MMM c'est une heure de feedback de guitares enregistré a différentes vitesses (entre autres choses : on y trouve aussi des morceaux d'autres oeuvres mises ensemble) par Lou Reed. Aucune chanson, rien d'exploitable. un suicide commercial pensé par Lou Reed. Un album dont Lou était très fier. Un disque dont l'arrêt automatique était impossible avec un sillon en fin de face 4 (car c'est un double) qui ne termine jamais.
L'album va se faire incendier comme jamais dans l'histoire de la musique avant lui probablement, les critiques sont unanimes pour dire que c'est un des pires albums jamais enregistré, Rolling Stone l'élit plus mauvais disque de l'année, le public crie au scandale, les gens ramènent même l'album au magasin. Au bout d'un mois, les disquaires refusent de vendre le disque, il sera retiré du catalogue de RCA pendant 25 ans.
Lou lui en à rien à foutre en déclarant que ce disque est son chef d'oeuvre, qu'il a mis 6 ans à le faire.
Il déclare même à propos du disque et de son public :
" Ce disque aurait pu coûter 78 dollars 99 ! Si les gens trouvent que c'est une arnaque, ouais, hé bien, je les arnaquerai encore. Je ne vais m'excuser devant personne! On devrait me remercier d'avoir sorti ce putain de truc, et s'ils n'aiment pas, ils n'ont qu'a aller bouffer de la merde de rat"
Et il ajoute " C'était un énorme Fuck You. J'ai sorti ce disque pour me débarasser de tous ces trous du cul qui viennent à mes concerts et qui braillent Vicious et Walk on the Wild Side"
Le résultat escompté ne ce fait pas attendre mais Lou part en tournée en Australie, sous speed incapable de tenir debout; il est incapable d'assurer ses concerts. Le groupe joue quand même avec Doug Yule. Lou s'enerve vire tout le monde et rentre aux USA. RCA lui demande 600 000 dollars et ne veut plus le produire. Ruiné, Lou est au fond du trou. Après avoir assuré a RCA que le prochain album sera un disque "normal" il obtient de l'argent.
MMM est un disque aujourd'hui reconnu comme l'une des influences de la musique noise et l'un des disques fondateurs de la musique industrielle, ouvrant la porte a de nombreux artistes des décennies suivantes. Lou quelques années plus tard montera un trio expérimental et bruitiste nommé Metal Machine Trio. Histoire de boucler la boucle
dimanche 13 janvier 2019
[CHRONIQUE] Lou Reed - Berlin (1972)
Bercée par les poètes de la Beat Generation, Lou Reed est
un personnage paumé dont l’histoire aurait pu être racontée dans les recueils
les plus sombres de William S. Burroughs. Il y a d’abord eu le Velvet Underground, groupe
anachronique venu raconter ses contes déviants en pleine période hippie. L’aide
de Warhol ne pourra empêcher le naufrage annoncé, et le premier disque du groupe
glisse dans les méandres des bacs à soldes. Malgré l’insistance de Warhol, ce n’est
pas la voix de mannequin dépressif de Nico qui aidera le groupe à sortir de la
dèche. Pire, Lou Reed fait tout son possible pour se débarrasser de cette potiche de luxe,
imposée par l’artiste/producteur pour combler le « manque de charisme des musiciens ».
On soulignera juste que, avec le fameux album à la
banane, l’ancienne mannequin aura au moins participé à la production d’un
classique, avant d’enregistrer une série
d’étrons ampoulés. Sans elle, le Velvet pouvait se cantonner à ce qu’il
faisait le mieux, un Rock primaire, sorte de Proto Punk rêche et violent. White Light, White Heat sera le symbole de ce virage, avant que Lou Reed ne ce
remette à composer de tendres mélodies Folk sur le trop oublié Velvet Underground. Mais le manque de
succès est source de tensions, et John Cale claque la porte du groupe, sans que
Lou Reed ne parvienne à en prendre le contrôle. Engagé pour le remplacer, Doug Yule prend rapidement l’ascendant
sur un Lou Reed exténué après une série de concerts américains, qui n’ont pas empêché
le groupe de se faire virer par Atlantic Records. Yule prend alors la main, et remplace
Reed au chant sur certains titres de Loaded. Le résultat commercial n’est pas
plus brillant que pour les albums précédents, et Lou Reed, à son tour, claque la porte.
Poussé vers la sortie par le groupe qu’il a lui-même fondé,
marginalisé par ses multiples échecs musicaux, Lou Reed n’en reste pas moins le
poète qui a annoncé le Punk dix ans à l’avance. Et , pendant qu’il galérait au
sein du Velvet, s’épuisant à chercher dans plusieurs villes le succès que New
York lui refusait, le premier album du groupe est tombé entre les mains d’un
certain David Bowie. Devenu une nouvelle icône du mouvement Glam', il a
toujours revendiqué l’influence de ce disque, et propose naturellement à son
idole de produire son prochain disque. La première fois, cette proposition lui
vaudra un coup de poing rageur, de la part d’un Reed pas encore prêt à entrer
dans le palmarès de celui qui brille au sommet de la pop anglaise.
Il finit tous de même par accepter, et les ventes de Transformer
lui permettent d’imposer à sa maison de disque un second projet ambitieux.
Désireux de se libérer de toute préoccupations commerciales, il grave un double
album d’une noirceur sans précédent, à telle point que ses producteurs l’obligent
à se limiter à un seul vinyle, pour ne pas couler la boutique. Reed accepte de
mauvaise grâce, limitant la durée de son œuvre sans perdre le fil conducteur qu’il
a imaginé.
Le disque démarre sur un brouhaha festif, une fête d’anniversaire
sans doute. Mais les tristes notes de pianos annoncent rapidement des
lendemains difficiles. Berlin est avant tous l’album le plus cynique de Lou
Reed, et le choix de la capitale allemande comme toile de fond n’est sans doute
pas un hasard. Symbole d’une Allemagne écartelée après la seconde guerre
mondiale, la capitale est aussi l’illustration d’un monde, qui suit l’évolution
des tensions entre américains et russes, comme si sa vie en dépendait. La guerre
franche, déclarée, et meurtrière des années 40 a fait place à une tension
permanente, à un conflit stratégique et à une guerre politique, pouvant à
chaque instant faire basculer le monde dans le chaos.
Et cette fois, sans cris de guerre, sans bombardement spectaculaire,
et sans tripes à l’air, il suffirait juste qu’un dirigeant paranoïaque appuie
sur un bouton, pour rayer des milliers d’hommes de la carte. Mais Lou Reed n’est
pas là pour rassurer une jeunesse vivant avec cette épée de Damoclès atomique
au dessus de la tête. Il va, au contraire, se servir de l’écartèlement tragique
de la ville allemande comme d’une métaphore de la situation de ses personnages.
Véritable drame Shakespearien en dix actes, Berlin est
une longue descente aux enfers, chuchotée d’une voix nasillarde par un Lou Reed
paraissant comme insensible. C’est un bourbier infernal, sans une once d’espoir à laquelle se raccrocher
et, même quand il s’éloigne un peu de son histoire tragique pour évoquer les « riches qui causant souvent la chutes des empires », et ces
pauvres « qui ne peuvent juste rien y faire », son désespoir de junkie
pathétique l’incite à en conclure... qu’il « s’en fout royalement ».
Même quant sont personnage principal raconte le suicide
de sa femme, qui ne supportait plus son enfer narcotique, c’est d’une voix
incroyablement neutre et sans émotion. Proche de l’Etranger de Camus, ce
personnage insensible ne fait qu’ajouter à la splendeur tragique de ces
mélodies sombres.
Berlin fait partie de ces œuvres qui vous marquent au fer
rouge, et finissent par vous suivre pour le restant de vos jours. Évidement, une
production aussi radicalement sombre ne pouvait que faire fuir le grand public,
un échec dont Lou Reed ne se remettra jamais réellement. Il venait pourtant de
produire son plus grand chef d’œuvre, sorte d’équivalent musical du Festin Nu de Burroughs.
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