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lundi 27 janvier 2020

Gov't mule : Dose




Le power trio est la base du rock , la formule qui lui permet d’atteindre la quintessence de son art . Si ses plus grands représentants, cream et l’experience de Hendrix, pouvaient se permettre de partir dans des expérimentations planantes ou jazzy, c’est parce que cette formule préservait cette force primaire qui fait le vrai rock n roll.

En 1999, gov’t mule est encore loin du raffinement élitiste qui fera le charme de sa seconde partie de carrière. Sorti quelques mois auparavant, son premiers album est un manifeste foudroyant , un pavé entrant dans la longue tradition du rock graisseux. Au centre de ce disque, leur reprise de « Mr Big » était leur « hey joe », une façon de saluer ses influences musicales, avant de tracer son propre sillon. Comme Lynyrd , gov’t mule est une réunion d’américains mordus de Free et autres fulgurances anglaises.

L’énergie qu’il développe sur son premier album a d’ailleurs autant de point commun avec ceux qui inventèrent un hard blues anglais , qu’avec le groove des rejetons des frères Allman. On pourrait même voir dans ce brûlot terreux l’aboutissement de ce que la bande à Van Zandt avait si bien représenté , avant de s’écraser dans un accident d’avion qui fût, pour les amateurs de boogie blues, ce que le service militaire d’Elvis fut pour les plus puristes. C’est-à-dire un traumatisme.

Mais ce serait faire l’impasse sur son petit frère « dose », où le groupe approfondit le sillon sulfureux qu’il a découvert. Ayant porté la jam au rang de source divine, le groupe de Warren Hayne continue d’y puiser la matière d’un groove secouant les racines de la musique du sud avec une certaine classe virile. L’esprit aventureux du Jazz dirige ainsi un vaisseau fou, lancé à cent à l’heure , sur une route parcourant les berges du missisipi . Le bolide est ici nourri par l’énergie issue du black country , terre natale de black sabbath, et théâtre des premiers exploits du duo Plant/ Bonham.

Ces improvisations sont autant de chemins tortueux, où le groupe forge son œuvre jusqu’à lui donner une force viscérale. Ils sont une bande de sculpteurs musicaux, recherchant à s’approprier l’art de leurs pygmalions. Ces instrumentaux sont leurs coups de burins passionnés, une matière faite de boucles hypnotiques, où le jazz devient l’opium du blues, la force électrique transformant le tout en lance transperçant les frontières qui séparent les sauvages à boucles blondes, les pionniers du blues spirituel, et les rednecks célestes.

Et ne venez pas me trouver là-dedans une énième répétition de ce que les frères allmans firent si bien quand skydog(Duane) les dirigeait de son doigté unique. Les allman n’auraient jamais lancé de tels assauts dignes de coups de canons sur les murs d’Alamo, leur purisme n’y aurait pas survécu.

Ecoutez « game face » , et sa batterie martelant avec une violence convoquant le fantôme de John Bonham, force qui oblige la guitare à rugir, pour imposer ses solos gras et lumineux. Ce titre est la représentation la plus pure de cette lourdeur délicieusement groovy , qui fait de cette musique un édredon sauvage, dans lequel peuvent se lover les amateurs d’une certaine classe burnée.

Sur les ballades comme raven black night , cette force entretient une pression fascinante. La centrale surchauffe et les explosions soniques sont grandioses. Hayne part d’ailleurs dans un solo s’apparentant à un lointain écho de ce que Gilmour développa lors de ses décollages cosmiques, sur un towerin fool en forme de blues céleste.

Puis tout le monde revient sur terre, et quitte à saluer ses racines autant brasser large. « John the revelator » est une danse voodoo que n’aurait pas reniée Dr John , un boogie poussièreux dans lequel les rythmes cajins saluent les esprits des natives americans, pendant que le spleen dansant vient rappeler ce vieil objet de fascination qu’est la musique afro américaine.

Des stones aux white stripes , les groupes les plus salués ne sont réellement devenus cultes que quand ils transcendèrent leurs influences. On reconnait un arbre à la solidité de ses racines, et à ce jeu-là , dose est peut être un des plus beaux fruits de l’arbre rock.

samedi 25 janvier 2020

THIN LIZZY : thunder and lightning (1983)

Formation
Phil Lynott : chant, basse
Scott Gorham : guitare
John Sykes : guitare
Brian Downey : batterie
Darren Wharton : claviers


Déjà à partir de Chinatown (1980) et de Renegade (1981) on avait pressenti un tournant ; Thin Lizzy en effet, avait commencé à laisser un peu de côté la facette blues rock de ses débuts pour un son plus hard rock des années 80.
Ce « Thunder and lightning » sorti en 1983, continue sur cette voie, dernier album studio du groupe, l'un des meilleurs aussi (avec Black Rose et Jailbreak, mais bien sur je mets de côté les deux excellents double live dont le magique « Live and dangerous »).
Avec l'arrivée de John Sykes (ex Tygers of Pan Tang et donc forcément estampillé NWOBHM), même si celui-ci ne compose qu'un titre le très bon «Cold sweat » , Thin Lizzy prend une direction plus agressive, plus heavy et plus métal qu'à l'accoutumé après les corrects « Chinatown «  et « Renegade » auxquels ils manquaient cependant une petite flamme, une petite étincelle de génie après le très bon « Black rose ».
« Thunder and lightning » (sans doute le titre le plus  « violent » enregistré par le groupe) et à un degré moindre « This is the one »(plus mélodique) donnent le ton, ici c'est l'énergie qui primera tout le long du disque sauf sur le magnifique petit bijou qu'est « Sun goes down » balade planante et majestueuse du meilleur effet qui donne l'impression d'avoir une parenté plus ou moins lointaine avec Riders on the storm des Doors.

« Holy war » avec ses effets de basse en intro et son clavier en toile de fond est également intéressant ainsi que les trois derniers morceaux qui finissent l'album notamment l'enchaînement  « Bad habits » et « Heart attack », plein de finesse dans le chant de Lynott et dans le refrain.
Peut-être manque t-il juste un titre phare comme « Angel of death » ou « Black rose » .
Mais rassurez vous il n'y a quasiment que des bons morceaux, Thin Lizzy montrant une fois de plus que l'équilibre parfait entre mélodie et énergie n'est pas une utopie et Lizzy est l'un des rares groupes a avoir trouvé la recette (écoutez par exemple « Baby please don't go » qui en est le parfait exemple) .
La paire de guitaristes Sykes / Gorham fait merveille...et toujours la superbe voix veloutée de Phil Lynott.

Quant à Wharton, qui fait désormais partie du groupe à part entière depuis Renegade, il ajoute sa pierre à l'édifice grâce à l'apport de son clavier (bien présent mais pas omniprésent), en parfaite osmose avec l'ambiance musicale du disque et trouve sa place avec bonheur. Si vous cherchez un album de hard référence pour l'utilisation des claviers / synthés alors ce Thunder and lighning est un prétendant crédible.
Après « Thunder and lightning » le groupe se séparera puis la mort de Lynott quelques temps après, triste fin, sonnera définitivement le glas, fermant le rideau à tout jamais, et cet album peut ainsi être considéré comme son dernier manifeste en quelque sorte, le testament d'un grand groupe, l'un des plus grands groupes de rock des années 1970 et 80.

lundi 20 janvier 2020

Pink Floyd : Animals



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«  Tous les animaux naissent égaux , mais certains sont plus égaux que d’autres. »
Voilà la phrase que l’on retiendra le plus d’Orwell , issue d’un livre s’en prenant violemment à l’obscurantisme bolchévique. Plus qu’aucun autre , Orwell avait vu que cette révolte, annoncée comme le tonnerre brisant les chaînes du prolétariat opprimé , n’était qu’une nouvelle forme d’oppression. Le constat était d’autant plus vibrant dans cette fable , qu’il était écrit par un homme profondément socialiste , qui a raconté son engagement face au fascisme dans « hommage à la Catalogne ».

Mais pourquoi parler d’Orwell dans une chronique de Pink Floyd ? Et bien tout simplement parce que , en 1977 , les cochons ont encore changé de camp. 1977, c’est la disgrâce de la perfide Albion, l’étouffement d’une jeunesse affolée par la baisse de la croissance, le chômage et l’inflation. L’époque n’est plus à la rêverie, l’introspection, où la sagesse, elle bascule dans le nihilisme libérateur des hordes punk.

Le floyd veut à tout prix éviter de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, ce qui le fossiliserait plus surement que le chômage humilie le prolétariat. Alors Roger Waters réadapte le processus d’Orwell , mais dirige sa critique vers ce capitalisme fou qui crée une hiérarchie absurde. Seule dose d’optimisme dans un album sombre comme une fumée d’usine, « pigs of the wings » décrit toutefois l’amour comme le seul moyen d’échapper au conformisme de cochons rivés sur leurs mangeoires consuméristes.  

Vient ensuite le tour des chiens , bras armé du pouvoir , dont le seul rôle est d’annihiler tout mouvement capable de libérer la masse bêlante des cochons qui la gouverne.  Les chiens , c’est aussi cette petite bourgeoisie vicieuse , cherchant une proie facile pour se hisser au niveau des cochons.  Le riff de Gilmour , allié à l’ambiance angoissante tissée par le synthé ,  illustre tout le danger que représente cette classe mesquine. On y découvre aussi une certaine empathie car , tôt ou tard , cette arrivisme les mènera à leur propre perte , et il leurs faudra se battre pour ne pas sombrer. Le riff de Gilmour sonne d’ailleurs comme le hurlement d’un chien aux abois.

Longue fresque rageuse , « dogs » ouvre la voie à ceux qui entretiennent cette comédie tragique qu’est le monde capitaliste, les cochons se gavant sur le dos d’une misère qu’ils entretiennent. Dans ces cochons, on discerne bien sûr l’image de l’actionnaire, l’œil rivé sur le cours de la bourse comme sur une idole pour laquelle il sacrifie des milliers de vies. Une autres cible apparaît , celle d’une dame « vieille peau qui aime la sensation du fer » et « prend son pied avec son flingue à la main ». Si l’intéressé ne l’a jamais confirmé , cette description semble dirigée contre Margaret Thatcher , alors fraîchement élue à la tête des conservateurs. Anti communiste primaire, la dame de fer célébrera un peu plus tard le début de son règne, en envoyant les policiers affronter les manifestants lors des fameuses émeutes de Brixton.

Pigs représente le sommet de cette antagonisme créateur, qui vit ses dernières heures sur animals , celui qui oppose l’intellectualisme de Waters et la préoccupation musicale de Gilmour. Fier de son concept , Waters se préoccupe peu de mélodies où la guitare de Gilmour se taille la part du lion. Autant que son chant particulièrement soigné , la guitare de Gilmour transpire d’une hargne désespérée, la colère de l’homme face à la connerie triomphante. Les riffs sont d’autant plus puissants sur pigs que leur rythme porte son riff en forme d’accusation péremptoire, dans une des mélodies les plus épurées du répertoire floydien. Si le synthé s’élève, ce n’est que pour pousser des lamentations qui sont autant de cris sortis de l’enfer des usines, alors que les cochons ponctus les riffs de leurs cris de monstres cupides.

Ce titre vaudra au groupe le surnom de « punk floyd » , les critiques ayant bien compris que cette œuvre fouillée était bien plus subversive que les braillements de n’importe quel damné à crête.

Mais Waters n’est pas aussi illuminé que Marx et , quand il en arrive à ses moutons soumis au pouvoir , il les traites avec la même hargne. « Vous devriez faire gaffe / Il y’a peut être des chiens dans le coin » leur lâche-t-il avec une ironie désespérée. Il sait que , autant que les cochons , les moutons sont responsables de leurs malheurs , qu’ils entretiennent via une apathie venimeuse.

Le peuple n’est pas prêt à se révolter, il est bien trop bien bâillonné par la violence des chiens, les sirènes consuméristes produites par les cochons, ou cet éternel opium du peuple que constitue les religions. Malgré la violence de ses textes, Sheep est un blues, dont le chant est d’autant plus désespéré que Waters reconnait qu’il fait un peu partie de ce lot.

Pigs on the wings part 2 conclut le tout sur une chanson d’amour , seul remède à ce monde devenu fou. Et , quand les dernières notes s’éteignent , on ne peut que constater que le meilleur album punk a été produit par leur pire ennemi.                                            


dimanche 19 janvier 2020

RAMMSTEIN (2019)

JUSTE UNE ALLUMETTE

Les hommes dansent dans les déjections et les poubelles sur le son de Rammstein
La puissante musique teutonique résonne poussé par le bruit des machines
Les usines avancent à marche forcée emportant les esclaves qui hurlent
"Ce que j'aime doit mourir, ce que j'aime doit mourir !"
Prisonniers et libres, hagards dans un système qui n’a plus de sens
Pour se sentir vivre, échapper aux souffrances il courent dans des tuyaux
Rampent dans la misère ou l'or pur puis blasé de toutes les choses qui les ferrent
Ils tendent leurs bouches vers le ciel et tentent de croquer des morceaux de Soleil
Les yeux gorgés d'un éclat éblouissant ruisselant de larmes amères
La fatigue apaisante jamais ne vient dans ce tourbillon insensé
Alors dans cet élan de puissance incontrôlé
Cette course vers le progrès de dieu image de l'homme
Où pas après pas ils précipitent une chute vers des abîmes de néant
Ils fracassent de leurs doigts crochus les pierres du monde
Ils tailladent la Terre de leurs pieds de plombs en forme de charrues
Ils arrachent tirant comme de beaux diables les arbres splendides
Ils boivent tous les océans pour les vomir vers les étoiles
Mangent, mangent et mangent sans faim pour grossir, tout plaisir oublié
La saveur n'existe pas coûte que coûte il faut se remplir
"Ce que j'aime doit mourir, ce que j'aime doit mourir !"
Les animaux gagnés par cette danse infernale sautent dans la bouche macabre
Ils sont broyés sans ménagement tripes et ossements engloutis rapidement
Pas même digérés ils sont chiés irrémédiablement
Et la danse reprend les pieds noircis de la bouillie du démon
Pour jouer ils lancent leurs doigts vers le ciel, balayent les nuages
Aspirent les éclairs et le vent pour les recracher en un souffle puissant
Le rire couvrant la musique, le rire énorme de l'ogre éclate comme un volcan...
Tout est balayé, plus de vie, les montagnes arasées,
Une triste platitude grisâtre et silencieuse où le regard s'ennuie.
Enfin rompus mais assoiffés ils s'enfoncent en creusant toujours plus profond
Pour boire un liquide sombre et nauséabond qui leur redonne une énergie démoniaque.
Des trous ainsi formés s'élèvent les noirs geysers issus du ventre du Monde
L'homme boit encore et se repait du liquide collant qui gicle en une ultime éjaculation
Jusqu'à salir le blanc des nuages, le bleu du ciel, la lumière du Soleil.
C'est la nuit totale, la solution finale...
"Ce que j'aime doit mourir, ce que j'aime doit mourir !"
Malade de cette triste orgie, un peu nauséeux et se trouvant seul
L'homme crache un petit bout de bois, seul reste de son repas
Son bout est rouge, gratté sur un ongle le feu jaillit,
La place est nette, il fallait juste une allumette !

Dass ich froh bin, darf nicht sein
Nein
Was ich liebe
Das wird verderben
Was ich liebe
Das muss sterben
Muss sterben
Auf Glück und Freude
Folgen Qualen
Für alles schöne
Muss man zahlen
Ja
Was ich liebe
Das wird verderben
Was ich liebe
Das muss auch sterben
Muss sterben
Was ich liebe

Philippe Katerine : Confessions

Philippe Katerine - Pochette de son album  Confessions , sorti le 8 novembre 2019.


IN NOMINE PATRIS ET FILI...BLA, BLA, BLA...


S'il y a bien un mec décalé pour taffer dans la Pop mais qui n'a ni la voix ni le profil de l'emploi, surtout avec une teub à la place du blair, c'est bien le sieur Katerine !
Pour son organe vocal d'aucuns doivent le trouver abominable avec cette couleur particulière un rien horripilante et bête, pour le physique on peut dire qu'il est aux antipodes du bellâtre vagissant de belles complaintes propres à emballer n'importe quelle gonzesse en mal de poésie à deux balles.
Oui mais... Le travail que ce soit pour la musique, les arrangements ou les textes auquel s'ajoute un soupçon de talent ça paye. Et puis Katerine ose tout sans complexe, il appelle un chat, un chat et bien sur une queue une bite et vice versa... Il ne s'effraie pas de sujets plus ou moins "tabou" plus ou moins "polémique". Il est un artiste et assume. A sa façon, il témoigne de son temps, de son environnement et il le fait bien. Les gays, la pornographie (arrête de mater You porn !), la stupidité stupide (arrête de lire Voici ou de regarder l'amour est dans le pré !), la mort et bien sur la vie ! On peut même, excusez du peu, sentir un parfum de Prévert dans ce jongle entre la réalité et l'absurde. Les bien pensants seront peut être choqués mais après tout ce ne sont que des mots et la sensibilité voire la douceur sont là, tapies sous le vernis iconoclaste.
Après un césar du meilleur second rôle en 2018 pour un film sans grand intérêt : le grand bain (5 millions d'entrées ça veut dire bon film, non ?), il est resté motivé pour pondre ce dixième album. On ne peut pas savoir s'il en avait envie et si tel était son but, en tout cas il secoue le cocotier, tape dans la fourmilière avec ses invités de marque plus ou moins prestigieux. Lomepal, Angèle, Chilly Gonzales, Camille, Dominique A, Oxmo Puccino, Léa Seydoux, et la voix si caractéristique de notre Gégé national. Au fait on ne sait plus s'il est français, russe ou turque notre bon, notre grand, notre immense, notre fou...Depardiou !
Katerine aussi est un peu dingue mais un dingue sensé (c'est possible ?), un amuseur léger et adoptant la posture du bouffon il nous fait sourire sur des sujets graves (88%, le Blond et surtout Aimez-moi).
Voilà, après trente ans de carrière plus ou moins brillante il était vraiment temps de se confesser mais l'abbé ne sera certainement pas satisfait de cette prose anticonformiste moderne que l'église refuse d'entendre. Le Monde évolue, les hommes changent et un artiste se doit de suivre au plus près ces modifications dont il est lui même un maillon descriptif. A ce titre le pari est réussi et si le curé ou le pape (y a que le chapeau qui change) ne lui donne pas l'absolution il pourra toujours lui rire au nez comme il rit de son époque et lui dire qu'il s'en fout !

samedi 18 janvier 2020

Pink Floyd : Wish You Were Here


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Nous sommes en 1975, lessivé par l’exploit que constitue « dark side of the moon », le floyd cherche un second souffle.  L’idée viendra encore de Waters, qui souhaite articuler le nouvel album autour de shine on you crazy diamond, son long poème, sur lequel Gilmour a plaqué son riff stellaire. « wish you were here » sera donc un disque sur l’absence, emballé par une pochette culte signée hignosis.

Alors qu’ils sont en plein travail au studio abbey road , les musiciens reçoivent la visite d’un homme chauve et bedonnant , qui attire leur attention sans qu’ils comprennent immédiatement pourquoi. C’est Roger Waters qui le reconnaîtra le premier, fondant en larmes lorsqu’il comprit que ce qu’il avait devant lui était le corps, et l’esprit, d’un Syd Barrett arrivé au terme de sa déchéance.

Bien que présent sur une courte période, Barett a toujours guidé la musique du floyd , une série d’images honorant la mémoire de ce génie détruit. Après avoir été  «  le fou dans l’herbe » de dark side of the moon » , le voilà transformé en diamant fou , symbole de l’insouciance perdue.

Wish you were here est un disque nostalgique, qui délivre un message universel à partir de l’histoire tragique de son ex leader. Quand, en introduction de shine on , Gilmour chante « remember when you were young , you shine like the sun » , il semble dresser un miroir à travers lequel chacun peut projeter son propre âge d’or. Sa guitare, lyre céleste lançant des homélies mélodiques, devient alors le réceptacle de toutes les joies perdues.

Cette fresque emmène l’auditeur vers des sommets réconfortant, chaque étape du titre s’apparentant au décompte sensé envoyer notre esprit sur orbite. Le clavier prend d’abord le temps de poser le décor, ses ambiances entourent l’auditeur comme une épais nuage blanc. Arrivent ensuite les quatre notes célestes de Gilmour, grand requiem annonçant l’évocation de Syd Barett. Un long instrumental laisse ensuite l’esprit de l’auditeur calquer ses propres souvenirs sur sa mélodie, le chant arrive alors comme une apothéose spirituelle, bientôt clôturé par un saxophone majestueux.  

Quelques minutes plus tard, le Floyd semble quitter Barett, pour laisser Roger Waters déverser son fiel contre l’industrie du disque. Mais, si le blues robotique de « welcome to the machine » est si violent envers ce musique business qui vient juste de rendre le floyd riche , c’est parce qu’il pense que la pression qu’il impose a poussé son ex leader vers la folie. Sur le même thème, « have a cigar » part dans un registre plus léger, Roy Harper balançant son funk irrésistible en haut du nuage délirant que tisse le Floyd.

C’est que le titre n’est qu’une petite récréation avant le véritable chef d’œuvre du disque, son merveilleux morceau titre. Il permet à Waters d’exprimer une nouvelle fois ses troubles, cette confrontation entre son « mauvais côté » arriviste, et son coté altruiste « lumineux », pour en arriver à la conclusion que le premier l’emporte le plus souvent sur le second. Encore une fois, la musique n’impose pas cette interprétation. L’auditeur est libre, lorsque gilmour chante 

«How I wish, how I wish you were here
We're just two lost souls
Swimming in a fish bowl
Year after year »

de calquer sur son texte le visage de celui qui a emporté avec lui une époque merveilleuse, qui ne reviendra plus. Country cosmique, le titre célèbre encore une fois le feeling majestueux de Gilmour , dont le riff acoustique débouche sur un solo hypnotique , la tradition country cohabitant avec la rêverie psychédélique dans une mélodie sortie de l’éden.  

Après cette apothéose, la seconde partie de Shine on you crazy diamond clos le bal sur un riff strident, ouvrant la voie à un solo rageur.  C’est un véritable cri de révolte face au cynisme du destin, qui est parfaitement résumé à travers le message d’espoir que dispense Roger Waters « Et nous nous réjouirons dans l’ombre du triomphe d’hier ». En écrivant un grand hommage à celui qui continue de marquer son histoire (Barett), Le floyd a produit une des plus belles odes à l’espoir de la musique pop.  



jeudi 16 janvier 2020

David Bowie : Welcome to the blackout live in london 78


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Elle parait déjà loin cette époque où , grimé en Alien bisexuel , Bowie récupérait la mise avec une formule initiée par son ami Marc Bolan. Ziggy Stardust était alors le rock dans ce qu’il avait de plus sulfureux, viscéral, mais aussi classieux. Sa voix, Bowie l’avait travaillée en s’inspirant de Brel , dont il reprenait « la mort » à chaque concert.

Ziggy était une hydre musicale magnifique, un personnage fascinant né de la curiosité sans fin de son géniteur. Avec lui, l’artiste devenait lui aussi une œuvre, reprenant l’adage de Warhol selon lequel n’importe quoi pouvait être considéré comme de l’art.

Et pourtant, quand le maître a crucifié sa créature sur la scène de l’Hammersmith Odeon , beaucoup pensèrent qu’il tuait aussi sa carrière. L’homme lui-même n’était pas encore bien sûr de lui, et annonçait timidement son virage groovie sur un « diamond dogs » encore très marqué par le fantôme de son alien glam.

Si les deux albums suivant sont aussi sous-estimés , c’est avant tout parce que le maître lui-même minimisait son œuvre, parlant de plastic soul par respect pour ceux qui inspirèrent le groove de « young americains » et « station to station ». Un nouveau personnage naissait avec ces disques , le Thin White Duke , dandy émacié chargé de prêcher la bonne parole soul.

Mais surtout, station to station montrait déjà une envie de se diriger vers des terrains moins balisés, désir magnifiquement illustré par la fresque urbaine qui ouvre le disque. Perdu dans une paranoïa nourri à grand coups de coke, Bowie a immortalisé son enfer sur « l’homme qui venait d’ailleurs » , film qui fait plus figure de document biographique que de véritable chef d’œuvre du septième art.

Il trouve alors refuge dans le rock expérimental allemand, can , neuh , et autres tangerine dream développant une musique délirante et robotique, qui ressemble à la bande son de son enfer psychologique.   

Véritable éponge musicale, il s’imprègne rapidement de cette fascinante avant-garde, et la restitue sur deux disques incontournables. Cet homme, devenu rachitique, et développant un charisme fait de sons futuristes, était le prophète venu populariser la musique du futur. 

Car Bowie ne s’était pas contenté de copier l’ambiguïté un peu snob de ses modèles allemands, il s’en était nourri pour créer une nouvelle pop.  Voilà pourquoi, plus que n’importe lesquels, les concerts de cette époque bénie sont des monuments historiques.

Dans cette salle londonienne, en 1978, Bowie célébrait le Zénith de sa nouvelle incarnation , annonçant d’entrée la couleur via un warsawa en forme de prière spatiale. Puis vient « heroes » , sommet de la trilogie berlinoise , ode romantique qui permet à Bowie de faire un tube issu d’une musique profondément underground. On ne m’enlèvera pas de l’idée que « beauty and the beast » , dont le riff délirant partage la scène avec un synthé, qu’on jurerait venu d’une des lointaines planètes dépeintes par K Dick et Asimov , est bien plus aventureux .

C’est un nouveau rock qui naît à travers ce riff chromé, une fraîcheur futuriste que les tacherons de la pop/new wave ne feront que parodier. On a beaucoup parlé de cette reprise d’ « alabama song » , blues viscéral des doors, issue d’un disque qui donna au psychédélisme ses lettres de noblesse. Cette version montre la différence entre le dévot, paralysé par l’admiration qu’il voue à ses idoles, et un créateur tel que Bowie.

Sa vision de l’hommage est plus créative, il plie ses influences à sa volonté pour produire une matière unique. Ainsi, « alabama song » peut entrer dans sa grande célébration futuriste à grands coups de synthétiseurs dansants sur son rythme aviné.
Et puis le dandy n’a jamais aussi bien chanté, ses prestations sur suffragette city , five years , ou soul  love figurant parmi les meilleurs de sa carrière. Quant à sa « plastic soul » , elle mérite désormais magnifiquement son nom , ses arrangements se fondant dans une matière que Bowie est encore le seul à maîtriser.

Si ce live, comme tous les concerts issus de cette tournée, est incontournable, c’est parce qu’il prolonge l’écho de deux disques (heroes et low) , qui n’ont pas d’égal dans la pop anglaise. C’est le sommet d’un héritage qui ne fera que se liquéfier dans les années 80, mais Bowie sera déjà passé à autre chose.