Rubriques

jeudi 27 mai 2021

transatlantic : bridge accross forever

 


« Le violon est le roi du chant. Il a tous les tons et une portée immense : de la joie à la douleur, de l’ivresse à la méditation : l’espace du sentiment. » Cette citation d’André Suarez résume bien ce que l’auditeur retrouve avec joie sur ce second album  de Transatlantic. Privé de la chaleur maternelle des instruments traditionnels, le rock progressif est comme un chien abandonné sur le bord de la route. La chaleur boisée d’un violon permet aux rockers de côtoyer les génies de la renaissance, Mozart cotoie la musique classique du vingt et unième siècle, alors que les cuivres convoquent la majesté du jazz dans la volupté de longues envolées épiques. Les violons n’ont besoin que de quelques secondes pour planter le décor de la première symphonie de bridge accross forever.

Cette lamentation de cordes, paisible comme une plaine désertique, laisse doucement frémir une batterie tendue majestueusement, comme un tigre prêt à bondir. La rythmique annonce ensuite l’entrée de l’électricité avec fracas. S’en suit une véritable série de montagnes russes symphoniques, la pression montant et descendant avec une fluidité exemplaire. Les déchainements yessiens ont abandonné toute violence, la puissance des envolées électriques décollant vers les paradis dessinés par Roger Dean.

Ayant enregistré cet album en quelques jours, Transatlantic semble avoir déversé toutes ses trouvailles dans une longue fresque telle que duel with the devil. Cette pression entretient l’intensité de ce monolithe sonore, qui semble toujours prêt à éclater sous la tension entretenue par ce foisonnement créatif. Bridge accross forever est une centrale nucléaire au bord de l’implosion, ses notes s’assemblent et se déversent dans un réacteur surchauffé par tant de splendeurs.

Un free jazz chaleureux s’éteint dans la quiétude d’un space rock méditatif, des chœurs émouvants se laissent porter par le crescendo somptueux des violons. Loin de siffler avec violence, le clavier sautille joyeusement sur les mélodies les plus enjouées, l’orgue apporte un charisme mystique aux rêveries les plus solennelles. On pourrait aussi écrire des pages sur les envolées solistes de Roine Stolt , qui retrouve son lyrisme Gilmourien dans ce grand voyage épique. Les chœurs angéliques qui viennent ensuite introduisent d’ailleurs ses plus belles envolées.

Poursuivre le voyage après une longue introduction aussi parfaite parait impossible, tant Transatlantic semble avoir mis tout son génie dans cette grande fresque de 26 minutes. Pour détendre l’atmosphère, le groupe ouvre donc Suite Charlotte Pike sur un boogie que n’aurait pas renié Led Zeppelin. Progressivement, ce hard blues décolle, la mélodie prend de la hauteur avec la nonchalance charismatique d’un zeppelin de plomb. La frontière entre un certain hard rock et le rock progressif a toujours été poreuse, on le voit encore ici. Plus intenses et bavards, les solos réexplorent la maison des anges, le piano aidant ensuite la guitare à construire un nouvel escalier vers le paradis.                                             

Avec douceur , la mélodie nous ramène progressivement vers les sommets que nous avions quitté à la fin du titre précèdent. Chantant un hymne à la gloire du « temple des dieux » , Transatlantic passe du swing d’un rockabilly cosmique à la sérénité de slows genesiens. Il y a aussi une finesse beatlesienne dans ce swing charmeur, cette intensité séduisante n’étant pas sans rappeler les passages les plus rock du double blanc. Placé comme intermède entre suite Charlotte Pike et le grand final, le morceau titre est un lumineux tube pop.

Piano et violon dansent un slow émouvant, la voix semble caresser ce tapis soyeux avec grâce. Pas de cassures rythmiques où d’effets superflus ici, juste l’union sincère d’une harmonie épurée et d’un chant passionné.

« Le violon est le roi du chant. » On en revient à la citation qui ouvrait cette chronique, le chant de Roine Stolt servant ce charisme boisé avec la dévotion que l’on doit à un si majestueux souverain. Ce même violon prolonge le slow plein d'émotions du morceau titre pour ouvrir la grande symphonie finale. Rapidement, la batterie s’emballe, le clavier fait pleuvoir ses notes colorées, ce déchainement dessine un arc en ciel grandiose. Le synthétiseur plante un dernier décor champêtre, une harpe délicate accentue la beauté d’une voix qui semble traverser les nuages. Quand les musiciens sentent qu’une telle solennité risque de devenir pesante, un intermède heavy crée une tornade au milieu de ces nuages blancs. 

Si je suis moins amateur de cet emportement orageux, il faut avouer que cette puissance casse la tranquillité de ce décor sans en détruire l’irréprochable cohérence. C’est impressionnant de voir de tels déchainements flirter avec la puissance du heavy métal , le tout sans dénaturer la splendeur de ce rock atmosphérique. Grandeur du jazz et de la musique classique, puissance fédératrice du hard rock et beauté contemplative d’une pop délicate, bridge accross forever donne l’impression que tous ces éléments furent faits pour s’unir.

Brassant les époques et les influences dans une cuve débordant de merveilles, le dirigeable le plus somptueux du rock progressif moderne trouve ici le chemin de la postérité.              

Flower kings : the sum of no evil

 


Les Flower kings entament-ils ici un nouvel âge d’or. Il faut dire que toutes les conditions sont réunies pour faire de ce sum of no evil un autre sommet du groupe. Tout d’abord, unfold the future lui a permis de reprendre son rôle de leader de la renaissance rock progressive. On ne reviendra pas en détail sur les mérites de ce double album, qui sont largement exposés sur la chronique précédente. Toujours est-il que cet album a rassuré une formation déstabilisée par les changements de son époque et fragilisée par les projets annexes de son leader.

En cette année 2003 , Roine Stolt n’a plus que les Flower kings pour publier le fruit de son impressionnant travail. Alors il retombe dans ses vieilles lubies, replonge avec bonheur dans le folklore spirituel et les déchainements symphoniques de Yes. L’arrière-goût jazzy de l’introduction rappelle d’abord les bluettes joyeuses chères à Robert Wyatt , puis une puissante percussion déclenche une avalanche de notes. Ces instrumentaux retrouvent l’effervescence de classiques tels que fragile ou close to the edge, réconcilient le rock avec son passé symphonique.

Après avoir produit deux albums solos très rock, Roine contrebalance la complexité de ses avalanches virtuoses avec des solos plus incisifs. Il faut dire que, pour se faire entendre au milieu de ces éruptions , le synthé monte progressivement dans les aigus. On atteint parfois un sifflement robotique qui semble convoquer le fantôme de Keith Emerson. Comme avec le leader de Emerson Lake and Palmer, les enchainements de claviers restent assez mélodieux pour ne pas tomber dans une agressivité irritante. Dans la lignée du charisme Ermersonnien , ces sifflements forment une symphonie robotique. Ils  font le lien entre le désir qu’a le groupe d’aller toujours plus loin dans l’innovation , et son ambition d’installer son œuvre derrière celle des grands virtuoses d’hier et d’aujourd’hui.

Quand les crescendos lyriques s’apaisent, un orgue forme une chorale dévote, complainte mystique digne des plus belles symphonies rock. On retrouve alors ces grands espaces méditatifs , sur lesquels les instruments soufflent comme une rassurante brise. Les envolées électriques s’emportent parfois dans de grands séismes hard rock , le martellement d’un riff orageux semblant éclater au milieu de décors paisibles. Les Flower kings absorbent ainsi la violence musicale de l’époque, la dompte pour l’intégrer à ses paysages merveilleux. Certains verront, dans cet orage éclatant au milieu de décors yessiens , une façon de fixer le rock dans son passé.

Ce serait une bien injuste caricature d’un album qui a tant à offrir. Avant que Steven Wilson n’en garde que la violence oppressante, in absentia était lui-même une façon d’absorber le courant métallique dans un ensemble plus traditionnel. Il est vrai que Porcupine tree développait cette puissance plus largement que les Flower kings. Si la verve métallique est présente sur ce sum of no evil , ce n’est que le temps d’un riff tonitruant , mais la proportion a peu d’importance.

En plaçant cet orage au milieu de décors autrefois explorés par les contemporains de Ian Anderson , les Flower kings réaffirment le mot d’ordre lancé par Anglagard en 1993. Le rock progressif ne mourra pas, il ne peut mourir. Méprisé par la majeure partie du grand public c’est une bête colossale dont le destin est de croitre infiniment, jusqu’à ce que sa gigantesque carcasse ne devienne impossible à ignorer.

Les géants des seventies n’eurent que le temps d’esquisser un décor qu’il convient désormais d’étoffer. Le résultat est en partie ce sum of no evil , contrée lumineuse située entre les décors les plus somptueux de Roger Dean. Pour éviter que cette virtuosité ne tombe dans le pompiérisme, un clavier rieur flirte parfois avec la gaieté d’un Frank Zappa

Cet album n’appartient ni au passé ni au présent, c’est encore une beauté sans âge qui a peu d’équivalent.          

lundi 24 mai 2021

BLISS BLOOD (Interview) : première partie



Pour ma première interview j'ai choisi de donner la parole à Bliss Blood, dont le parcours est à la fois étonnant et atypique. Artiste complète qui fut pendant environ 10 ans la chanteuse de Pain Teens, l'un des plus intéressants groupes de noise rock des années 80 et 90, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici en chroniquant il y a quelques semaines l'excellent "Destroy me, lover".
Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordé avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur sa l'ensemble de sa carrière. 
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux... 
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...


PREMIERE PARTIE :


* Peux-tu nous parler de ton parcours et de tes activités avant Pain Teens ?

J'ai grandi dans la plus grande ville du Nebraska, Omaha, une ville de 500 000 habitants à l'époque. Tu sais mes parents étaient ce qu'on peut appeler des travailleurs complaisants, typiques de la communauté chrétienne du Midwest des années 50. Vers l'âge de 13 ans, j'ai commencé à me rebeller et j'ai refusé d'aller à l'église. Quand j'avais 17 ans, nous avons déménagé à Houston, au Texas, au cours de ma dernière année de lycée. Mes amis du Nebraska m'ont manqué et j'ai été déçue. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai déménagé pour aller dans la maison d'un copain pendant environ un an, puis j'ai obtenu mon propre appartement. J'ai eu une série d'emplois horribles avant d'aller à l'université pendant deux ans, puis j'ai été obligée d'abandonner parce que mes parents refusaient de contribuer à mes études. J'ai eu plusieurs boulots d'employée de bureau plus terribles les uns que les autres, puis j'ai quitté ce monde et j'ai commencé à travailler dans un magasin de disques et à faire de la musique avec Pain Teens.


* A cette époque, quels étaient tes goûts musicaux, tes chanteurs/chanteuses préférés ?

J'aimais la musique New Wave comme Siouxsie and the Banshees, Nina Hagen, The Cure et des trucs plus étranges comme The Birthday Party, Throbbing Gristle, D.A.F., Einsturzende Neubauten. J'aimais aussi Bessie Smith et Janis Joplin, les débuts du jazz et du blues des années 1920.


* Comment s'est créé Pain Teens ?

Scott Ayers était un de mes amis de classe d'anthropologie à l'Université de Houston. Je suis allée écouter son groupe Alien Labor jouer sur le campus, et il m'a fait écouter un enregistrement de musique expérimentale sur un petit magnétophone. Cela m'a rappelé 'My Life In the Bush of Ghosts' d'Eno et David Byrne. Nous ne nous sommes pas vus pendant quelques années après la fin de cette année scolaire. A l'époque j'écrivais des critiques pour un magazine de musique local gratuit et j'entendais son autre groupe Naked Amerika à la radio universitaire. Je suis donc allée écouter sa formation (..) et aussi raviver notre amitié. Il s'est avéré qu'aucun de ses autres membres du groupe n'était vraiment intéressé par sa musique expérimentale, alors j'ai décidé de rejoindre les Pain Teens. Il avait donc enregistré pas mal de choses pendant plusieurs années avant que je ne rejoigne le groupe, et beaucoup de ces premiers enregistrements ont ensuite été publiés sur nos démos ou repris en tant que nouvelles compositions de Pain Teens. Des chansons comme Symptoms, Shock Treatment, qui ont fait partie des albums Born in Blood et Case Histories, ont été extraites de ces premiers enregistrements.



* Le groupe s'est formé au Texas. Vu de France c'est un état qui n'est pas particulièrement réputé pour ses groupes de rock comparé à la Californie, New York, Detroit ou Seattle ? Qu'en est-il réellement ? (1)

À l'époque, il y avait quelques groupes célèbres du Texas des années 1960, comme Red Krayola, The 13th Floor Elevators, et puis une ère nouvelle avec des groupes punks comme The Dicks, les Big Boys, M.D.C, puis la vague suivante était emmenée par The Butthole Surfers. Les Surfers étaient les plus fameux et les plus connus quand sommes arrivés. Ils ont été à l'origine d'une nouvelle scène punk rock psychédélique qui était unique au Texas à l'époque, de nombreux groupes comme Ed Hall (qui a commencé à San Francisco et a déménagé à Austin), Crust, Lithium Xmas, Non-Dairy Creamers, Drain, Cherubs, Evil Mother, Angkor Wat, John Boy, ont été engendrés par eux. Houston avait beaucoup de grands groupes comme Culturcide, The Party Owls, Keel Haul, Sugar Shack, Dead Horse, Ms.Carriage and the Casual Tease, The Introverts, Really Red, Grindin' Teeth, Rusted Shut, The Mike Gunn, Bayou Pigs, Turmoil in the Toybox, Sprawl, au moment où nous construisions cette scène à la fin des années 1980 et au début des années 1990.
Les scènes de Californie, de New York et du Royaume-Uni étaient les plus influentes, quelques groupes comme les Stooges et MC5 de Detroit, mais Seattle n'était pas vraiment sur la carte jusqu'aux années où Pain Teens a commencé à se produire. Je suppose que quelques groupes comme Melvins avaient commencé à "explorer" et "défricher" le coin, mais personne ne s'en souciait vraiment jusqu'à ce que Sub Pop et K records commencent à sortir des trucs.


* Au début les premiers albums sont plutôt du noise rock expérimental ?

C'était un projet de studio que Scott a réalisé en solo pendant plusieurs années avec une bande 4 pistes et des cassettes. Il a tout joué, fait les overdubs et mixé. C'était intentionnellement très primitif et biaisé, afin de pouvoir provoquer et déranger quelques pans de la société ; et pour pouvoir ainsi se moquer de toute l'hypocrisie.
Quand je me suis jointe au groupe, nous avons fait plus d'enregistrements expérimentaux (Count Magnus, Innsmouth) qui ont été inspirés par mes auteurs d'horreur préférés du début du XXe siècle, H.P. Lovecraft et M.R. James. Scott est vraiment entré dans Lovecraft et a fait un tas de morceaux inspirés de ses histoires : Brown Jenkin, Mindless Piping, etc.
Au fil du temps, parce que je suis avant tout une chanteuse, nous avons commencé à ajouter des pistes vocales, puis le moment est venu de jouer en live. Pour notre première représentation, nous avons joué avec des bandes d'accompagnement. Scott portait un masque d'Halloween Michael Meyers et je portais un voile noir sur mon visage. C'était dans un espace artistique, donc c'était le premier concert parfait. Perry Webb et Dan Workman de Culturcide étaient les têtes d'affiche, Dan jouait de la guitare solo tandis que Perry dessinait d'énormes figures symétriques en utilisant les deux mains (...). C'était un super premier concert.
Mais ensuite, nous voulions jouer au club punk rock, The Axiom, nous avons donc dû composer une musique plus adaptée à cet environnement. Nous avons invité les amis de Scott, Bart Enoch et David Parker à jouer de la batterie et Steve Cook à jouer de la basse. Plus tard, nous avons remplacé Steve par Kirk Carr et avons également ajouté Ralf Armin de Ms. Carriage à la guitare pendant environ un an.


* Vous avez enregistré "Death Row Eyes", un single, sur Sub Pop. Que retiens-tu de cette expérience sur un label important (celui de Nirvana notamment) de l'époque ?

C'était un enregistrement inutilisé d'une chanson que nous jouions en live. Sub Pop faisait un "Singles Club", où vous vous abonniez et obteniez un single 7'' différent chaque mois. C'était vraiment cool d'être inclus là-dedans, je suppose parce que nous avions joué à Seattle et que les gens là-bas savaient qui nous étions. Le meilleur aspect de tout ça fût de collaborer avec l'artiste pop anglais bizarre Edwin Pouncey, mieux connu sous le nom de Savage Pencil. Il était extrêmement cool et est venu nous voir lorsque nous avons joué à Londres en 1991. Comme Steven Severin de Siouxsie and the Banshees, et John Peel, qui nous avait déjà envoyé une carte postale de fan quand il a reçu l'album Case Histories via le réseau de distribution radio Rockpool, qui à l'époque envoyait des albums aux stations de radio des États-Unis et à la BBC, une aide considérable dans la promotion de notre musique.
Je ne me souviens pas vraiment de Sub Pop, je pense qu'ils nous ont payé une somme forfaitaire et environ 50 exemplaires du disque. Je ne sais pas combien de singles ont été pressés au total, mais c'était plutôt chouette.




* J'ai découvert Pain Teens dans les années 90 avec "Destroy Me, Lover", le cinquième album vraiment différent, plus "classique", un peu plus pop rock. C'est mon préféré. Cette évolution a été faite délibérément ou est-ce une évolution logique ?

Je pense qu'une partie de ce résultat est dû à la musique différente que j'ai assimilée en travaillant dans un magasin de disques pendant de nombreuses années. J'ai fait les samples sur le morceau 'Dominant Man' à partir d'un disque de jazz avec un nouveau clavier d'échantillonnage cool que Scott avait acheté. Nous aimions toutes sortes de musique et nous mélangions tout ensemble pour voir jusqu'où nous pouvions aller tout en restant bizarre. Scott a aimé cette émission de télévision "Get A Life" qui avait une chanson thème de R.E.M et il a fait RU-486 et m'a demandé de lui donner un titre et de chanter dessus. Je n'aimais vraiment pas R.E.M à l'époque, j'ai fait les paroles sur la pilule abortive et j'ai essayé de la rendre aussi féministe et subversive que possible. C'était donc en quelque sorte notre processus - rendre les choses aussi extrêmes que possible, dans n'importe quel style.


* Raconte nous l'histoire de "Story of Isaac", cette reprise incroyable, sublime et inattendue d'une chanson folk de Leonard Cohen ?

Un ami m'avait envoyé cette chanson sur une bande de mix des années auparavant. J'ai vraiment aimé l'aspect anti-chrétien et anti-maltraitance des enfants des paroles. Scott a ajouté la guitare et les effets sonores. Cela fonctionnait vraiment bien, et ma voix ressemblait beaucoup plus à celle d'un enfant qu'à celle de Leonard Cohen !


* Sur le dernier album "Beast of Dreams" il y a de nouveaux sons, des influences orientales, une nouvelle évolution, une sorte de mélange des premiers albums et de "Destroy me, lover" ?

J'étais vraiment dans le jazz à ce moment-là et j'avais même joué un concert de jazz avec un pianiste ami à moi. Je commençais à m'intéresser à la musique de films, comme Invitation. Si vous écoutez attentivement, vous pouvez entendre que Scott et moi sommes en quelque sorte séparés l'un de l'autre au niveau de l'enregistrement. Ses "bidouillages" noise ne m'incluent pas vraiment, et ma voix devient de plus en plus belle, plus celle d'une chanteuse, plus inspirée par toute la musique du monde que j'avais écoutée et collectionnée, et aussi de plus en plus obsédante. Je pense que c'était un beau final pour tous nos enregistrements musicaux.




* Pourquoi le groupe s'est-il arrêté après « Beast of dreams» ?

J'ai déménagé à New York un mois après la sortie de l'album, et personne ne s'attendait plus à ce que nous revenions en tournée ou que nous fassions de nouveaux disques. Nous étions arrivés en quelque sorte au terme de notre parcours.


* Que gardes-tu en priorité de ces 10 années d'expérience avec Pain Teens ?

C'était vraiment très amusant, j'ai appris les techniques d'enregistrement, j'ai pu voyager aux États-Unis lors de quatre tournées et faire un court voyage en Europe, (ce que j'ai aussi fait avec The Moonlighters plus tard, en tournée en Allemagne quatre fois). J'ai rejoint Scott parce qu'il était déjà établi et avait une esthétique similaire, ce qui est difficile à trouver, et je voulais être chanteuse. Je me suis bien amusée mais je travaillais dur, et travailler au magasin de disques en même temps m'a permis de participer à la construction d'une scène musicale pour notre communauté artistique à Houston, ce qui était extrêmement difficile car la ville est si étendue et avait très peu de médias publics à l'époque. Il y avait deux stations de radio, KPFT et KTRU, qui diffusaient de la musique locale et de la musique expérimentale, et quelques magazines hebdomadaires gratuits qui mentionnaient la musique locale, mais le grand public ne savait pas fondamentalement que la scène musicale underground à Houston existait même pour l'essentiel. Quelques groupes comme King's X avaient percé, mais le reste d'entre nous jouions principalement pour nos amis, c'était très underground.

                 avec Brutal Truth et Boredoms


* A cette époque, de nombreux groupes alternatifs / indépendants signaient sur de grands labels. Qu'est-ce que tu penses ? Et avez-vous été sollicités ?

Ce que les grands labels ont fait, c'est de détruire tous ces groupes alterntifs qui étaient énormes à notre époque, ou du moins d'essayer de les détruire, parce qu'ils étaient en concurrence avec ceux signés par les grands labels. Quelques-uns comme Nirvana et Pearl Jam sont devenus énormes, mais finalement la plupart d'entre eux se sont effondrés beaucoup plus tôt qu'ils ne l'auraient probablement fait. Des groupes comme Melvins ont survécu, mais Jesus Lizard, Babes In Toyland, Foetus, Godflesh, Helmet...ont juste été utilisés comme simple premières parties pour des groupes qui auraient dû ouvrir pour eux. Les majors ont ainsi réussi à détruire et à écraser les groupes alternatifs et la scène musicale indépendante que nous avions créée à l'époque où Pain Teens s'est séparé (...).


* Les textes et les pochettes participent volontiers à l'image de Pain Teens : pour les textes j'ai l'impression que les thèmes abordés sont une sorte de psychanalyse de la société et des gens comme si vous exploriez en auscultant le côté obscur caché des individus et de la société ? Une sorte d'exorcisme ? Un peu de provocation aussi ?

Oui, tu as tout à fait raison. Nous avons trouvé de la fascination dans la folie et avons essayé de découvrir les origines du côté obscur de notre culture. Pour moi, j'ai trouvé que c'est un cycle dans lequel les gens sont maltraités et le perpétuent ensuite sur les jeunes une fois qu'ils ont le pouvoir. C'est un héritage horrible de l'esclavage, de la misogynie et de tous les autres maux de l'Europe coloniale et de la religion, nous l'avons donc biaisé de toutes les manières possibles et avons essayé d'humaniser les victimes. Je recommande vivement le documentaire "Annihilate all the Brutes" de Raoul Peck si ce sujet vous intéresse davantage.



* Question classique : peux-tu nous raconter un bon souvenir ou une anecdote de concerts ou de tournées (Vous avez notamment joué avec Neurosis, Brutal Truth) ?

Mon moment préféré de nos différentes tournées a été lorsque Pain Teens a joué au Festival Tegen Tonen à Amsterdam, en février 1991. Quand nous sommes arrivés, j'ai découvert à ma grande joie que mon groupe préféré, Terminal Cheesecake, de Londres, figurait également à l'affiche! J'ai pu voir leur concert et aussi être la seule personne à écouter leur soundcheck. Ils ont joué au Paradiso et à la vieille église, dans la salle du choeur à l'étage. J'aurais aimé que Pain Teens puisse jouer là-bas, car nous avons joué dans la salle principale et c'était beaucoup trop grand (...). Terminal Cheesecake avait l'air incroyable, et ils étaient modestes et humbles. Je leur ai dit plus tard qu'ils avaient donné des coups de pied au cul, et ils ont répondu: "Non, nous sommes britanniques, nous ne pouvons pas botter le cul !!."


* Qu'as-tu fait entre Pain Teens et les Moonlighters?. Je sais que tu as enregistré un morceau (2) avec Melvins ? Comment as-tu rencontré ce groupe culte ?

Jim Thirlwell du groupe Foetus m'a dit qu'il était invité par les Melvins pour chanter sur un titre de leur album et que chaque morceau aurait un chanteur différent, tous en tant qu'invité. Je lui ai dit de leur demander si je pouvais participer, et à ma grande surprise, Buzzo (le chanteur/guitariste des Melvins) m'a appelée et on est devenu copains. Ensuite, ils m'ont envoyé un délire de 9 minutes ! Mais je pense que je me suis plutôt bien débrouillée avec ça au niveau du chant et que cela s'accordait avec l'ambiance à la fois sombre et amusante qui colle aux Melvins.

(A SUIVRE)

(1) Evidemment il y a aussi quelques groupes/artistes plus connus issus du Texas tels ZZ Top, Pantera, Janis Joplin voire At the drive in ou Dirty Rotten Imbeciles
(2) morceau " The Man With the Laughing Hand Is Dead" sur l'album "The crybaby"

Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :
https://blissblood.bandcamp.com/

Interview réalisée par mail en avril et mai 2021
Merci à JeHanne pour le coup de main concernant les "problèmes" de traduction et la relecture.


samedi 22 mai 2021

The Flower Kings : Space Revolver

 


Le public pleurait comme une femme laissée sur le quai par un amant indélicat, la belle Angleterre voyait ses quatre plus fameux enfants s’émanciper de son amour maternelle. Alors bien sûr, les fils prodigues la consolent en lui expliquant l’importance de leur nouvelle mission. Les Beatles arrêtent surtout les concerts  parce qu’ils ne supportent plus une hystérie qui n’aura jamais d’équivalent. Peu de temps avant cette annonce, ils goutèrent à la sérénité des studios modernes, dont ils admirèrent les possibilités infinies. Pour prendre conscience de l’importance de cette découverte, il faut avoir lu «  en studio avec les Beatles » , le livre où Geoff Emerick raconte la folie créative des quatres de Liverpool.

De cette effervescence nait d’abord Revolver, foisonnement sonore à travers lequel la pop psychédélique pousse ses premiers cris. Space revolver est bien sur un clin d’œil à l’album des Beatles. Il est vrai que la situation des Flowers kings à l’époque est loin de l’hystérie qui entourait le groupe de Paul Maccartney , mais space revolver représente un tournant dans la carrière des suédois.

Cantonnée jusque-là dans le registre d’une pop atmosphérique majestueuse, la tribu de Roine Stolt avait atteint un premier aboutissement avec l’album stardust we are. Répéter une formule aussi aboutie, c’était prendre le risque de lasser un auditoire gavé de splendeur par l’impressionnante créativité des Flower kings. Alors , influencé par l’expérience Transatlantic , Roine Stolt décide de laisser plus d'espaces à ses musiciens. Le synthé remplace donc la chaleur des précédents albums par une froideur robotique , iceberg musical semblant cacher une agression à venir.

Dans son écho, le bassiste Jonas Reingold guide les solos sur les terres inquiétantes explorées par Ayreon et autres Tool. Dans ces conditions, le synthé accentue le tranchant d’envolées plus tendues. Cette agressivité est contrebalancée par des mélodies qui n’ont jamais été aussi soignées . Reingold n’est pas qu’une brute voué au culte de la puissance électrique, c’est aussi un virtuose dont les touches jazzy illuminent une power pop bouillonante.

Roine Stolt n’a pas abandonné ses ambitions populaires, elles s’expriment encore dans des refrains disséminés comme autant de sucreries sonores. La guitare hurle ainsi à travers le rideau soyeux de mélodies irrésistibles, la fraicheur d’un rock FM léger vient réconforter des tympans secoués par une série d’éruptions free jazz. Ces influences opposées donnent à space revolver un aspect plus hétéroclite que stardust we are , mais c’est justement ce foisonnement qui fait son charme.

Si revolver voyait les Beatles explorer les capacité sans limites des studios, space revolver montre un groupe s’immergent avec plaisir dans ses influences. Cet album est une main de métal dans un gant de velours , une œuvre furieusement moderne drapée dans la grandeur éternelle du jazz et d’une pop aventureuse. Ce disque fait partie des œuvres qui semblent réconcilier les rockers progressifs et les métalleux avides de grandes compositions épiques. Un disque comme celui-ci construit un pont entre deux mondes que l’on croyait irréconciliables. 

Ce pont ne va pas tarder à être renforcé par le virage heavy de Porcupine tree , avant que Steven Wilson n’entérine le rapprochement en produisant les death métalleux d’Opeth. Rock et metal progressif s’assemblent donc pour le meilleur et pour le pire, chaque groupe semblant piocher dans ces deux mondes comme dans une grotte pleine de trésors. Si les passages pop montrent que les Flower kings restent profondément attachés à une musique plus apaisée, Space revolver montre qu’ils ont eux aussi aboli toute les frontières.

Une musique marginalisée trouvait un nouveau souffle dans la popularité de chorus rageurs, et un métal arrivé à maturité pouvait puiser dans la grandeur des grands aventuriers rock pour soigner sa postérité.  

 

             

vendredi 21 mai 2021

Transatlantic : stpme

 


C’est un nouveau torrent progressif qui déferle sur le monde. Formé en 1992 , Dream Theater atteint un premier sommet avec images and words. La puissance des chorus métallique permet à ces musiciens d’initier les sauvages du heavy métal à un nouvel univers, où la théâtralité de Rush rencontre les méditations atmosphériques de Pink Floyd. Les esprits chagrins verront dans cette puissance sonore la preuve définitive que le métal a pris le pas sur le rock , qui ne peut plus se faire entendre sans hurler aussi fort que lui. Ce serait vite oublier que le groupe de John Petrucci n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ralentit la cadence, laissant ainsi ses harmonies épiques entretenir le charisme grandiloquent de son chanteur.

Pour ce groupe, le heavy métal est une couleur qu’il ajoute à la grande palette du rock progressif. Il lui permet d’aborder des mondes plus sombres, de mettre au point des envolées plus agressives. Ce mélange d’agressivité froide et de lyrisme homérique toucha au sublime sur metropolis part 1 , point d’orgue de l’incontournable images and words. Motivé par la réussite que constitue ce titre, Dream Theater décide d’en faire la base d’un grand album conceptuel. Le groupe écrit donc l’histoire d’un homme hanté par les souvenirs de sa vie antérieure, histoire qui devient le fil conducteur de l’album metropolis part 2.

En plus de réaliser le concept de « film pour les oreilles », que Lou Reed inventa sur Berlin, metropolis part 2 réinvente la définition du concept album cher au rock progressif. Plongé dans les angoisses de son personnage principale, James Labrie joue cet opéra métal/rock avec la justesse d’Al Pacino dans le parrain. Fort d’une notoriété qui n’est désormais plus à faire, le batteur Mike Portnoy cherche désormais à faire émerger une nouvelle scène.

Il contacte donc Neal Morse , leader d’un groupe vénéré dans l’underground progressif. Spock’s Beard élargit le champ du space rock progressif , ses deux premiers albums lui ayant valu une certaine notoriété dans le petit milieu du progressisme traditionnel. Portnoy et Morse se découvrent vite une passion commune pour les Flower kings, qui les incite à offrir le rôle de guitariste de leur groupe à Roine Stolt. Pour compléter cette réunion de la crème du rock progressif moderne, Pete Trewavas de Marillion est choisi comme bassiste. Faire jouer les meilleurs musiciens de leur catégorie est une vieille tradition dans le jazz, elle reste toutefois moins développée dans le rock.

Quand un tel groupe voit le jour, il est souvent rongé par les querelles d’égo de ses membres, quand cette union ne relève pas simplement d’un coup commercial. Nous avons déjà parlé d’Asia , dont le rock FM n’a pas apporté grand-chose au petit monde de la pop, mais j’aurais pu aussi citer le duo Coverdale/ Page , des traveling wilsbury sympathique sans atteindre le niveau des précédentes œuvres de ses membres …                                                                       

Alors bien sûr , on trouve quelques grandioses exceptions , comme Déjà vue de CSNY , Beck Bogert Appice , Blind Faith… Mais ces groupes n’ont souvent duré que le temps d’un album, les égos des musiciens ne leur permettant pas de cohabiter plus longtemps. Et puis il y’a l’éternel sentimentalisme d’un public voyant toute infidélité à son groupe comme une trahison. Qui écoute encore les albums solos de Pete Towshend , de Roger Daltrey , où les daubes pop de Mick Jagger ? Même quand les albums solos des grandes gloires du rock sont bons , ils ne sont vus que comme une façon de patienter avant le retour du groupe de leur auteur. C’est pour cette raison que, malgré une œuvre plus qu’honorable, on suppliera toujours Robert Plant d’accepter une reformation de Led Zeppelin.

Le monde du rock progressif est un peu plus ouvert, de grandes figures telles que Robert Wyatt ou Peter Gabriel ayant réussi à s’épanouir en dehors de leurs groupes respectifs. On peut aussi citer cette grande famille que fut la scène de Canterbury, où les musiciens passèrent d’un groupe à l’autre sans choquer les fans. Pour cela il faut une scène unie et créative, et c’est précisément ce que Mike Portnoy tente de ressusciter à travers Transatlantic.

A la rythmique , le duo Portnoy / Treawavas tourne à plein régime. Le batteur abandonne les élans démonstratifs de Dream Theater , sa frappe dense et fluide suffisant à apporter une certaine puissance et un cadre solide aux évolutions harmoniques du groupe. Transatlantic , c’est l’union de la puissance d’une rythmique à l’américaine , de la finesse d’arrangements dignes des grands dandys anglais , et de refrains fédérateurs hérités des années 80.

Habitué à diriger les enregistrements de Spock’s beard , Neal Morse compose et arrange les trois premières compositions de l’album , qui représentent plus de la moitié de la durée de cette oeuvre. Loin de devenir un tribute band de Spock’s beard , chaque musicien s’épanouit pleinement dans les arrangements proposés par le claviériste. La batterie délimite les espaces dans lesquelles évoluent les harmonies , c’est un rail souple et solide doublé d’un moteur tournant à plein régime. Plus discret qu’avec ses Flower king , Roine Stolt disperse quelques notes s’élevant avec majesté au milieu des nuages colorés dessinés par le clavier de Neil. Il place aussi « my new word » , un voyage de seize minutes dont la splendeur culmine sur des chœurs charmeurs.

Jouées par une telle formation, les compositions de Transatlantic atteignent la perfection de progressisme au charme immédiat. C’est bien cet objectif qui réunit le duo Stolt /Morse derrière la frappe titanesque de Mike Portnoy , faire redécouvrir la beauté d’une musique exigeante à un monde corrompu par la pop la plus mercantile. Pour atteindre ses objectifs Transatlantic ne cache pas des racines toujours plongées dans les terres merveilleuses de la pop des années 60/70. Cette influence est d’ailleurs revendiquée sur la reprise de « In Held In I » , titre écrit par les pionniers Procol Harum. Sur cette reprise, Neil Morse triture fiévreusement ses claviers , convoque le génie de ces maestros rock à coup de processions symphoniques. L’auditeur a vite l’impression que Martin Fisher a pris place derrière cette union de nouveaux virtuoses pour réinventer sa composition.

Si le désir de faire connaitre le duo Stolt / Morse se ressent dans un album très marqué par leurs préoccupations progressives et pop, l'inspiration de ces géants est assez forte pour qu’on ne résume pas ce disque à une simple opération de communication. En voulant sortir des musiciens qu’il admire de leur relatif anonymat, Mike Portnoy a déclenché une nouvelle avalanche progressive.

Derrière cet imposant dirigeable, des groupes comme big big train , mangala valis, et autres anekdoten tenteront d’égaler la splendeur irrésistible de ces figures de proue. Si le rock progressif reste relativement impopulaire comparé à une escroquerie telle que radiohead , il atteint un nouvel âge d’or créatif dans le petit monde de l’underground rock.           

mardi 18 mai 2021

EMPEROR : In the nightside eclipse (1994)



Une fois n'est pas coutume voici un peu de métal extrême dans Rock In Progress, après la chronique de l'album "Individual Thought Patterns" du groupe Death, publiée par Julien il y a de cela déjà quelques mois. 
Le black métal est un genre méconnu, que l'on réduit souvent à la "médiocrité sympathique" d'un Venom ou à quelques extrémistes nazillons, alors que c'est l'un des genres parmi les plus créatifs et offrant de multiples possibilités musicales. Aussi il n'est pas rare de voir de plus en plus de groupes de black métal incorporer avec réussite néo-folk, prog', classique ou ambiances atmosphériques/symphoniques. dans leurs compositions poussant ainsi leur univers vers des horizons illimitées. 
Quelque part le black métal est au métal ce que le rock progressif est au rock. 
L'exemple le plus marquant et frappant étant Agalloch qui mélange majestueusement sur son chef d'œuvre "The mantle" neo folk, post-rock et Black métal.
Pour en revenir à notre chronique "In the nightside eclipse" est le premier album d'Emperor le sulfureux groupe de Black métal norvégien, leur meilleur. Une musique violente, agressive, sauvage, rapide...du black métal basique certes ; mais ici il y a un côté symphonique qui côtoie le côté chaotique. Symphonique car l'emploi des claviers est magnifiquement utilisé. Omniprésents et discrets à la fois ils sont en toile de fond et donnent une légère mais majestueuse coloration mélodique, apportent une touche moins brut (d'où la différence avec des groupes comme Marduk, Mayhem ou Immortal). De même les chœurs également présents donnent un son moins épais, une touche de finesse (dans un monde de brutes évidemment !). Avec ce disque Emperor donne un nouvel essor au Black métal qui prend ainsi un virage important et radical, créant ainsi une nouvelle vague.
C'est symphonique (attention j'ai dit symphonique pas atmosphérique, nuance) mais plus violent que Cradle of filth ou Dimmu borgir. Toutefois l'univers musical s'éloigne des Venom, Bathory, Mayhem et autres pionniers du genre durant les années 80.
Cet album est à écouter d'une traite, impossible d'en sortir un titre et de l'écouter séparément du reste. "In the nightside eclipse" est un bloc, compact et indivisible, d'une densité incroyable. L'ambiance est dantesque, l'impression d'être au cœur des ténèbres, dans les forêts du nord de la Norvège en plein hiver. Une orgie, un déluge de riffs titanesques et de chants hallucinés, possédés. Un ouragan, une déflagration terrifiante. Impossible d'en sortir indemne. Sombre mais toutefois pas lugubre.
Une atmosphère où haine et beauté se marient et se mélangent à merveille. Aussi incroyable que cela puisse paraître c'est à la fois aérien et surpuissant.
Si l'écoute en une seule fois est nécessaire pour mieux apprécier et se fondre dans l'œuvre proposée, pour ceux qui préféreront commencer doucement avec un morceau on pourra néanmoins citer "Into the infinity of thoughts" qui ouvre l'album et met directement l'auditeur dans le vif du sujet et "Towards the Pantheon" et son intro, seul passage calme du disque.
Bordélique et travaillé, brutal et symphonique, des compositions de haut niveau, avec d'excellents musiciens, loin d'être de vulgaires "bourrins" (et de bons musiciens il y en a pas mal dans ce genre musical, malgré ce que beaucoup pensent).
Un album magistral du début à la fin qu'on peut aisément placer dans le top 3 du black métal toute période confondue et malgré la grande diversité de ce courant musical.
Et le suivant "Anthems to the welkin at dusk" est également très bon.

lundi 17 mai 2021

The Flower Kings : Stardust we are

 


Et les flowers kings inventèrent le triple album , une œuvre monumentale de plus de deux heures. Alors forcément, quand l’objet sort en 1997, on l’aborde avec une certaine méfiance. La perfection est une anguille qui ne cesse de glisser entre les mains de l’artiste, rares sont ceux qui parvinrent à la maintenir sous leur étreinte plus d’une trentaine de minutes. Cette poussière d’étoile dont parle le titre, n’est-ce pas de la poudre aux yeux pour éblouir les observateurs impressionnables ? Le groupe le plus fascinant du rock progressif moderne ne se perd t’il pas dans un délire mégalomane ? 

Comme pour accentuer les inquiétudes, stardust we are est annoncé comme un concept album centré autour de réflexions spirituelles de Roine Stolt. La première partie de l’album s’ouvre sur un sifflement martien, signal stellaire faisant pleuvoir les notes comme autant de météorites frappant un sol lunaire. On a l’impression d’entendre Yes perdu au milieu de la face cachée de la lune, son exubérance symphonique se diffusant dans l’écho du cosmos. La guitare devient le centre d’une danse héliocentrique folle, ce soleil rayonnant au milieu de constellations qui se croisent et se percutent. Les instruments déchainent une explosion de splendeurs célestes. Le feu d’artifice cosmique vire progressivement au théâtre spatial, grâce à une voix réinventant le charisme grandiloquent de Peter Gabriel.

Une telle entrée en matière donne le ton d’une première partie très aventureuse. Roine Stolt n’oublie pas pour autant de caresser les oreilles néophytes dans le sens du poil. C’est ainsi que des bluettes telles que « room with a view » permet aux tympans sensibles de se reposer sur un nuage cotonneux. Just this once démarre ensuite en fanfare, un clavier schizophrène dialoguant avec une guitare au lyrisme rageur. Progressivement, les contraires s’harmonisent, le toucher mélodieux de Stolt emportant ces claviers nerveux sur des terres plus apaisées. Le titre s’emporte alors dans de grandes envolées enthousiastes, les notes se succèdent avec la frénésie lumineuses des grandes fresques Yessiennes. 

Puis tout se calme, les comètes de cette galaxie se mettent à flotter majestueusement, l’auditeur se laissant bercer par ce slow cosmique. Comparé à cette procession, church of your heart semble renouer avec la grandiloquence un peu niaise du rock FM. Pourtant, le charme opère vite, l’orgue et une guitare aérienne permettant à l’auditeur de ne pas quitter les sommets stratosphériques des premiers titres. On se surprend alors à fredonner ce refrain de Beatles space rock , profitant ainsi d’une bonne chanson pour se détendre entre deux explorations.

Poor Mr Rain ordinary guitar perpétue ensuite ce rythme apaisé, ses arpèges chantant une folk mélodieuse, blues automnale gracieux et tranquillisant. The man who walk with king renoue ensuite avec les accents baroques des grands troubadours rock. Après une ouverture rappelant les fêtes royales de la renaissance, le toucher de Roine Stolt redonne un peu de lyrisme aérien à cette fresque poussiéreuse. Entre voyage dans le temps et méditations spirituelles , the man who would be king est un monument d’intensité compilé dans un format pop ( à peine 5 minutes).

Circus bringstone marque un nouveau déchainement des éléments, les décors sonores se succédant encore avec autant de rapidité que de fluidité. Le festival progressif a déjà durée plus d’une heure. Ces splendeurs nous ont pourtant enivrés au point de nous jeter sur le second disque comme un alcoolique en manque de boisson.

C’est un univers plus pop qui s’ouvre alors à nous, l’orgue ecclésiastique de pipe of peace ouvrant ce festival populaire. Populaire, cette seconde partie l’est dans le sens le plus noble du terme. Entre relent floydien et chant charmeur, cette seconde partie sait soigner ses mélodies en les rendant le plus accessible possible. Les petites trouvailles instrumentales et l’harmonie parfaite de ballades telles que different people et kingdom of lies montrent que l’on peut encore produire une musique exigeante et populaire.

Alors , bien sûr , cette suite est moins folle que les premières minutes , et les auditeurs les plus exigeants pourraient voir dans ces chœurs et refrains une relative baisse de régime. Pour fermer le claque merde de ces infâmes salisseurs de mémoire , les Flower kings referment leur symphonie sur le monumental « stardust we are » , qui regroupe tout ce que le groupe fait de mieux. Dans un défilé d’une incroyable cohérence, chacun des décors que nous avons visités vient nous saluer une dernière fois. La production somptueuse permet à cette dernière fresque de se dévoiler un peu plus à chaque écoute. On redécouvre ainsi des détails ratés lors de notre première contemplation, des subtilités cachées derrière le rideau lumineux de cette harmonie.

Arrivé au bout de notre long voyage, le périple parait presque trop court. Seul le temps pourra dire si stardust we are est un chef d’œuvre, il est néanmoins certain qu'il s’agit d’un très bon album.