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mardi 29 juin 2021

Neil Young : Hitchhiker

 


L’album acoustique devrait être un passage obligé pour tous les folk rockers. Privé de tout artifices, ces musiciens retrouvent leurs racines. Enlevez tout le folklore moderne et vous touchez au cœur de l’artiste, c’est l’esprit du musicien qui s’épanouit dans la douceur de ces mélodies. Il est vrai que, jusque-là, la guitare sèche fut surtout porteuse de propos plus graves ou torturés . Il y eut les grandes protest songs de Dylan et son inoubliable Blood on the tracks , il y aura bientôt les récits dépressifs de Springsteen (Nebraska). Bref l’acoustique sert surtout à souligner le sérieux des paroles. Le rock sortait la guitare sèche comme d’autres sortaient les violons, pour nous tirer une petite larme ou éveiller une saine indignation.

Neil ne fut pas exempt de cette gravité austère, il en fut même un des symboles. Il faut se rappeler l’image de ce type, seul au milieu de la pénombre, et vous soulevant le cœur à chaque note, vous retournant l’âme à chaque gémissement. On ne peut écrire qu’au seuil de l’abime disait Bloy , ce qui peut s’appliquer à la littérature peut souvent se vérifier dans la musique. Je vous renvoie aux enregistrements des concerts acoustiques de 1970 , Neil Young y est merveilleusement bouleversant. Sauf que, en 1975, notre homme ne veut plus hurler à la mort sur des drames acoustiques. Pour ce qui est des chants dramatiques, il a déjà donné, il est temps pour lui de créer des choses plus légères.

Alors le loner s’est simplement enfermé en studio, a fait tourner les bandes , et s’est mis à jouer. Ce genre de légèretés vous mène très loin , votre petit cinéma intérieur prend le contrôle et vous avez l’impression de découvrir votre œuvre en même temps que vous la créez. Neil fait partie de ces hommes qui ne grandissent pas , il n’a jamais soumis son cerveau à la même discipline que celle qui est vitale pour monsieur moyen. Certains trouvent un boulot pépére , éduquent un ou deux enfants , finissent par penser que le cerveau ne sert qu’à retenir des procédures ou les résultats du loto.

Neil, lui , restera toujours ce gamin fasciné par l’histoire de l’Amérique et rêvant de pionniers besogneux et d’indiens courageux. Alors sa guitare ne va pas recommencer à se lamenter, son chant ne va plus se mettre à larmoyer, il y a des moments où l’homme ne peut s’empêcher d’être optimiste. C’est d’ailleurs notre lot à tous, triste bœuf fonçant dans le prochain mur avec un enthousiasme désespéré.

Au début de cette chronique, je parlais de la guitare acoustique, elle n’a jamais été aussi enthousiaste que sur ce Hitchiker. Sur Pocahontas , un riff chante délicatement pour ne pas troubler les songes d’un Neil rêvant d'indiens décimés et affamés par des crétins massacreurs de bisons, ressuscitant un pays bâti sur les cadavres des indiens d’Amérique. Alors il s’imagine en trappeur vivant dans un paradis perdu au milieu de ce cauchemar, s’épanouissant au côté de Pocahontas et d’un Marlon Brando ayant quitté la machine de propagande hollywoodienne.

Sur Powderfinger , quelques arpèges suffisent à exprimer le mélange de tristesse et d’admiration que lui inspire l’histoire de l’Amérique. Comme cette histoire, les mélodies de cet album ne sont jamais toutes noires ou toutes blanches , l’émerveillement le plus admiratif y côtoie la mélancolie la plus profonde. Powderfinger est d’abord une chanson dramatique, l’histoire d’un homme dont la sœur est morte noyée, d’un pays où il ne vaut mieux pas sortir sans son fusil. Pourtant, on fredonne cette mélodie avec entrain, c’est beau comme un décor de western.

Un peu plus tard , captain Kenedy sonne comme les chants qu'auraient pu fredonner les héros de Steinbeck. Célébrant la vie d’un grand navigateur, captain Kenedy a le charme des récits d’un vieux cowboy racontant ses histoires de desperados entre deux parties de poker. Je vous l’ai dit, les boyaux de la tête des artistes sont des machines formidables. Avec dix fois plus de moyens Hollywood ne fait pas autant rêver  que cet homme plaquant quelques accords seul dans un studio. 

« Donne-moi la force d’aller plus loin » chante le loner sur le titre suivant, ses accords tintant comme des cristaux harmonieux. Rare excentricité de ce décor minimaliste, l’harmonica souffle sur ce sommet mélodique avec une rare douceur. Ce spleen de folkeux épanoui nous enveloppe chaleureusement, nous réconforte comme un vers de Thunder road (de Springsteen ). Notre conteur peut ensuite chevaucher son lama sur le titre suivant , avec une telle mélodie on le suivrait jusqu’au fin fond du Sahara. C’est plutôt en Californie que Hitchiker nous embarque, les riffs les plus vifs et les chants les plus enjoués semblant évoquer l’époque où les Mamas and the Papas ne furent qu’une bande de hippies travaillant leurs harmonies à partir de quelques arpèges.

Délice de solitaire , campagner nous montre Neil dans la peau du vieux paysan solitaire, de l’homme revenu de toutes les catastrophes , qu’il chante sur un air dylanien. Tout n’est pas rose dans cet inventaire, mais la douceur des arpèges montre une certaine tendresse pour ce passé. Sur Human higway , l’harmonica siffle gracieusement , c’est le signal annonçant le départ du train du souvenir. Inventer un personnage, se mettre dans sa peau pour que l’auditeur ressente ses émotions, c’est exactement ce que fera Springsteen sur Nebraska. 

Human higway le fait avec plus de légèreté , on peut siffloter cette mélodie après s’être ému de l’histoire qu’elle conte. Et c’est bien la force de cet album , toutes ses chansons restent gravées dans les mémoires comme autant de somptueux jardins secrets. Après des mois de deuil, Neil Young avait sans doute besoin de respirer un peu, et c’est cette légèreté qui fait la beauté de Hitchiker.                

lundi 28 juin 2021

Neil Young and Crazy Horse : Zuma

 


Près du studio où Neil enregistre, un homme se penche contre le mur pour comprendre ce qui se prépare. Les cheveux bouclés et le visage couvert par une barbe hirsute, Dylan vint écouter la prochaine œuvre de son seul rival. Ces dernières années, l’ex porte-parole d’une génération est devenu une figure que l’on adore détester. Ce que le public a pu beugler quand le héros du folk a tourné country, ça lui rappelait les réactions des puristes du folk quand il passa à l’électrique. Cette fois, l’indignation était plus politique que musicale, la country étant vue par certains comme la musique des beaufs racistes de l’Amérique profonde.

Ces idiots ne comprenaient pas que sa folk , celle que tous reprenaient quand elle annonçait que « les temps changeaient » , cette folk-là avait les mêmes racines que la country qu'ils vomissaient. Folk ou country, tout cela est avant tout un blues de blancs , un témoin des joies et des peines de ce petit peuple qui bâtit le « pays de la liberté ».

Arrivé à ce point de mon récit , vous devez déjà vous demander ce que le grand Bob fait encore là. J’y reviendrais, mais vous faites bien de m’inciter à retrouver le loner où nous l’avions laissé. Après l’enregistrement de Homegrown , il fut recontacté par les survivants du Crazy horse. Ses vieux compères avaient trouvé un homme capable de prendre la succession de Dany Whitten , mais il fallait que leur leader vienne l’adouber.

Lors de l'arrivée de Neil, Frank Sampedro se présenta. Le jeune homme était obsédé par Everybody know this is nowhere , qui lui avait permis de forger son jeu en jouant par-dessus les chevauchées binaires du Crazy horse mythique. A la surprise du loner , cette affirmation n’était pas un simple emballement de fan hystérique. Dès les premières mesures , le jeu de celui que l’on surnommait déjà poncho se fondait parfaitement dans les emballements binaires du groupe. Le Crazy horse galopait de nouveau et son maitre redécouvrait l’ivresse d’être porté par une telle monture.

Heureux d’avoir retrouvé son groupe le plus emblématique, Neil s’empresse d’embarquer ce beau monde en studio. Il avait un projet en cours, une sorte de concept album sur l’histoire des incas, un disque qui devait renouer avec la tendre légèreté d’Harvest. Si Zuma sera bien un disque plus léger que ses œuvres précédentes, on est tout de même loin de la légèreté d’Harvest. Au fil des improvisations , la musique se durcit, Neil déverse toutes les émotions de ces dernières années dans ses accords. 

C’est un torrent d’émotions contraires, qui se succèdent et se percutent dans ce grand cyclone sonore, un magma chauffé à blanc par le mojo lunatique de son cheval fou. Ecrite alors qu’il n’était qu’un adolescent, don’t cry no tears devient le cri d’un homme de nouveau debout. Le riff sautillant tranche avec la voix mélancolique et rageuse de notre loup canadien, les emportements de guitares sauvages éloignent notre homme de ses tourments. L’énergie joyeuse d’un country rock puissant est nuancée par le ton dramatique du barde Young, ces contraires se côtoient et se complètent. 

Zuma n’est pas le témoin d’une douleur sans issue , comme Tonight the night le fut avant lui , ses lamentations sont plus rageuses que résignées. Quand le chanteur se laisse un peu trop aller à sa mélancolie contemplative, la puissance enjouée de son groupe le ramène vers des pensées plus positives. Pour imposer cette énergie, le Crazy horse semble soulever des montagnes à chaque note. Les instrumentaux tonnent comme la foudre, la mélodie virevolte entre ces éclairs menaçant avec la grâce d’un faucon au milieu de la tempête.

Nous n’assistons pas ici au retour du rock primaire d’Everybody know this is nowhere, Zuma est plus fin et plus nuancé. Cela n’empêche pas mister Young de nous sortir deux magnifiques riffs stoniens sur les virulents Cortez the killer et Drive back. Le mieux est que cette palette émotionnelle n’empêche pas le Crazy horse de conserver son irrésistible simplicité, sa fougue binaire bottant le cul du folk rock et de la country. Il parvient simplement, avec quelques notes et un mojo des plus basique , à exprimer une impressionnante palette d'émotions . 

Cette intensité n’est pas sans rappeler un autre album sorti en cette même année 1975, l’incontournable Blood on the track. Avec ces portraits dostoievskiens servis par une instrumentation minimaliste, le grand Bob déployait une intensité émotionnelle similaire. Sur ce classique , le Zim déverse ses douleurs d’homme abandonné , plonge au plus profond de sa déprime pour pouvoir rebondir. Pendant ce temps , Neil retrouve la puissance positive de sa plus superbe monture , noie ses dernières traces de mélancolie dans de grandes passes d’armes électriques. Un homme tombait pendant que l’autre se relevait, tout deux accouchant des deux plus grandes œuvres de cette années 1975.

Quelques mois plus tard, Dylan sortira le plus léger « Desire » , avant de monter la rollin thunder revue. Parcourant les routes pour retrouver l’enthousiasme de ses jeunes années, Dylan revient dans les petits bars où tout a commencé, recrute quelques musiciens locaux pour compléter une formation changeante. Suivant son exemple , Neil monte la rollin Zuma revue , qui fait aussi la tournée des petits bars. Partageant un verre avec les spectateurs à la fin des concerts, il redevient un jeune musicien jouant surtout pour le plaisir.  

Pour Dylan comme pour Neil Young , Zuma et Blood on the tracks sont deux albums essentiels, ils représentent le début d’un nouveau chapitre de leur légende.            

dimanche 27 juin 2021

Neil Young : Live at Roxy

 


Après la sortie de tonight the night , le label de Neil Young commença à se poser des questions sur l’avenir de son poulain. Non seulement Tonight the night les a déconcerté, mais le loner prend un malin plaisir à accentuer cette incompréhension sur scène. Débarquant parfois affublé d’un masque à l’effigie de Nixon,  Neil refuse de jouer ses classiques, préférant infliger à son public des gémissements que sa maison de disque refuse encore de publier. Suite à ces prestations excentriques , les rumeurs vont bon train. On dit que le loner est complétement défoncé, accro aux pires substances, certains vont jusqu’à annoncer sa mort. Neil semble avoir complétement pété les plombs, pourtant les spectateurs du Roxy veulent croire que tous ces ragots ne sont que de mauvaises rumeurs.

Ce n’est pas le décor de ce concert qui va leur donner des raisons de se rassurer. En hauteur, une banderole annonce « Bienvenue à Miami beach où tout est moins cher que ça en a l’air. »

Placées sur les amplis , plusieurs bouteilles de vodka annoncent déjà que les musiciens joueront certainement dans un état second. Pourtant, à son arrivée, le groupe fait bonne figure, leur look ne tranchant pas avec ceux des autres rockers de leur époque. Au milieu d’eux arrive une sorte de hippie débraillé, le visage mangé par une barbe de clochard, et dont les lunettes noires semblent cacher une effrayante gueule de bois. L’homme est présenté aux spectateurs :

« Ladies and gentlemen Mister Neil Young. »

Là , le public fut sous le choc, il ne parvint pas à se faire à l’idée que ce clochard débraillé n’est autre que l’auteur d’Harvest. L’homme désespéré provoque souvent chez les spectateurs un mélange de mépris et de fascination, la foule est un troupeau de hyènes qui adore voir souffrir les grands hommes blessés. Avec cette idole californienne transformée en clochard dépressif, elle en avait pour son argent.

Paradoxalement, les Santa Monica flyers ouvrirent le concert sur un rythme assez enjoué. Plus musclé, la version live de tonight the night est un rock rageur, le piano accentuant son swing de bordel texan. Plus nerveuse, la guitare du loner déchire ce tempo boogie à grands coups de chorus cinglants. Presque digne de Rory Gallagher , cette ouverture montre que les Santa monica flyers sont aussi et d’abord un grand groupe de rock bluesy. Neil ne pleure plus son mort, il le célèbre dans une grande cérémonie rock n roll. L’alcool aidant, il veut alléger la noirceur pesante de l’album qu’il vient d’enregistrer, se libérer de cet étau qui le pousse à gémir plus qu’à chanter.

Cela ne l’empêche pas, dès qu’il a terminé une improvisation digne des grandes heures de Little Richard, de livrer une poignante version de mellow my mind. L’harmonica a beau adoucir l’austérité de cette folk torturée, le riff a beau rivaliser avec les bluesmen les plus classieux, cette voix éraillée vous prend à la gorge. Ecouter ce live au Roxy après s’être plongé dans la marée noire de Tonight the night donne presque l’impression que ces disques sont joués par deux formations différentes.

Les titres de tonight the night furent enregistré en une prise, le loner privilégiant l’émotion au détriment de la splendide virtuosité de ses musiciens. Passé les lamentations de mellow my mind , le groupe va donc se libérer totalement , jusqu’à évoquer le bon vieux temps du Crazy horse. Sur word on a string , le riff gambade joyeusement sur un martellement binaire , la voix éraillée du loner se chargeant d’apporter une touche de poésie à ce mojo minimaliste. Ce concert au Roxy montre un homme qui commence à se relever, un artiste qui eut besoin de toucher le fond pour mieux rebondir.

La guitare de Neil ne gémit plus, elle chante. Le dépressif pathétique qui entra sur scène devient un vieux sage ayant survécu aux pires tourments. Il y a encore de la douleur dans cette voix avinée, mais cette douleur ne domine plus. Sur les passages les plus mélodieux, le loner semble contempler ses douleur d’une montagne vertigineuse, elles influencent encore sa musique mais ne le blessent plus.

Ses rocks nostalgiques sont des bouffées d'oxygène, ils ont l’intensité des premières minutes de réveil après un long coma. Symbole de cette renaissance, une country plus insouciante fait timidement son retour. Roll another number n’a pas la gaieté franche d’un heart of gold , mais son feeling enjoué montre que l’esprit de son auteur s’apaise. Le loner n’a pas encore le cœur à la fête, ce qui ne l’empêche pas de se laisser embarquer dans des chœurs bucoliques sur fond de tempo campagnard.

Les titres qu’il joua ce soir-là au Roxy , personne ne les connaissait , pourtant tous crient leur joie en reconnaissant la seconde partie de tonight the night. Envoyé pied au plancher, ce cri de douleur devient un grand exutoire rock n roll. Le batteur cogne ses fûts comme une brute, impose cette monotonie sauvage qui est le cœur nucléaire du rock  n roll. La guitare danse autour de ce rythme avec énergie, la puissance de ses solos semble repousser de redoutables démons.

Le groupe s’éclipsa ensuite durant quelques secondes, la ferveur d’une foule conquise l’obligeant à prolonger un peu sa prestation. La guitare se met alors à fredonner la mélodie de walk on , on constate alors que Neil est bien en train de guérir de ses blessures. « On ne fait pas son deuil . C’est le deuil qui nous fait. » On retombe sur la phrase fermant la chronique précédente. Une fois passé les premières douleurs, le deuil permet à l’homme de faire sa mue , d’oublier ce qu’il était pour devenir ce qu’il sera. Et c’est exactement ce que fit Neil Young sur la scène du Roxy.       

Neil Young : On the Beach

 


Pour écrire ce dossier, j’ai choisi de chroniquer les albums dans leur ordre de production plutôt que dans l’ordre de leur sortie. Cette démarche suit un principe vieux comme les Beatles : l’album représente une étape dans l’évolution d’un artiste. Voilà pourquoi, pour percer le mystère Neil Young, il faut reconstituer un puzzle fait de disques parfois sortis des années après leur enregistrement. Autrement, on tombe dans les mêmes incompréhensions que ceux qui découvrirent ces disques à leur sortie.

Pour On the Beach , il faut rappeler que , même si il sort avant , ce disque fut enregistré après tonight the night. Privées de cette information, les critiques de l’époque se dirent sans doute que le canadien avait un petit coup de blues. Le ton de cet album fut si inattendu que l’on prit le canadien pour un fou . Un fou génial mais lunatique, à la Dylan. Le public s’imaginait qu’on the beach était le début d’un processus de deuil, il en est en réalité la fin.

Les nuages ne se sont pas tous évaporés au-dessus de la tête du loner , la mère de son premier enfant s’apprêtant à mettre les voiles, mais l’envie de s’amuser revient progressivement. Le public rock a pu de nouveau témoigner son affection pour le canadien lors de la monumentale tournée de reformation de Crosby, Still, Nash and Young. Il lui témoigna un peu trop d’ailleurs, la foule ovationnant des prestations qui laissaient de plus en plus de place aux titres de son héros canadien. Trop orgueilleux pour jouer les faire valoir, Crosby , Still et Nash mirent vite fin à une reformation qui eut juste le temps de donner lieu à quelques concerts mythiques.

C’est aussi l’époque où Neil commence une collection de voitures anciennes, une passion qu’il gardera toute sa vie. Ces bolides pleins d’histoire lui rappellent sans doute le bon vieux temps où il sillonnait les routes dans un corbillard pourri.

Bref , il reprend goût à la vie et l’exprime dans on the beach. La légèreté de walk on a des airs de lendemains de fête, quand quelqu’un prend une guitare sèche pour prolonger un peu ce bon moment. Il plaque alors une légère mélodie, quelque chose qui puisse être fredonné avec l’émotion d’un dernier adieu. Cette folk légère donnera lieu à des interprétations plus musclées lors des prochains concerts, la douceur de cette version studio correspondant à la méditation d’un homme pansant ses dernières plaies.

Alors forcément, Neil Young joue le blues , un blues plus frais et varié que celui de tonight the night. Le morceau titre a la douceur d’un soir d’été, quand le vent ne souffle presque plus, un soleil orangé semblant se coucher sur le tapis bleu d’une mer sereine. Avec cette douce nostalgie, Neil réinvente le blues acoustique que l’on pouvait entendre dans certaine campagne américaine. La nostalgie est la joie des gens tristes disait Victor Hugo, ce bonheur si particulier remplace désormais le mélange de désespoir et de cris libidineux des contemporains de Son House.

Le blues n’est pourtant pas la seule facette de ce disque, comme le montre le folk revolution blues. Cette mélodie automnale, cette voix s’enivrant en racontant ses propres souvenirs, c’est un des plus beaux moments de poésie rock. Neil énumère des souvenirs qui ne reviendront plus pour mieux s’en défaire, regarde ses paradis perdus en face pour mieux les dépasser. On the beach est un disque qui réconforte là où Tonight the night ne peut qu’émouvoir.

C’est une musique que l’on ressort comme un doudou quand le destin se fait cruel, quand le temps pèse de nouveau sur nos fragiles épaules. La douceur de ces mélodies acoustiques embellissent sans doute les souvenirs de l’auditeur , le charme intimiste de ces chansons accentue une émotion qui ne fut sans doute pas aussi forte à l’époque.

La mémoire est un livre que l’on réécrit sans cesse et on the beach est à l’image de ces souvenirs protéiformes. À chaque écoute, on redécouvre ces mélodies avec un émerveillement enfantin. On the beach est trop souvent vu comme une œuvre austère, sombre et déprimante. C’est au contraire un disque lumineux et réconfortant.           

jeudi 24 juin 2021

Neil Young : Homegrown

 


Homegrown devait à l’origine sortir juste après On the beach. Malheureusement, en écoutant ces bandes, Neil Young décida qu’il n’était pas encore temps de sortir un tel disque. Privée de cette dernière production, sa maison de disque n’eut d’autre choix que de suivre les plans de son protégé, qui décida de publier Tonight the night.

Homegrown est ainsi devenu un fantasme de fans. Tous savaient qu’un album oublié trainait dans les tiroirs du loner, et le long affaiblissement de sa muse ne fit que renforcer l’attente vis-à-vis de cette œuvre cachée. L’album sortit enfin en 2020.Il ne faut pas le juger comme une œuvre émancipée de son contexte, mais bien comme un maillon essentiel du parcours du loner. Pour continuer de filer la métaphore dylanienne , on peut considérer ce disque comme le Nashville Skyline du canadien.

Nashville skyline permit au grand Bob de se libérer de la pression liée à son statut de superstar folk rock, de laisser sur le carreau tous ces dévots qu’il trainait comme des boulets. Alors que tous étaient restés bloqués au refrain prophétique de The time they are changin, ou à la poésie électrique de Like a rollin stone , le Zim partait chanter de la country avec Johnny Cash.

Homegrown permet à Neil de se libérer de tourment plus personnels, mais sa légèreté est aussi un exutoire. Placé en ouverture, Separate ways annonce une partie de ce que deviendra le Crazy horse. On retrouve cette rythmique apache, qui se met désormais à galoper paisiblement. La guitare slide souligne la tendresse de ce tempo serein , qui s’éteint avec le souffle d’un harmonica réconfortant. Try suit ce rythme campagnard , Emmylou Harris sublimant cette mélodie de sa voix de bohémienne country. Cette même Emmylou Harry n’allait pas tarder à illuminer les mélodies tziganes de Desire , disque que le grand Bob sortira en 1976.

On renoue ensuite avec la folk , love is a rose étant une sympathique réécriture de dance dance dance , le titre qui clôturait les concerts de la tournée acoustique du loner en 1970. Le canadien n’attend pas longtemps avant de faire de nouveau sautiller sa bonne vieille old black sur un bon vieux boogie terreux. On retrouve sur le morceau donnant son titre à l’album la formule qui fit la grandeur d’Everybody know this is nowhere : Deux ou trois notes et un rythme délicieusement binaire.

On regrette presque que Florida viennent ensuite casser la belle dynamique de ce début d’album. Avec cette succession de bruitages, Neil a sans doute voulu produire son number 9. Mission accomplie ! Ce Florida est aussi barbant que le délire expérimental de John Lennon. Alors, comme pour reconquérir une muse refroidie par un discours aussi abscons, Neil Young ressort sa guitare sèche. Il n’est jamais meilleur que dans ces moments-là, quand sa guitare et son harmonica permettent à sa voix de trouver la formule capable de bouleverser toutes les âmes. Kansas est surtout une pastille folk digne de celles qui firent le charme d’After the goldrush.

Notre canadien passe ensuite des prairies du Kansas aux bars de Chicago, s’encanaille sur le mojo immortel du mythique Chicago blues. We don’t smoke it no more fait immédiatement penser aux passages les plus puristes d’Exil on the main street , disque où les Stones s’américanisaient jusqu’au trognon. On revient ensuite au folk avec White line , où Robbie Robbertson vient sublimer la poésie Youngienne de son toucher plein de finesse. Une version électrique de ce titre sera gravée en 1990 , mais elle n’atteindra jamais l’intensité de cette prestation dépouillée jusqu’à l’os.

Faisant partie des rares explosions électriques d’un disque très tempéré, Vacancy rappelle les chevauchées les plus sauvages du groupe de Danny Whitten. Homegrown s’achève sur Star of bethleem , une folk acoustique nous ramenant à l’événement mythique de Newport. Les voix de Neil Young et Emmylou Harris ont remplacé celles du duo Dylan / Baez , mais la vieille magie opère toujours.

Si sa plus grande variété donne à Homegrown un charme moins mémorable que celui du torturé Tonight the night , il n’en reste pas moins un très bon disque. Léger sans être insignifiant, varié sans paraitre brouillon, Homegrown est une petite perle éclipsée par l’incroyable productivité de son auteur.           

mardi 22 juin 2021

VOIVOD : Nothingface (1989)


S'il y a bien un groupe dont il est difficile de dégager un album plus qu'un autre c'est bien le cas de Voivod la formation de thrash métal canadien, l'un des pionniers du genre. Mais de mon point de vue ce "Nothingface" est dans doute le plus intéressant voire même le meilleur disque de nos amis québécois. Et c'est justement celui que je vous propose de chroniquer ! Même si objectivement le débat peut être ouvert tant le groupe a sorti quelques bons disques en plus de 35 ans de carrière.
J'avoue que bizarrement à la première écoute de ce "Nothingface" comme d'ailleurs pour l'album précédent "Dimension Hatross" j'avais été un peu déçu, j'avais eu du mal à rentrer dans l'album et n'avais pas accroché immédiatement.
Car si ici, à la base, il s'agit bien de thrash métal on part très vite vers des parties plus expérimentales à la croisée de nombreuses influences, progressives notamment et aussi parfois psychédéliques. Il faut dire qu'on s'éloigne de plus en plus du thrash métal traditionnel des débuts du groupe, notamment de "Killing technology" et qu'on pourrait qualifier cet album de métal alternatif si le terme avait existé à cette époque, ce qui n'était pas le cas et si celui-ci n'avait pas été utilisé pour tout et n'importe quoi ensuite (de Helmet à Therapy en passant par Evanescence !!) à en finir par devenir complètement galvaudé. C'est pourquoi le terme de métal expérimental me paraît plus approprié.
Après quatre albums 100% thrash métal et même si "Dimention Hatross" le prédécesseur de "Nothingface" exposait déjà quelques velléités expérimentales, Voivod prend ici un tournant, leur métal est plus mélodique, plus travaillé, plus progressif, plus technique, plus recherché, en un mot plus expérimental. De toute manière Voivod a toujours été un groupe atypique, cherchant sans cesse à créer, à innover.
La voix de Denis "Snake" Bélanger et la complexité des morceaux, leur structure peuvent certes facilement dérouter. Plusieurs écoutes sont donc nécessaires pour apprécier toutes les subtilités musicales.
Voivod a su passer avec succès du thrash métal au métal progressif de qualité sans se renier mais en évoluant au fil de ses nombreux albums, Le groupe n'a d'ailleurs aucun raté dans sa discographie malgré sa perpétuelle remise en question.
Après "Killing Technology" puis surtout "Dimension Hatross", le groupe prend donc avec "Nothingface" un léger virage progressif (et même un peu plus "atmosphérique" comme l'atteste la sublime reprise du classique de Pink Floyd période Syd Barett  "Astronomy domine" qui en est le parfait exemple, Voivod reprendra d'ailleurs également "The Nile Song" un peu plus tard).

Les morceaux sont innovants et mélangent plusieurs styles, les changements de rythme sont légions, donnant l'impression d'avoir plusieurs morceaux en un, le tout créant une atmosphère assez spéciale (assez futuriste/SF, science fiction dont plusieurs musiciens sont de grands fans avoués) , le tout étant souvent assez déroutant pour qui découvre Voivod.
Les titres sont d'une grande homogénéité ; étrangement le morceau qui ouvre l'album et celui qui le termine sont peut-être les moins passionnants, pour le reste difficile de ressortir une chanson plus qu'une autre, mes goûts personnels allant vers "Missing sequences", la reprise de Pink Floyd "Astronomy domine" déjà citée, le plus mélodique "Inner combustion" et enfin "Nothingface".
Mais si vous voulez un titre vraiment représentatif du style Voivod alors direction "Pre-ignition" morceau déroutant, presque hallucinant, qui surprendra l'auditeur non averti, tant on ne sait plus où donner de l'oreille !
Au début des années 90 avec "Angel rat" et "The outer limits" Voivod explorera des contrées plus mélodiques et plus "classiques" avant de revenir à des albums se rapprochant musicalement de "Nothingface" avec "Negatron", "Phobos" et "Voivod".
Nous avons là un des groupes métal les plus intéressants et créatifs des années 80/90 (mais répétons le pas forcément le plus facile à appréhender tant les morceaux peuvent parfois être complexes) et surtout Voivod a réussi à créer son propre univers, sa propre originalité et au fil des ans est devenu facilement identifiable tant par le style (certains voient en Voivod le premier groupe de métal progressif), le son mais aussi par l'atmosphère qu'il dégage (tout le long de l'album nous naviguons dans une ambiance complètement futuriste, mystérieuse). Et c'est aussi pour cela que les québécois sont régulièrement cités comme une influence majeure par maintes et maintes formations. 
Et puis n'oublions pas que Voivod a toujours eu la réputation d'être l'un des groupes les plus sympas et les plus ouverts de la scène métal.
Alors si vous ne devez écouter qu'un album de ce groupe allez jeter une oreille attentive sur le brillant "Nothingface" même si ce n'est pas le disque le plus accessible des canadiens.

samedi 19 juin 2021

Neil Young : Tonight's the night

 


Neil était en pleine gloire, les stades dans lesquels il jouait étaient bondés, mais les Stray gator décidèrent de tout gâcher. Ces musiciens demandaient désormais une augmentation que le loner ne pouvait leur offrir. La tournée en cours se termina donc dans une atmosphère tendue , avant que Neil ne renvoie ces paysans à leurs bars miteux. Ce coup du sort ne faisait de toute façon qu’accélérer un virage qu’il s’apprêtait à prendre, notre homme refusant de rester « l’auteur d’Harvest ».                        

Un autre événement allait confirmer la fin brutale de cette parenthèse enchantée. Les Stray gators finirent le dernier concert de la tournée, quand le téléphone se mit à sonner backstage. Il s’agissait de la police de Los Angeles, qui venait de retrouver Dany Whiten mort d’overdose. En entendant cette annonce Neil pâlit, il se souvenait avoir donné 50 dollars au guitariste pour s’en débarrasser. Il pensait que cette somme servirait à payer son retour, mais le guitariste préféra s’offrir un dernier trip.

Les idées noires se bousculèrent dans la tête de notre canadien. Il avait en mémoire le visage décomposé de ce guitariste à bout, il n’avait pas su entendre son appel à l’aide. Dany Whiten était pour lui le plus grand guitariste de son époque, aussi grand que Hendrix et Mike Bloomfield , peut être même plus. Il envoyait de sacrés riffs sur everybody know this is nowhere ! Des parpaings binaires lancés à la figure d’un folk rock resté bloqué à l’époque des Byrds. Neil avait pris son pied en jouant avec un tel virtuose du rythme binaire, il aurait dû préserver ce précieux génie.

Ces idées faisaient de son cerveau une cocotte-minute en surchauffe, alors il l’a arrosé. Le bonheur est dans l’abrutissement, c’est les boyaux de notre cervelle qui nous précipite vers l’abime. Alors, quand l’homme est titillé par les épines de la culpabilité, il les noie dans des rivières d’alcool. Assommé par la vodka à longueur de journée, Neil n’en continuait pas moins d’écrire , il avait déjà un paquet de chansons à graver dans le marbre. Il monte donc un nouveau groupe, les Santa Monica Flyers , et enregistre ce qui deviendra l’album Tonight the night.

A l’écoute de ces bandes, les responsables de la maison de disque changent de couleur. Après avoir roucoulé avec une telle grâce sur Harvest , voilà que leur protégé se mettait à gémir comme un torturé. Dès les premières minutes, cette musique transpire la douleur, ce n’est pas un album de rock c’est un mouroir. La voix brisée par le deuil et l’alcool, Neil gémit plus qu’il ne chante, crie comme un loup un soir de pleine lune.

Derrière lui, les Santa monica flyers impriment un boogie de bluesmen à la gueule de bois , le requiem d’une soirée ayant mal tournée. Le ton de l’album était donné, ce sera donc un déchainement de douleur et de souffrance, un gémissement que l’on écoute avec tendresse. Le blues se fait plus sombre que jamais, des titres comme speakin out faisant passer les grands martyrs noirs pour des fils de bonnes familles. Quand la guitare slide entre dans la danse, ce n’est plus pour faire rêver de campagnes tranquilles et de lendemains paisibles, mais pour nous plonger plus profondément dans la noirceur de ce spleen dépressif.

Word on a string ajoute un peu de colère à cet assommoir torturé. Energique sans être enjoué, son riff binaire semble se révolter contre la cruauté du destin. Neil n’en est pourtant pas encore au point de se régénérer dans une colère libératrice et le refrain ramène tout le monde dans les lymbes de ses tourments. Tonight the night est un album sans optimisme, une œuvre qui brille par sa noirceur. Sur Borrowed tune , Neil gémit comme un exilé aloolique , l’harmonica et le piano soulignant son deuil. Et puis il y a cette voix, fragile comme une bête blessée, se cassant au moindre emportement.

Trop honnête pour exprimer autre chose que ce qu’il ressent, Neil livre ici un des albums les plus sombres de l’histoire du rock. Aussi torturé soit-il , tonight the night fait partie de ces quelques disques qu’il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie. L’album ne sortira que plusieurs années après son enregistrement, la maison de disque pensant que ces chansons n’étaient pour Neil qu’une façon de faire son deuil. Mais, comme le disait Leon Bloy « on ne fait pas son deuil. C’est le deuil qui nous fait ». Voilà pourquoi ce disque est un des plus fascinants de la carrière du loner.