La ville swingue comme jamais, le jazz succombant
progressivement sous les assauts des nouveaux bluesmen de Chicago. Très vite,
le blues devint pour Chicago ce que la statue de la liberté est pour l’Amérique,
un symbole indéboulonnable. Dans les bars, le public noyait son spleen dans
le whisky , les solos de BB King et les
cris virils d’Howlin Wolf. L’industrie comprit vite que cette nouveauté
constituait un bon filon, et se mit à signer les troubadours du coin à tour de
bras. C’est ainsi que le label Chess programma les premières séances d’enregistrement
de BB King , Howlin Wolf et Muddy Waters.
Elvis n’avait pas encore tortillé du bassin que ce trio
fulgurant inventait l’énergie fondatrice du rock n roll. Quelques jours après
ce grandiose coup de filet, un noir au physique boursoufflé franchit la porte
de la maison de disques. L’homme avait plus un physique de bucheron que de
bluesman, même Muddy Waters passait pour
un anorexique à côté d’une telle armoire à glace. Le colosse ne venait pourtant
pas pour réparer les lavabos, mais bien pour effectuer une audition. Il s’installa
donc tranquillement et le cadre du label ne put masquer son mépris lorsqu’il se
mit à jouer.
Cette voix plaintive et suave, ces riffs binaires
parcourus de solos agressifs, tout cela n’était qu’une copie conforme de ce que
faisait BB King. Chess ne cherchait pas un ouvrier du swing, mais un phare
capable de guider ses contemporains sur le chemin de la modernité. Jusque dans les
années 80, innover était la norme, et celui qui se présenta sous le nom de
Freddie King n’en était pas encore capable. Après cet échec, Freddie partagea
son temps entre son travail dans une aciérie et les concerts de son groupe. Au
fil des semaines , il commença à développer son propre style , se montra capable de souligner la rythmique tout en
chorussant avec classe. A partir de 1960, la chance se mit enfin à sourire à
notre titan du blues.
Après avoir signé son premier contrat, Freddie King sortit
un 45 tours qui finit au sommet des charts. De 1960 à 1964 , il s’imposa comme le véritable King du blues de Chicago ,
ses ventes dépassant celles de Muddy Waters. Il faut dire que le nouveau maitre
du mojo enchaine les tournées et les enregistrements à un rythme infernal. Grâce à cette productivité, alors que la
plupart de ses contemporains sont écrasés par les blues rockers modernes , le
succès de Freddie ne se dément pas. Ce succès lui offrit une certaine
popularité parmi les grandes figures de la scène rock, dont plusieurs ont
plaqué leurs premiers riffs en reproduisant des classiques du blues. C’est
ainsi que, après avoir enregistré un premier album solo en compagnie de Mick
Jagger , George Harrison et Eric Clapton , Leon Russel proposa à King de
produire son premier album.
L’ex pianiste de Joe Cocker parvint à réserver les
légendaires studios Chess , permettant ainsi à son ainé d’entrer dans ce lieu sacré dont il fut rejeté. Les studios sont prêts, Don Nixx est venu épauler Leon
Russel à la production, lorsque Freddie avoue qu’il n’a écrit aucun titre. Les
deux producteurs écrivent alors dans l’urgence quatre titres, avant de demander
au guitariste de choisir quelques reprises pour boucler l’album. Comme pour
imposer sa suprématie, Freddie choisit plusieurs titres chers à BB King.
Sur Dust my broom , son jeu puissant et classieux semble
rappeler à Eric Clapton d’où il vient. La voix est délicate, le jeu puissant
tout en restant apaisé. Celui que les anglais nomment God tenta d’atteindre les
mêmes sommets nostalgiques, mais le blues sentimental de ses Dominos ne put
être aussi pur. Les blancs becs anglais et américains eurent beau tenter de
percer le secret des grand anciens, leur mojo sembla toujours taper à coté de
leur cible. Leon Russel et Don Nixx comprirent bien qu’il fallait préserver
cette magie, que leurs touches pop devaient se faire discrètes. Aussi inventifs que mesurés, leurs arrangements psychédéliques ou cuivrés font entrer Freddie
King dans l’ère du rock moderne.
Sur Palace of the king , ses solos acides ramènent le
feeling hendrixien sur les terres du blues. Freddie King est, sur Gettin ready
, comme un roi venu réclamer son dû. Aux nouveaux héros du blues moderne, il répond
par Same old blues , lumineuse ballade où la beauté du blues le plus puriste
est soulignée par des chœurs somptueux et un piano bouleversant. Puis, à l’heure
où le hard rock et le rock progressif noient sa sauvagerie dans des
expérimentations pompeuses, Freddie rappelle ce qu’est le rock n roll. Worried
life blues , Key to the highway , ces titres rappellent que le rock n’est
jamais aussi grand que quand il revient à sa simplicité originelle.
Viennent ensuite Five long years , Palace of the king et Going down , complaintes où une voix désespérée répond aux classieux
gémissements de la guitare. On retrouve ici le purisme mélancolique d’Albert
King et la douceur bouleversante de Mike Bloomfield. Comme beaucoup de ses
contemporains venus de Chicago, Freddie King évolue entre la classe
traditionnelle du blues et la puissance populaire du rock. Comme ceux que le
grand Waters sortit pendant la même période, les disques que Freddie King
publia dans les seventies sont de brillantes opérations de maquillage.
En se rapprochant du son de l’époque, Gettin ready montre
que les musiciens modernes doivent beaucoup à cet imposant guitariste. L’opération
fut si réussie que Jeff Beck enregistra sa version de Going down , avant que
Ten Years After , ZZ top et Grand funk railroad n’invite Freddie King à
effectuer leurs premières parties.