Il fallait bien deux ans pour faire le deuil d’une partie de son insouciance. Heureusement, l’attente en valait la peine.
Honteusement décrié , Street Legal est un chef d’œuvre. C’est
qu’en deux ans , Springsteen et Petty, ses deux fils spirituels, commençaient à
lui faire de l’ombre. Alors , en toute humilité , Dylan s’est adapté aux mœurs de
son temps. La beauté de son chant est à son sommet, et la production est propre
comme une mélodie de Jackson Browne.
En embuscade derrière ce vernis FM , ses influences
gospels , rythm n blues , et rock , entretenaient des mélodies dramatiques à
faire rougir le boss au sommet de son règne. Mais une bonne part de la critique
avait déjà enterré Dylan, et ne comptait pas ressortir son squelette du
placard.
Et puis , en 1977 , un autre monstre sacré retenait toute
l’attention. Après son service militaire , la carrière d’Elvis ne fut qu’un
long déclin , illustrée par cette image pathétique de rocker bedonnant. Le
déclin a brutalement pris fin dans sa demeure de Graceland , et la nouvelle fit
l’effet d’une bombe. Seuls les punks se réjouirent de cette perte, il est vrai
que l’homme n’était plus qu’un symbole du passé,
Mais Dylan a toujours rêvé de ressembler à Elvis, ça
restera d’ailleurs son plus grand complexe. Il rassemble donc un groupe composé
d’ex musiciens du king , et entre en scène vêtue de blanc, la couleur portée par
son héros lors de son ultime retour.
Ses titres étaient joués avec grandiloquence, les cuivres
partant dans un grand requiem poétique , une fête à la mémoire de celui sans
qui rien ne serait arrivé. Issu de cet hommage, live at budokan sera éreinté
par la critique, qui ne supporte pas cette instrumentation tapageuse.
Dylan avait bien échoué, il ne sonnait pas comme Elvis,
il était bien trop fin pour reproduire son modèle à l’identique. Live at
Budokan était sa récréation, le catharsis où il jouissait enfin du sentiment d’être
un frontman au milieu d’un vrai big bang musical. C’était Elvis et Sinatra ,
Springsteen et James Brown , le charisme
grandiloquent allié à une poésie qu’il ne pouvait laisser de côté.
Après le concert, Dylan commença à lire une bible prêtée par son vieil ami Johnny Cash, et se réfugiait de plus en plus dans ces sermons
moralistes. Le guide d’une génération se faisait alors dévot, et chargeait Marc
Knopfer de mettre ses sermons en musique. La critique n’avait pas aimé, Street
Legal , elle détestera slow train coming.
On pensait l’ex symbole de la liberté de conscience
enfermé dans sa foi, un libre esprit retenu dans les geôles d’un obscurantisme
gluant. Pourtant, l’homme n’avait pas renoué avec la religion comme un enfant
se réfugiant dans les jupons de sa mère. Sa famille était juive, et c’est son
parcours qui le mena au christianisme, comme il l’avait mené au folk quelques
années plus tôt.
Dieu était certes une consolation au milieu d’une période
trouble, mais il s’agissait d’une consolation choisie. On peut aussi y voir une
nouvelle expression de sa liberté, l’homme n’ayant pas peur de détruire son
image pour suivre sa voie.
Quant à sa musique, elle creusait encore le sillon gospel
rock de Street Legal. Slow train coming dispose d’un son plus épuré, qui met
bien en valeur le feeling unique de Knopfer. Sa guitare n’a d’ailleurs jamais
si bien sonné, elle renoue enfin avec le son du missisipi que Dire Strait défigurait.
Chacun des disques de cette « trilogie chrétienne » fut un grand
disque de rock.
Ce virage fut malheureusement incompris et, après avoir
vécu street legal comme une soumission face à l’industrie du disque, le
public considérait ces nouveaux disques comme une allégeance à une morale
réactionnaire.
Des idoles sont mortes pour moins que ça et, déstabilisé
par l’incompréhension qu’il engendrait , dégoûté par le nihilisme d’une époque
artificielle , Dylan entama une période de presque dix ans de vide artistique.
Annoncée comme un événement historique , la tournée avec
le dead ne laissera que le souvenir d’un album live d’une médiocrité honteuse.
Dylan a eu peur de se retrouver statufié en symbole d’une époque, et a donc
sélectionné les pires bandes, comme si
la chute de ce disque le débarrassait aussi de son encombrant passé.
On ne reviendra pas sur down on the groove , knocked out
loaded, ou empire burlesque , ces disques montraient juste un homme qui se
cherchait un avenir , sans savoir si il en avait encore un. C’est Bono qui lui permit de rentrer enfin
dans l’ère moderne.
En 1989 , il lui présente son producteur , avec qui le
Zim va travailler sur le disque qui ouvre son nouvel âge d’or. Oh mercy fait
partie de ces disques qui ont leur propre ambiance , et Dylan y reprend ce
rôle de conteur qui lui va si bien. Dans les moments les plus rythmés, comme
everything is broken, il parvient même à ressusciter le country rock du band.
Mais on retiendra surtout ses chroniques musicales, qui
le voient enfiler le costume d’Homère moderne. Ring that bell creuse le sillon
d’un folk mystique. Patti Smith n’aurait d’ailleurs pas renié sa mélodie en
forme de messe païenne.
Man in the long black coat est une fresque rock digne de
ballad of a thin man, la révolte en moins. Oh mercy remet Dylan en selle pour
les années suivantes, et celui que tout le monde croyait fini entame un nouvel
âge d’or.
Victime d’une crise cardiaque quelques années plus tard,
il se nourrit de cette expérience glaçante pour enregistrer time out of mind.
Disque d’un homme revenu d’un autre monde, et offrant son expérience tel un
vieux sage, c’est un brulot spirituel comme il n’en a plus produit depuis les
sixties.
Au moins aussi bon, love and left venait ratisser les
chemins immortels du rock traditionnel, celui dont les rythmes étaient de
glorieux échos du vieux blues. Soutenu par un des meilleurs groupes qu’il ait
jamais eu, Dylan offre un disque enthousiaste après la noirceur introspective
de time out of mind.
Le blues, il le retrouve encore sur « time go wrong »
et « good has I’ve been to you » , disque où l’icône se mut en
modeste passeur. Après ses deux recueils de reprises , il apporte sa petite
pierre à l’édifice sur le sentimental « together throught life » . La
voix a vieilli, et l’homme s’est imposé comme le gardien d’un temple perdu.
Je ne parle pas seulement de la musique profonde venue
des studios sun , mais de cette pop exigeante, aussi travaillé dans sa musique
que dans ses textes. C’est sans doute ça qui nous manquera le plus, quand le
barde du Minnesota sera arrivé au bout de son « voyage sans fin ».
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