Dylan est donc arrivé au studio Columbia, où John Hammond
l’observe avec attention. Il faut dire que, en plus de Carolyn Hester, un cador
du label est venu lui chanter les louanges du « gamin venu du Minnesota ».
Ce jour-là, Johnny Cash trainait par hasard au Gaslight
, et découvrit pour la première fois celui dont la notoriété ne faisait que
croître à New York. Le début du concert était un peu bizarre. Le jeune homme
amusait le public en maudissant une guitare, qu’il accordait avec
difficultés. Sur ses reprises de folk/ blues, il se dandinait comme un pantin
burlesque.
Mais Dylan avait cette voix , si mature pour un jeune
homme de son âge, et dont le phrasé si juste fut éblouissant quand il attaqua
« in my time of dyin »
« In my time
of dyin
Don’t want
somebody to moan
All I want for you
to do
Is take my body
home
Well , well , well
, so I can die easy »
Ce gosse avait à peine l’âge
de quitter les jupons de sa mère, et pourtant il chantait ce blues mieux que la
plupart des braillards pathétiques qui tentaient de se faire une place au
soleil. C’est après cette soirée que Cash s’empressa de contacter John Hammond.
« Il y’a un petit gars en
ville qui se débrouille pas trop mal. Tu devrais le signer avant qu’un autre ne
le fasse. Il s’appelle Bob Dylan. »
Hammond n’eut pas le temps de répondre,
son interlocuteur avait déjà raccroché. Il n’avait pas besoin d’en dire plus,
que Cash se dérange à cette heure pour lui parler de Dylan en disait déjà long
sur le potentiel du garçon. Aujourd’hui, Carolyn Hester lui apportait ce petit
prodige sur un plateau, et Hammond pouvait ressentir son charisme.
Après lui avoir demandé de
jouer un titre, qui s’avéra être celui que Johnny Cash avait entendu la veille,
John Hammond lui proposa rapidement un contrat d’enregistrement. Le premier
album qui en découla fut enregistré rapidement, et était surtout composé de
reprises. Il constituait un manifeste puriste, le point de départ d’un artiste
qui revendique ses racines avant de les dépasser.
Le disque ne se vendra pas bien,
il était bien trop traditionnel pour ça. Sa force ne se trouvait pas dans la
beauté de mélodies alambiquées, mais dans ce phrasé, à mi-chemin entre ses
ancêtres folk et les rêveurs de la beat generation.
A une époque où Londres réinventait la pop, ces chansons acoustiques faisaient fuir une jeunesse plus
tournée vers l’avant garde. Rapidement surnommé l’aberration Hammond, ce bide
fit de Hammond la risée du music business, qui pensait que l’homme avait fait
son temps.
Aussi limité fut-il, le
public folk qui acheta le premier disque de Dylan lui offrit une sécurité
financière qu’il n’avait jamais connu. Le chanteur en profitait pour soigner
son apparence, passant des heures dans les boutiques, pour trouver le look le
plus « authentique ». Il n’était pas qu’un opportuniste, même si il
savait que le folk était le tremplin qu’il cherchait, pour imposer son image au
côté des grands poètes qu’il vénérait.
Sa petite notoriété lui permis
aussi d’être suivie par un homme en costard , qui cherchait désespérément à
entrer en contact avec lui. A cette époque, Dylan commençait seulement à
bouleverser les codes du folk, ses textes faisant preuve d’une profondeur
inédite.
Grossman cherchait un artiste
capable de produire une « folk grand public », une musique aussi
attirante que la pop , mais dotée de cette authenticité qui fait les œuvres
intemporelles. Dévoilé ce soir-là , « a hard rain is gonna fall »
montrait un artiste sensible aux angoisses de son temps, et les exprimant avec
une sensibilité poétique inédite.
« Oh were
have you been, My blue eyes son ?
Where have you
been my darling young one ?
I’ve walked and I’ve
crawled on six crooked highway
I’ve been out in
front of a dozen death ocean
I’ve been ten
thousand miles in the mouth of a graveyard
And it’s a hard ,
It’s a hard , It’s a hard
It’s a hard rain
gonna fall »
Lorsqu’il chantait ces mots , Dylan avait l’aura
fascinante d’un messager de l’apocalypse. Quelques jours auparavant, Fidel
Castro avait accepté que les russes installent leurs missiles sur les côtes
Cubaines, à quelques encablures de son « ennemi impérialiste ».
Heureusement, les russes n’étaient pas encore prêts à
lancer une troisième guerre mondiale, et la crise prit fin après les menaces de
Kennedy. Mais tous étaient désormais conscients que les deux supers puissances
avaient les nerfs à vif, et qu’il suffirait de pas grand-chose pour que l’une d’elle
appuie sur le bouton atomique.
Quand il réussit enfin à approcher Dylan , Grossman ne
met pas longtemps à devenir son manager.
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