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mardi 11 février 2020

Rock Stories : Le rock sudiste 4


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Le nom ne l’avait pourtant pas emballé, et l’affiche semblait jouer la carte de la nostalgie. De toute façon, la jeunesse des 90’s a déjà les oreilles bouchées, initiée à la merde sirupeuse dès le berceau. Si les genres musicaux, si nombreux dans les 60’s, ont disparu,  c’est à cause de l’abrutissement de ces oreilles innocentes. Voilà pourquoi la proportions de vieux augmentent dans les concerts.

Ultra minoritaire dans les années 70, ils constituent désormais la moitié du public. Ce constat inspira à Clint ces quelques lignes tristes :

«  A ce train-là , la musique de l’éternelle jeunesse risque de devenir un vieux doudou pour quinquas nostalgiques. »

Le constat l’amène à une conclusion qui n’est pas forcément négative. Le rock est devenu une musique exigeante dans un monde superficiel. Pour résumer son dernier livre, Buckowski écrivait : « Ce livre est dédié aux derniers hommes libres , si il en reste ». »Voilà ce qu’est devenu le rock , un moyen d’éviter cette maladie sordide qu’est le conformisme.

Puis les lumières s’éteignent , les projecteurs s’allument , et toute la foule semble avoir le même âge. L’appartenance des black crowes à la famille sudiste ne fut pas reconnue par tous, certains leur reprochant leurs influences trop anglaises. Ce sentiment fut d’ailleurs confirmé par une rumeur annonçant leur participation à une série de concerts de Jimmy Page. La rencontre aura bien lieu , et donnera naissance à un disque anecdotique , où les artistes se contentent de devenir le meilleur tribute band de led zeppelin.

Ce soir-là pourtant, le débat semblait futile, le gospel rock de remedy sonnant comme un lointain echo du lyrisme de Lynyrd. Devenu fervent défenseur du groupe, Clint sera conforté dans son opinion par la sortie de « the last rebel », le disque que lynyrd sortit en 1993, peu de temps après les premiers exploits des black crowes.

« Si « the last rebel » est aussi bon, on le doit à une jeunesse qui a su réveiller son vieux héros fatigué. Ce disque creuse le sillon gospel blues de « The Southern Harmony and Musical Companion » , chef d’œuvre que les black crowes ont sorti il y’a quelques mois. Ajoutez à cela le retour en grâce des Allman brothers , et vous obtenez le nouvel âge d’or d’une musique universelle . Age d’or qui trouve avec « the last rebel » un nouveau marqueur historique. »

En parlant des allman , la nouvelle formation de cette « famille » a mis la lumière sur un homme qui va devenir la nouvelle obsession de Clint.

« Warren Hayne a permis aux Allman de jouer le blues comme ils ne l’ont plus fait depuis la disparition tragique de Duane. Son jeu est un modèle de modestie sur « shade of two word » et « hittin the note » , deux disques aussi vénérables que les vieux succès de leurs modèles.
C’est que le blues se maîtrise au terme d’un parcours ingrat, c’est une énergie qu’on ne développe qu’après avoir subi les affres de la vie.
Voilà pourquoi il y’a plus de souffle dans le jeu de Hayne , que chez n’importe quel jeune loup tel que Bonamassa. » 

Quelques jours plus tard, la performance des allman au beacon theater lui fera écrire :

« Hayne est devenue l’âme des Allman brothers. Celui qui, le temps d’un solo à rallonge, les mène vers des sommets hypnotiques. C’est aussi lui qui se charge de l’atterrissage en douceur, revenant à la simplicité du riff, avec ce phrasé magnifiquement économe. 
On sent pourtant chez cet homme une musicalité, qui ne s’épanouit que partiellement avec le groupe du vieux Gregg. »
Quelques jours plus tard, son rédacteur en chef tend à Clint un vinyle, en lui disant juste qu’il est le plus apte à le chroniquer. C’est surtout que les autres ont jeté l’éponge, plus intéressés par le grunge que par le blues rock graisseux.

Sur la pochette de ce disque offert par son patron, un âne arbore fièrement le drapeau américain. Le nom du groupe, gov’t mule , fait référence à un amendement de Lincoln , qui promettait un bout de terre et un âne à tous les esclaves libérés après la guerre de sécession. En réalité, Johnson reviendra sur cette promesse, et offrira plutôt aux noirs américains leurs propres quartiers de misères, et les joies de l’apartheid. Symbole des promesses non tenues , ce nom fait plus penser à un groupe punk bien démago , qu’a une réunion de solides sudistes.  
                                                                                                                                  
L’écoute du disque donne à Clint une claque qu’il n’a plus ressentie depuis des années :

« Gov’t Mule est au sud ce que taste fut pour le blues , un power trio d’une énergie démentielle , une tornade secouant une culture devenue immobile. On peut regretter que ce bon vieux Warren Hayne masque sa finesse derrière une puissance sonore impressionnante, mais l’homme a compris qu’il fallait que sa musique retrouve une certaine urgence. »

Dose lui inspirera la même admiration :

«  Ce disque est un sommet, le dernier épisode d’une série unique. Gov’t Mule atteint ici une telle symbiose entre le groove sudiste et la puissance heavy blues, qu’il ne pourra s’améliorer qu’en changeant de plan d’attaque, à moins qu’il ne change carrément de voie. »

Clint avait enfin trouvé son nouveau Lynyrd, qu’il suivait désormais lors de ses concerts épiques, un parcours qui lui rappelait ses grands débuts.

«  Le marteau de dieux nous mènera vers de nouvelles terres .» Mes amis , Gov’t Mule n’est pas seulement un groupe , c’est une armée de conquérants. Un soir, au roxy theater , ils sont arrivés devant un public blasé. Nous ne sommes plus en 1969 , et le culte du blues n’est même pas un souvenir pour les badauds s’étant arrêtés dans cette grande salle. Mais la musique a lancé une charge sans pitié. Dès les dernières notes de « thorazine shuffle », la foule était à genoux, exprimant sa gratitude via des acclamations sauvages. Ce soir-là , la mule pouvait tout se permettre , y compris de nettoyer war pig de ses relents macabres. »

Les trois premiers albums tournaient en boucle dans le bus de tournée, quand certains titres ne passaient pas sur certaines radios. Mais les groupes sudistes semblent condamner à une fin tragique, et gov’t mule ne sera pas une exception. 

En ces années 2000 , Allen Woody partit rejoindre Ronnie Van Zandt au vahalla des vieux combattants du heavy blues. Loin de s’écrouler, le groupe salua sa mémoire dans une série de concerts orgiaques.
Compilées sur le triple live deep end, ces performances firent dire à Clint dans les colonnes de rolling stones : 
                                                                                    
« 25 bassistes , c’est ce qu’il fallait pour rendre hommage au socle rythmique de la mule. Ce disque est un somptueux hommage au siècle qui vient de mourir. On espère tout de même que gov’t mule sera capable d’annoncer la couleur de celui qui débute. »

Il faudra attendre 4 ans pour que le groupe sorte un nouveau disque. Une éternité durant laquelle Clint suivit la carrière solo de Warren Hayne.

«  Tales of ordinary madness , en plus de rappeler un des livres les plus géniaux du vieux Buck , réalise ce que l’on soupçonnait depuis que Hayne posa pour la première fois le pied sur scène. C’est un travail d’orfèvre qui a su garder la puissance de ses débuts, l’œuvre d’un artisan du pur rock n roll amoureux du bel ouvrage. »

Quelques années plus tard, Clint découvre Blackberry Smoke .

« Ces types sont aussi attachants qu’un livre rempli de vieilles photos. Avec eux, l’esprit  conquérant des grands rednecks des années 70 fait place à un country rock festif. Mais, derrière cette légèreté apparente, se cache une capacité impressionnante à pondre des mélodies inoubliables. Si le rock sudiste doit s’éteindre sur ce boogie chaleureux , il aura une mort des plus dignes ».

Cette réflexion sur la mort du rock sudiste n’était pas un abandon de sa musique, mais une interrogation face à son évolution. Cette pensée était née alors que Warren Hayne l’avait invité à assister aux enregistrements de « ashes and dust ».

Assis sur un tabouret de bois, l’homme envoyait des mélodies bluegrass auraient fait passer l’intervention de Jack White, dans retour à cold mountain, pour une mauvaise imitation de cette musique des exilés chère à Steinbeck. La musique, elle, était encore plus pure et rustique que tout ce que le sud a pu produire lors de son âge d’or.

Lorsque Hayne sort de la cabine d’enregistrement, Clint ne peut s’empêcher de lui dire sur un ton admiratif :

« C’est dingue ! Tu sonnes comme the band ! »

« Tu me fais un beau compliment, j’ai toujours adoré ce groupe, leur concert d’adieu m’a fait pleurer comme une jeune fille. »

« Ce disque va bien plus loin que tes influences habituelles. Tu sembles devenir l’âme musicale de l’amérique. »

« Ces influences ont toujours été là,  c’était juste plus discret. »

Il prend sa guitare et se met à jouer le riff de « John the revelator »,la version originale introduisant une seconde plus poussiéreuse, comme si la première menait naturellement à la seconde.

«  Tu vois, tout était là depuis le départ. »

Hayne pose sa guitare avec un tel soin, qu’il semble l’aimer comme on aimerait un enfant.

«  Tout était là, mais les critiques sont trop obnubilées par leurs étiquettes, ils tiennent trop à ces œillères. C’est pour ça que j’ai repris  « gold dust woman » sur ce disque. Rumour est sans doute le plus grand disque des années 80, il dynamite les frontières érigées entre les différentes composantes de la musique américaine. »

Clint ne peut s’empêcher de relativiser ce constat :

« Mais tu oublies cette production tape à l’œil, on est loin de votre profondeur crasseuse. »

Hayne se fige , la passion fait trembler sa main, comme si il fut blessé par la phrase envoyée par son hôte. La passion faisait vibrer son impressionnante carcasse, comme les cordes d’un instrument charismatique.

« Et Alors ! C’est comme reprocher à Dylan de ne pas écrire exactement comme Kerouac ! Mais, tu verras , cette limite est en réalité la base de son génie. Il aura le nobel ce con ! Et tous les journalistes hautains, qui crachaient à la gueules de ses vers , viendront lui baiser les pieds. »

Hayne parle comme il joue sur scène, avec passion. Sa spontanéité l’amène souvent à des raisonnements  aussi imprévus que passionnants. Revenant au sujet initial sans transition, Hayne détruit la réflexion de son interlocuteur en quelques mots qui resteront dans sa mémoire.

« Le rock sudiste n’a jamais été aussi présent qu’après sa mort, quand ses descendants se nourrirent de son cadavre exquis pour faire grandir la musique américaine. »

Voilà la révélation que Clint cherchait depuis le début de son histoire. Désormais, il ne parlera plus de rock sudiste, mais de ce vieil oncle rassurant venu du sud.

Une de ses dernières chroniques résume parfaitement la conclusion de son parcours initiatique :

« Lynyrd et autres Molly ont réussi à devenir l’équivalent moderne des grands bluesmen. Et leurs ombres planent encore sur une bonne partie de ce que le rock a encore de grand ».

Fin

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