On commence à attacher Lou Reed sur la table qui va accueillir son calvaire. Il savait que ses sautes d’humeur, son goût de la provocation , et son amour du rock n roll lui vaudrait les représailles de ses géniteurs. Mais pas au point de le faire embarquer par les hommes en blouses blanches.
Le guet-apens s’était mis
en place simplement, comme si tout ce cirque était fait pour son bien. Les
américains s’effraient des hopitaux psychiatriques, dans lesquels les
dictatures communistes envoient les opposants politiques, ils ne se rendent même
pas compte qu’ils fabriquent aussi leurs fous.
La normalité est une
notion fasciste, surtout dans une amérique à la morale étriquée. Et ses parents
envoyaient donc leur fils au supplice, avec la même bonne conscience que les
agents Staliniens s’occupant des goulags. Pendant qu’il ruminait, un de ses
geôliers humectait consciencieusement ses tempes, avant d’y appliquer ce casque,
digne descendant de la couronne d’épine du Christ.
On lui flanque ensuite
dans la bouche un instrument sensé retenir sa langue, afin qu’il ne l’avale pas
pendant ses convulsions. Le système est d’une simplicité démoniaque, il s’agit
juste d’un casque transportant le courant de la gégène à votre caboche.
L’infirmier lance l’ordre avec une vigueur d’officier Allemand
« choque ! ».
Là tout le monde se recule,
et un bruit sourd et sec raisonne dans la pièce. Lou n’a pas le temps de
l’entendre, sa boite crânienne est déjà transpercée par une lame destructrice.
Ses convulsions sont si fortes, que la table qui le retient semble prête à
s’effondrer sous ses tremblements.
Le choc laisse le patient
assommé, l’œil torve et l’air docile. Les parents de Lou Reed pensent avoir matés cet ennemi de la société. Mais ils n’ont réussi qu’à faire naître une rage
subversive, qui va bientôt secouer le totalitarisme qu’ils croient défendre.
Toujours fasciné par Bo
Diddley , sa révolte trouve un moyen d’expression lorsqu’il suit l’enseignement
de Delmore Shwartz. Poète adoubé par TS Eliott , Shwartz lui donne le goût de
la phrase simple. Pour toucher plus profondément, les mots doivent être précis,
et toute fioriture inutile dilue leur puissance.
Trois mots, trois accords
, trois battements. La formule est un peu simpliste mais résume bien le credo
qui guidera les débuts de Lou Reed. Après cette découverte, Reed trouve un
contrat chez Picwick , et devient un auteur de tubes neuneu pour la jeunesse
libérée.
Devenus plus libres, les
jeunes constituent désormais un marché prometteur. Les labels comme pickwick
ont comme seul objectif de se faire un maximum d’argent grâce à ce nouveau
public, mais Lou a besoin d’argent.
C’est là qu’il rencontre
John Cale, jeune avant gardiste gagnant sa croute dans les studios de ce label
pourri. Entre les deux hommes le courant passent bien, ils partagent cette
envie d’emmener le rock plus loin. Le poète a trouvé son musicien, la plume
s’épanouissait au contact du défricheur de son.
Basé sur une seul note ,
the ostrich , le premier tube produit pour les studios , recyclait le jungle
beat de Bo Diddley. Lou avait réussi à imposer son obsession musicale, mais pas
littéraire.
D’ailleurs, personne ne se
doutait qu’il écrivait ses propres textes , jusqu’au jour où il se mit à
improviser. Il se mit alors à réciter son texte au milieu d’une jam, et Cale
fut si sidéré qu’il s’arrêta de jouer.
« I don’t know , just where I’m going
But I’m gonna try , from the kingdom if I can
Cause it make me feel like I’m a man
When I put a spike into my vein
Then I tell you things aren’t quite the same
When I’m rushin on my run
And I feel just like jesus son
And I guess I just don’t know
And I guess that I just don’t know »
« Mais comment tu
peux accepter de ressasser une daube comme the ostrich, alors que tu sais
pondre un truc pareil ! »
Lou se figea avec la
nonchalance inexpressive qui le caractérise.
« J’ai bien essayé de
proposer mes titres, mais Pickwick n’en veut pas. »
Il laisse un blanc , comme
pour souligner la gravité de sa conclusion.
« Et ils ont raison.
Les gens sont sourds, et les jeunes qui écoutent de la musique auraient du mal à
faire la différence entre un titre des stones et des beatles. Ça leur procure
juste une vibration agréable, le fond sonore masquant leur vide existentiel. »
Malgré cette sentence, Lou
ne rêve que de succès. Il désire ardemment l’amour de ce grand public qu’il
semble mépriser. Et surtout, il veut imposer sa musique, pas une commande
réalisée pour un quelconque crétin à cigare.
L’aventure picwick prit
fin aussi vite qu’elle avait commencé, Lou Reed entama son parcours initiatique
de poète des bas-fonds. Dans les bars malfamés qu’il fréquente, le duo s’initie
à l’héroïne, à la débauche, et rencontre les personnages qui peupleront les
chansons de Lou.
C’est aussi là qu’ils
croisent Moe Tucker et Sterling Morrison , deux musiciens aussi mordus de Bo
Diddley que Reed. Ils forment une section rythmique parfaite, la racine
permettant à l’avant gardisme de Cale de s’épanouir sans se perdre.
Encore nommé the warlock ,
la formation trouve son nom dans les rues malfamées de Bowlery. C’est là que Lou
ramassa un livre racoleur sur les déviances sexuelles aux Etats Unis, avant de s’écrier
« On tient le nom de notre groupe ».
Le Velvet est ainsi né,
mais ses concerts sont une série de catastrophes. Le velvet underground était
minimaliste à une époque de délires psychédéliques , réaliste dans un monde
friand de rêveries planantes , violent en plein peace and love.
Comment une génération
fascinée par les beach boys et les beatles aurait-elle pu comprendre cette
agressivité sonore primaire ? Tout le monde voulait oublier la réalité et
ces mecs leur remettaient le nez dans le purin le plus nauséabond. A la guitare,
Lou avait développé sa propre vision du minimalisme musical. Un jeu tranchant,
qui se mariait aux rythmes industrielles
de Moe Tucker.
Si les salles où le Velvet
jouent se vident rapidement, elles leur permettent tout de même d’attirer l’œil
de Barbara Rubin. La jeune femme est proche d’Andy Warhol, et va faire tout son
possible pour que le pape du pop art rencontre le velvet.
Elle ouvre aux musiciens
les portes de la factory , le nouvel atelier où Warhol accueille un mélange de
minables prétentieux et d’avant gardistes plus ou moins visionnaires. C’est là
que Gerard Malenga fait leur connaissance. Bras droit de Warhol, il a déjà joué
dans une poignée de films d’Andy Warhol, et aide ce dernier dans sa quête d’un
nouvel art avant gardiste.
Le velvet commence
rapidement à jouer devant le parterre de marginaux qui constitue la faune de la
factory. C’est là que Warhol tombe enfin sur eux, et il est fasciné par ce qu’il
entend.
Le groupe jouait alors héroïn , longue transe toxique dont l’alto de Cale soulignait l’attrait subversif. Immédiatement,
Warhol imagine un show décadent, où le groupe jouerait sous un éclairage épileptique,
devant un Malenga effectuant ses danses sados masochistes.
Dans le même temps , il
devient très proche de Lou Reed, et l’incite à travailler sans cesse. Il lui
lancera cette phrase admirative « Vous faites avec la musique ce que je
fais avec la peinture. »
Andy et le Velvet
partageaient ce réalisme pessimiste, cette fascination pour les déviances
américaines. Tout cela n’allait pas tarder à changer la face du rock.
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